LES ACTES DE SAINT ÉTIENNE, PAPE

(L'an de Jésus Christ 257)

fêté le 3 août

Sous le règne de Valérien et de Gallien, un grand nombre de chrétiens, fuyant la cruauté des tyrans, se tenaient cachés; d'autres se présentant d'eux-mêmes, acquéraient la palme du martyre. Or, on avait publié une loi, d'après laquelle quiconque découvrait un des chrétiens qui se cachaient, entrait en possession de tous ses biens, et pouvait demander le grade militaire qui lui convenait.
En ce temps-là, le bienheureux Étienne, évêque de Rome, ayant assemblé tout son clergé, lui parla en ces termes : «Mes frères et collaborateurs, vous savez qu'on publie de cruels édits du diable, à savoir que si un païen découvre un chrétien, il jouira de tous ses biens. Vous donc, mes frères, rejetez des richesses terrestres, afin de posséder le royaume céleste. N'ayez point peur des princes du siècle, mais priez le Seigneur Dieu du ciel et Jésus Christ son Fils, qui est assez puissant pour nous délivrer tous des mains de nos ennemis et de la cruauté des démons, et pour nous faire participer à sa grâce.» Le prêtre Bonus répondit : «Nous désirons renoncer aux biens de la terre, et même répandre notre sang pour le Nom de notre Seigneur Jésus Christ, si toutefois nous avons le bonheur de mériter cette grâce.»
Après qu'ils eurent ainsi parlé l'un et l'autre, tous les clercs se prosternèrent aux pieds du bienheureux Étienne, en disant : «Très excellent et très aimable père, nous sommes disposés à vous obéir en toutes choses; et sachez que nous sommes tout prêts à vous suivre soit à la mort, soit à la vie.» Puis ils se dirent tous l'un à l'autre : «Si quelqu'un de nous a dans sa propre maison des enfants païens, ou quelqu'un de ses proches ou de ses alliés encore gentil, amenons-les au bienheureux Étienne, afin qu'il les baptise.» Le bienheureux évêque ordonna donc à tous de se réunir, le jour suivant, dans la crypte Népotiana; et lorsque tous furent arrivés en ce lieu, il s'en trouva de l'un et de l'autre sexe cent huit, tant hommes que femmes. En ce même jour, le bienheureux Étienne les initia aux mystères du baptême sacré au Nom de notre Seigneur Jésus Christ; puis il offrit pour eux le sacrifice d'expiation auquel tous participèrent. Le jour suivant, le bienheureux évêque ordonna, dans le même lieu trois prêtres, sept diacres, et seize clercs. Du haut de son siège il entretenait les assistants du royaume de Dieu et de la vie éternelle : et beaucoup de païens accouraient pour entendre sa parole, et il les baptisait.
Tandis que ces choses se passaient, survint un certain tribun militaire nommé Némésius, dont la fille unique, depuis sa naissance, avait, à la vérité, les yeux ouverts, mais ne pouvait aucunement percevoir la lumière. Il se prosterna aux pieds du bienheureux Étienne, et lui dit : «Je vous en supplie, mon seigneur et père, baptisez-moi et ma fille aussi, afin qu'elle recouvre la vue, et que vous délivriez nos âmes des ténèbres éternelles; car depuis longtemps je suis dans l'affliction à cause de la cécité de ma fille.» Le bienheureux Étienne lui répondit : «Si tu crois de tout ton coeur, tout te réussira à merveille avec la foi.» Némésius repartit : «Jusqu'à présent, de tout mon coeur j'ai cru et crois encore que le Seigneur Jésus Christ est Dieu, et que c'est Lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle-né; si donc je suis venu trouver votre Sainteté, ce n'est point par l'effet d'une persuasion humaine, mais par l'inspiration de Dieu.» Et aussitôt le même jour, le bienheureux Étienne le conduisit au Titre du Pasteur. Et lorsqu'il catéchisait lui et sa fille, selon la coutume des chrétiens, il leur prescrivit le jeûne jusqu'au soir; et vers l'heure de vêpres, il bénit la fontaine qui était dans ce Titre, et plongea Némésius dans l'eau, en disant : «Au nom du Père, et du Fils, et du saint Esprit, je te baptise. Crois-tu, ajouta-t-il, en Dieu le Père tout-puissant ?» Il répondit : «je crois.» «Et en Jésus Christ notre Seigneur ?» «Je crois.» «Et la rémission des péchés ?» «Je crois.» «La résurrection de la chair ?» «Je crois, seigneur.» Et lorsqu'on le levait de la piscine, sa fille se mit à crier : «Ah ! je vois un homme qui m'a touché les yeux, et une brillante lumière l'environne.» Étienne baptisa aussi cette jeune fille, qui se nommait Lucille, et il la leva lui-même des fonts.
