CHAPITRE 2

 

DE LA PRIÈRE

 

§ 1er. - DE L'ESPRIT DE LA PRIÈRE

 

La prière, c'est l'élévation de l'esprit et du coeur vers Dieu. D'où il suit que ceux dont l'intelligence et le coeur sont trop attachés aux choses terrestres, comme l'argent, les honneurs, ou adonnés aux passions telles que la haine ou l'envie, ceux-là ne sont pas capables de prier; car les passions en général captivent le coeur, autant que Dieu le dilate et lui donne la vraie liberté.

Lorsqu'un homme mauvais s'adresse à un homme de bien pour le prier de lui venir en aide, il fait tout son possible pour lui ressembler en apparence, afin que sa demande soit couronnée de succès. Il faut qu'il en soit de même lorsqu'il adresse sa prière au Seigneur, ou à sa très pure Mère, ou aux anges, ou aux saints. Pour que notre prière soit exaucée, il faut tâcher de ressembler autant que possible au Seigneur, ou à sa très pure Mère, ou aux anges, ou aux saints. C'est là qu'est le secret de notre rapprochement de Dieu et du prompt succès de nos prières.

Il y a des gens qui disent : Nous nous lassons bien vite de prier. Et pourquoi ? Parce que vous ne vous représentez pas vivement le Seigneur comme étant toujours auprès de vous. Contemplez-Le continuellement des yeux de la foi, et vous passerez alors toute une nuit à prier sans éprouver la moindre fatigue. Que dis-je, une nuit ! Vous resterez trois jours et trois nuits à prier et vous ne serez pas fatigué. Rappelez-vous les stylites. Ils sont restes des années entières en état de prière sur une colonne et triomphaient de la chair qui, chez eux aussi, comme chez nous, était sujette à la paresse. Et vous, vous trouverez pénible quelques heures, que dis-je, une petite heure de prière en commun avec vos frères !

Dans la prière qui contient une demande, l'essentiel, c'est la foi en Dieu, un désir sincère et ferme d'obtenir les biens que nous demandons, ainsi que le désir de ne plus retomber dans les péchés dont nous nous repentons. Or, souvent ce désir est sur nos lèvres et dans notre pensée, mais notre coeur reste insensible; ou, autrement dit, nous nous détournons du péché dans nos paroles, mais le coeur ne le fait pas et nous continuons à persévérer dans les péchés, dont nous demandons à être délivrés. C'est ainsi que la prophétie d'Isaïe s'accomplit sur nous : Ce peuple M'honore du bout de ses lèvres, et son coeur est loin de Moi. (Is 29,13).

Notre Père, qui êtes aux cieux ! Quel sublime, émouvant et religieux spectacle, lorsque nous entendons dans une réunion nombreuse à l'église, ou dans un cercle de famille, ou dans une réunion d'élèves ou de militaires, ces paroles prononcées du fond de l'âme et sortant, on le dirait, véritablement d'un seul coeur et d'une seule bouche ! Quel sublime spectacle, lorsque nous voyons que ces paroles se réalisent dans la vie même des hommes ! Et en vérité, elles se réalisent quand chacun a pour les autres un sentiment d'amour fraternel; que tous vivent en paix, les cadets obéissant à leurs ainés, ceux qui ont moins d'esprit à ceux qui en ont plus, rendant l'un à l'autre ce qui leur est dû, se respectant mutuellement, et toujours prêts à céder l'un à l'autre quand il s'agit d'honneur et de préséance : Prévenez-vous par des témoignages d'honneur. (Rom 12,10). Quel spectacle véritablement céleste, lorsque les membres nombreux d'une famille, en se mettant à table, répètent tous de la bouche et du coeur : Notre Père ! confessant le seul Père céleste comme leur très saint Maître, désirant que sa Volonté soit uniquement faite sur la terre et le considérant comme celui qui seul nourrit toutes les créatures ! Quel spectacle imposant lorsque le maître de la maison attribue tout ce dont il dispose en fait de nourriture et de boisson non à lui-même, mais à Dieu; lorsque, regardant les dons de Dieu comme appartenant à tous, il estime le moindre comme son égal et se croit l'obligé de celui qui lui fait l'honneur de s'asseoir à sa table ! Mais quel saisissant et émouvant spectacle se produirait, si toute la terre, tous les peuples, de leurs bouches et de leurs coeurs unis, s'écriaient, les regards tournés au ciel : Notre Père ! qui êtes aux cieux ! que votre nom soit sanctifié - en nous tous ! Que votre règne arrive, tel qu'il était au commencement, avant le péché; que votre Volonté clémente et parfaite soit faite sur la terre éternellement, comme elle se fait au ciel, et que l'abus de liberté disparaisse ! Donnez-nous aujourd'hui notre pain substantiel, pardonnez-nous nos offences, etc. Oh ! si tous les hommes avaient ces mêmes pensées et ces mêmes désirs ! Mais il en sera ainsi un jour : Oui, ce jour viendra où tout le genre humain ne formera qu'un seul troupeau, où il n'y aura qu'un bercail et qu'un Pasteur. (Jn 10,16).

