Chapitre 13
1. Si donc nous devons dès maintenant partir de là et être avec le Christ, il faut entreprendre ce départ en commençant au dernier point d'arrivée, comme les exilés vivant loin de chez eux qui, lorsqu'ils s'en retournent dans leur pays d'origine, quittent d'abord ce lieu où ils se sont trouvés arriver en dernier. Puisque le mariage constitue donc le dernier degré dans l'éloignement de la vie paradisiaque, notre traité suggère à ceux qui partent vers le Christ de quitter d'abord le mariage, comme une étape ultime; puis de se soustraire à la misère terrestre où l'homme a été établi après le péché; ensuite de sortir des revêtements de la chair, dépouillant les "tuniques de peaux", c'est-à-dire "les pensées de la chair", et "répudiant toutes les choses honteuses qui se font en secret". Il suggère encore de ne plus se couvrir à l'ombre du figuier de la vie amère, mais, rejetant ce feuillage caduc qui enveloppe la vie, de paraître à nouveau devant les yeux de son Créateur, de repousser les illusions du goût et de la vue, de prendre pour conseiller non plus le serpent venimeux, mais le seul précepte de Dieu. Or celui-ci demande de s'attacher au bien seul et de repousser toute velléité de goûter au mal, parce que l'engrenage des maux a commencé pour nous avec le refus d'ignorer le mal. C'est pourquoi il fut non seulement interdit aux premiers hommes de prendre avec le bien la connaissance des éléments contraires, mais il leur fut prescrit de s'abstenir de la connaissance conjuguée du bien et du mal, et de cueillir le bien dans sa pureté, sans mélange et sans participation au mal : ce qui n'est rien d'autre, à mon avis du moins, qu'être avec Dieu seul, posséder ces délices sans interruption et sans fin, et ne point mêler a la jouissance du bien ce qui entraîne son contraire. Et s'il faut avoir la hardiesse de le dire, peut-être qu'ainsi un homme pourrait encore être ravi hors de ce monde, qui gît au pouvoir du Mauvais, jusqu'au paradis où Paul se trouvait aussi quand il entendit et vit les choses ineffables, invisibles, dont il n'est pas permis à un homme de parler.
2. Mais puisque le paradis, demeure des vivants, n'accueille pas ceux qui sont morts par le péché, et que nous sommes charnels et mortels, vendus au péché, comment peut-il parvenir dans la région des vivants celui qui est dominé par la puissance de la mort ? Quel moyen, quel stratagème trouver pour se soustraire à ce pouvoir ? Mais l'indication donnée par l'Évangile suffit tout à fait pour cela aussi ! Nous avons entendu, n'est-il pas vrai, le Seigneur dire à Nicodème : "Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est esprit " (Jn 3,6). Or nous savons que la chair, à cause du péché, est soumise à la mort, mais que l'Esprit de Dieu est incorruptible, vivifiant, immortel.
3. Ainsi donc, de même que la génération selon la chair tient en réserve dans l'être engendré la puissance qui travaille à sa dissolution, de même, c'est bien évident, l'Esprit dépose en ceux qui sont engendrés par sa vertu la puissance qui vivifie. Quelle conclusion se dégage donc de nos propos ? Après nous être écartés de la vie selon la chair que suit nécessairement la mort, il faut rechercher un genre de vie qui n'entraîne plus la mort à sa suite : or c'est la vie dans la virginité. Quelques petites considérations supplémentaires rendront ces vérités plus évidentes. Qui ne le sait en effet, l'union corporelle travaille à produire des corps mortels, mais, dans le cas de la communion avec l'Esprit, vie et incorruptibilité tiennent lieu d'enfants à ceux qui sont unis. Et il est bon de citer à ce propos le mot de l'Apôtre : "elle est sauvée par cet enfantement " (1 Tim 2,15) la mère qui se réjouit de tels enfants, comme le Psalmiste aussi l'a célébrée dans ses hymnes divins : "Il établit une femme stérile en sa maison et en fait une mère qui se réjouit de ses enfants." (Ps 112,9). Car elle se réjouit en toute vérité, cette mère vierge, de porter en son sein, par la vertu de l'Esprit, ces enfants immortels, elle qui est dite stérile par le prophète, à cause de sa continence.