D'autres aussi, en grand nombre, venaient se prosterner aux pieds du bienheureux évêque Étienne, demandant avec larmes qu'il les baptisât. Or, le jour même où Lucille recouvra la vue, soixante-deux personnes de l'un et de l'autre sexe reçurent le baptême. Et depuis cette époque, la grâce agissant en eux, beaucoup de gentils de distinction vinrent trouver le bienheureux Étienne, lui demandant le baptême. Le bienheureux Étienne, rempli de la grâce du saint Esprit, commença donc à célébrer les offices, et à tenir des assemblées dans les cryptes des martyrs. Il ordonna diacre Némésius, père de Lucille.
Valérien, ayant découvert que le tribun Némésius, avec toute sa maison, avait embrassé la foi du Seigneur Christ, qu'il avait été baptisé, et que sa fille avait recouvré la vue, en fit son rapport aux consuls, lesquels, ayant tenu conseil, décrétèrent que, quelque part qu'on trouvât Némésius, on le mit à mort sans l'entendre. Mais Némésius, fortifié par la grâce du Christ, parcourait les cryptes et les tombeaux des martyrs, afin que, s'il trouvait un chrétien dans l'indigence, il pût le soulager de ses biens selon qu'il le pouvait. Némésius venant donc un jour, au milieu du silence de la nuit, sur la voie Appienne, vers le temple de Mars, il rencontra dans ce temple Valérien et Maxime qui y sacrifiaient aux démons. A cette vue, il se jeta à genoux et fit cette prière : «Seigneur
Dieu, Créateur du ciel et de la terre, faites avorter les desseins de cet art diabolique, au nom de notre Seigneur Jésus Christ votre Fils, que vous avez envoyé en ce monde. Brisez Satan, afin que ces malheureux échappent à ses filets et abandonnent des idoles faites de main d'homme, et qu'ils vous connaissent, ô Dieu Créateur, Père tout-puissant, et Jésus Christ votre Fils.» Au même moment, Maxime fut saisi du démon, et se mit à crier : «Le chrétien Némésius me brûle : sa prière me tourmente.» Aussitôt les gens qui étaient avec eux sortirent du temple et se saisirent de Némésius. Mais tandis qu'ils le tenaient et le couvraient d'opprobres, le consul Maxime expira subitement.
