LES ACTES DE SAINT MATTHIEU, APOTRE ET ÉVANGÉLISTE

(Au premier siècle de Jésus Christ)


fêté le 9 août

Le bienheureux apôtre et évangéliste Matthieu prêcha d'abord aux Hébreux le Seigneur Jésus, et avant de passer en Éthiopie, que le sort lui avait assignée pour le lieu de sa mission, il écrivit sort Évangile dans sa langue maternelle, en hébreu. Ce fut comme le résumé de ses prédications, dont il voulait laisser un souvenir à ceux qu'il allait quitter.
Il y avait alors chez les Éthiopiens, dans leur principale ville nommée Natdaber, et dont Égyppus était roi, deux magiciens célèbres, Zaroès et Arphaxat. Abusant de la crédulité de ces peuples, ils se donnaient pour des dieux; et tous, le roi lui-même, ajoutaient foi à leur imposture. En peu de temps, la renommée les avait fait connaître au loin, et l'on accourait du fond de l'Éthiopie pour les adorer. Parmi les prestiges merveilleux qui leur valaient ces honneurs, ils pouvaient, à leur gré, arrêter un homme dans sa marche, et le retenir debout immobile, aussi longtemps qu'il leur plaisait; d'autres fois, enchaînant l'action des sens, ils le réduisaient à ne plus voir ni entendre. Ils commandaient encore aux serpents de mordre quelqu’un, et de distiller leur venin dans la plaie de leurs morsures; puis, par leurs enchantements, ils guérissaient les victimes de leurs maléfices. Ainsi se vérifiait en eux l'adage populaire : «Aux plus pervers les plus grands honneurs.»
Mais Dieu, qui prend soin du salut des hommes, envoya contre eux le bienheureux apôtre Matthieu. À peine entré dans la ville, il se mit à dévoiler leurs fourberies; on le vit, avec le Nom de Jésus Christ, rendre le mouvement à ceux dont les deux magiciens avaient arrêté les pas, la vue et l'ouïe aux malheureux qu'ils en avaient privés. En même temps, il endormait les serpents qu'ils lançaient contre les hommes, et guérissait leurs morsures, en faisant sur elles le signe du Seigneur.
Témoin de ces miracles, l'Éthiopien, eunuque de la reine Candace, et que Philippe avait baptisé, vint se jeter aux pieds de l'apôtre; et, adorant la Puissance de Dieu dans son ministre, il disait : «Le Seigneur a jeté un regard de miséricorde sur cette ville, pour l'arracher aux mains de ces deux magiciens, que les peuples honorent comme des dieux.» Puis il accueillit le bienheureux apôtre dans sa maison. C'est là que saint Matthieu fut visité par tous les amis de l'eunuque de la reine Candace. Il leur annonça la parole de vie, et un grand nombre crurent en Jésus Christ, notre Seigneur, et furent baptisés; car ils voyaient leurs magiciens qui n'avaient de pouvoir que pour nuire, tandis que l'apôtre de Dieu rendait vains tous leurs maléfices. Les magiciens blessaient tous ceux qu'ils pouvaient, afin que leurs victimes vinssent implorer leur secours; en sorte que guérir pour eux, c'était cesser de faire du mal. L'apôtre du Christ, au contraire, non seulement guérissait les maux causés par ces malfaiteurs, mais encore il rendait la santé à tous les malades qu'on lui présentait. Il ajoutait à tous ces bienfaits la prédication de la parole sainte, et tous admiraient son éloquence.