Moyen de réussir dans une bonne oeuvre. - Lorsque tu fais ta prière du soir ou du matin, demande-toi bien ce que tu as à faire pour accomplir cette oeuvre et désire sincèrement d'en venir à bout pour la gloire de Dieu. Le Seigneur et sa très pure Mère éclaireront ton esprit, inspireront à ton coeur une pensée lumineuse qui te fera voir comment tu dois agir pour l'accomplir. Si tu veux par exemple écrire un discours ou un sermon et ne sais quel sujet choisir dans ton coeur en ce moment aride et privé des eaux vives de la grâce, penses-y bien sincèrement pendant ta prière et le Seigneur, ainsi que sa très pure Mère te montreront clairement le sujet que tu dois prendre avec tous ses détails, au point que ton coeur soudainement éclairé verra nettement tous les côtes du sujet que tu auras à traiter.

Lorsque tu vois que ton prochain a des défauts et des passions, prie pour lui. Prie pour chacun, même pour tes ennemis. Si tu vois que ton frère est fier et acariâtre, qu'il se comporte envers toi ou envers les autres avec orgueil, prie pour lui, afin que Dieu éclaire sa raison et rechauffe son coeur du feu de sa grâce. Dis : "Seigneur, enseignez à votrc serviteur tombé dans l'orgueil du démon la douceur et l'humilité, et bannissez de son coeur l'obscurité et le fardeau de l'orgueil satanique !" - Si tu vois qu'il est méchant, prie ainsi : "Seigneur, faites que votre serviteur devienne bon, par l'effet de votre grâce !" - S'il est avide d'argent et cupide, dis : "Ô notre trésor impérissable, ô notre richesse inépuisable, faites que votre serviteur que vous avez créé à votre image et à votre ressemblance, comprenne le mensonge trompeur de la richesse et sache que tout ce qui est terrestre n'est que vanité, ombre et rêve, que la vie de chaque homme n'est qu'une herbe éphémère, une toile d'araignée, et que vous seul êtes notre richesse, notre paix et notre joie !" -Si tu vois un envieux, prie de la manière suivante : "Seigneur, éclairez la raison et le coeur de votre serviteur en lui apprenant les dons sublimes innombrables et ineffables qu'il a reçus de votre inépuisable Générosité. Dans l'aveuglement de sa passion il vous a oublié, ainsi que vos dons précieux, et se croit pauvre, étant même au sein de l'abondance dont vous l'avez comblé, et il regarde d'un oeil d'envie les biens qui appartiennent à vos serviteurs et dont, ô bienfaiteur inexprimable, vous nous comblez tous, chacun selon nos forces et selon les vues de votre Volonté. Ôtez, ô Seigneur très miséricordieux, le voile du démon des yeux du coeur de votre serviteur et accordez-lui la componction et les larmes du repentir et de la reconnaissance, afin que l'ennemi ne se réjouisse pas de s'être emparé de lui pour le détourner de votre Volonté." - Si tu vois un homme ivre, dis du fond du coeur : "Seigneur, jetez un regard de bonté sur votre serviteur, séduit par les désirs de ses entrailles et de la jouissance charnelle, faites-lui connaître la douceur de la sobriété et de l'abstinence ainsi que celle des fruits spirituels qu'elles apportent." - Lorsque tu vois quelqu'un qui est adonné à la bonne chère et en fait son unique bonheur, dis : "Seigneur, vous êtes notre meilleur régal, le régal à jamais impérissable et qui donne la vie éternelle ! Purifiez votre serviteur de l'impureté de la gourmandise, qui le rend entièrement charnel et étranger à votre Esprit, et faites-lui connaître la douceur de votre régal céleste et vivifiant, le régal de votre Corps et de votre Sang, ainsi que celui de votre sainte, vivante et agissante Parole." - Prie en ces termes ou autres pareils pour tous les coupables et ne te permets pas de mépriser qui que ce soit pour son péché ou de te venger de lui, car tu n'aurais fait par là qu'augmenter la plaie qui le ronge. Au contraire, corrige-le à force de conseils, de menaces et de punitions, combinés de façon à enrayer le mal, ou l'arrêter dans des limites modérées.