Ceux qui tenaient Némésius le conduisirent à Valérien, au palais de Claudius. Lorsqu'on l'eut amené en sa présence, Valérien lui dit : «Némésius, où est ta prudence, que nous avons toujours reconnue si ferme dans le conseil comme dans l'action ? Est-ce que nous ne savons pas ce qu'il y a de meilleur ou de pire ? C'est donc pour ton propre avantage que nous t'exhortons, la vérité une fois connue, à ne pas abandonner les dieux, que tu as toujours honorés et cultivés dès le berceau.» Némésius répondit avec larmes et dit : «Je suis un misérable, un pécheur, qui me sais toujours écarté de la vérité, et qui ai répandu le sang innocent; et c'est lorsque j'étais surchargé de péchés et accablé sous leur poids, que, par la Miséricorde du Christ Fils de Dieu, j'ai enfin connu, après un repentir trop tardif, mon Créateur, le Dieu du ciel et de la terre, et Jésus Christ son Fils qui m'a racheté par le baptême, qui a ouvert les yeux de ma fille, ce qu'aucun médecin n'a jamais pu faire. Il a aussi éclairé les yeux de nos coeurs, afin que, rejetant la superstition et l'aveuglement de l'idolâtrie, nous nous convertissions à la vraie lumière de la foi chrétienne. C'est Lui que je crains, c'est Lui que j'adore; c'est à Lui que je présente le culte de ma dépendance : je Le cherche sans cesse , et sans cesse j'implore son secours. Quant à toutes vos idoles fabriquées avec de la pierre ou de l’airain, je les repousse; car je sais que ce sont des démons, qui voudraient nous perdre, et nous damner avec eux de l'éternelle mort.» Valérien lui dit : «Je connais tes enchantements, au moyen desquels tu as commis même des homicides; car c'est par ton art magique que tu as tué Maxime; et tu t'exerces aux cérémonies des chrétiens pour nous perdre, nous et la république.» Valérien, outré de colère, ordonna de le conduire à sa prison particulière.
Il se fit aussi présenter Symphronius, l'économe de Némésius, pour s'informer des richesses de celui-ci. Quant à sa fille Lucille, il la fit donner en garde à une femme perverse nommée Maxima. Le jour suivant, Valérien ordonna de livrer Symphronius à un certain tribun, nommé Olympias, afin qu'il l'interrogeât avec menace de châtiments. Lorsqu'on l'eut introduit, Olympius lui dit : «Tu sais pour quelle affaire tu nous es présenté» Symphronius ne répondit rien d’abord. Olympias ajouta : «Écoute-moi, Symphronius, et fais ce que les princes ordonnent; car si tu ne le fais, tu périras par divers supplices. Donne-nous les richesses tout entières de Némésius, et sacrifie aux dieux, puis vis heureux.» Symphronius répondit : «Si tu demandes les richesses de Némésius mon maître, c'est en vain, je les ai toutes livrées pour le Christ; car elles étaient et seront à Lui. Et si tu veux me contraindre d'offrir un sacrifice, sache que je suis disposé à en offrir un de courage et de libre confession, mais au Christ Jésus, mon Seigneur, auquel Némésius mon maître s'est offert lui-même.»
A ces mots, Olympius s'écria, transporté de colère : «Étendez-le sur le chevalet, et rouez-le de coups. Cependant, apportez devant lui le trépied et la statue du dieu Mars; et alors, qu'il fasse des libations aux dieux, ou qu'il soit longtemps frappé des plus rudes coups.» On apporta donc la statue d'or du dieu Mars, et on la plaça devant Symphronius avec un trépied. Lorsque Symphronus aperçut la statue, il dit : «Le Seigneur Jésus Christ , Fils du Dieu vivant, te brisera.» Et
aussitôt la statue se liquéfia comme de la boue. Olympius, stupéfait d'une telle merveille, ne pouvait revenir de son étonnement. Il ordonna de ramener Symphronius dans sa maison, sous bonne garde, et il ajouta : «Cette nuit je déploierai contre toi tous les tourments.» Puis il le confia à son intendant Tertullianus.
Lorsque Olympius fut arrivé auprès de sa femme Exupérie, il lui raconta comment, au Nom du Christ, le Dieu de Symphronius, la statue de Mars était tombée en fusion. Exupére lui dit alors : «Si la puissance du Christ est aussi grande que tu le racontes, il vaut mieux pour nous abandonner des dieux qui ne peuvent s'aider eux-mêmes ni nous assister. Cherchons plutôt celui qui a rendu la vue à la fille de Némésius.» Olympius alla dire à Tertullianus : «Je te recommande de traiter Symphronius chez toi avec beaucoup d'égards; car il possède de grands trésors que je veux.
