Chapitre 17

1. S'il en est donc ainsi, il faut redresser autant que possible le comportement habituel de la plupart des gens : tous ceux qui combattent avec force contre les plaisirs honteux et qui, par ailleurs, font la chasse au plaisir des honneurs et du pouvoir, ceux-là agissent à peu près comme un serviteur qui ne s'efforcerait point de sortir de son esclavage, mais changerait de possesseurs dans la pensée que la liberté consiste à passer d'un maître à un autre - car ils sont tous également esclaves, même s'ils ne dépendent plus des mêmes maîtres, aussi longtemps qu'un pouvoir les domine entièrement avec une autorité absolue - il en est encore qui, du fait de leur rude combat contre les plaisirs, sont devenus pour la passion opposée des adversaires assez faciles à vaincre et qui, dans leur vie d'application tendue, se laissent prendre facilement par des tristesses, des irritations, des rancunes, et tout le reste qui se situe à l'opposé de la passion du plaisir, pour ne s'en libérer qu'avec peine : cela arrive quand une passion et non la raison vertueuse dirige leur marche dans la vie.

2. "Ce précepte du Seigneur en effet brille très distinctement, comme dit l'Écriture, au point "d'éclairer même des yeux" (Ps 18,9) d'enfants, à savoir "qu'il est bon de s'attacher à Dieu seul". (cf. Ps 18,8). Or Dieu n'est point tristesse, ni plaisir, ni lâcheté, ni témérité, ni crainte, ni colère, ou quelque autre passion semblable qui domine l'âme sans formation, mais, comme dit l'Apôtre, il est la sagesse en soi et la sanctification, la vérité, la joie, la paix a et ce qui leur ressemble. Comment donc pourrait-il s'attacher à celui qui est tout cela, l'homme que dominent les passions contraires ? Comment sans déraison celui qui s'efforce de ne point s'asservir à aucune de ces passions estimerait-il vertu la passion opposée ? Par exemple, pour qui fuit le plaisir, être envahi par la tristesse; pour qui se détourne de la témérité et de la précipitation avilir son âme par la lâcheté; ou pour qui s'efforce de demeurer inaccessible aux emportements, rester blotti dans la crainte. Qu'importe en effet si c'est d'une façon ou d'une autre qu'on déchoit de la vertu, ou plutôt qu'on se met hors de Dieu, la vertu accomplie ? Et en effet dans le cas des infirmités corporelles, le mal est le même - personne ne dirait le contraire - que la santé ait été ruinée par privation excessive ou satiété exagérée, puisque de part et d'autre le manque de mesure aboutit au même résultat. Celui donc qui prend soin de la vie et de la santé de son âme se gardera dans le juste milieu de l'impassibilité en demeurant indemne de tout mélange et de toute participation avec les passions contraires, juxtaposées de part et d'autre de la vertu. Ce n'est pas une affirmation personnelle, mais celle de la parole divine elle-même : c'est la doctrine que manifestement on peut entendre le Seigneur enseigner à ses disciples vivant comme des brebis avec des loups lorsqu'il leur apprend à ne pas être seulement des colombes, mais à posséder aussi dans leurs coeurs quelque chose du serpent. Cela consiste à ne pas pratiquer à l'extrême ce que loue le public au nom de la simplicité, parce qu'un tel comportement approcherait de la dernière sottise; ni non plus d'ailleurs à tenir l'habileté et l'adresse, encore qu'elles soient louées de la foule, pour une vertu pure et sans mélange d'éléments opposés; mais à constituer, en partant de l'opposition apparente de ces tendances, un alliage qui soit un habitus moral unique, alliage de simplicité d'intention et de finesse d'esprit, car le Seigneur a dit : "Devenez rusés comme les serpents et candides comme les colombes." (Mt 10,16).