Notre Père ! que votre règne arrive. Le Seigneur règne partout, dans tout le monde visible. Il règne dans tous les choeurs des anges; il règne aussi par sa puissance infinie et par sa justice sur les esprits du mal et sur les hommes adonnés au mal et à l'injustice. Les premiers sont par sa Volonté suprême enchaînés d'éternels liens et plongés dans les ténèbres jusqu'au jour du jugement, et les seconds sont condamnés à subir diverses punitions sur cette terre en attendant d'en subir encore dans l'éternité au milieu du feu inextinguible. Mais, comme il est la Verité, Il ne règne pas par sa Vérité ni dans les démons, ni dans les hommes du mal, ni dans les injustes, parce qu'ils renferment le mensonge. Il ne règne pas en eux par l'amour, parce qu'ils renferment la méchanceté. Il ne règne pas non plus dans les impies ni par la foi, ni par l'espérance et l'amour, ni par l'esprit d'obéissance absolue à ses lois : Mais pourquoi m'appelez-vous Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous pas ce que Je dis ? (Luc 6,46). Si vous m'aimez gardez mes commandements. (Jn 14,15). Dieu règne sur moi, sur le moindre mouvement de mon âme et de mon corps, par exemple sur ma parole. Il règne sur mon corps et le fait obéir à ses lois pour tout ce qui concerne la nourriture, le repos, le sommeil, l'accroissement, le mouvement. Il règne sur mon âme par la pensée et la parole qui se produisent d'après ses lois. Mais Il ne règne pas toujours dans mon coeur, dans mes inclinations intimes et dans ma liberté. Je suis souvent enclin au mal et je commets le mal au lieu de faire le bien. Je m'oppose souvent au Seigneur et à ses lois. Je manque souvent de foi, je suis incrédule, égoïste, orgueilleux, je méprise les autres, je leur porte envie, j'ouvre mon âme à l'avarice, à la cupidité, à la soif de l'argent, à la sensualité; je remplis tous les désirs de ma chair coupable; je suis ambitieux, impatient, irascible, paresseux, je fais peu de bien, et s'il m'arrive d'en faire quelquefois, c'est grâce moins à ma volonté qu'à des circonstances étrangères à ma volonté et à mon coeur; je ne compatis pas aux souffrances de mes semblables, qui sont comme moi membres d'un seul et même corps, c'est-à-dire de l'Église. En un mot, le Seigneur ne règne pas toujours en moi ni par mes pensées, ni par mes sentiments, ni par mes actions dans le domaine de la foi, de l'espérance et de l'amour.

Rappelez-vous, au milieu de toutes vos affaires, de toutes vos occupations particulières ou officielles, que votre force, votre lumière, votre succès se trouve dans Jésus Christ et dans sa croix. C'est pourquoi n'oubliez jamais d'invoquer le Seigneur. En commençant n'importe quelle chose, dites : Jésus, prêtez-moi votre appui ! Jésus, éclairez-moi! - Vous soutiendrez et vous réchaufferez par là votre foi et votre espérance en Jésus Christ, dont la force et la gloire réside dans les siècles des siècles.

