Chapitre 15

1. Mais si nous avons compris l'excellence de cette grâce, il faut aussi en voir en même temps la conséquence : ce n'est pas, à ce qu'on pourrait penser, une chose simple que cette perfection, ni limitée aux seuls corps, mais elle pénètre et inspire de son ingéniosité inventive tout ce qui est et passe pour être des perfections de l'âme. Attachée en effet par la virginité au véritable époux, non seulement l'âme s'écartera des souillures corporelles, mais elle commencera dès lors d'accéder à la pureté et se portera vers toutes choses pareillement avec la même fermeté, de peur que son coeur inclinant peut-être contre son devoir à quelque participation au mal, elle n'accueille de ce côté une passion adultère. Voici ce que j'entends par là - je vais en effet revenir sur cette idée -: l'âme qui s'est unie au Seigneur pour devenir un seul esprit avec lui, et qui s'est engagée comme par un pacte de vie commune à l'aimer, lui seul, de tout son coeur et de toutes ses forces, ne s'attachera pas à l'impudicité, de peur de devenir un seul corps avec elle, ni n'accueillera aucune autre des choses contraires au salut, car il n'y a qu'une souillure commune à tous les vices, et l'âme serait-elle souillée par un seul, elle ne pourrait plus rien posséder en elle d'immaculé.

2. On peut encore illustrer cette doctrine par un exemple. De même que l'eau d'un étang reste unie et immobile tant qu'aucune perturbation ne vient du dehors troubler la stabilité du lieu, mais que, s'il y tombe de quelque part une pierre, toute l'eau en effet est troublée, l'agitation d'une partie gagnant l'ensemble par ondes circulaires - car la pierre emportée par son poids coule au fond, tandis qu'autour d'elle, sous l'influence des vagues qui s'éveillent les unes les autres en cercles concentriques et se voient repoussées jusqu'aux extrémités de l'eau par l'impulsion centrale, toute la surface de l'étang devient houleuse, agitée d'ondes circulaires, en accord avec ce qui se passe dans les profondeurs -; de même la sérénité, la tranquillité de l'âme, a été complètement ébranlée par la chute en elle d'une seule passion et affectée dans sa totalité par le dommage infligé à cette partie. Ils disent, ceux qui ont approfondi ces problèmes, que les vertus ne sont pas isolées les unes des autres et qu'il est impossible d'en saisir une, selon toute la rigueur de sa notion, sans atteindre aussi les autres mais qu'une vertu entre-t-elle chez quelqu'un, nécessairement les autres suivent aussi. Ainsi donc inversement, le dommage qui nous affecte en un point de notre vie intérieure s'étend à l'ensemble de la vie vertueuse, et, en réalité, comme dit l'Apôtre (cf. 1 Cor 12,26), le corps entier prend les dispositions des membres : si un membre souffre, le tout compatit, et si l'un est glorifié, l'ensemble se réjouit avec lui.