Chapitre 20

1. On trouve aussi une telle doctrine chez l'Apôtre affirmant, on le sait, qu'il y a deux hommes en chacun de nous : l'un vu du dehors, destiné par nature à se corrompre, l'autre connu dans le secret du coeur et susceptible de renouvellement. Si donc cette doctrine est véridique - et elle est assurément véridique, à cause de la Vérité qui parle en lui - il n'y a aucune invraisemblance à concevoir deux mariages qui correspondent respectivement à chacun de ces deux hommes qui sont en nous. Et si un audacieux affirme que la virginité corporelle est une collaboratrice et une pourvoyeuse du mariage intérieur et spirituel, peut-être, dans son audace, ne s'écartera-t-il pas beaucoup de la vraisemblance.

2. De même en effet qu'il est impossible de mettre simultanément au service de deux techniques l'activité de ses mains, comme de cultiver la terre et de naviguer, ou de forger et de charpenter, mais que, si on a l'intention de bien s'attacher à l'une, il faut s'abstenir de l'autre; ainsi, pour nous, en va-t-il des deux mariages proposés, dont l'un se réalise par la chair et l'autre par l'esprit : le soin de l'un entraîne nécessairement la séparation d'avec l'autre. L'oeil en effet n'a pas la capacité de voir simultanément deux choses, à moins de s'appliquer tour à tour et séparément à chacun des objets visibles; la langue non plus ne pourra être au service d'idiomes différents, en prononçant au même instant des mots hébreux et grecs; l'ouïe n'écoutera pas simultanément un récit d'événements et un enseignement didactique : des sons différents en effet, s'ils se font entendre tour à tour, exprimeront l'idée à l'auditeur; mais s'ils retentissent aux oreilles, mêlés simultanément, une confusion rebelle à tout discernement s'emparera de la pensée, et les idées exprimées se confondront les unes avec les autres.

3. Pour la même raison, notre puissance de désir n'est pas de nature telle qu'elle puisse en même temps servir les voluptés corporelles et rechercher le mariage spirituel. Car il est impossible d'atteindre par des pratiques semblables l'un et l'autre de ces buts : pour le mariage spirituel en effet, les pourvoyeurs sont la continence, la mortification du corps et le mépris de toutes les choses charnelles, pour l'union corporelle, tout l'opposé. De même donc qu'entre deux maîtres proposés au choix, comme il est impossible de se soumettre simultanément à l'un et à l'autre -"nul ne peut servir deux maîtres" (Mt 6,24) - l'homme sensé choisira le plus avantageux; ainsi en face des deux mariages qui nous sont proposés, comme il est impossible d'avoir part à l'un et à l'autre - "celui qui n'est pas marié se soucie des choses du Seigneur; celui qui est marié se soucie des choses du monde" (1 Cor 7,32,33) – ce serait le fait de gens sensés et de ne pas se tromper dans le choix du mariage profitable et de ne pas ignorer la route qui y mène : on ne peut d'ailleurs l'apprendre que par une comparaison de ce genre.

4. De même en effet que, dans le cas du mariage corporel, celui qui s'applique à ne pas être repoussé fera grand cas, dans ses prévisions, de la santé du corps, de la justesse de la parure, de l'opulence de la richesse, et veillera à ne s'attirer aucun reproche ni en raison de sa vie ni en raison de sa naissance - c'est à cette condition qu'il pourra le mieux réaliser son propos -; de la même manière, celui qui recherche pour lui-même le mariage spirituel montrera d'abord qu'il est jeune et séparé de toute vétusté par le renouvellement de son intelligence; il montrera ensuite qu'il est riche, de ce genre de richesses qui sont très enviables, non point glorieux des biens de la terre, mais fier des trésors célestes. Quant à la noblesse de naissance, ce n'est pas celle qui échoit toute seule, par rencontre fortuite, à beaucoup de gens même médiocres, qu'il mettra son point d'honneur à posséder lui aussi, mais celle qui s'acquiert à force de peine et de soin par des actes personnels de vertu, et dont seuls se glorifient les fils de la lumière, les enfants de Dieu, et ceux qui portent en Orient le titre de nobles pour leurs actions lumineuses. La force et la santé, il se les procurera non pas en s'exerçant le corps ni même en engraissant sa chair; mais tout au contraire en déployant la puissance de l'esprit dans la faiblesse du corps. Je sais aussi que les présents de ce mariage ne consistent point en des biens corruptibles, mais qu'ils sont prélevés sur la richesse propre de l'âme. Veux-tu apprendre les noms de ces cadeaux ? Écoute Paul, l'excellent paranymphe, nous dire quels biens constituent la richesse de ceux qui font leurs preuves en tout point : après en avoir cité beaucoup d'autres, et de grand prix, il ajoute : "et aussi la pureté" (2 Cor 6,6). Et tous les bienfaits qu'il compte ailleurs parmi les fruits de l'Esprit sont encore tous des cadeaux de ce mariage. Si quelqu'un veut croire Salomon et prendre pour compagne et associée de sa vie la véritable sagesse dont il dit : "Éprends-toi d'elle, et elle te gardera; honore-la, afin qu'elle t'entoure de sa protection",( Pro 4,6-8) celui-ci, d'une manière digne de ce désir, se préparera dans une robe sans tache à festoyer avec ceux qui se réjouissent de ce mariage, afin de n'être pas repoussé, malgré sa volonté de partager la fête, pour n'être point revêtu de la robe nuptiale. Il est clair que ce discours vise pareillement hommes et femmes en ce qui concerne le zèle pour un tel mariage. Lorsqu'en effet, selon les expressions de l'Apôtre, "il n'y a plus d'homme et de femme", (Gal 3,28) et que "le Christ est tout et en tous", (Col 3,11) c'est avec raison que l'amant de la sagesse possède le but divin de son désir, qui est la véritable sagesse, et que l'âme attachée à l'époux incorruptible, possède l'amour de la vraie sagesse qui est Dieu. Mais la nature du mariage spirituel et le but vers lequel regarde l'amour pur et céleste, cela vient d'être suffisamment révélé par nos paroles.