LES ACTES DE SAINT JULIEN DE BRIOUDE
(L'an de Jésus-Christ 304)
fêté le 28 Août
Saint Julien, bien qu'originaire de la ville te Vienne, fut destiné de Dieu pour être le martyr de l'Auvergne. Sa conduite exemplaire, non moins que son illustre naissance, excitait l'admiration et la vénération de tous; mais il se distinguait bien plus encore par l'ardent amour de Dieu dont son âme était embrasée.
Or en ce temps-là, et sous le gouvernement du consulaire Crispin, le bienheureux Ferréol, déjà soldat du Christ, mais en secret seulement jusqu'à cette heure, remplissait en ladite ville de Vienne l'office de tribun, du moins extérieurement et avec les insignes de cette dignité; car son cur n'y avait aucune attache. Mais la divine providence permit qu'il trouvât en ce monde une puissante consolation auprès de Julien, parvenu dès lors à l'adolescence, et qui devait bientôt lui être associé dans le bienheureux séjour. En effet, engagés tous deux dans l'état militaire, leur mutuelle affection s'était formée bien plus par leurs communes études de la doctrine chrétienne, que par la profession de l'art de la guerre; et au milieu de leurs occupations journalières, une sainte amitié les unissait par des liens forts et durables, depuis qu'il étaient entrés dans la société des saints. À cette époque la fureur des gentils s'était armée de toute sa rage contre le peuple chrétien si cher à Dieu, lui suscitant des persécutions incessantes; et la main de l'ennemi, en opposition constante avec le céleste vigneron, s'efforçait de détruire jusqu'à la racine les ceps de sa vigne jeune encore, et dont les rejetons se propageaient avec une exubérance toujours croissante. La rage des impies promenait ainsi, dans les diverses parties du monde, son glaive perfide et insatiable, lorsqu'on apprit qu'elle menaçait la ville de Vienne.
Lorsque le bruit de cette nouvelle se fut confirmé, tout le monde s'accorda à dire que l'on ne pourrait jamais obliger à se cacher le célèbre adorateur du Christ Julien, tout brûlant du désir du martyre. C'est pourquoi saint Ferréol mit tout en uvre pour l'engager à se retirer secrètement en un autre lieu, avant que la rage des persécuteurs fût parvenue jusque dans cette cité, lui représentant qu'il était à propos qu'il se dérobât momentanément à la première impétuosité de la persécution, afin qu'après y avoir échappé il pût ensuite procurer secours et consolation à ceux qu'elle aurait épargnés. Pour le décider plus sûrement à cette démarche, il ne négligea ni prières ni conseils. Julien, qui savait se vaincre et se renoncer, sacrifiant l'extrême désir qu'il nourrissait depuis longtemps des valeureux combats du martyre, se laissa persuader par les paroles de son ami, et se disposa à quitter la ville. Au reste, il savait qu'en prenant ce parti il accomplissait un précepte divin, d'autant qu'en ce moment la persécution avait déjà commencé de sévir dans la ville de Vienne; car il connaissait ce commandement du Seigneur : «S'ils vous persécutent en une cité, fuyez dans une autre.» Il craignait en outre que s'il s'engageait dans larène du martyre, ses parents n'y vinssent mettre obstacle, et qu'ainsi lui, soldat dévoué du Christ, ne fût exposé à perdre la couronne de gloire s'il ne combattait pas un lion combat. Ayant donc mûrement considéré tous ces motifs, il abandonna tout ce qu'il possédait, et l'amour du Christ lui faisant mépriser les affections terrestres, suivant le conseil du bienheureux Ferréol, il s'enfuit secrètement, se retira sur le territoire des Arvernes, et résolut de se tenir caché dans le bourg de Brioude, où les folies de la gentilité étaient fort en horreur. De tout ce qui précède il résulte que ce ne fut point la crainte de la mort qui lui fit quitter sa ville natale, mais plutôt le double motif d'accomplir le précepte du Christ en fuyant de ville en ville, et, d'autre part, de pouvoir courir plus librement dans la lice du martyre dont il avait soif, n'ayant plus à s'occuper ni de ses parents ni de ses biens.
Le consulaire Crispin ne fut pas longtemps sans apprendre que le saint homme s'était enfui dans le pays des Arvernes. Irrité de ce départ clandestin, il donna ordre à ses satellites de le poursuivre et de le mettre à mort en quelque lieu qu'on le découvrit. Voilà donc la sentence qu'une fureur insensée dictait à cet homme qui ne respirait que le sang des saints; mais, par une secrète providence, tout se disposait de telle sorte que cet homme impie mit le comble à sa damnation, et que le glorieux martyr du Christ allât promptement jouir de sa présence, comme il le souhaitait depuis longtemps. Les licteurs, s'étant mis aussitôt en devoir d'exécuter les ordres qu'ils avaient reçus, arrivèrent en un lieu nommé Vincelle, où leurs regards se rencontrèrent bientôt avec ceux de Julien, mais sans le reconnaître. Celui-ci, cédant aux instances de quelques vieillards, entra en leur logis, où ils voulaient le cacher. Mais sentant en lui-même que c'était par une permission de Dieu qu'on le poursuivait, et qu'ainsi il ne lui était plus permis de différer de prendre la voie qui devait le conduire au ciel où le Seigneur l'appelait, il déclara hautement et au même instant qu'il ne voulait pas demeurer caché. Les vieillards eurent beau rivaliser de zèle pour le retenir : ils ne purent le persuader.
