Toutes les absurdités de la vie tirent leur origine du mariage. Portrait de l'homme qui a renoncé pour de bon à ce genre de vie.
1. D'ailleurs à quoi bon chicaner le célibat libère pour convaincre d'absurdité une telle de ces maux et soustrait à l'envi vie, en restreignant l'énumération des malheurs aux seuls adultères, divorces et embûches ? Il me semble en effet, à considérer la réalité d'un point de vue plus élevé et plus vrai, que toute l'affliction de l'existence, observée en toutes sortes d'actions et d'occupations, ne commence à s'attaquer à la vie de l'homme que si l'on se soumet soi-même à la nécessité de ce genre de vie. Voici comment mettre en lumière cette affirmation : quand on a considéré de l'oeil pur de son âme la tromperie de cette vie, qu'on s'est élevé au-dessus de ses sollicitudes, que, selon la parole de l'Apôtre, on dédaigne toutes choses comme des déchets infects, et que d'une certaine manière on s'est complètement exilé de l'existence en se soustrayant au mariage, on n'a plus rien de commun avec les maux humains, la cupidité et l'envie veux-je dire, la colère, la haine et le désir de vaine gloire, et le reste du même genre. Exempts de tout cela, gardant sa liberté en toutes circonstances et vivant dans la paix, au sujet de quoi entrera-t-il en compétition pour obtenir davantage, en quoi excitera-t-il l'envie de ses voisins celui qui n'a pas le moindre contact avec ces biens auxquels l'envie s'attache étroitement en cette vie? Parce qu'il a élevé son âme au-dessus du monde entier et qu'il considère la vertu comme le seul bien qui ait pour lui du prix, il vivra une vie sans tristesse, paisible et sans combat. Car les biens de la vertu, même si tous les hommes en reçoivent une part, chacun dans la mesure de ses forces, ces biens restent toujours en plénitude pour ceux qui les désirent; dans le cas des biens terrestres au contraire, ceux qui sont chargés de les morceler retranchent à une part dans la mesure où ils ajoutent à l'autre, si bien que l'enrichissement de l'un entraîne l'appauvrissement de son associé dans le partage. C'est de là aussi que naissent les combats engagés entre hommes pour s'attribuer une part plus grande, tellement ils détestent être appauvris. De ce bien-là, par contre, le fait d'en avoir plus qu'autrui n'excite pas l'envie, et celui qui en a ravi davantage n'a causé aucun tort à qui prétend participer avec lui à égalité, mais il voit, dans la mesure de ses capacités, son bon désir comblé, cependant que la richesse des vertus n'est point épuisée par ceux qui se sont servi les premiers.
2. Celui donc qui fixe les yeux sur le mariage, cette vie et thésaurise pour lui cette principe d erreur et cause d'orgueil vertu que ne circonscrit aucune limite humaine, acceptera-t-il jamais que son âme incline vers l'une de ces choses basses que l'on foule aux pieds ? S'émerveillera-t-il de la richesse terrestre, de la puissance humaine ou d'une des autres choses qui excitent le zèle des insensés ? Si en effet quelqu'un se trouvait encore dans ces dispositions basses à leur égard, il se situerait hors d'un tel choeur et il n'entendra rien à notre discours; mais ce s'il pense aux réalités d'en haut et chemine avec Dieu dans les régions supérieures, il dépassera absolument tout cela, parce qu'il n'a pas ce principe d'erreurs, commun à tous en de telles matières, je veux dire le mariage. En effet, la volonté de surpasser les autres, cette insupportable passion de l'orgueil qu'on pourrait bien, sans pécher contre la vraisemblance, appeler graine ou racine de toute épine de péché, cette passion tire son origine d'une cause qui est avant tout le mariage.
