LES SEPT DORMANTS

fêtés le 4 août




Sous le règne de Décius, lorsque la persécution contre les chrétiens sévissait dans l'univers entier, et qu'on offrait partout de funestes sacrifices à de vaines idoles, les principaux officiers dans le palais du prince étaient sept jeunes hommes de noble extraction; ils se nommaient Achillide, Diomède, Diogène, Probatus, Étienne, Sambatius et Cyriaque. Comme ils étaient journellement témoins de la scélératesse et de la cruauté de l'empereur, dans la crainte qu'il ne leur ordonnât d'adorer des idoles sourdes et muettes à la place du vrai Dieu, touchés de componction et par une inspiration céleste, ils s'empressèrent de recevoir la grâce du baptême; et dans les fonts sacrés de la régénération, on leur donna les noms de Maximien, Malchus, Martinien, Constantin, Denys, Jean et Sérapion.
Sur ces entrefaites, l’empereur Décius s'étant rendu en la ville d’Éphèse, ordonna de faire une recherche si exacte de la secte des chrétiens, que l'on parvint, s'il était possible, à anéantir jusqu'au nom de cette religion. On prépare donc les sacrifices, l’empereur lui-même sacrifie, et presse par des caresses ou par des menaces ses serviteurs de faire comme lui. Tous rivalisent de zèle pour l'offrande des victimes , en sorte que la ville entière était empestée par l'odeur et les vapeurs qui s'exhalaient de ces horribles sacrifices. Les sept athlètes du Christ, voyant ce qui se passait, se prosternèrent pour prier et pour gémir, et la tête couverte de poussière, ils imploraient la Miséricorde du Seigneur, Le conjurant de regarder du haut du ciel ces rites profanes, et de ne pas permettre que le peuple du Seigneur succombât au milieu d'une telle perversité.
Les persécuteurs du nom chrétien s'étant aperçus de ce qu'ils faisaient, allèrent trouver le prince et lui dirent : «Ton décret impérial, ô prince, est parvenu jusqu'aux extrémités de l'univers, et personne, n'a la présomption de contrevenir à tes ordres; tous, en effet, offrent chaque jour des sacrifices aux dieux immortels, excepté sept jeunes hommes, pour lesquels cependant tu as une affection singulière et qui sont comblés de tes faveurs.» L'empereur leur dit : «Qui sont-ils ?» Ils lui répondirent : «C'est Maximien, fils du préfet, avec ses compagnons.» Décius, transporté de fureur, se les fit aussitôt amener chargés de chaînes, le visage trempé de larmes et la tête encore couverte de poussière, tels qu'ils étaient lorsqu'ils priaient en présence, du Seigneur. L'empereur les voyant, leur dit : «Votre âme dépravée est donc montée à un tel degré de perfidie que vous osez braver nos ordres , et refuser d'offrir les holocaustes qui sont dus aux dieux immortels ? J'en jure par ma gloire, vous subirez divers genres de tourments pour avoir ainsi méprisé nos dieux.» Ils lui répondirent : «Notre Dieu est unique et le seul véritable; c'est Lui qui est le Créateur du ciel, de la terre et de la mer : tous les jours nous Lui immolons un sacrifice de louanges, et nous sommes même disposés à mourir pour son Nom. Quant à ces divinités que tu nous convies à adorer comme des dieux, nous savons qu'elles ne sont rien. Si elles ont des membres, c'est l'ouvrage des artistes qui les ont fabriquées; mais elles ne sauraient avoir la vie. C'est pourquoi les oracles des prophètes du Seigneur condamnent ceux qui adorent ces idoles, souhaitant qu'ils leur deviennent semblables, aussi bien que ceux qui les fabriquent.» Ces paroles ne firent qu'enflammer davantage la colère de l'empereur. Cependant, ayant fait retirer tout le monde, il leur dit : «Sortez de notre présence, misérables; mais vous serez punis pour l’injure que vous venez de proférer, avant que vous puissiez rentrer dans notre palais, et que, réconciliés par la clémence des dieux, vous jouissiez encore de la fleur de l'adolescence. Car il n'est pas convenable que des corps qui ont tant de grâce et de beauté soient soumis aux supplices.» Il ordonna ensuite de leur ôter leurs chaînes, et de les remettre en liberté jusqu'à son retour à Ephèse.