Or, la même nuit, Olympius vint trouver Symphronius avec sa femme Exupérie et leur fils unique, nommé Théodule; ils se prosternèrent à ses pieds, et lui dirent : «Nous connaissons présentement la Puissance du Christ; il est le vrai Dieu, Fils de Dieu, celui qui a ouvert les yeux de la fille du tribun Némésius. Nous te prions donc de nous donner le baptême du salut au Nom du Seigneur Jésus Christ, que tu prêches.» Symphronius répondit : «Si tu fais pénitence de tout ton coeur pour le sang des saints que tu as répandu, et si tu crois sincèrement, ainsi que ton épouse et ton fils, tout sera accordé à ceux qui croient.» Olympius lui dit : «Tu vois maintenant que je crois de tout mon coeur au Dieu que tu prêches.» Et aussitôt il ouvrit son cabinet, où se trouvaient diverses statues d'idoles, d'or, d'argent et de pierre; puis il dit à Symphronius : «Je t'abandonne tout cela, fais-en ce que tu voudras.» Symphronius lui répondit : «Brise toutes ces idoles de ta propre main; celles qui sont d'or ou d'argent fais-les fondre, et avec ces richesses soulage les besoins des pauvres; c'est alors que je saurai que tu crois de tout ton coeur.» Olympius fit ponctuellement comme on lui commandait : avec des marteaux, il brisa les statues de marbre, puis il fit fondre dans un creuset celles qui étaient d'or ou d'argent.
Tandis que ces choses se passaient dans la maison d'Olympius, et qu’on y brisait ainsi les idoles, une voix se fit entendre : «Mon esprit repose en toi, Symphronius !» Olympius et son épouse, entendant ces paroles, furent saisis d'une grande crainte; mais en même temps ils se sentirent fortifiés; leur foi devint de plus en plus vive et ardente et ils ne soupiraient qu'après le moment où il pourraient recevoir le baptême; ils suppliaient donc avec instance Symphronius de faire en sorte, qu’on le leur conférât sans retard. Symphronius en donna promptement la nouvelle à Némésius, qui en fut comblé de joie. Aussitôt après, on alla trouver Étienne, et on lui raconta toutes choses comme elles s'étaient passées. Le bienheureux pontife en rendit grâces à Dieu le Père tout-puissant et à Jésus Christ son Fils; puis il se rendit de nuit à la maison d'Olympius. Dès qu'il y fut arrivé, Symphronius se jeta aux pieds du bienheureux Étienne, et lui dit : «Olympius avec sa femme et son fils ont demandé le sacrement du baptême.» Puis il lui montra toutes les idoles qu'on avait mises en pièces. Le bienheureux évêque Étienne voyant cela, dit : «Nous vous rendons grâces, Seigneur Jésus Christ, de ce que vous avez daigné faire part de votre Miséricorde à vos serviteurs, pour les délivrer des erreurs des démons qui les tenaient enchaînés au culte des idoles, et pour les réunir comme un pur froment dans vos greniers.» Il les catéchisa ensuite, selon la tradition de l'Église, et il baptisa tous ceux de la maison d'Olympius qui avaient reçu la foi, notamment Olympius lui-même avec sa femme Exupérie et leur fils Théodule; puis il offrit pour eux le sacrifice d'expiation.
Le troisième jour étant écoulé, Valérien et Gallien apprirent tous ces événements, et ils entrèrent dans une étrange fureur. Ils se disaient : «Le culte des dieux va disparaître devant la superstition des chrétiens.» Et ils envoyèrent des satellites se saisir du diacre Némésius et de sa fille Lucille; puis ils ordonnèrent de les punir de mort à l'instant, sans même les entendre. L'ordre portait que Lucille serait immolée la première, sous les yeux de son père, devant le temple de Mars, sur la voie Appia. Et j'estime que cela fut l'effet d'un conseil diabolique, afin que le père voyant sa fille mourir d'une mort violente , semblât y donner son consentement. Mais le père, dont l'Esprit saint possédait le coeur, vit d'un oeil ferme la précieuse mort de sa fille, qui la reçut avec joie pour le Nom de Jésus Christ, et s'envola aussitôt à la patrie céleste. Quant au diacre Némésius, ils ordonnèrent qu'il serait décapité entre la voie Appia et la voie Latine, le huit des calendes d'août. Le bienheureux évêque Étienne recueillit son corps, et l'ensevelit près du lieu où il avait été décollé, sur la voie Latine, non loin de la ville.