 

§ 2. - DES QUALITÉS DE LA PRIÈRE

 

Une prière sincère peut nous faire obtenir de la Bonté et de la Mansuetude de Dieu tous les biens spirituels, de même que les biens matériels qui nous sont indispensables, pourvu que nous les désirions du fond du coeur et que notre prière soit ardente. Quelles prières sublimes nous dicte à cet effet la sainte Église ! Des prières qui sont bien faites pour disposer le Seigneur à nous accorder tout ce que nous Lui demandons. L'ennemi qui connaît la Bonté de Dieu et la force de la prière fait tout son possible pour nous en détourner. Tantôt, à l'heure de la prière il nous suggère la distraction ou soulève nos passions et nos convoitises; tantôt il nous inspire l'idée de nous hâter, et ainsi de suite.

La prière qui se fait par contrainte engendre la bigoterie, rend l'homme incapable de s'occuper de choses où la réflexion est nécessaire. Elle le remplit de mauvaise volonté même pour les fonctions dont il est investi. Pour éviter ce malheur de la bigoterie pharisaïque, il faut prier de bonne volonté, avec énergie, avec coeur. Garde-toi de prier le Seigneur ni à cause du chagrin, ni à cause de la nécessite (c'est-à-dire par contrainte) : car Dieu aime celui qui donne avec joie. (2 Cor 9,7) .

Il n'y a rien d'impossible pour un homme qui croit. Une foi vive et inébranlable peut opérer de grands miracles. Cependant il y a des miracles qui se font indépendamment d'une ferme et sincère foi de notre part; tels sont les miracles des sacrements, même si nous sommes incrédules ou infidèles en les célébrant ou les administrant : notre incrédulité anéantira-t-elle la Fidélité de Dieu ? (Rom 3,3). Notre méchanceté ne peut pas diminuer la Clémence et la Miséricorde inénarrable de Dieu; notre ignorance ne peut pas affaiblir sa suprême sagesse, de même que notre faiblesse n'est pas capable d'amoindrir sa toute-puissance.

Lorsque tu récites tes prières, surtout d'après un livre, ne te hâte pas de les réciter sans te pénétrer de la vérité de toutes les paroles qu'elles renferment et que tu prononces et mets-les avant tout dans ton coeur. Tâche de faire tout ton possible pour arriver à ressentir sincèrement la vérité de ce que lu dis. Ton coeur pousse tantôt par la paresse et par l'indifférence, tantôt par le doute et l'incrédulité, tantôt par la distraction et par le souci des objets et des soins terrestres, tantôt par le souvenir d'une offense survenue de la part de quelqu'un et par le désir de la venger, tantôt par l'idée des plaisirs mondains ou du charme éprouvé à la lecture d'un roman et autres livres pareils, - ton coeur, dis-je, pourra contrarier l'efficacité de ta prière. Rends-toi maître de ton coeur, donne-le généreusement à Dieu, comme une offrande agréable au Seigneur : mon fiIs, donne-moi ton coeur. (Prov 23,26). Et alors ta prière te rapprochera de Dieu, t'unira à Lui et au ciel entier, et te remplira de l'Esprit divin et des fruits qu'il apporte, tels que la vérité, la paix, la joie, la douceur, la patience, la tendresse du coeur. Il se peut pourtant qu'il te tarde de terminer ta prière pour donner le repos à ton corps fatigue ? Fais que ta prière soit sincère et tu t'endormiras d'un sommeil doux, tranquille et réconfortant. Ne te hâte donc pas de la faire tant bien que mal. Une demi-heure que tu y consacres te fera gagner trois heures du sommeil le plus d'aller à ton emploi ou à ton travail, lève-toi de meilleure heure, ne dors pas longtemps et fais tout de même une fervente prière : tu te sentiras tranquille, énergique, et tout ce que tu entreprendras dans la journée sera couronné de succès. Ton coeur éprouve-t-il le désir de se livrer à la vanité mondaine ? Brise ce désir et que son trésor soit non la vanité, mais Dieu. Apprends à ton coeur, avant tout, à s'attacher à l'Éternel par la prière et non à la vanité du monde, afin que tu ne sois pas livré à la honte aux jours de ta maladie et à l'heure de ta mort : tout riche que tu puisses être aux yeux du monde, tu te présenterais à Dieu pauvre de foi, d'espérance et d'amour. Si tu ne pries pas comme je viens de le dire, ta vie manquera de perfection, car tu ne pourras pas acquérir la foi cet l'entendement spirituel.