3. La plupart du temps en effet épier de loin il n'est pas possible à l'homme les passions humaines cupides de ne pas alléguer ses enfants, ou à l'homme follement épris de gloire et ambitieux de ne pas reporter sur sa race la cause de son mal, afin de ne point paraître inférieur à ses prédécesseurs et de passer pour grand dans les générations futures, en laissant à ses descendants des récits; de même aussi le reste des infirmités de l'âme, envie, rancune, haine et quelque autre du même genre s'il s'en trouve, se rattachent à la même cause. Toutes en effet sont concitoyennes de ceux qui se passionnent pour cette vie; mais il échappe à leur servitude celui qui, tel un guetteur épiant de loin sur un observatoire élevé les passions humaines, plaint de leur aveuglement ceux qui se sont rendu esclaves d'une telle vanité et qui font grand cas de la prospérité charnelle. Car lorsqu'il voit un homme admiré pour un quelconque de ces biens mondains, orgueilleux pour des dignités, des richesses, de la puissance, il se moque de ces sots, boufus de telles vanités, et compte la durée maximal de la vie humaine selon la limité fixée d'avance par le psalmiste puis, mesurant ce très court intervalle à l'infinité des siècles, il prend en pitié pour son vain orgueil celui dont l'âme s'exalte sur des choses tellement sordides, basses et éphémères. En quoi mérite-t-il d'être vanté cet honneur d'ici-bas qui excite le zèle de tant de gens ? Qu'ajoute-t-il à ceux qui sont honorés ? Il demeure mortel en effet l'homme né mortel, qu'on l'honore ou non ! Est-ce le fait d'avoir acquis de nombreux arpents de terre ? Mais en définitive à quoi de bon cela mène-t-il les acquéreurs, sinon à ce que l'insensé puisse croire siens des biens qui ne lui appartiennent en rien; car il ignore, sous l'influence de son extrême voracité, semble-t-il, qu'au Seigneur appartient en réalité la terre et tout ce qu'elle renferme - Dieu règne sur la terre entière - mais que les hommes, dans leur cupidité passionnée, se donnent le nom mensonger de maîtres sur des biens qui ne leur appartiennent en rien. La terre en effet, comme dit le sage Ecclésiaste, demeure à jamais au service de chaque génération, pour nourrir successivement ceux qui naissent ici-bas; les hommes par contre, bien qu'ils ne soient pas leurs propres maîtres, mais qu'ils entrent dans la vie encore inconscients par la volonté de celui qui les mène, et qu'ils s'en éloignent contre leur gré, les hommes ont l'extrême vanité de se croire maîtres de la terre, alors qu'ils naissent et meurent chacun au temps marqué, tandis qu'elle demeure toujours.
4. Celui donc qui a observé ces les faux biens faits, qui méprise en conséquence tout ce qui passe pour précieux aux yeux des hommes et n'a d'amour que pour la vie divine, celui-là sachant que "toute chair est de l'herbe" (Is 40,6), quand estimera-t-il digne de recherche sérieuse cette herbe qui est aujourd'hui et demain ne sera plus ? Car il sait, celui qui a bien observé les choses divines, que non seulement les choses humaines n'ont pas de solidité, mais qu'elles n'en auraient pas, même si le monde entier restait continuellement en repos. Aussi méprise-t-il cette vie comme étrangère et éphémère puisque le ciel et la terre passeront, selon la parole du Sauveur, et que toutes choses attendent nécessairement leur transformation. C'est pourquoi, aussi longtemps qu'il est dans cette tente, comme dit l'apôtre pour montrer le caractère éphémère de cette condition, accablé par la vie présente, il déplore que cet exil se prolonge pour lui, comme l'a fait aussi le psalmiste dans ses chants divins. Car ils végètent réellement dans les ténèbres ceux qui vivent en étrangers ici-bas, avec ces tentes. Aussi le prophète gémit-il sur la durée de son exil : "Malheur à moi, dito , parce que mon exil se prolonge." Or c'est aux ténèbres qu'il a attribué la cause de ce découragement. Nous avons appris en effet des savants qu'en hébreu les ténèbres se disent "karaïtes" (Ps 119,5). N'est-il pas vrai que, tels ces hommes frappés de berlue par la nuit, ils ont la vue trop faible pour reconnaître cette tromperie, puisqu'ils ne savent pas que toutes les choses appréciées en cette vie, ou au contraire dépréciées, ne sont telles que dans l'opinion des insensés ? Mais d'elles-mêmes, elles n'ont absolument aucune consistance : il n'y a ni basse naissance, ni renom familial, ni gloire, ni situation en vue, ni récits anciens, ni morgue au sujet du présent, ni pouvoir sur autrui, ni condition servile. Pour les gens sans formation, richesses et bien-être, pauvreté, gêne et toutes les inconstances de la vie, semblent revêtir une importante extrême toutes les fois qu'ils prennent le plaisir comme critères de leur jugement; mais, pour l'homme aux pensées élevées, tout paraît de même valeur, aucune chose n'a plus de valeur qu'une autre, parce que, même dans des situations opposées, on termine pareillement la course de la vie, et qu'il se trouve des possibilités égales pour vivre bien ou mal dans l'un et l'autre des lots, "avec les armes offensives et défensives, dit l'Apôtre, dans l'honneur et l'ignominie". Au travers de ces vicissitudes, celui qui a purifié son intelligence et observé la réalité des êtres qui existent vraiment, celui-ci ira droit son chemin en parcourant, de sa naissance à son départ de ce monde, le laps de temps qui lui est assigné, sans se laisser amollir par les plaisirs ni déprimer par les rigueurs, mais, s'attachant selon la coutume des voyageurs a ce qui se situe en avant, il tient peu compte de ce qui se présente. Les voyageurs en effet ont coutume de se hâter ainsi d'un pas égal, vers le terme de leur route : qu'ils traversent soit des prairies et des bois épais, soit des lieux déserts et rocailleux, ni le plaisir ne les retient, ni le déplaisir ne les arrête. Ainsi, lui aussi, sans se retourner, il se hâtera vers le but proposé, et, sans se laisser détourner par aucun des à-côtés de la route, il traversera la vie en ne regardant que le ciel, tel un bon pilote qui dirige son embarcation droit vers le but qu'il s'est fixé là-haut.