icône de l'apôtreL'eunuque, qui l'avait reçu avec une si religieuse affection, lui fit cette question : «Apprends-moi, je t'en conjure, comment toi, qui es Hébreu, tu connais les langues de la Grèce, de l'Égypte et de l’Éthiopie, de manière à les parler avec plus de pureté que ne le sauraient faire ceux qui sont nés dans ces pays.» L'apôtre lui répondit : «Les hommes, autrefois, n'avaient qu'un langage; mais bientôt leur présomption devint telle qu'ils osèrent commencer une tour dont le sommet devait toucher le ciel. Dieu alors jeta un regard sur ces téméraires et ces orgueilleux, et à l'heure même il arriva que toutes les langues furent confondues; le voisin n'entendait plus la parole que son voisin lui adressait. Ainsi, l'homme apprit combien était criminelle cette conspiration qui prétendait arriver au ciel autrement que par la sainteté des mérites. Mais le Fils du Dieu tout-puissant qui est venu sur la terre pour nous sauver, a voulu nous apprendre l'art divin d'élever notre édifice jusqu'au ciel. Comme nous étions tous, nous ses disciples choisis, réunis en un même lieu, Il nous envoya du ciel son Esprit saint, qui, se répandant sur chacun de nous, nous pénétra de ses ardeurs divines, comme le fer dont le feu a pénétré la substance.
«Quand cette flamme eut disparu, et avec elle la crainte qu'elle avait jeté d'abord dans nos cœurs, nous commencâmes à annoncer aux Gentils dans leurs divers langages les Grandeurs du Christ. Nous leur apprenions comment est né ce Dieu qui n’a point eu de commencement, comment Il S'est fait homme-Dieu d'une vierge sans tache, qui l'a allaité et nourri; comment, après avoir été tenté et soumis à une cruelle passion, Il a été enseveli et est ressuscité trois jours après; comment enfin Il est monté au ciel et S’est assis à la Droite de Dieu le Père tout-puissant, d'où Il doit venir un jour pour juger le monde par le feu. Ainsi, nous ses disciples, ce n'est pas seulement quatre langues, mais les langues de tous les peuples dont nous avons la parfaite connaissance. C'est donc maintenant que se construit non plus avec des pierres, mais avec les vertus du Christ, la tour qui doit s'élever, jusqu’au ciel; ou plutôt, à tous ceux qui sont baptisés au Nom du Père et du Fils et de l'Esprit saint, s’ouvre la tour que le Christ Lui-même a construite.»
Pendant que l’apôtre parlait ainsi dans un langage semé de paraboles mystérieuses, on vint annoncer l'arrivée des magiciens qui amenaient avec eux chacun un affreux dragon. Ces deux monstres étaient couronnés d'une crète sanglante; ils vomissaient la flamme, et leurs naseaux roulaient une épaisse fumée de soufre, dont l'odeur infectait l'air. Aussitôt Matthieu, se munissait du signe de la croix, se disposa à sortir; mais l'eunuque, tenant les portes fermées, voulait le retenir, et lui disait : «Parle-leur plutôt par la fenêtre, si tu le désires.» «Non, lui répondit l'apôtre; ouvre-moi; pour toi, tu resteras à la fenêtre, à contempler la superbe audace de ces magiciens.» Et il sortit. Cependant les deux magiciens s'approchaient avec leurs dragons; enfin ils arrivèrent. Mais aussitôt les deux monstres roulèrent ensevelis dans un profond sommeil, aux pieds de l'apôtre, qui dit aux magiciens : «Qu'est devenu votre art ? Vous vous vantez d'avoir la puissance; réveillez au moins ces bêtes qui dorment. Si je n'avais pas prié Jésus Christ mon Maître, elles auraient tourné contre vous leur fureur que vous aviez excitée contre moi.» Les magiciens employèrent leur art pour tirer les dragons du sommeil; tout fut inutile; ils ne réussirent même pas à leur faire entrouvrir un moment les yeux.
Ceux qui étaient présents à cette scène s'adressèrent à l'apôtre : «Seigneur, lui dirent-ils, nous te prions de délivrer le peuple et notre ville de ces monstres.» L'apôtre leur répondit : «Ne craignez pas; je les renverrai, et ils ne chercheront pas à vous nuire.» Puis se tournant vers les dragons, il leur dit : «Au Nom de Jésus Christ mon Maître, qui est né de la Vierge par l'opération de l'Esprit saint, qui est mort sur une croix, a été enseveli et est ressuscité des morts le troisième jour; par
son Nom et par sa Puissance, ô monstres, je vous adjure de
ne faire de mal à personne, et de retourner à vos retraites en
toute mansuétude et douceur.» À cet ordre, les serpent,
dressèrent la tête et commencèrent à s’éloigner. On leur ouvrit les portes de la ville, ils sortirent, et on ne les revit plus.