Ces jeunes hommes étant ainsi redevenus libres, tandis que l'empereur se rendait dans une autre ville, retournèrent dans leurs maisons, et après en avoir fait l’inspection, en enlevèrent l'or, l'argent, les vêtements et tout le mobilier, qu'ils distribuèrent aux pauvres; puis ils se retirèrent dans une caverne du mont Céleus, emportant seulement un peu d'argent pour se procurer des vivres. Ils chargèrent Malchus, l'un d'entre eux, d'aller secrètement à la ville pour y acheter des aliments, et informer prudemment de la conduite de l'empereur envers les chrétiens. Tandis que les saints se consignaient ainsi eux-mêmes dans une prison volontaire, et se livraient assidûment à la prière, le détestable empereur revint à Éphèse. Après avoir pris ses informations ordinaires sur les chrétiens, il demande Maximien et, ses compagnons. Leurs parents lui répondent qu'ils se sont enfermés dans un antre du mont Céleus, mais qu'il serait facile de les en arracher, sur un ordre impérial. Les jeunes hommes ayant appris cette nouvelle de la bouche de Malchus, en furent saisis de terreur; et aussitôt, se prosternant par terre, ils priaient le Seigneur avec larmes de les maintenir dans la foi et de les dérober aux regards du cruel empereur. Comme ils priaient ainsi, le Seigneur, prévoyant qu'ils seraient un jour utiles à ses desseins, exauça leurs supplications et reçut leurs âmes : et ils restèrent ainsi étendus par terre comme ensevelis dans un doux sommeil.
L'empereur, dans sa colère, dit à ses satellites : «Allez donc, et bouchez l'entrée de la caverne, afin que ces contempteurs des dieux n'en puissent sortir. Comme ils se mettaient en devoir d'accomplir les ordres du prince, deux chrétiens, Théodore et Ruben, qui adoraient en secret le Christ, par crainte de l'empereur, prirent les devants, portant avec eux des tablettes de plomb sur lesquelles ils avaient écrit toute l'histoire de ces saints, et qu'ils placèrent a -dedans de la caverne, vers l'entrée, sans que personne en sût rien; et ils se disaient : «S'il plaît à Dieu de révéler aux peuples les bienheureux corps de ses athlètes , cette écriture attestera ce qu'ils ont souffert pour son Nom.» Les satellites de l'empereur arrivèrent ensuite, roulèrent de grosses pierres à l'entrée de la caverne, qu'ils fermèrent entièrement, et s'en allèrent, en disant : «Qu'ils meurent de faim, qu'ils se dévorent les uns les autres, eux qui ont refusé avec tant de mépris d’offrir à nos dieux les sacrifices qui leur sont dus.»
Décius étant mort, et les années ayant succédé aux années, l'empire fut enfin dévolu à Théodose fils d'Arcadius. Sous son règne, l'impure secte des Saducéens reparut dans le monde, cherchant à détruire l'espérance de la résurrection, et disant ouvertement : «Les morts ne ressuscitent point.» Les chefs de cette hérésie étaient les évêques Théodore et Gaius, qui cherchaient même à en infecter l'esprit de l'empereur. Le prince, inquiété par leurs erreurs, se prosterna par terre, et conjura le Seigneur de daigner lui inspirer ce qu'il devait croire.
Or il y avait en ce temps-là à Éphèse, un nommé Dalius, qui possédait de nombreux troupeaux. Parcourant un jour le mont Céleus, il dit au chef de ses bergers : «Dispose ici des parcs pour nos brebis; car ce lieu est un excellent pâturage.» Il ignorait ce que renfermait la caverne. Les bergers se mirent aussitôt au travail, et roulaient de grosses pierres. Ayant aperçu celles qui obstruaient l'entrée de la grotte, ils les employèrent aussi à construire leur mur, mais ils n'entrèrent pas.