Le jour suivant, Valérien ordonna qu'on lui présentât Symphronius à l'audience publique. Ayant donc envoyé des soldats, ceux-ci l'amenèrent chargé de chaînes, dépouillé et la corde au cou. On présenta en même temps Olympius avec Exupérie sa femme et leur fils Théodule, et on les fit entrer dans le lien appelé Tellude. Valérien et Gallien vinrent ensuite s'asseoir sur leur tribunal en ce même lieu, et à la voix du héraut, on leur présenta les saints de Dieu. Valérien leur parla alors en ces termes : «Pourquoi ne pourvoyez-vous pas à votre propre sûreté en adorant les dieux qui, nous le savons, gouvernent la chose publique et notre propre vie ?» Symphronius répondit : «Jusqu'à présent, c'est le Christ qui vous a gouvernés, et c'est Lui qui a daigné vous procurer l’empire.» Gallien dit à Olympius : «Olympius, je veux bien différer ton supplice; car je connais tes sentiments, et je sais que tu ne veux pas abandonner les dieux que tu as adorés, et que tu contraignais même les autres à adorer; car tu persécutais jusqu'à l'effusion du sang, tu soumettais aux tourments quiconque ne voulait pas consentir à sacrifier à nos dieux.» Olympius répondit : «Oui, je l'ai fait; mais alors j'agissais, non comme Olympius devait agir, mais comme un impie et un bourreau; aussi, pour tous ces maux que j'ai commis, je fais pénitence, et je répands des larmes en présence de celui en qui je crois, le Dieu vivant et véritable, Père, Fils et saint Esprit, afin qu'Il daigne me remettre l'iniquité que j'ai commise en répandant le sang des saints, dans mon incrédulité.
Gallien, irrité de ces paroles, dit à Valérien : «Si ces gens-là ne sont exterminés, toute la ville de Rome embrassera leur secte.» Valérien ordonna donc de les punir aussitôt par le supplice du feu. Après que la sentence eut été prononcée, on les conduisit devant la statue du soleil, près de l'amphithéâtre. Après avoir enfoncé des pieux, on leur lia les mains et on les y attacha. On accumula ensuite autour d'eux un amas de sarments, d'épines et d'étoupes de navire, auxquels on mit le feu. Le bienheureux Symphronius, avec Olympius, sa femme Exupérie et leur fils Théodule, s'écriaient du milieu des flammes : «Gloire à vous, Seigneur Jésus Christ, qui avez daigné nous associer à vos serviteurs les saints et les martyrs! » Et en disant ces paroles, ils rendirent l'esprit. Après leur triomphe, leurs corps restèrent devant l'idole du soleil, près de l'amphithéâtre, et les soldats se retirèrent. Mais la même nuit, le saint évêque Étienne vint en ce lieu avec des clercs, et après avoir récité les hymnes sacrées, selon l'usage, ils emportèrent les corps et les ensevelirent près de la voie Latine, au premier milliaire, le sept des calendes d'août, Valérien étant consul pour la troisième fois, et Gallien pour la seconde.
