LE MARTYRE DE SAINT IRÉNÉE, ÉVÊQUE DE SIRMIUM

(L'an de Jésus Christ 303)

fêté le 23 août


Sous la persécution des empereurs Dioclétien et Maximien, les chrétiens, au milieu de combats qui se multipliaient sans nombre, soutenaient pour la gloire du Seigneur, avec dévouement et courage, les supplices dont la main des tyrans les frappait, conquérant ainsi les récompenses éternelles. Tel fut entre autres le martyre du serviteur de Dieu, Irénée, évêque de Sirmium, dont je veux aujourd'hui vous raconter au long la lutte et la victoire. La modestie qui semblait être le fond de sa nature, avec la crainte divine qui inspirait et dirigeait tous ses actes, l'avaient rendu digne de son nom.
Quant on l'eut arrêté, on le présenta à Probus, président de la Pannonie. Le président Probus lui dit : «Obéis aux préceptes divins, sacrifie aux dieux.» L'évêque Irénée répondit : «Celui qui ne sacrifie pas à Dieu, mais aux dieux, sera comme la plante qu'on déracine et qu'on rejette.» Le président Probus dit : «Nos très cléments princes ont déclaré que l'on sacrifierait, ou que l'on périrait dans les tortures.» Irénée répondit : «Pour moi, j'ai un précepte : il m'oblige à subir toutes les tortures plutôt que de renier mon Dieu et de sacrifier aux démons.» Le président Probus dit : «Ou sacrifie, ou je te livre aux supplices.» Irénée répondit : «Ce sera un grand bonheur pour moi, si tu me procures la grâce de participer aux souffrances de mon Maître.» Probus ordonna qu'on le soumît à la torture. Or, pendant qu'il subissait ce cruel supplice, Probus lui dit : «Irénée, que dis-tu ? Sacrifie.» Irénée répondit : «Je sacrifie à mon Dieu, par une confession généreuse et publique; à Lui seul j'ai toujours sacrifié.»
Ses parents arrivent; et le voyant au milieu des tortures, ils le priaient d'épargner ces chagrins à leur vieillesse. Ses enfants de leur côté embrassaient ses pieds, et disaient : «Aie pitié de nous, père, aie pitié de nous !» En même temps sa femme se livrait aux sanglots, et se lamentait sur ce visage aimé qu'elle ne pourrait plus contempler, sur cette vie si chère qui allait lui être enlevée. Parents, domestiques, voisins et amis, tous confondaient leurs gémissements et leurs larmes; dans l'excès de leur douleur ils lui criaient : «Prends pitié de ta jeunesse !»
Mais un désir plus noble, comme nous l'avons dit, avait enchaîné l'âme d'Irénée; il avait devant les yeux cette parole du Seigneur : «Si quelqu'un me renie devant les hommes, moi, à mon tour, je le renierai devant mon Père qui est dans les cieux.» S'élevant donc au-dessus de ces craintes humaines dont on voulait l'entourer, il ne daigna pas faire une seule réponse. Il avait hâte d'atteindre le but suprême de l'espérance où l'appelait la vocation divine. Le président Probus lui dit : «Que vas-tu répondre ? Laisse fléchir ta folie par les larmes de ce peuple; épargne ta jeunesse, sacrifie.» Irénée répondit : «En ne sacrifiant pas, j'assure mes intérêts éternels.» Probus le fit reconduire en prison. Il y resta enfermé plusieurs jours, et fut soumis encore à divers supplices.