Le Seigneur ordonna alors aux âmes de ces saints de reprendre possession de leurs corps. Aussitôt ils se levèrent et se saluèrent comme ils avaient coutume de le faire après leur sommeil; et croyant n'avoir dormi qu'une nuit, ils s'assirent gais et dispos. Non seulement leurs membres avaient conservé toute leur beauté et leur souplesse, leurs vêtements même étaient aussi entiers et en aussi bon état que lorsqu'ils les avaient mis tant d'années auparavant. S'adressant alors à Malchus, ils lui dirent : «Raconte-nous donc ce que l'empereur a dit cette nuit, et si on nous recherche encore, afin que nous le sachions.» Il leur répondit : «Oui, on nous recherche pour nous faire sacrifier aux dieux.» Et Maximien ajouta : «Nous sommes tout prêts à mourir pour le Christ. Mais toi, prends cet argent, et va nous acheter des vivres; puis informe-toi diligemment, mais avec prudence, et reviens nous dire ce que tu auras appris.» Ayant pris l'argent, il s'en alla. Or les pièces de monnaie portaient le nom et l'effigie de Décius.
Comme il approchait de la porte de la ville, il aperçut l'image de la croix placée au-dessus; étonné de ce qu'il voyait, il se dit en lui-même : «Est-ce que, depuis hier que je sortais de la ville après le coucher du soleil, le coeur de Décius est tellement changé qu'il ait été jusqu'à munir la porte de la ville dut signe de la croix ?» Après qu'il y fut entré , il entendit des hommes jurer par le Nom du Christ, en regardant du côté de l'église; il vit des clercs parcourir les rues de la cité, et s'aperçut que les murs avaient été renouvelés. Son étonnement croissait à chaque pas, et il crut presque qu'il était entré dans une autre ville. Cependant il se rendit au marché, et présenta ses pièces de monnaie en échange des aliments qu'il voulait acheter. Les marchands les ayant examinées, dirent : «Cet homme-là a découvert un trésor, car il a des pièces du temps de l'empereur Décius.» Malchus, entendant ce discours, se mit à rouler dans son esprit des pensées étranges. «Qu'est-ce que tout cela ? se disait-il. Je fais donc un rêve ?» Ou le conduisit à l'évêque Marin et an préfet de la ville. Le préfet lui dit : «D'où es-tu ? de quel pays viens-tu ? Je suis d'Éphèse, répondit-il, si toutefois c'est ici la ville d'Éphèse, que je me souviens d'avoir vue hier.» Le préfet ajouta : «Comment possèdes-tu ces pièces de monnaie ?» Malchus répondit : «Je les ai prises dans la maison de mon père.» Le préfet : «Et où est ton père ?» Et Malchus nommait ses parents, que personne ne connaissait. Le préfet lui dit : «Raconte-nous comment tu as acquis cet argent; car il est du temps de Decius, qui est mort il y a longtemps : d'où il est manifeste que tu es venu pour te moquer des sages d'Éphèse; mais je vais te faire subir la torture, jusqu'à ce que tu dises la vérité.» Malchus, ému de ces menaces, répondit en pleurant, et toujours étonné : «Si vous le permettez, je vous adresserai une seule question. L'empereur Décius, qui a persécuté les chrétiens dans cette ville, où est-il ?» L'évêque Marin lui répondit : «Mon cher fils, il n’y a personne en cette ville qui se rappelle les temps de Décius; car il y a de longues années qu'il est mort.»
Malchus, à ces paroles, rentrant en lui-même, dit à l'évêque : «Je croyais n'avoir dormi qu'une nuit avec mes frères; mais il parait qu'un grand nombre d'années ont passé sur notre sommeil. Et maintenant le Seigneur m'a ressuscité avec mes frères, afin que tout le monde connaisse que la résurrection des morts aura lieu. Suivez-moi, et je vous montrerai mes frères qui sont ressuscités avec moi.» L'évêque, étonné plus qu'on ne le saurait dire, se rendit avec lui à la caverne, accompagné du préfet et de tout le peuple. Malchus, ayant raconté aux frères tout ce qui lui était arrivé dans la ville, l'évêque entra dans la caverne et y trouva une cassette fermée de deux sceaux d'argent. Il sortit aussitôt, fit assembler la multitude qui l'avait suivi, brisa les sceaux avec le préfet, et trouva deux tablettes de plomb, sur lesquelles était gravé tout ce que ces saints avaient souffert, ainsi que nous l'avons rapporté plus haut. Dès lors ils ne doutèrent plus de la vérité des paroles de Malchus.