5. L'homme à l'esprit épais, qui regarde en bas et dont l'âme se penche sur les plaisirs du corps, comme les bêtes sur leur fourrage, cet homme ne vivant que pour le ventre et ce qui fait suite au ventre, se trouve éloigné de la vie de Dieu, étranger aux alliances de la promesse, parce qu'à son avis il n'y a rien de bon, sinon prendre du plaisir avec son corps. Tel est celui-là, et tout autre de son espèce qui marche dans les ténèbres, comme dit l'Écriture, inventeur des maux en cette vie, car chez eux se trouvent cupidité, licence des passions, excès dans les plaisirs, tout amour du pouvoir et désir de vaine gloire, et le reste de cette foule de passions qui cohabitent avec les hommes. Ces maux en effet se tiennent pour ainsi dire l'un l'autre, si bien qu'en survient-il un à quelqu'un, le reste, entraîné par une certaine nécessité de nature, entre aussi inévitablement avec lui, comme il se produit dans une chaîne, quand on en a tiré l'extrémité : il n'est pas possible que le reste des maillons demeurent immobiles, mais celui qui se trouve à l'autre bout de la chaîne se meut avec le premier, puisque le mouvement se propage de proche en proche et de façon continue, à partir du début, par les maillons intermédiaires.
Ainsi les passions humaines se tiennent enlacées et unies les unes aux autres, et l'une a-t-elle pris le dessus, la traînée des autres maux entre à sa suite dans l'âme. Et s'il faut te décrire cette chaîne de malheur, suppose un homme qui s'est laissé vaincre par la passion de vaine gloire à cause d'un certain plaisir : eh bien, avec cette vaine gloires, la cupidité insatiable a marché de compagnie. On ne peut en effet devenir cupide sans que le désir de la vaine gloire ne conduise par la main à cette passion. Ensuite le désir d'avoir plus et de l'emporter déclenche ou la colère contre les pairs, ou le dédain des inférieurs, ou l'envie de ce qui nous dépasse : or l'envie s'accompagne de l'hypocrisie, celle-ci de l'aigreur, celle-ci de la misanthropie, et, au terme de tout cela, une condamnation qui aboutit à la géhenne, aux ténèbres et au feu. Tu vois cette traînée de maux, comment tous se rattachent à une passion unique, la passion du plaisir.
6. Lors donc, qu'une fois pour toutes, la vie est prise à l'engrenage de telles passions, nous ne voyons pas les passions qu'une seule issue pour leur échapper, celle que nous conseillent les Écritures inspirées : se séparer d'une telle vie qui traîne avec elle cette suite d'afflictions. Il est impossible en effet que celui qui se plaît dans Sodome échappe au déluge de feu, et que celui qui, après être sorti de Sodome, se retourne à nouveau vers sa destruction, ne soit pas figé sur place en statue de sel; il ne sera pas non plus délivré de la servitude des Égyptiens celui qui n'a pas abandonné l'Égypte, je veux dire cette vie submergée, et qui n'a pas traversé non point la Mer Rouge d'autrefois, mais cette mer sombre et ténébreuse de la vie. Si, comme dit le Seigneur, à moins que la vérité ne nous libère, nous stagnons dans le mal de la servitude, comment peut-il en venir à la vérité celui qui cherche le mensonge et se meut dans l'erreur de cette vie ? Comment échappera-t-il à cette servitude celui qui livre sa propre vie en proie aux nécessités de la nature ? Mais cet exposé deviendrait pour nous plus facile à comprendre par un exemple. De même qu'un fleuve rendu tumultueux par les crues d'hiver, emporté par l'impétuosité de sa nature, charriant dans son courant souches, pierres et tout ce qui se trouve à sa portée, constitue un danger et un péril pour ceux-là seuls qui s'y engagent, alors qu'il coule sans dommage pour ceux qui le surveillent de loin, ainsi, l'homme qui s'engage dans cette vie, est-il le seul à en affronter le trouble, le seul à subir l'assaut des passions que la nature, selon son cours inéluctable, suscite nécessairement à ceux qui la traversent, en les submergeant par les maux de la vie. Mais si quelqu'un délaisse ce torrent, comme dit l'Écriture, et l'eau sans consistance, il sera, d'après la suite de l'hymne, absolument hors de prise pour les morsures de la vie, s'évadant du filet, tel un passereau, sur l'aile de la vertu.