Nous voyons parfois quelqu'un avoir l'air de prier, mais ne faire par là que travailler pour le démon caché dans son coeur, parce qu'il ne prie que de la bouche, tandis que son coeur reste froid, et éloigné du Seigneur, sans ressentir, sans désirer ce que la bouche demande et profère. Il y a de même beaucoup de communiants, qui communient peu sincèrement, sans apporter au pied de l'autel tout l'amour dont ils devraient être pénétrés, mais venant communier de la bouche seule, lorsqu'ils ont dans le coeur l'incrédulité, l'indifférence, la passion du boire et du manger, l'amour de l'argent, l'orgueil, la colère, l'envie, la paresse, et que ce coeur est bien loin de Celui qui est tout amour, toute sainteté, toute perfection, toute sagesse et toute bonté. De pareils hommes doivent examiner leur conscience, se repentir sincèrement, et se rendre bien compte de l'importance de la prière en général et de la communion en particulier. L'indifférence envers Dieu et la froideur dans la prière viennent du démon, c'est de lui que vient ce froid glacial des âmes. Quant a nous, aimons le Seigneur ardemment, aimons-Le autant que doivent l'aimer ses enfants. Donnez-nous cet amour, ô Seigneur, car sans vous, nous ne pouvons rien faire. (Jn 15,5). Vous êtes pour nous tout, et nous, nous ne sommes rien. Vous nous avez appelé du néant à l'existence, et c'est Vous qui nous donnez tout.

Observe comme règle dans la prière qu'il vaut mieux dire cinq mots qui partent du coeur que d'en dire une infinité qui ne seraient profèrés que des lèvres. Si tu remarques que ton coeur est froid, que tu n'es pas disposé à prier, arrête-toi; dispose ton coeur à prier par une pensée touchante quelconque, par exemple par la pensée de ton iniquité, de ta pauvreté spirituelle, de la misère et de la pauvreté de ton âme, ou en pensant aux immenses et incessants bienfaits dont Dieu te comble et qu'il prodigue à tout le genre humain, mais surtout aux chrétiens : Commence alors ta prière sans te hâter et avec un sentiment sincère. Si tu n'arrives pas à réciter toutes tes prières en un temps donné, ne t'en désole pas, car une seule prière dite lentement et avec ferveur est infiniment plus utile que si tu récitais toutes tes prières, mais vite et sans attention. J'aimerais mieux ne dire dans l'église que cinq paroles dont j'aurais l'intelligence que d'en prononcer dix mille inconnues. (1 Cor 14,19). Sans doute, il serait bon si nous pouvions en priant prononcer dix mille paroles avec ferveur. Le Seigneur tient compte aussi des heures de labeur qui lui sont consacrées et de l'intensité du labeur; il les pèse, et c'est selon la quantité de paroles sincères dites dans notre prière qu'il nous envoie la quantité de lumière et de chaleur spirituelle de paix et de joie que notre âme demande. C'est bien si l'on peut prier longtemps et souvent; mais tous n'entendent pas, mais ceux à qui il est donné; que celui qui peut entendre entende. (Mt 19,12). Ceux qui ne peuvent pas faire une longue prière feront mieux de prier moins longtemps, mais avec toute l'ardeur de leur âme.