Alors le bienheureux apôtre Matthieu, s'adressant il tout le peuple, dit : «Mes enfants et mes frères, et vous, tous qui voulez délivrer vos âmes du démon, le dragon qui seul est à craindre, écoutez-moi. C'est pour votre salut que Dieu m'a envoyé vers vous; Il veut que, renonçant à vos vaines idoles, vous reveniez à Lui, qui vous a créés. En effet, Dieu, après avoir fait l'homme, l'avait placé dans un paradis de délices, avec la femme, qu'Il avait tirée d'une des côtes de l'homme. Mais tous deux se laissèrent tromper par le mauvais ange que son orgueil avait précipité du ciel, et ils goûtèrent d'un fruit qu'il leur était défendu de toucher. S'ils eussent été fidèles au précepte de Dieu, ils seraient demeurés immortels; rebelles au contraire, non seulement ils furent chassés du paradis de délices et condamnés à la mort, mais ils transmirent encore à tous les hommes leurs descendants la malédiction qui les frappait. Dieu, dans ces derniers temps, a envoyé pour la réparation du genre humain son Fils unique, qui a voulu naître d’une vierge, afin de racheter dans une chair immaculée les hommes que la chair avait perdus.
«Quand Il se manifesta au monde, Il nous choisit, au nombre de douze, pour être ses apôtres; puis les miracles inouïs qu'Il opérait excitèrent la jalousie du peuple juif; ils Le crucifièrent, mais Il ressuscita le troisième jour. Après sa résurrection, Il demeura encore quarante jours avec nous, au bout desquels nous Le vîmes de nos yeux monter au ciel, nous laissant dans l'admiration et la stupeur. Il nous a donné, à nous qui avons cru en Lui, le pouvoir de guérir toutes les infirmités, toutes les maladies, même celui de ressusciter les morts. C'est pourquoi, mes frères, il faut que vous croyiez en Lui comme au vrai Dieu, et à son Père et à l’Esprit saint, que nous adorons comme le seul Dieu en trois personnes, afin que, purifiés dans les eaux du baptême, vous puissiez échapper à la mort éternelle, et parvenir au bonheur qui n'aura point de fin.»
Pendant que l'apôtre parlait ainsi, on entendit tout à coup
un bruit lugubre de gémissements et de sanglots; c'était le fils du roi dont on pleurait la mort. Pendant deux jours les magiciens n'avaient pas quitté son lit funèbre; à la fin, impuissants à le rappeler à la vie, ils avaient cherché à persuader au roi que les dieux l’avaient enlevé pour partager avec lui les honneurs divins; qu'en conséquence il fallait lui élever un temple et des statues. L'eunuque alors était allé trouver la reine et lui avait dit : «Faites arrêter ces magiciens, et en même temps faites appeler auprès de vous Matthieu, l'apôtre du Tout-Puissant. S'il ressuscite votre fils, vous ferez brûler vifs les deux imposteurs, qui ont appelé sur votre ville tous ces fléaux.» La reine avait alors envoyé les principaux personnages du royaume, avec l'eunuque, auprès de l'apôtre; et c'était là le cortège funèbre dont on avait entendu les sanglots. Matthieu les suivit donc jusqu'au palais. À peine y fut-il entré, que la reine, se jetant à ses genoux, lui dit : «Je sais que tu es un apôtre envoyé de Dieu pour le salut des hommes, un disciple de celui dont la parole chassait les infirmités et ressuscitait les morts. Viens donc, et invoque son Nom sur mon fils que j'ai perdu; si tu le fais, je crois qu'il ressuscitera.»