Quelque temps après, Valérien et Gallien, ces exécrables persécuteurs du nom chrétien, firent rechercher avec une extrême diligence le bienheureux Étienne, évêque de la ville de Rome, afin de lui faire subir divers tourments, de même qu'à ses clercs qui étaient déjà détenus, et de les exterminer tous par le glaive. Ils firent donc afficher un édit dans les lieux les plus fréquentés de la ville, et le crieur publie annonça d’une voix retentissante que quiconque découvrirait l'endroit où se tenaient cachés Étienne et ses clercs, vînt aussitôt en prévenir l'empereur, et qu'il entrerait en possession de toutes les richesses d'Étienne. C'est ainsi que l'on découvrit douze de ses clercs, dont voici les noms : Bonus, Faustus, Maurus, Primitius, Calomniosus, Jean, Exupérantius, Cyrille, Honorius, Castus, Théodose et Basile. A peine furent-ils arrêtés, que les empereurs ordonnèrent de les décapiter, sans même les entendre. Ils furent donc mis à mort près de l'Aqueduc, sur la voie Latine. Tertullinus, bien que gentil, recueillit leurs corps et les déposa près des corps des saints Jovinus et Basiléus, sur la voie Latine, le même jour des calendes d'août.
L’évêque Étienne, apprenant cette bonne action de Tertullinus, l'envoya chercher; et, après l'avoir longuement instruit de la religion chrétienne et entretenu du royaume de Dieu et de la vie éternelle, il lui conféra la grâce du baptême; et lorsqu'il portait encore le vêtement blanc, il le consacra prêtre. Entre les saints avertissements que lui donna Étienne, il lui recommanda principalement de rechercher avec soin les corps des saints martyrs.
Deux jours après son ordination, Tertullinus fut arrêté par un certain officier nommé Marc et conduit à Valérien. Celui-ci lui dit : «Ne diffère pas de me montrer les richesses de ton maître Olympius.» Tertullinus répondit : «Si tu désires les biens de mon maître, qu'il a reçus pour l'éternité en mourant pour le Christ, tu pourras les voir, pourvu toutefois que tu croies au Seigneur Christ, et que tu renonces aux idoles des démons.» Valérien : «Les biens de ton maître procurent donc la vie éternelle ?» Tertullinus : «Le Christ Seigneur et Dieu, qui a l'empire de la mort et de la vie, c'est Lui qui donne la vie éternelle et un royaume sans fin.» Valérien : «Cet homme-là, je crois, est devenu fou.» puis il ajouta : «Qu’on l'étende, et qu'on le fustige longtemps.»
Tandis qu'on le frappait impitoyablement, Tertullinus criait : «Je vous rends grâces, ô Seigneur Jésus Christ, de ce que vous ne m’avez point séparé de mon maître Olympius, votre serviteur, qui m'a précédé en consommant son martyre.» Et comme il parlait ainsi au milieu des coups dont on le frappait, Valérien ordonna de lui brûler les côtés. Et les impies lui disaient : «Sacrilège Tertullinus, rends les biens de ton maître Olympius.» Tertullinus, avec un visage constamment joyeux, disait : «Fais, misérable, fais vite ce que tu fais, afin que par les ardeurs de ce feu tu m'offres au Christ, quoique je ne sois qu'un pécheur, en sacrifice pour son Nom.» Valérien donna ordre de le détacher, et le confia au préfet Sapricius, en lui disant : «Informe-toi diligemment de lui où sont les richesses de son maître Olympius, et fais-le consentir à offrir aux dieux des libations. S'il refuse absolument, fais- le périr par des tourments divers.»