Te voilà à ta prière. Tu pries avec recueillement et ferveur, tu ressens intérieurement quelque chose qui te dit que le Seigneur t'entend et t'accueille favorablement. Tes pensées abondent de paix, ton coeur est tranquille et joyeux. Subitement, vers la fin de ta prière, tu faiblis, la paix disparaît, ton coeur se refroidit, ta pensée sommeille, et tu te sens sous le poids d'un énorme fardeau qui oppresse ton coeur. Tu éprouves une peine énorme, une sorte de répulsion même pour la prière, au lieu de la facilité et de la disposition que tu avais pour elle auparavant. Ne te laisse pas abattre; par ce changement mon ami, ce sont les embûches de l'ennemi, qui aime à se jouer de nous, surtout lorsque nous sommes sur le point de terminer nos pieuses occupations. Il veut nous faire tomber dans le découragement et nous faire croire que toute notre persévérance à poursuivre notre sainte oeuvre n'a abouti à rien. Apprends par là à ne pas laisser faiblir ton esprit, ne fût-ce que pour un instant pendant la prière; apprends à prier en esprit et en vérité, sans défaillir, sans te permettre aucune supercherie envers le Seigneur, c'est-à-dire à ne pas prononcer un seul mot dissimule ou hypocrite, mais à faire en sorte que toute ta prière ne soit que l'expression de la vérité, l'interprète du saint Esprit, et qu'aucune de tes paroles ne serve au mensonge de l'ennemi et ne devienne l'organe du démon. Si ce malheur t'arrivait, tu sentirais comme un feu infernal brûler ton coeur. Oh ! alors prie sincèrement le Seigneur de t'en délivrer et reconnais devant Lui du fond de ton coeur ta faute, c'est-à-dire ton hypocrisie durant la prière. Tu verras que le soulagement et la paix ne tarderont pas à se produire en toi. Ne te presse pas, dis tout et fais tout tranquillement; tu en auras le temps. C'est l'ennemi qui presse et qui trouble, car la précipitation est toujours troublante et ne mène à rien de bon.

Si tu veux, dans ta prière, demander quelque grâce à Dieu, prépare-toi d'abord à ressentir une foi ferme et inébranlable, et prends toutes les précautions pour écarter le doute et le manque de foi. Il va de soi que la foi aussi parfaite que possible est la condition sine qua non d'une bonne prière. En effet, sans la foi, il serait insensé de s'attendre à recevoir de Dieu ce que tu Lui demandes. Une telle manière de demander est une véritable offense envers Dieu, car c'est L'offenser que douter de Lui et Il ne prodigue pas ses dons à ceux qui L'injurient. Le Seigneur dit : Tout ce que vous demanderez dans la prière avec foi, vous le recevrez. (Mt 21,22). Ce qui veut dire : si vous demandez sans croire ou avec doute, vous ne recevrez pas. Si vous aviez la foi, dit-il encore, et si vous ne doutiez pas, vous diriez à cette montagne d'aller se jeter dans la mer et la montagne vous obéirait ! (Mt 21, 21.) Cela veut dire que si vous ne croyez pas absolument et si vous donnez au doute le moindre accès dans votre âme, vous ne serez pas en état de faire le prodige. Demandez donc avec foi, sans le moindre nuage de doute, dit l'apôtre Jacques. Que celui qui doute ne s'attende pas a recevoir quelque chose du Seigneur. L'homme dont le coeur est partagé est inconstant dans toutes ses voies. Le coeur qui doute que Dieu puisse lui donner ce que nous lui demandons, est puni pour avoir douté par une angoisse douloureuse. N'offense donc pas Dieu, ton Maître suprême, par l'ombre même d'un doute et surtout toi qui as eu personnellement des preuves innombrables de la toute Puissance de Dieu ! Le doute est un blasphème envers Dieu, un audacieux mensonge du coeur ou de l'esprit mauvais que le démon glisse en nous contre l'Esprit de vérité. Crains-le comme un serpent venimeux; mais que dis-je ! non, méprise-le, ne fais pas attention à lui. Rappelle-toi dans ta prière que Dieu attend ta réponse affirmative à cette question qu'il adresse à ton coeur : Crois-tu que je puis le faire ? Et tu dois répondre du fond de ton coeur : Oui, Seigneur, je le crois (cf. Mt 9,28). Tu recevras alors selon ta toi. La réflexion suivante pourra t'aider à dissiper ton doute : Je demande à Dieu