L'apôtre lui répondit : «Tu ne m'as pas encore entendu t’annoncer le Nom de Jésus Christ mon Maître, et déjà tu dis : Je crois. Sache donc que ton fils est rendu à ton amour.» Puis élevant ses mains vers le ciel, il dit : «Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, qui pour réparer nos malheur, et nos crimes, avez envoyé du ciel en terre votre Fils unique, afin que, nous arrachant à l'erreur, Il nous apprit à vous reconnaître pour le seul vrai Dieu, souvenez-vous de cette parole qu'Il nous a dite, ce Fils bien-aimé, notre Seigneur et Maître Jésus Christ : En vérité, Je vous le dis : tout ce que vous demanderez à mon Père en mon Nom,vous sera donné. Afin donc que ces peuples apprennent qu'il n'y a point d'autre Dieu que vous, et que mon témoignage est véritable, rendez à vie à cet enfant.» Et prenant la main du mort, il ajouta : «Au Nom de mon Maître, Jésus Christ, qui a été crucifié, Eufranan, lève-toi.» Et aussitôt l'enfant se leva.
À ce miracle, le roi dans le transport de l'admiration et de la joie, fait apporter des couronnes et des vêtements de pourpre, afin de les offrir à l'apôtre. En même temps il envoie dans les villes et les provinces de son royaume des courriers chargés de convoquer les peuples, en disant : «Venez à la capitale voir un dieu qui se cache sous les traits d'un homme.» Une multitude de gens se rassemblèrent en effet, et ils vinrent trouver l'apôtre avec des flambeaux, des lampes, des parfums, et tout l'appareil des sacrifices solennels. Mais le bienheureux Matthieu leur dit : «Je ne suis point un dieu, je suis seulement le serviteur de notre Seigneur Jésus Christ, le Fils du Dieu tout-puissant. Il m'a envoyé vers vous pour vous arracher au faux culte de vos idoles et vous convertir au vrai Dieu. Si moi, qui ne suis qu'un homme semblable à vous, vous me regardez comme un dieu, combien plus, devez-vous honorer comme tel celui dont je reconnais moi-même n'être que le serviteur, et au Nom de qui j'ai rappelé à la vie le fils de votre roi. Vous tous donc qui êtes capables de comprendre l'évidence de ce raisonnement, faites disparaître de devant mes yeux cet or, cet argent, ces couronnes; allez plutôt construire un temple au Seigneurs, afin de vous y réunir pour entendre sa parole.» Ce discours fut entendu; soixante mille hommes se mirent aussitôt à l’œuvre et, en trente jours, fut achevée une église à laquelle Matthieu donna le nom de la Résurrection, en mémoire du fait qui avait été la cause de son érection.
Le bienheureux apôtre gouverna cette église pendant vingt-trois ans, établit des prêtres et des diacres, et créa dans les villes et les places fortes du royaume de nombreuses églises pour lesquelles il ordonna des évêques. Le roi Égyppus reçut le baptême, et, avec lui, la reine son épouse et leurs deux enfants, Eufranan, qui avait été ressuscité, et Iphigénie sa sœur. Quant aux deux magiciens, Zaroès et Arphaxat, aussitôt qu’ils avaient vu le fils du roi ressuscité par le Nom de Jésus, ils avaient pris la fuite et s’étaient retirés en Perse, où ils continuèrent d'exercer leur art sacrilège avec plus d'impiété encore qu'auparavant. Il serait long de rapporter en détail les nombreux miracles de l'apôtre pendant sa longue mission, les temples et les idoles qu'il renversa et les preuves que donnèrent de la sincérité de leur foi le roi, la reine, et toute l’armée. Omettant donc à dessein tous ces récits, nous dirons seulement comment l'apôtre reçut la glorieuse couronne du martyre.