Ils rentrèrent, et trouvèrent les bienheureux martyrs assis dans un coin de la caverne. Leurs visages, vermeils comme des roses, avaient tout l'éclat du soleil dans sa splendeur, et ni leurs corps, ni leurs vêtements n'avaient souffert ni diminution ni avaries. L'évêque Marin, avec le préfet, se prosterna à leurs pieds pour leur rendre hommage, et tout le peuple glorifia Dieu d'avoir daigné rendre ses serviteurs témoins d'un tel miracle. Les saints racontèrent à l'évêque, devant tout le peuple, ce qui leur était arrivé du temps de Décius.
L’évêque et le préfet envoyèrent aussitôt des courriers à l'empereur Théodose, avec cette missive : «Venez en toute hâte; si vous voulez, vous pouvez voir un grand miracle qui s'est manifesté de votre temps par la permission de Dieu. Vous y reconnaîtrez par vous-même que l'espérance de la résurrection est fondée, conformément à la promesse évangélique.»
Théodose, apprenant cette nouvelle, se leva tout joyeux, et levant les mains il dit : «Je vous rends grâces, Seigneur Jésus Christ, Soleil de justice, de ce que Vous avez daigné illuminer les ténèbres des mortels par la lumière de votre Vérité. Je vous remercie de n'avoir pas permis que la lampe de ma confession fût obscurcie par le sombre nuage d'une doctrine erronée.» Et parlant ainsi, il monta à cheval, et se rendit en toute hâte à Éphèse. L'évêque et le préfet, avec toute la multitude, allèrent au-devant de l'empereur. Comme ils approchaient de la caverne, les saints martyrs sortirent au-devant du prince. Leurs visages parurent resplendissants comme le soleil dans son midi. L'empereur se prosterna par terre pour les honorer, et rendit gloire à Dieu. Il se releva aussitôt, les embrassa avec larmes et leur dit : «Je vois vos visages comme si je voyais mon Seigneur Jésus Christ , lorsqu'il appela Lazare du tombeau. Je Lui rends d'immenses actions de grâces de ce qu'Il m'a confirmé dans l'espérance de la résurrection.» Maximien répondit : «Sache, ô empereur, que c'est pour raffermir ta foi que le Seigneur nous a ordonné de ressusciter. Aie donc confiance en Lui, et confesse que la résurrection des morts aura lieu, puisque tu nous vois aujourd'hui, ressuscités comme nous sommes, nous entretenir avec toi, et raconter les merveilles de Dieu.» Et ils lui parlèrent de beaucoup d'autres choses.
Après cela, ils se prosternèrent par terre et s'endormirent, de nouveau, remettant leurs âmes au Roi immortel, le Dieu tout-puissant. L'empereur, à ce spectacle, se jeta sur leurs corps, les embrassa avec larmes, et quittant ses somptueux vêtements, il les en couvrit; puis il donna l'ordre de faire des cercueils d'or pour les y déposer. Mais la nuit suivante, les saints apparurent à lui et lui dirent : «Ne fais rien, mais laisse-nous reposer dans la terre; c'est de là que le Seigneur nous ressuscitera de nouveau, au grand jour de la résurrection de toute chair.»
L'empereur fit construire une grande basilique sur leur tombeau, et y adjoignit un hospice pour les pauvres, qu'on devait y entretenir aux frais du trésor publie. Il réunit ensuite les évêques pour célébrer la fête de ces saints, et tous glorifièrent Dieu, à qui appartient, dans la Trinité parfaite, honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen.