Chapitre 12

1. Mais cela, vraisemblablement, personne ne l'ignore; par ailleurs et il est probable que certains recherchent s'il est possible de découvrir une sorte de méthode et de direction pour nous y conduire, qui nous mène comme par la main. Assurément les livres divins sont pleins de telles directives, et beaucoup de saints produisent leur vie comme une lampe devant ceux qui marchent selon Dieu. Mais les règles à tirer de l'Écriture inspirée pour le but que nous nous proposons, chacun peut les recueillir en abondance dans les deux Testaments, car, aussi bien dans les Prophètes et la Loi que dans les traditions évangéliques et apostoliques, il y a beaucoup à prendre et sans compter. Quant aux réflexions que nous pourrions ajouter en suivant les paroles divines, les voici.

2. Cet animal intelligent et raisonnable, l'homme, oeuvre et imitation de la nature divine et sans mélange - car c'est ainsi que dans le récit de la création, il est écrit de lui : "Il le fit à l'image de Dieu" - cet animal donc, l'homme, n'avait pas en lui-même par nature, ni comme propriété essentielle jointe à sa nature, la capacité de pâtir et de mourir, lors de sa toute première origine - car il n'aurait pas été possible de sauvegarder la notion d'image si la beauté reproduite avait été contraire à l'archétype -, mais c'est plus tard que s'insinua en lui la nature passible, après cette première organisation. Voici comment elle s'insinua : il était, comme on vient de dire, image et similitude de la puissance qui règne sur tous les êtres, et pour cette raison possédait aussi, dans sa souveraine liberté de choix, la ressemblance avec le maître universel, n'étant assujetti à aucune nécessité du dehors, mais se gouvernant à son gré selon ce qui lui semblait bon, avec pouvoir de choisir ce qui lui plaisait. Or ce malheur qui domine maintenant sur l'humanité, c'est l'homme qui, égaré par une tromperie, l'a volontairement attiré, devenu lui-même inventeur de la malice et non point découvreur d'une malice créée par Dieu, car "Dieu n'a pas fait la mort", mais c'est l'homme qui d'une certaine manière est devenu créateur et artisan du mal. De même en effet que participer à la lumière solaire est également accessible à tous ceux qui jouissent de la faculté de voir, et qu'il est possible à celui qui le veut de fermer l'oeil et de s'interdire la perception de la lumière, non que le soleil se retire ailleurs et lui amène ainsi les ténèbres, mais parce que l'homme en fermant les paupières, sépare son oeil du rayon comme par un mur car, lorsqu'en fermant les yeux, on met la faculté visuelle dans l'impossibilité d'agir, de toute nécessité l'inaction de la vue, produite en l'homme par cette cécité volontaire, devient principe actif de ténèbres -; ou de même qu'un homme, se construisant une maison et ne ménageant à la lumière aucun accès vers l'intérieur, vivra nécessairement dans les ténèbres pour avoir fermé volontairement l'entrée aux rayons; ainsi le premier homme né de la terre" ou pour mieux dire celui qui a engendré la malice dans l'homme avait de par sa nature le beau et le bien en son pouvoir, qui lui étaient proposés de toutes parts; mais c'est volontairement, contre son intérêt, qu'il a ouvert la voie aux choses contraires à sa nature lorsqu'il s'est donné l'expérience du mal, en se détournant de la vertu par son propre choix. En effet il n'existe pas de mal situé en dehors d'un choix, que l'on verrait avec sa subsistance propre dans la nature des êtres : "Toute créature de Dieu est belle, aucune n'est à rejeter" et "tout ce que Dieu a fait était très beau". Mais lorsque, de la manière qu'on a dite, l'engrenage corrupteur du péché eut saisi la vie des hommes, qu'à partir d'une origine de peu d'importance la malice se fut répandue à l'infini dans l'homme, et que cette beauté déiforme de l'âme, faite à l'imitation du prototype, eut été obscurcie comme un morceau de fer par la rouille de la malice, l'âme ne conserva plus désormais cette grâce d'image qui lui était propre et selon sa nature, mais elIe se transforma en la laideur du péché. C'est pourquoi l'homme, "cet être grand et précieux" comme l'a nommé l'Écriture, déchu de sa dignité propre, subit ce qui arrive à ceux qui, précipités dans un bourbier par un faux pas, voient Ieur beauté enduite de fange et deviennent méconnaissables même pour leurs amis. Ainsi I'homme, tombant dans le bourbier du péché, a perdu ce privilège d'être image du Dieu incorruptible et a revêtu en échange par le péché l'image corruptible et fangeuse que l'Écriture conseille de dépouiller, en Ia lavant pour ainsi dire à l'eau de cette conduite pure, afin qu'une fois le revêtement terreux enlevé la beauté de l'âme se manifeste à nouveau.

C'est un dépouillement de tout élément étranger que ce retour de l'âme à l'état qui lui est propre et naturel : or cela ne lui est possible qu'en devenant à nouveau telle qu'elle a été créée dès l'origine. Ce n'est pas en effet notre oeuvre ni la réussite d'une puissance humaine que de devenir semblable à la divinité, mais c'est du ressort de la munificence de Dieu qui, toute première origine, a gratifié notre nature de la ressemblance avec lui.

3. Mais ce serait assez de l'effort de l'homme pour se purifier au moins de la souillure qu'il a contracté par malice et pour mettre en lumière la beauté voilée de l'âme. Une telle doctrine, je pense que le Seigneur l'enseigne aussi dans l'Évangile, lorsqu'il dit à ceux qui sont capables d'entendre la sagesse prêchée dans le mystère : "Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous." En effet, l'Écriture montre à l'homme, je pense, que le Bien de Dieu ne se trouve pas séparé de notre nature, ni établi quelque part loin de ceux qui choisissent de chercher Dieu, mais qu'il est toujours en chacun : inconnu et ignoré toutes les fois que "les soucis et les plaisirs de la vie l'étouffent", retrouvé de nouveau toutes les fois que nous retournons notre pensée vers lui. Et s'il faut, par d'autres arguments encore, accréditer nos propos, cela aussi le Seigneur nous l'apprend, je pense, par la recherche de la drachme perdue, puisqu'il n'y a aucun profit à tirer du reste des vertus, que l'Écriture appelle "drachmes", même si toutes se trouvent présentes, quand celle-là seule est absente de l'âme devenue veuve. C'est pourquoi le Seigneur demande d'abord d '"allumer la lampe", pour signifier peut-être la raison "qui met en lumière les choses cachées"; puis de "chercher dans sa propre maison", c'est-à-dire en soi-même, la drachme perdue. Or par cette drachme que l'on cherche, il suggère assurément l'image du roi, non point entièrement perdue mais cachée sous l'ordure. Par ordure, il faut entendre, je pense, la souillure de la chair : quand on l'a "balayée" et qu'on a fait place nette par le soin qu'on prend de sa vie, l'objet cherché paraît au grand jour; avec raison l'âme se réjouit elle-même à son sujet de l'avoir trouvé et convie les voisines à partager sa joie. En réalité toutes ces puissances qui cohabitent avec l'âme et que l'Écriture vient de nommer ses voisines, lorsque sera découverte et qu'aura commencé de briller l'auguste image du roi, empreinte dès l'origine sur la drachme de nos coeurs par "celui qui les a façonnés un à un", alors toutes ces puissances se retourneront vers cette joie et cette félicité divines, en fixant leur regard sur la beauté ineffable de l'objet retrouvé. "Réjouissez-vous en effet avec moi, dit-elle, parce que j'ai trouvé la drachme que j'avais perdue". Les "voisines", puissances cohabitant avec l'âme qui se réjouissent de "la découverte de la drachme divine" ce sont la raison, le désir, la disposition à la tristesse et à la colère; et s'il y a d'autres puissances attribuées à l'âme, on les tiendrait encore à juste titre pour des amies qui toutes ont raison de se réjouir dans le Seigneur, dès lors qu'elles regardent toutes vers le Beau et le Bien, qu'elles font toutes choses pour la gloire de Dieu, sans plus servir d'instruments au péché.

4. Si telle est donc la signification de cette découverte de l'objet cherché, la restauration en son état primitif de l'image divine actuellement cachée par la souillure de la chair, devenons ce qu'était le premier homme en sa première vie. Qu'était-il donc ? Il était nu, dépourvu de tout vêtement de peaux mortes, regardait avec une libre assurance le visage de Dieu et ne jugeait pas encore du bien d'après le goût et la vue, mais ne trouvait de délices que dans le seul Seigneur et se servait à cette fin de l'aide qui lui avait été donnée, selon cette insinuation de la divine Écritures : il ne la connut point avant qu'ils eussent été bannis du paradis et qu'elle eût été condamnée à la peine de l'enfantement, pour avoir péchés en se laissant tromper. Voilà donc par quel enchaînement de circonstances nous sommes sortis du paradis, expulsés avec notre ancêtre et aussi par quel enchaînement il nous est maintenant possible, rebroussant chemin en sens inverse, de revenir en courant à la béatitude primitive. Quel est donc cet enchaînement ? En ce temps-là, un plaisir introduit par tromperie, fut le commencement de la déchéance. Après ce sentiment de plaisir, suivirent de près la honte, la crainte, et ce fait de ne plus oser paraître dès lors aux yeux du Créateur, mais de se cacher sous des feuillages, dans l'ombre. Après quoi, ils sont couverts de peaux mortes et ainsi envoyés en exil dans cette région malsaine et pénible où le mariage fut inventé pour consoler de la mort.