LES ACTES DE SAINT LAURENT, ARCHIDIACRE DE L'ÉGLISE ROMAINE

(l’an de Jésus Christ 258)

fêté le 10 août

Sur le mont Cœlius demeurait une femme veuve , qui avait passé trente-deux ans dans sa viduité. Elle recevait dans sa maison un grand nombre de chrétiens , puis des prêtres et des clercs, qui s'y tenaient cachés. Le saint archidiacre Laurent s'y étant rendu, prit des vêtements et les trésors de l'Église, et se mit à les distribuer; il lava ensuite les pieds de tous les chrétiens. La sainte veuve nommée Cyriaque se jetant alors à ses pieds, lui dit : «Je te conjure par le Christ de mettre tes mains sur ma tête, parce que j'y souffre de grandes douleurs.» Le bienheureux Laurent, faisant le signe la croix, posa sur la tête de la veuve ses mains, avec le linge dont il essuyait les pieds des saints.
Se rendant ensuite au faubourg Canarius, il rencontra plusieurs chrétiens dans la maison de Narcisse, qui l’était aussi; il leur lava les pieds et leur distribua des aumônes. Dans la même maison se trouvait un homme aveugle nommé Crescentius; il pria le bienheureux diacre de mettre la main sur ses yeux. Alors le bienheureux Laurent dit avec larmes : «Que notre Seigneur Jésus Christ, qui a ouvert les yeux de l'aveugle-né, te rende la vue.» Il fit ensuite le signe de la croix, et les yeux de l'aveugle s'ouvrirent.
Comme on conduisait le bienheureux évêque Sixte avec deux diacres pour consommer son martyre, le bienheureux Laurent survenant alors, lui criait : «Ne m'abandonnez pas, ô père saint, car j'ai dépensé vos trésors, que vous m'aviez confiés.» Il fut saisi par les soldats, et livré au tribun Parthénius. Celui-ci alla annoncer à Valérien qu'il tenait en prison Laurent, archidiacre de Sixte, lequel avait des trésors cachés. L'empereur se le fit présenter, et après l'avoir entendu, le livra au préfet de la ville, qui le donna à garder à un certain Hippolyte; et celui-ci le mit en prison avec plusieurs autres captifs.
Or, il y avait là un homme aveugle nommé Lucillus. Laurent Iui dit : «Crois au Fils de Dieu notre Seigneur Jésus Christ, et reçois le baptême, et il t'éclairera.» Lucillus répondit : «J'ai toujours désiré d'être baptisé au nom du Seigneur Jésus Christ.» Alors le bienheureux Laurent le catéchisa; puis, prenant de l'eau, il le baptisa, et ses yeux furent éclairés. Un grand nombre d'aveugles, ayant appris ce prodige, venaient trouver le bienheureux Laurent, qui posait sa main sur leurs yeux, et ils recouvraient la vue. Hippolyte, témoin de ces merveilles, crut aussi, puis il fut fait catéchumène et ensuite baptisé.
Le bienheureux Laurent fut donc amené en présence du préfet, qui lui dit : «Il est temps de mettre fin à ton opiniâtreté; donne les trésors que nous savons être déposés chez toi.» Laurent lui répondit : «Accorde-moi une trêve de deux à trois jours, et je te montrerai ces trésors.» Aussitôt il se mit en devoir de rassembler des aveugles et des boiteux, des infirmes et des pauvres, et il les tint cachés dans la maison d'Hippolyte. Le préfet avait annoncé à Valérien que Laurent lui avait promis les trésors, s'il voulait lui accorder un sursis.
Les trois jours étant donc expirés, Laurent se présenta au palais de Salluste, et le préfet lui dit : «Où sont les trésors que tu as promis de montrer ?» Le bienheureux Laurent introduisit alors dans le palais la multitude des pauvres qu'il avait rassemblés, et dit à haute voix : «Ce sont là des trésors éternels qui jamais ne diminuent ni ne décroissent.» Le préfet lui dit. «À quoi bon tous ces retards ? Sacrifie aux dieux, et renonce aux arts magiques dans lesquels tu mets ta confiance.» Le bienheureux Laurent ayant répondu : «Pourquoi le diable vous presse-t-il de dire aux chrétiens : Sacrifiez aux démons ?» Le préfet irrité ordonna qu'on le dépouillât et qu'on le frappât avec des fouets appelés scorpions. Durant ce supplice il disait : «Pour moi, je rends grâces à mon Dieu de ce qu'il a daigné me joindre à ses serviteurs; mais toi, misérable, tu es tourmenté par ta folie et par ta fureur.» Le préfet dit alors : «Relevez-le, et placez devant lui tous les divers instruments de supplices.» On apporta aussitôt des lames ardentes, des lits de fer, des verges plombées et des cardes. On conduisit ensuite le bienheureux Laurent chargé de chaînes au palais de Tibère, pour y être interrogé.
Valérien s'étant assis sur son tribunal dans la basilique de Jupiter, on lui présenta Laurent, et il lui dit : «Sacrifie aux dieux, et ne te confié point dans les trésors que tu tiens cachés.» Le bienheureux Laurent lui répondit avec liberté : «Je suis plein de confiance et de sécurité par rapport à mes trésors.» Valérien, enflammé de colère, ordonna de le dépouiller et de le frapper avec des bâtons noueux. Tandis qu'on le frappait, Laurent criait à César : «Misérable reconnais du moins à présent que je triomphe avec les trésors du Christ ! car je ne sens point tes tourments.» Valérien donna l'ordre de redoubler les coups, puis de lui appliquer aux côtés des lames de fer ardentes. Le bienheureux Laurent dit alors : «Seigneur Jésus Christ, Dieu de Dieu, ayez pitié de moi votre serviteur; car quand j'ai été accusé, je ne vous ai point renié; quand on m'a interrogé, je vous ai confessé, ô Seigneur Jésus Christ .» Et comme on le frappait longtemps avec des verges plombées, il dit : «Seigneur Jésus Christ, qui, pour notre salut, avez daigné prendre la forme d'esclave, afin de nous délivrer de la servitude des démons, recevez mon esprit.» Alors une voix se fit entendre : «Tu as encore d’autres combats à soutenir.»
