Chapitre 7

Le mariage n'est pas au nombre des choses condamnées.

1. Que personne n'estime que nous repoussons l'institution du mariage : nous n'ignorons pas en effet que celui-ci non plus n'est pas étranger à la bénédiction divine, mais puisqu'il trouve un défenseur qui se suffit à lui-même dans la nature commune à tous les hommes - elle qui met cette inclination spontanée vers de tels plaisirs en tous ceux qui viennent à l'existence par le mariage - et puisque la virginité marche pour ainsi dire à l'encontre de la nature, il serait superflu de prendre la peine d'écrire un discours d'encouragement et d'exhortation au mariage, en mettant en avant son défenseur difficile à combattre, je veux dire la volupté; à moins que de telles paroles ne soient peut-être rendues nécessaires par des gens qui marquent d'une fausse empreinte les doctrines de l'Église et qui sont nommés par l'apôtre a ces consciences brûlées au fer rouge, parce qu'après avoir délaissé la direction de l'Esprit sous l'influence de l'enseignement des démons, ils marquent leur propre coeur de certaines cicatrices et brûlures, ils abhorrent les créatures de Dieu comme des souillures, comme des excitations au mal, comme une cause de maux, et profèrent d'autres accusations semblables. Mais qu'ai-je à faire de juger ceux du dehors ? dit celui qui vient de parler. En effet ils sont véritablement hors du palais de la doctrine des mystères et campent non sous la protection de Dieu, mais dans l'antre du Mauvais, ceux "qui sont retenus captifs, asservis à sa volonté", selon l'expression de l'Apôtre. C'est pourquoi ils ne comprennent pas que, si l'on définit la vertu comme un juste milieu, la déviation vers les extrêmes situés de part et d'autre est un vice, car c'est en prenant partout le milieu entre un relâchement et une tension excessive qu'on distingue la vertu du vice.

2. Mais le raisonnement gagnera pour nous en clarté s'il est illustré par les faits eux-mêmes. Lâcheté et témérité, que l'on considère comme deux vices contraires, l'un par manque et l'autre par excès de confiance, encadrent en leur milieu le courage. Ou encore, l'homme pieux n'est ni athée, ni superstitieux, car, en ces deux cas, on commet une égale impiété, à croire qu'il n'y a pas de Dieu ou qu'il y en a plusieurs. Veux-tu aussi par d'autres exemples connaître la justesse de cette opinion ? Celui qui fuit la parcimonie et la prodigalité, celui-là, se soustrayant aux passions contraires, a pratiqué la libéralité de caractère, car une telle vertu consiste à n'être ni disposé aux aventures dans les dépenses excessives et inutiles, ni mesquin à l'égard du nécessaire. Et ainsi de tout le reste - pour ne pas poursuivre en détail - notre discours a montré que le milieu entre deux vices contraires est une vertu. Il en résulte donc que la chasteté, elle aussi, est un juste milieu et qu'elle a ses déviations bien connues de part et d'autre, vers un vice : l'un en effet, parce que son âme manque de vigueur, est devenu pour la passion de volupté un adversaire facile à vaincre, si bien que, sans même avoir approché de la route de la vie pure et chaste, il a glissé dans les passions d'ignominie; l'autre, pour avoir outrepassé le terrain sûr de la chasteté et culbuté par-dessus le juste milieu de cette vertu, a été précipité dans l'enseignement des démons comme dans un abîme, brûlant au fer rouge, comme dit l'Apôtre, sa propre conscience. En effet dans la mesure où il définit le mariage comme abominable, il se stigmatise lui-même en le blâmant, car, si l'arbre est mauvais, ainsi que le dit quelque part l'Évangile, le fruit aussi est pleinement digne de l'arbre. Si donc l'homme est le rejeton et le fruit de cette plante, le mariage, les reproches contre le mariage atteignent pleinement celui qui les profère.

3. Mais ces gens, marqués d'un fer rouge dans leur conscience et meurtris par l'absurdité de leur doctrine, sont réfutés par le fait même. Quant à nous, voici ce que nous savons au sujet du mariage : il faut donner le pas au soin et au désir des choses divines, mais ne point mépriser la charges du mariage, quand on est capable d'en user avec modération et mesure. Ainsi le patriarche Isaac : ce n'est pas dans la fleur de l'âge, de crainte que son mariage ne devienne un acte de passion, mais sur le déclin a déjà de sa jeunesse qu'il accepte de s'unir à Rébecca, en raison de la bénédiction de Dieu sur sa postérité; puis, après s'être prêté au mariage pour un seul enfantement, il appartint de nouveau tout entier aux réalités invisibles, ayant fermé les sens de son corps : c'est, me semble-t-il, la signification du récit, quand celui-ci raconte que les yeux du patriarche s'étaient appesantis.