Le roi Égyppus, après une longue vieillesse, s'était endormi dans le Seigneur, et Hyrtacus, son neveu, lui avait succédé au trône. Le nouveau roi voulut épouser Iphigénie, fille de soit prédécesseur. Mais Iphigénie avait consacré au Christ sa virginité et reçu le voile saint des mains de l'apôtre; elle dirigeait même une société de plus de deux cents vierges. Cependant Hyrtacus espéra, par le moyen de saint Matthieu, pouvoir gagner son cœur. il le fit donc venir et lui dit : «Je te donne la moitié de mon royaume, si tu conseilles à Iphigénie d’accepter ma main.» L'apôtre lui répondit : «Le roi ton prédécesseur, chaque semaine, réunissait sa cour pour entendre la parole de Dieu; appelle à cette réunion Iphigénie et toutes les vierges qu'elle dirige; tu m'entendras toi et ton peuple leur dire l'excellence du mariage, les biens qui apporte et comment il est agréable à Dieu.» Hyrtacus, heureux de cette promesse, fit inviter Iphigénie, ne doutant point que la parole de l’apôtre ne lui fit accepter sans répugnance de devenir l’épouse du roi.
Or, l’assemblée s'était réunie et tous attendaient dans un grand silence, lorsque le bienheureux apôtre élevant la voix : «Enfants de l'Église, leur dit-il, écoutez mes paroles; écoutez, et que tout ce que vous allez entendre demeure gravé dans vos cœurs. Notre Dieu a béni le mariage; il a Lui-même ordonné que le mari aimât son épouse, et l'épouse son mari; ce précepte était nécessaire, car souvent nous avons vu l'épouse répudier son mari, ou méditer sa mort par le glaive et le poison; le mari, de son côté, poursuivre son épouse par les mêmes attentats.» À ces paroles de saint Matthieu, le roi fit éclater sa joie par de bruyants transports; il était persuadé que l'apôtre parlait ainsi pour lui préparer le cœur d'Iphigénie. Quand le silence eut été rétabli, saint Matthieu continua : «Le mariage est donc une œuvre sainte et qui honore ceux qui s'y engagent, pourvu toutefois qu'ils en contractent les liens avec un cœur saint, juste et pur. Mais si le serviteur d’un roi osait lui enlever sa fiancée, un pareil outrage, un tel crime mériterait au coupable la mort sur un bûcher. Et toi, grand prince, mon cher fils, tu sais qu'Iphigénie, la fille du roi ton prédécesseur, est devenue la fiancée du roi du ciel et qu'elle a été consacrée par le voile saint de la virginité; comment pourrais-tu enlever la fiancée du Seigneur plus puissant que toi, et chercher à l'épouser ?»
Hyrtacus, qui jusque-là avait applaudi au discours de l'apôtre, fut saisi de colère à ces dernières paroles, et se retira. Mais l'apôtre, sans s'effrayer, et rendit au contraire plus ferme et plus joyeux en présence du danger qui le menaçait, continua en ces termes : «Écoutez-moi, vous qui craignez le Seigneur. Vous savez que les rois de la terre n'ont leur pouvoir que pour un peu de temps; mais le roi du ciel a l'empire qui n'aura pas de fin; et de même qu'il donne des joies ineffables à ceux qui lui gardent constamment leur foi, il punit dans des supplices qu'aucune, langue ne saurait décrire ceux qui abjurent ses enseignements et la sainteté de sa loi. Si donc la colère d'un roi est à craindre, faut-il plus redouter la fureur d'un homme qui se dit roi, que celle de Dieu, le seul vrai roi ? Que la colère d'un homme s'exerce dans les supplices, ou par le fer, ou par le feu, elle n'aura qu'un temps et sera bientôt épuisée; mais la Colère de Dieu brûle le pécheur dans des flammes éternelles. C'est pourquoi le Seigneur, le Maître de la vérité, Jésus Christ, pour qui l'avenir n'a pas de secrets, nous a dit : Vous serez conduits devant les rois; il vous flagelleront, ils vous tueront; mais au delà ils ne peuvent plus rien. Je vous le dis donc : Ne les craignez pas; craignez celui-là seulement qui, après vous avoir donné la mort, a le pouvoir de vous jeter dans l'enfer. Je vous le répète c'est lui qu'il faut craindre.»