1° un bien non pas imaginaire ou fantastique, mais un bien réel; or, tout ce qui est réel, tout ce qui existe a revu son existence de Dieu, car rien de ce qui a été fait n'a été fait sans Lui. (Jn 1,3.) Ce qui veut dire que rien de ce qui se fait ne se fait sans Lui, mais que tout a reçu son existence de Lui, ou, en d'autres termes, existe d'après sa Volonté et se produit par les forces et les aptitudes dont il a doué ses créatures. Donc, au-dessus de tout ce qui est ou qui se produit, il y a le Seigneur, c'est-à-dire Celui qui est le Maître absolu. En outre, Il appelle ce qui n'est point comme ce qui est. (Rom 4,7). Cela veut dire que si je demandais une chose qui n'existe pas, Il pourrait la créer exprès pour me la donner;

20° Je demande une chose possible; or Dieu peut tout, et ce qui nous paraît même impossible est possible pour Lui. Donc, de ce coté non plus, il n'y a pas d'obstacle, car Dieu peut faire pour moi ce qui me semble impossible. Ce qui fait notre malheur, c'est que notre raison à vue courte veut se mêler de notre foi, et que cette araignée veut saisir la vérité dans le filet de ses théories, de ses déductions et de ses analogies. La foi embrasse du regard et voit instantanément, tandis que la raison arrive à la vérité par des voies détournées...

Un moyen efficace d'être agréable à Dieu, c'est I'avoir, par amour pour Lui, une indifférence complète pour notre corps, par exemple : lorsque pendant notre prière, malgré une paresse et une envie de dormir qui nous prend, nous ne cédons pas et nous obligeons nos lèvres et notre coeur à prier, nous prouvons par là notre indifférence pour notre corps. Cette indifférence dans toute sa grandeur a été le privilège des martyrs et des ascètes.

Tâchez d'arriver à ressentir, mais à ressentir sincèrement, le besoin d'obtenir ce que vous demandez dans votre prière, pénétrez-vous d'une croyance sincère que tout don est un bienfait, que tout don est parfait, qu'il vient de Dieu et non des hommes, non du hasard, non des circonstances, ni de la destinée non plus. Croyez fermement que le Seigneur voit et entend chaque besoin, chaque mouvement de votre coeur et de vos pensées, qu'Il est souverainement clément, puissant et sage, qu'Il peut, sans la moindre difficulté, tout faire pour vous, en un instant, par le seul mouvement de sa Pensée, par son Fils en son Esprit saint, - et vous obtiendrez tout. Car s'il y a beaucoup de choses impossibles aux hommes, il n'en existe pas pour Dieu: tout est possible a Dieu. (Luc 18,27).

Pendant ta prière, sois semblable à un enfant qui balbutie, en te confondant dans un même esprit avec l'esprit de la prière que tu récites. Considère-toi comme un néant. Quant à la prière, envisage-la comme un don sublime de Dieu. Renonce entièrement à tes connaissances naturelles et ne leur obéis pas, car la science enfle, (1 Cor 8,1) fait naître le doute, l'illusion, le blasphème. Si pendant ou en dehors de la prière l'ennemi remplit ton âme de blasphèmes ou d'abominations quelconques, ne te laisse pas abattre, mais dis avec fermeté en toi-même : c'est pour nous purifier de ces mêmes péchés ou d'autres péchés semblables que notre Seigneur Jésus Christ est venu sur la terre; c'est pour nous secourir dans ces mêmes faiblesses ou d'autres faiblesses pareilles que le très miséricordieux Sauveur est venu. Et dès que tu auras prononce avec foi ces paroles, ton coeur deviendra tranquille à l'instant, car le Seigneur aura purifié ton coeur. En général, il ne faut jamais se décourager à cause d'un péché quelconque... mais il faut placer son espérance dans notre Sauveur. Ô Bonté sans borne du Coeur divin ! ô fonction sublime de l'Homme-Dieu au service de l'homme pécheur ! et cette fonction, ce service, notre Seigneur les continue jusqu'aujourd'hui, et avec quel amour Il les remplit en nous purifiant, en nous sauvant ! Que la puissance de l'ennemi soit donc confondue !