Le préfet Sapricius vint tenir son tribunal au lieu appelé Privata de Mamurtinus, et donna l'ordre , par la voix du crieur public, qu'on le lui amenât, disant : «Qu'on fasse entrer le coupable et sacrilège Tertullinus.» Lorsqu'il fut arrivé devant le tribunal du préfet, celui-ci lui dit : «Dis-moi ton nom ?» Tertullinus répondit : «Pécheur, serviteur des serviteurs du Christ.» Le préfet : «Es-tu esclave ou de condition libre ?» Tertullinus : «Le diable a tellement rempli votre coeur, que vous ne comprenez pas un homme qui vous parle. Je te l'ai dit, je sais serviteur des serviteurs du Christ.» Sapricius : «Sache maintenant ce qu'on te commande, fais-le sans délai, et tu vivras; c'est-à-dire, sacrifie aux dieux, et rends les biens d'Olympius; autrement, pour ton malheur, ta vie se terminera lentement dans les tourments.» Le bienheureux Tertullinus répondit : «Si tu connaissais la vie éternelle, tu ne t'occuperais pas tant de la vie présente, qui doit aboutir, pour les adorateurs des démons, à un brasier éternel.» A ces mots, le juge ordonna de lui briser les mâchoires à coups de pierres. Tertullinus rendant grâces à Dieu, dit au préfet : «Tu m'as fait briser les mâchoires; mon Seigneur Jésus Christ, que je confesse, te brisera aussi, et avec toi le diable, cet inventeur de l'esclavage de l'idolâtrie.» Sapricius : «A quoi bon tant différer ? Hâte-toi de nous indiquer les richesses de ton maître Olympius, et sacrifie aux dieux, de peur que tu ne voies terminer la vie par le tranchant du glaive.» Tertullinus : «Pour moi, raffermi comme je suis dans le Seigneur Jésus Christ, en qui j'ai cru, je ne désire qu’une chose, c'est de pouvoir perdre la vie présente et trouver celle qui est éternelle et qui n'aura pas de fin.»
Sapricius, irrité de ce langage, donna ordre de l'étendre sur le chevalet et de le frapper longtemps avec des nerfs de boeuf. Durant ce supplice, Tertullinus disait : «Seigneur Jésus Christ, n'abandonnez pas votre serviteur qui vous confesse, et qui croit que vous êtes le Fils de Dieu; mais donnez-moi la force; afin que, persévérant jusqu'à la fin, je vous résigne mon âme que vous avez délivrée des ténèbres de l'ignorance et du culte des idoles, et qui a été purifiée par votre grâce et par le baptême.» Sapricius ordonna alors qu'on lui fît subir le supplice du feu. Tertullinus, fortifié par la grâce du saint Esprit, ne cessait d'implorer de coeur et de bouche le secours du Seigneur Jésus Christ. Pendant qu'il était suspendu au chevalet, Sapricius envoya un de ses ministres dire au tyran Valérien que Tertullinus était, tombé en démence, et que ni les tourments ni les exhortations ne pouvaient l'amener à sacrifier aux dieux ou à déclarer les richesses d'Olympius. Valérien irrité le condamna à perdre la tête. On le détacha donc du chevalet; puis on le conduisit sur la voie Latine, au second milliaire, où il fut décapité. Étienne, aidé de ses clercs, recueillit le corps, et l'inhuma au même lieu, dans la crypte de l'arénarium, la veille des calendes d'août.
Le jour suivant, Valérien expédia une multitude de soldats, qui se saisirent du bienheureux Étienne et d'un grand nombre de clercs, prêtres et diacres. Comme on l'emmenait, plusieurs chrétiens suivaient de loin en pleurant. Lorsque l'évêque Étienne fut arrivé, l'ordre vint de l'introduire seul au tribunal. Valérien lui dit : «Tu es cet Étienne qui cherche à renverser la république, et qui, par ses persuasions et ses exhortations perverses, conseille au peuple d'abandonner le culte des dieux ?» Le bienheureux Étienne répondit : «Je ne crois pas renverser la république; mais j'engage, j'exhorte les hommes à quitter le culte des démons qui sont adorés dans les idoles, pour revenir au Dieu vivant et véritable, créateur du ciel et de la terre, et reconnaître que Jésus Christ Fils de Dieu est Dieu, et qu'avec le Père et l'Esprit saint il est seul éternel; et j'exhorte les hommes à embrasser cette foi, afin qu'ils ne périssent pas avec le diable d'une mort éternelle.» Valérien lui dit : «Eh bien ! maintenant tu vas être livré à la perdition, afin que les autres, épouvantés de ton supplice, puissent désormais vivre sans danger.» Et il donna l'ordre de le conduire au temple de Mars, et là, après la lecture de la sentence, de le décapiter, s'il ne consentait à adorer l'image de ce faux dieu. Le bienheureux Étienne, étant donc conduit par des soldats hors des murs de la porte Appia, au temple de Mars, leva les yeux au ciel, et dit en présence de tous : «Seigneur Dieu, Père de notre Seigneur Jésus Christ, qui avez détruit à Babylone la tour de la confusion, détruisez présentement ce lieu où les âmes des peuples, victimes de la superstition diabolique, périssent par le culte des idoles.» Et au même instant un grand bruit de tonnerre se fit entendre, accompagné de terribles éclairs, et la plus grande partie du temple sacrilège fut renversée. Les soldats, témoins de ce spectacle, s'enfuirent épouvantés, et laissèrent là le bienheureux Étienne avec tous les chrétiens qui l'accompagnaient.