Alors Iphygénie, en présence de tout le peuple rassemblé,
se jeta aux pieds du bienheureux apôtre, et lui dit : «Je t'en
conjure, au Nom de Celui dont tu es l'apôtre, étends les mains
sur moi et sur toutes ces vierges que ta parole a consacrées
au Seigneur, afin que nous puissions échapper au danger. Déjà, du vivant de mon père et de ma mère, il employait
contre moi les menaces pour m'effrayer, les présents pour me séduire. Si dès lors son audace était si grande, que ne fera-t-il pas maintenant ?» L'apôtre, plein de confiance en son Dieu, et sans rien craindre des fureurs d'Hyrtacus, étendit de ses mains le voile sacré sur la tête de ces vierges, compagnes d'Iphygénie, et les bénit en disant : «Ô Dieu, dont la Main a formé nos corps et dont le souffle a créé nos âmes, vous ne méprisez aucun âge, vous ne repoussez aucun sexe, et votre grâce ne dédaigne aucune condition; car vous avez racheté au même prix toutes vos créatures. Bon pasteur, voyez ces servantes que vous avez daigné choisir dans votre nombreux troupeau, pour conserver à leurs âmes la sainteté, à leurs fronts l'auréole brillante d'une éternelle virginité; que votre protection les couvre comme d'un bouclier, afin que, triomphant des séductions de la chair, et rejetant une union que leurs vœux ont rendue illicite, elles méritent d'être admises, dans un indissoluble lien, au nombre des épouses de votre Fils, notre Seigneur Jésus Christ.»
«Pour elles, Seigneur, nous demandons, non les armes d'un bras de chair, mais les armes de l'Esprit, que votre Vertu rend toutes puissantes; afin que, fortifiées par la grâce dans leurs membres et dans tous leurs sens, le péché ne puisse dominer en elles; et, puisqu'elles veulent vivre sous vos lois, que l'ennemi des bons, le protecteur et l'ami des méchants
ne trouve rien à réclamer, comme sa proie, dans ces vases consacrés à votre Nom; que la rosée céleste de votre grâce éteigne en elles les coupables ardeurs émanées de l’enfer, et
que la lumière de la perpétuelle chasteté les enflamme. Que leurs pudiques regards ne s'ouvrent point aux scandales, et ne laissent point imprudemment s'approcher l'occasion du mal. Conservez en elles la fleur de virginité avec les vertus qui
l'embellissent et la défendent; une foi sincère, une espérance certaine, une charité ardente; afin que leurs cœurs, préparés aux combats, soient assez forts pour résister à toutes les attaques du démon, assez généreux pour dédaigner le présent et n’aspirer qu'aux biens à venir. Qu'elles préfèrent les jeûnes
aux festins, les saintes lectures aux viandes grossières et à la
liqueur qui enivre; afin que, nourries par la prière, perfectionnées par la science, illuminées par les veilles, elles accomplissent l'œuvre que la grâce divine a imposée aux vierges. Enfin, Dieu tout-puissant, que vos servantes, protégées par ces nobles armes contre leurs ennemis intérieurs et extérieurs, fournissent sans obstacle la carrière de la virginité, jusqu’à la couronne qui doit en être le prix, par ce même Jésus Christ notre Seigneur qui vit et règne avec Vous et avec l'Esprit saint, dans les siècles des siècles.»
Tous répondirent : Amen. Après quoi l'on célébra les mystères du Seigneur, et l'assemblée fut congédiée. Matthieu était resté seul dans l'église, au pied de l’autel, où il venait de consacrer le Corps du Christ. Le Seigneur l'y avait retenu, pour ajouter à la gloire du martyre de son serviteur. En effet, pendant qu'il priait, les bras étendus en croix, un sicaire, envoyé par Hyrtacus, vint le frapper par derrière d’un coup d'épée, donnant ainsi à l'apôtre de Dieu l'heureux privilège de martyr du Christ. À peine la nouvelle en fût répandue, que le peuple entier courut au palais pour y mettre le feu; mais il fut arrêté dans la fureur de sa vengeance par les prêtres, les diacres et tous le pieux disciples du bienheureux Matthieu, qui tous, se jetant au-devant de la foule lui, criaient : «Frères, ne violez pas le précepte de Dieu; bien plutôt célébrons ensemble avec joie le martyre de notre apôtre, et attendons un patience ce qu'il plaira à Dieu d'ordonner.»
