LES ACTES DE SAINT FÉLIX, ÉVEQUE ET MARTYR

(L'an de Jésus Christ 803)


Fêté le troisième jour des calendes de septembre


Sous le consulat des Augustes, le huitième de Dioclétien, le septième de Maximien, on publia par toute la terre un édit portant le nom de l'empereur et des césars. Il était adressé dans les colonies et les villes aux magistrats et aux chefs militaires, et ordonnait à chacun d'eux, dans les limites de sa juridiction, de se faire remettre les Livres saints par les évêques et les prêtres. L'édit fut affiché dans la ville de Tibiura, le jour des nones de juin. Aussitôt le curateur Magnilianus voulut qu'on lui amenât les anciens du peuple. Ce jour-là même, l'évêque Félix partait pour Carthage; Magnilianus exigea qu'on lui présentât le prêtre Aper, et les deux lecteurs Gyrus et Vital. Il leur dit : «Vous avez vos Livres divins ?» Aper répondit : «Nous les avons.» Le curateur Magnilianus dit : «Donnez-les, afin qu'on les brûle.» Aper répondit : «Notre évêque les a chez lui.» Le curateur Magnilianus dit : «Où est-il ?» Aper répondit : «Je ne le sais pas.» Le curateur Magnilianus dit : «Vous serez sous la garde de mes officiers jusqu'à ce que vous ayez expliqué vos raisons devant le proconsul Anulinus.»
Le lendemain, l'évêque Félix revint de Carthage à Tibiura; le curateur Magnilianus donna l'ordre à un officier de le lui amener. Le curateur Magnilianus dit à l'évêque : «Évêque Félix, remets-moi tous les livres et tous les parchemins qui sont entre tes mains.» L'évêque répondit : «J'en ai; mais je ne les livre pas.» Le curateur Magnilianus dit : «Ce qu'ont ordonné les empereurs doit passer avant ce que tu peux dire. Donne ces Livres, afin qu'on les brûle. L'évêque Félix répondit : «Mieux vaut me brûler moi, que ces Écritures divines; car il faut plutôt obéir à Dieu qu'aux hommes.» Le curateur Magnilianus dit : «Je le répète : ce qu'ont ordonné les empereurs doit passer avant ce que tu dis.» L'évêque Félix répondit : «La Loi de Dieu passe avant la loi des hommes.» Magnilianus dit : «Penses-y dans ta sagesse.»
Trois jours après, le curateur commanda que l'évêque Félix lui fût amené de nouveau, et lui dit : «Y as-tu pensé ?» L'évêque Félix répondit : «Ce que j'ai dit d'abord, je le répète, et je le redirai encore devant le proconsul.» Le curateur Magnilianus dit : «En conséquence, tu iras devant le proconsul, et tu répondras de ton refus.» Il lui donna, pour le conduire, Vincentius Alsinus, décurion de la ville de Tibiura.
Félix partit de la ville de Tibiura le huitième des calendes de juillet. Il était conduit chargé de chaînes, et à son arrivée, en le jetant en prison, on ne les lui ôta pas. Le lendemain, avant le jour, l'évêque Félix fut présenté au proconsul qui lui dit : «Pourquoi ne veux-tu pas livrer ces Écritures inutiles ? L'évêque Félix répondit : «Je ne les livrerai pas.» Alors le proconsul le fit enfermer chargé de chaînes dans le cachot le plus profond de la prison. Au bout de seize jours, l'évêque Félix en fut tiré, à la quatrième heure de la nuit, et amené, toujours avec ses chaînes, devant le proconsul Anulinus. Anulinus lui dit : «Pourquoi ne veux-tu pas livrer ces Écritures inutiles ?» L'évêque Félix répondit : «Je ne les livrerai pas.» Alors le proconsul ordonna qu'aux ides de juillet il serait conduit au prétoire devant le préfet. Le préfet le fit jeter dans sa prison particulière, avec des chaînes plus pesantes; et neuf jours après il ordonna qu'on l'embarquerait pour le présenter aux empereurs.
L'évêque Félix entra dans le vaisseau avec ses lourdes chaînes, et demeura quatre jours au fond de la cale, foulé sous les pieds des chevaux : pendant tout ce temps on lui refusa le pain et l'eau. Il arriva ainsi au port, sans avoir rien pris; mais, dans la ville d'Agrigente, les frères le reçurent avec de grands honneurs. De là ils allèrent à Catane, où ils furent accueillis de la même manière; ensuite à Messine, puis à Taurominium, toujours avec les mêmes honneurs. De Taurominium, ils passèrent le détroit, et vinrent toucher un port de Lucanie, nommé Rulo, d'où ils vinrent à Venise, ville de l'Apulie. Là seulement le préfet fit ôter les chaînes à Félix, et lui dit : «Félix, pourquoi ne livres-tu pas les Écritures du Seigneur ? Est-ce que par hasard tu ne les aurais pas ?» Félix répondit «Je les ai; mais je ne les donne pas.» Le préfet dit : «Qu'on fasse mourir Félix par le glaive.» L'évêque Félix, élevant la voix, s'écria : «Je Te rends grâces, Seigneur, d'avoir daigné me délivrer.»
On le conduisit au lieu du supplice; la lune alors parut se changer en sang. C'était le troisième jour des calendes de septembre. L'évêque Félix, élevant les yeux au ciel, dit à haute voix : «0 Dieu, je Te rends grâces; j'ai vécu en ce monde cinquante-six ans ; j'ai gardé la virginité, j'ai conservé les Évangiles, j'ai prêché la foi et la vérité. Seigneur, Dieu du ciel et de la terre, Jésus Christ, je baisse la tête pour T’être immolé, à Toi qui vis éternellement, et à qui appartiennent la gloire et la magnificence dans les siècles des siècles. Amen.»