On l'étendit ensuite sur le chevalet, et on le frappa très cruellement avec les scorpions. Pour lui, il souriait; et, rendant grâces à Dieu, il disait : «Vous êtes béni, Seigneur Dieu, Père de notre Seigneur Jésus Christ, qui nous faites une miséricorde que nous n'avons point méritée. Mais vous, Seigneur, dans votre Bonté, faites-nous cette grâce, que tous ceux qui sont ici présents sachent que vous consolez vos serviteurs.» Alors un des soldats, nommé Romain, crut au Seigneur Jésus Christ, et il dit au bienheureux Laurent : «Je vois devant toi un homme fort beau, qui, avec un linge, essuie tes membres; je t'en conjure par le Christ qui t'a envoyé son ange, ne m'abandonne pas.» Le bienheureux Laurent fut alors détaché du chevalet, et on le rendit à Hippolyte. Romain ne tarda pas à se présenter, apportant avec lui de l'eau; et, se jetant aux pieds du bienheureux, il le pria de le baptiser. Laurent, ayant béni l'eau, le baptisa. Valérien, dès qu'il eut appris ce qui s'était passé, se fit amener Romain avec des satellites armés de bâtons noueux. Celui-ci, sans même être interrogé, se mit à crier : «Je suis chrétien !» Et, sur l'ordre de Valérien, on le conduisit hors des murs par la porte Salaria, et il fut décapité le cinq des ides d’août. Le prêtre Justin enleva son corps pendant la nuit, et l'ensevelit dans une crypte située dans le champ de Véranus.
Le césar Valérien se rendit, de nuit, aux thermes, près du palais de Salluste. Là on lui présenta de nouveau le bienheureux Laurent, et on apporta en même temps tous les instruments des diverses tortures : verges plombées, bâtons noueux, lames ardentes, ongles de fer, tenailles; puis il dit au saint martyr : «Renonce enfin à la perfidie de l'art magique, et dis-nous quelle est ta condition.» Le bienheureux Laurent répondit : «Quant à la naissance, je suis Espagnol; mais j'ai été élevé à Rome, et depuis le berceau je suis chrétien on m’a instruit de toute la loi sainte et divine.» Valérien lui dit : «Sacrifie aux dieux; autrement, cette nuit sera tout entière employée à tes tortures.» Le bienheureux Laurent répondit : «Ma nuit à moi n'a point d'obscurité, mais elle est resplendissante de lumière.» Et comme on le frappait sur la bouche avec des pierres, il souriait, reprenait courage et disait : «Je vous rends grâces, ô Christ, parce que vous êtes le Dieu de tous les êtres.»
On apporta alors un lit de fer à trois barreaux; et, après qu'on eut dépouillé le bienheureux Laurent de ses vêtements, on l'étendit sur ce gril, et on plaça dessous des charbons ardents. Tandis qu'on l'y retenait avec des fourches de fer, il dit à Valérien : «Je m'offre à Dieu en sacrifice de bonne odeur; car le sacrifice agréable à Dieu, c'est la constance dans l'épreuve.» Or, les bourreaux ne cessaient d'activer le feu, en jetant de nouveaux charbons sous le gril, et avec leurs fourches de fer ils continuaient d'y retenir son corps étendu. Saint Laurent disait à l'empereur : «Apprends, misérable, combien est grande la Puissance de mon Dieu; car tes charbons me sont un doux rafraîchissement; mais ils te préparent un supplice éternel. Le Seigneur sait qu'étant accusé, je n'ai point nié; interrogé, j'ai confessé le Christ; sur les charbons ardents, je Lui rends grâces.» Son visage était rayonnant d'une beauté céleste; il disait encore : je vous rends grâces, ô Seigneur Jésus Christ, qui avez daigné me fortifier.» Puis, levant les yeux vers Valérien, il lui dit : «Tiens, malheureux, tu as fait rôtir un côté , retourne-moi sur l'autre, et mange.» Puis, remerciant et glorifiant Dieu, il dit : «Je vous rends grâces, Seigneur Jésus Christ, de ce que j'ai le bonheur d'entrer dans votre demeure.» Et il rendit l'esprit.
Dès le matin, au premier crépuscule, Hippolyte enleva son corps, et l'ensevelit avec des linceuls et des aromates; il donna ensuite avis au prêtre Justin de ce qu'il avait fait. Tous deux, en versant beaucoup de larmes, prirent le corps du bienheureux martyr, et se rendirent au champ de Véranus, sur la voie Tiburtine, dans le verger de cette veuve Cyriaque, chez laquelle le martyr était allé la nuit, et qui lui avait donné le linge avec lequel il avait essuyé les pieds des saints. Ce fut là qu'ils l'inhumèrent, sur le soir, le deux des ides d'août. Durant trois jours, ils jeûnèrent et célébrèrent les veilles de la nuit avec urne multitude de chrétiens. Le bienheureux Justin offrit le sacrifice de louange, auquel tous participèrent.