7. Puisqu'en effet, d'après notre exemple du torrent, la vie humaine débordant de toutes sortes de troubles et de vicissitudes, est sans cesse emportée roulant ses eaux, selon sa pente naturelle, et que rien ne tient de ce qu'on cherche en elle, ni ne dure jusqu'au rassasiement de ceux qui désirent, puisque toutes les choses qui surviennent s'évanouissent au toucher dans le moment même où elles se font proches, et que l'objet présent dans l'instant échappe aux sens en raison de la rapidité de son passage, les yeux étant déjà entraînés par la vague suivante à cause de cela, il serait utile de nous maintenir loin d'un tel courant, de peur qu'en nous attachant aux choses instables, nous ne négligions la stabilité de celles qui demeurent. Comment celui qui est passionnement attaché à l'une des choses de cette vie peut-il posséder jusqu'à la fin l'objet de son désir ? Parmi les biens, qui suscitent le plus d'ardeur, lequel demeure à jamais tel qu'il est ? Quelle vigueur juvénile ? Quel don heureux de force et de beauté ? Quelle richesse ? Quelle gloire ? Quelle puissance ? Est-ce que toutes ces choses, après avoir fleuri un peu de temps, ne se sont pas écoulées, pour prendre dans leur ruine un surnom contraire ? Qui a passé sa vie entière dans la jeunesse ? À quoi la force a-t-elle été capable de résister jusqu'à la fin ? La fleur de la beauté, est-ce que la nature ne l'a pas faite plus éphémère que les fleurs mêmes qui apparaissent au printemps ? Celles-ci du moins ont poussé des rejetons à la saison suivante, et, après avoir perdu leurs fleurs pour un peu de temps, de nouveau ont retrouvé leur jeunesse, puis de nouveau s'en sont allées, puis de nouveau ont retrouvé leur somptuosité et montré pour une nouvelle année encore leur beauté de maintenant. Mais la fleur humaine, après l'avoir montrée une seule fois, au printemps de la jeunesse, la nature l'éteint ensuite, en la faisant disparaître dans l'hiver de la vieillesse. Ainsi en va-t-il de tout le reste qui, après avoir trompé pour un temps les sens de la chair, a couru ensuite s'ensevelir dans l'oubli. Puis donc que ces changements, conséquences d'une certaine nécessité de notre nature, attristent infailliblement l'homme passionnément attaché, il n'est qu'un seul moyen d'échapper à ces maux : c'est de n'approcher de son âme aucune de ces choses changeantes, mais de s'éloigner autant que possible du commerce de cette vie toute passionnée et charnelle; bien plus de se rendre étranger à toute sympathie pour son propre corps, de peur qu'en vivant selon la chair, on en vienne à dépendre des vicissitudes qui naissent de la chair. Cela, c'est vivre par l'âme seule et imiter, dans la mesure du possible, le mode de vie des puissances incorporelles qui ne prennent ni femme, ni mari et dont l'oeuvre, le soin, la perfection consistent à contempler le Père de l'incorruptibilité, et à embellir leur propre nature selon la beauté de l'archétypes, en l'imitant dans la mesure dont elles sont susceptibles.
C'est donc pour réaliser cette pensée et ce désir sublimes que, disons-nous, la virginité fut donnée à l'homme, selon l'avis de l'Écriture, comme collaboratrice et comme aide. Et de même que certains arts, dans les autres professions, ont été inventés pour mener à bien chacune des tâches poursuivies, ainsi, me semble-t-il, la profession de virginité est un arts et une science de vie divine, apprenant à ceux qui vivent dans la chair à devenir semblables à la nature incorporelle.