Cependant les satellites, qui se doutaient que leur proie était, pour ainsi dire, sous leurs mains, tirent d'horribles menaces aux vieillards s'ils refusaient de leur ouvrir la porte. Le saint martyr, voyant le danger qui menaçait ses hôtes, sortit précipitamment de la maison et s'écria : «Qui demandez-vous ? qui cherchez-vous ? Si c'est moi, me voici : tournez sur moi la pointe de vos glaives, faites-moi endurer les tourments que je désire, exercez sur moi les tortures qui vous sont commandées; mais que l'effusion d'un sang innocent ne vienne pas augmenter le crime de votre infidélité.» Les licteurs, stupéfaits de l'héroïque fermeté de Julien, ne savaient quel parti prendre. Mais le salut martyr, de plus en plus fort et courageux, leur dit : «Je ne veux plus demeurer en cette vie; car un désir brûlant me presse de m'unir à Jésus Christ. Aussi vous voyez que je me présente de moi-même à vous, je vous offre ma tête avec intrépidité : que désirez vous davantage ? J'appelle vos coups; ne me les épargnez pas, et remplissez mes désirs et vos ordres.» C'est avec cette ferveur de dévouement que le saint homme se préparait à consacrer son âme par le martyre; après quoi il la recommanda au Christ par une ardente prière. Mais la barbare cruauté des satellites, ni leur soif sanguinaire, ne furent point apaisées à la vue de tant de courage et d'une si admirable fermeté dans le sacrifice de sa vie; et rien ne put les empêcher de répandre le sang innocent : brandissant donc leur framée, ils l'abattirent sur sa tête.
Après qu'ils eurent ainsi séparé la tête du tronc, ils la lavèrent dans une fontaine voisine; et parce que, même après la mort de leurs victimes, les persécuteurs, gens au cur dur et toujours bouillonnant de fureur, ne sont pas encore satisfaits, les licteurs, abandonnant le corps tronqué, portèrent au consulaire Crispin la tête que leurs mains parricides avaient nettoyée; et celui-ci l'envoya à Ferréol, afin qu'il ne doutât pas que son ami était vraiment mort, lui dont il voyait la tête séparée du tronc, et qu'il éprouverait lui-même un sort pareil a celui que ses regards lui révélaient dans le corps du saint.
Tout cela fut accompli selon les décrets divins par les bourreaux, sans qu'ils en eussent conscience : en effet, la fontaine qui avait reçu un sang si précieux devait être pour un grand nombre une source de guérisons, et de plus, le même tombeau devait contenir les deux saints de Dieu qu'avait déjà unis la profession militaire; car, si leurs âmes n'ont point une récompense différente dans le ciel, ici-bas le corps entier de l'un est réuni dans le même sépulcre à la partie principale du corps de l'autre. Oh ! Avec quel bonheur, avec quelle célérité ce saint homme est parvenu à la région céleste ! avec quels rapides progrès ce soldat novice, en combattant courageusement pour le Christ, est devenu un vétéran émérite ! Ce que de vaillants compagnons d'armes n'obtiennent qu'après un travail assidu et un long espace de temps, la récompense promise aux vainqueurs, celui-ci, comme un valeureux athlète, l'a gagnée au premier choc; et comme il devait recevoir la solde de l'immortalité sans avoir fait l'apprentissage des combats, son courage et sa constance l'ont égalé aux mérites des saints. Tout étant donc ainsi accompli, soit de la part du saint martyr par sa patience, soit du côté des persécuteurs par leur impie cruauté, le glorieux soldat du Christ fut, pour ainsi dire, divisé en trois parts : sa tête fut portée à Vienne; soir corps, retiré du lien où il avait été mis à mort, devint la possession de l'église de Brioude; et sa bienheureuse âme s'envola dans le sein du Christ son Créateur. Les saints vieillards susdits, qui, poussés par une inspiration d'en haut, avaient donné la sépulture au corps du saint martyr, reprirent tout à coup une telle vigueur que, malgré leur âge caduc, on les eût pris pour des hommes florissants de jeunesse. C'est donc en ce lieu que le confesseur et témoin du Christ repose glorieusement, c'est là que journellement la confiante dévotion des fidèles l'honore et le révère, et certes avec raison, car il s'y opère sans cesse tant de guérisons et d'autres prodiges, qu'une langue humaine ne pourrait suffire à les énumérer.
Au lieu même où le saint martyr fut décapité existe une fontaine splendidement décorée, qui laisse couler des eaux abondantes et limpides : c'est la fontaine où fut lavée la tête du martyr. Ces eaux guérissent une multitude d'infirmes: des aveugles y ont recouvré la vue; des personnes atteintes de fièvres tierces ou quartes y ont été guéries après en avoir bu; l'ardeur qui les dévorait a disparu aussi promptement qu'on voit un incendie s'éteindre lorsqu'on y jette de l'eau. En un mot, tous ceux qui, affligés d'infirmités même très graves, recourent au saint martyr et boivent des eaux de cette source, reprennent incontinent santé et vigueur. Le peuple ne cesse de vénérer joyeusement un tel patron et de lui rendre grâces de ses bienfaits: car ceux qui viennent en ce lieu tristes et souffrants, s'en retournent soulagés et dans la plus vive allégresse. Sous le règne de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit honneur et gloire, avec le Père et le saint Esprit, dans les siècles des siècles. Amen.