Cependant lphygénie, la très sacrée vierge du Christ, s'empressa de réunir ce qu'elle avait d'or, d'argent et de pierres
précieuses, et l'apportant aux prêtres et aux clercs, elle leur
dit : «Je vous en conjure, élevez une église digne de l'apôtre
du Christ, et ce qui restera distribuez-le aux pauvres; car le
jour de mon combat contre Hyrtacus est arrivé.» En effet,
comme Iphygénie l'avait annoncé, le roi députa d'abord vers
la noble vierge les épouses des plus illustres personnages de
son royaume, espérant par ce moyen obtenir d'elle le consentement qu'il ambitionnait. Mais quand il vit que tout était
inutile, il fit venir ses magiciens, pour triompher du moins, par le secours des démons. Enfin, les démons étant eux-mêmes impuissants, il fit environner de flammes le palais où la vierge vivait avec ses compagnes, nuit et jour occupée du service de son Dieu. Bientôt toute l'enceinte fut en feu; alors un ange du Seigneur apparut à la vierge, avec le bienheureux apôtre Matthieu : «Iphygénie, lui dit-il, sois ferme, ne te laisse point effrayer par ces flammes; car elles vont se retourner sur ceux qui les ont allumés contre toi.»
En effet, le Seigneur envoya tout à coup un vent violent qui, balayant ces torrents de flammes, les éloigna de la maison de la vierge, pour les rejeter sur le palais d'Hyrtacus, où tout fut consumé, sans que l'on pût rien sauver des trésors du roi. Hyrtacus lui-même et son fils unique échappèrent avec peine; et mieux eût valu pour eux périr dans les flammes. Car le fils fut saisi par un démon impétueux et cruel qui l'entraîna d'une course rapide au tombeau de l'apôtre; et là, lui tenant les mains liées avec violence derrière le dos, il le contraignit à publier les crimes de son père. Quant à Hyrtacus, une lèpre hideuse le couvrit tout entier; son corps n'était plus qu'une plaie, et les médecins désespéraient de pouvoir apporter un soulagement à sa douleur. Dans son désespoir, il se jeta sur son épée et se perça de part en part; digne punition de celui qui avait fait frapper d’un coup d'épée l'apôtre du Seigneur.
Tout le peuple fut sans pitié pour une mort si méritée, et de concert avec l'armée, il appela au trône le frère d'Iphygénie nommé Ugor, qui devait à sa sœur et au bienheureux apôtre d'avoir reçu la grâce du Christ. C'était un jeune prince de vingt-cinq ans seulement, quand il commença à régner. Il mourut à l'âge de quatre-vingt-huit ans, après soixante-trois ans de règne. De son vivant, il donna à l’un de ses fils le commandement de toute l'armée et nomma l'autre roi. Il eut la consolation de voir les enfants de ses enfants, jusqu'à la quatrième génération, et vécut toujours en paix avec les Romains et les Perses. Pendant ces longues années de bonheur, les églises se multiplièrent dans toutes les provinces de l'Éthiopie; aujourd'hui encore les peuples associent aux louanges du Seigneur le nom d'Iphygénie, et Dieu n'a pas cessé d'opérer de grands miracles au tombeau du bienheureux apôtre Matthieu, par la Vertu et la Puissance de Jésus Christ, notre Seigneur. C'est le onzième des calendes d'octobre que le bienheureux apôtre et martyr saint Matthieu a souffert, pour rendre témoignage à la royauté de Jésus Christ notre Seigneur, à qui appartient l'honneur et la gloire avec Dieu le Père et l'Esprit saint, dans les siècles des siècles. Amen.