Enfin, au milieu de la nuit, le président Probus s'étant transporté à son tribunal, le bienheureux martyr Irénée lui fut présenté. Probus lui dit : «Irénée, sacrifie et arrache-toi aux supplices qui t'attendent.» Irénée répondit : «Exécute les ordres qu'on t'a donnés; mais n'attends rien de moi.» Probus indigné le fit battre à coups de bâton. Irénée répondit : «Mon Dieu, j'ai appris à l'aimer dès ma plus tendre enfance; c'est lui que j'adore, lui qui reçoit mes sacrifices; il est ma force dans tous mes dangers; mais vos dieux, que la main de l'homme a faits,je ne puis les adorer.» Probus dit : «Arrache-toi du moins à la mort; qu'il te suffise des tourments que tu as soufferts jusqu'à cette heure.» Irénée répondit : «À chaque moment je m'assure contre la mort. Tu penses m'infliger des supplices; je ne les sens pas; et en retour Dieu m'accorde la vie éternelle.» Probus dit : «Tu as une épouse ?» Irénée répondit : «Je n'en ai point.» Probus dit : «Tu as des parents.» Irénée répondit : «Je n'en ai point.» Et qui sont donc ceux qui pleuraient à la dernière séance ?» Irénée répondit : «Il y a un précepte de Jésus Christ qui dit : «Celui qui aime son père, ou sa mère, ou son épouse, ou ses enfants, ou ses frères, ou ses parents, plus que moi, n'est pas digne de moi.»
C'est dans ces pensées que le bienheureux confesseur, les yeux attachés au ciel vers son Dieu, et le cœur rempli de ses promesses, dédaignait toute créature, et répétait qu'il ne connaissait personne ici-bas que Dieu. Probus dit : «Du moins par amour pour cette foule qui pleure, sacrifie.» Irénée répondit : «Mes enfants ont le même Dieu que moi : il saura les sauver; mais toi, accomplis l'ordre qu'on t'a donné.» Probus dit : «Jeune homme, aie pitié de toi et sacrifie à nos dieux, pour que je ne sois pas réduit à sacrifier ta vie dans les supplices.» Irénée répondit : «Fais ce que tu veux faire; et tu verras quelle force le Seigneur Jésus Christ m'a donnée pour souffrir les perfides inventions de ta cruauté.» Probus dit : «Je vais prononcer contre toi la sentence.» Irénée répondit : «Je serai heureux si tu le fais.» Probus alors lut la sentence et dit : «Irénée a désobéi aux préceptes des empereurs. J’ordonne qu'on le précipite dans le fleuve.» Irénée répondit : «Je m'attendais qu'après tant de menaces tu multiplierais sur moi les tourments, afin de me frapper ensuite par le glaive; mais tu n'en as rien fait. Je te conjure de changer de résolution; tu apprendras comment les chrétiens, pour la foi qu'ils ont en leur Dieu, savent affronter la mort.»
Probus, irrité de la généreuse confiance du bienheureux confesseur, ordonne de le frapper du glaive. Le saint martyr de Dieu, comme si c'eût été une seconde couronne offerte à son courage, rendit grâces et dit : «Je vous remercie, Seigneur Jésus Christ, d'avoir soutenu ma patience au milieu des supplices de la torture, et de daigner aujourd'hui me rendre participant de l'éternelle gloire.» Quand il fut arrivé au pont nommé Bazentis, il se dépouilla de ses vêtements, éleva ses mains vers le ciel et fit cette prière : «Seigneur Jésus Christ qui avez daigné souffrir pour le salut du monde, que vos cieux s'ouvrent devant moi, et que vos anges reçoivent l'âme de votre serviteur Irénée, qui souffre aujourd'hui pour votre nom et pour votre Église catholique de Sirmium. Je vous en supplie, Seigneur, en implorant votre miséricorde, recevez-moi, et ceux-ci, daignez les affermir dans votre foi.» En achevant cette prière, il fut frappé du glaive par les bourreaux, qui jetèrent son corps dans la Save.
Ainsi fut martyrisé le serviteur de Dieu saint Irénée, évêque de la ville de Sirmium, le huit des ides d'avril, sous l'empereur Dioclétien et par les ordres du président Probus, notre Seigneur Jésus Christ régnant sur le monde. À lui soit la gloire dans les siècles des siècles !