SAINT BARADATE, ANACHORETE
Ainsi que le prince des ténèbres, ce mortel ennemi des hommes, a malicieusement inventé divers moyens pour les ruiner et pour les perdre sans ressource, de même les enfants de la lumière et de la véritable piété ont trouvé divers degrés de vertu pour monter jusques dans le ciel. Car les uns combattant ensemble et par grandes troupes, dont il y un nombre innombrable, gagnent des couronnes incorruptibles. Les autres embrassant la vie solitaire et renonçant à toutes les consolations humaines pour ne s'entretenir qu'avec Dieu seul remportent des victoires immortelles. Les autres demeurant dans des cabanes et des cellules passent toute leur vie à célébrer tes louanges. Les autres n'ayant pour couvert que des antres et des cavernes s’emploient à la même occupation, et les autres, dont j'ai parlé de quelques-uns entre plusieurs, sans avoir ni antres, ni cavernes, ni cellules, ni cabanes, ni autre couverture .que le ciel, supportent les diverses contrariétés des saisons, tantôt étant tout transis par l'extrême rigueur du froid, et tantôt étant tout brûlés par l'insupportable ardeur du soleil. Ces derniers ont aussi entre eux diverses manières de vivre. Car les uns demeurent toujours debout. Les autres partagent le jour en deux, dont ils passent une partie assis et l'autre debout. Les autres s'enferment avec une muraille sèche pour éviter l'abord de ceux qui les viennent voir; et les autres ne se couvrant de quoi que ce soit, sont exposez à la vue de tout le monde. Ce que je me suis trouvé obligé de remarquer en voulant écrire la vie de l'admirable Baradate, d’autant qu'il a été ingénieux à trouver des austérités toutes nouvelles.
Il commença par s'enfermer dans une petite maisonnette, ou il demeura fort longtemps dans une contemplation continuelle; puis s’en allant sur une roche qui est au dessus du même lieu, il demeurait dans une cabane faite avec du bois si extrêmement petite, que ne pouvant s’y tenir debout. Il était toujours contraint de se courber, et dont les ais
étaient si mal assemblés qu'il y avait plusieurs grandes ouvertures; en sorte qu'il n'était pas moins exposé à la pluie et au soleil que ceux qui demeurent tout-à-fait à l’air; le seul avantage qu'il tirait d'être ainsi enfermé dans ce couvert, étant la contrainte et l'incommodité qu’il en recevait.
Après y avoir passé fort longtemps en cette manière, il en sortit sur l’instance que lui en fit le divin Théodose patriarche d’Antioche. Maintenant il se tient debout en levant sans cesse les mains vers le ciel, et en chantant les louanges du Créateur de l'univers. Son habit est d’un cuir qui le couvre tout et qui n'est ouvert qu'à l'endroit du nez et de la bouche, afin de pouvoir respirer, parce qu'autrement il ne pourvoit vivre : et quoi qu'il ne soit nullement robuste et qu'il soit sujet à diverses maladies, il ne laisse pas de résister à tous ces travaux, parce que le feu du divin amour dont son âme est toute embrasée et qui la rend si fervente, fait non seulement qu'il les entreprend avec joie, mais qu’il ne trouve point de peine à les souffrir.
Quant à son esprit, il est si intelligent et si clair, qu'il ne se peut rien voir de mieux que ses questions et ses réponses; et il argumente quelque fois plus fortement que ceux qui font le plus exercés dans les subtilités d'Aristote. Mais étant ainsi arrivé au plus haut comble de la vertu, il ne souffre nullement que la vanité l'y accompagne; et au lieu de lui permettre de le suivre, il lui ordonne de ramper sur la terre au pied de cette montagne sainte, parce qu'il n'ignore pas quels sont les malheureux effets que l'orgueil cause dans les âmes.
Voilà en peu de paroles quelle est la profonde sagesse de ce grand serviteur de Dieu. Je souhaite qu'elle aille toujours croissant de telle sorte qu'il achève heureusement sa carrière; puis que la gloire de ceux qui demeurent victorieux en de semblables combats remplit de contentement et de joie toutes les personnes qui font profession de piété; et Dieu veuille que par l'assistance de leurs prières je puisse monter peu à peu sur cette montagne, et jouir de la consolation de les voir.