Le bienheureux évêque se rendit aussitôt, avec tous ces chrétiens, au cimetière de Lucine; et il prodigua des consolations à tous ceux qui l'accompagnaient, les exhortant à ne point se laisser intimider par les menaces et les terreurs que l'ennemi cherchait à inspirer, et à ne se point laisser séduire par les promesses des tyrans, pour perdre ainsi Ia couronne du martyre qui leur était destinée; puis il ajouta : «Nous devons nous souvenir que notre Seigneur Jésus Christ a dit : «Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui ne peuvent tuer l'âme; mais plutôt craignez celui qui a le pouvoir de jeter dans l'enfer et le corps et l'âme.» C'est par de telles exhortations que le saint évêque, comme un bon pasteur, procurait de gras pâturages à ses brebis que le Christ avait acquises au prix de son Sang. Après avoir ainsi parlé, il offrit le sacrifice au Dieu tout-puissant.
Valérien, ayant appris tout ce qui s'était passé, notamment la destruction du temple, et sachant qu'une multitude de chrétiens était assemblée avec Étienne, envoya des soldats en plus grand nombre que la première fois. Ils trouvèrent le bienheureux évêque Étienne qui offrait le sacrifice au Seigneur. Comme il poursuivait avec constance et intrépidité la solennelle fonction qu'il avait commencée à l'autel, ils
lui tranchèrent la tête sur son siège, au même lieu, le 4 des nones d'avril. Les chrétiens qui étaient présents firent un grand deuil pour la perte d'un tel pasteur, qui les avait précédés au céleste royaume avec la gloire du martyre. Ils ensevelirent son corps avec le siège sur lequel son sang avait été répandu, dans la même crypte, au lieu qui s'appelle
le cimetière de Callixte, où il repose en paix.
Le lendemain, des soldats païens rencontrèrent un acolyte nommé Tharsicius, qui portait les sacrements du corps du Christ. Ils se saisirent de lui et le tourmentèrent pour le contraindre à leur déclarer ce qu'il portait. Mais celui-ci, pensant que c'était une action indigne de livrer les perles à des pourceaux, ne voulut jamais découvrir les saints et sacrés mystères. Irrités de son refus, ils l'accablèrent de coups de pierres et de bâtons jusqu'à ce qu'il expirât. Quand il eut rendu l'âme, ces cupides sacrilèges cherchèrent dans ses mains et dans ses vêtements, sans pouvoir rien trouver. Saisis de terreur, ils laissèrent là le corps et s’enfuirent. En arrivant à la porte Appia, ils trouvèrent une grande multitude de chrétiens; puis ils allèrent auprès de Valérien et lui racontèrent par ordre tout ce qui s'était passé. Le même jour, les chrétiens recueillirent le saint corps de Tharsicius, et l'inhumèrent dans le cimetière de Callixte, sur la voie Appia.
L'Église des chrétiens s'assembla ensuite, et, à la place du bienheureux Étienne, ils élurent Sixte évêque, le 9 des calendes de septembre, sous le troisième consulat de Valérien et le deuxième de Gallien, sous le règne de notre Seigneur Jésus Christ, auquel appartient l'honneur et la gloire dans les siècles des siècles. Amen.