 

§ 3. - DES OBSTACLES À LA PRIÈRE

 

Il nous arrive quelquefois, à l'église ou chez nous de ressentir pendant la prière une si grande faiblesse d'esprit et de corps que notre âme devient impuissante, froide et stérile, à l'instar d'un temple païen. Mais dès que nous faisons un effort pour prier Dieu sincèrement, dès que nos pensées et notre coeur se tournent vers Lui avec une foi ardente, notre âme se ranime, se réchauffe et redevient féconde à l'instant. Oh ! alors, quelle tranquillité subite, quelle légèreté, quel attendrissement, quel feu sacré intérieur, quelles chaudes larmes de repentir, quel sincère regret d'avoir offensé notre Seigneur très clément, quelle lumière dans le coeur et dans l'intelligence, quel torrent abondant d'eau vive surgit dans notre coeur et coule librement de notre bouche ou de notre plume ! Le désert de l'âme se revêt de fleurs pareilles au lis avec la venue du Seigneur dans le coeur. Ah ! pourquoi n'élevons-nous pas plus souvent nos coeurs vers le Seigneur ! Que de paix et de consolation Il nous réserve toujours ! Qu'ils sont grands, les biens que vous avez réservés à ceux qui vous craignent ! (Ps 30,20).

L'homme, même pendant la prière, n'est pas entièrement libre et dégagé des soucis et des soins vulgaires de ce monde. Tous les hommes en sont là, tous et même le prêtre. Y en a-t-il beaucoup qui prient avec un coeur libre, tout à Dieu, avec une foi ardente et avec amour ?

Souvent, au cours de notre prière, nous avons des moments ou l'obscurité et l'angoisse pèsent sur notre âme. Ces moments proviennent de l'incrédulité mère des ténèbres. Ne te décourage pas en de pareils moments, mais rappelle-toi que si la lumière divine s'est éteinte pour toi, elle brille de tout son éclat et de toute sa splendeur dans Dieu, dans son Église céleste et terrestre et dans tout l'univers matériel où nous vivons, où éclate son éternelle Puissance et sa Divinité. (Rom. 1,20). Ne pense pas que la vérité ait perdu sa force; cela ne saurait arriver, puisque la vérité, c'est Dieu même. Tout ce qui existe en Dieu, a son fondement et sa raison d'être; seul, ton coeur faible, coupable et enténébré, défaille en face de la vérité dont il ne peut soutenir l'éclat et la pureté à cause de ses péchés qui l'obscurcissent et l'empêchent d'en refléter les rayons. Telle est la première cause de l'obscurité de l'âme. Pour en trouver la preuve, tu n'as qu'à regarder en toi-même. Quand la lumière divine réside dans ton coeur, il est paisible, ferme, fort, vigoureux; mais dès qu'elle s'éteint, ton coeur devient trouble et faible comme un roseau secoué par le vent; alors il est, pour ainsi dire, privé de vie. N'attache pas d'importance à ces ténèbres qui sont l'oeuvre de Satan. Fais le signe de la croix et elles seront dissipées !

Ne néglige pas la prière, si même tu avais passé toute la journée à travailler. Ne pense pas à la fatigue une fois que tu as commencé à prier; dis avec ferveur au Seigneur tout ce que tu veux Lui demander, et considère ta prière comme une oeuvre obligatoire prescrite par Dieu. Il y a un proverbe russe qui dit : "La besogne une fois entamée, ne dis pas que tu n'en peux plus." L'Évangile exprime la même idée en disant : celui qui met la main à la charrue ne doit pas regarder derrière soi. (cf. Luc 9,62). S'il t'arrive le soir de faire ta prière d'un coeur distrait, si tu n'y mets pas toute la force de ton âme, il t'arrivera souvent de ne pas pouvoir t'endormir jusqu'à ce que tu aies, à force de larmes, expie ta faute devant le Seigneur. Sans doute ces scrupules n'arrivent pas au plus grand nombre, mais ils sont fréquents chez ceux qui ont acquis un certain degré de perfection dans la vie spirituelle. Garde-toi donc bien de mettre ta chair au-dessus de Dieu, et méprise, pour Le servir, le repos même de ton corps . Quel que soit le nombre de prières que tu te proposes de réciter, dis-les consciencieusement et en entier, sans laisser ton attention et ton coeur se partager de sorte qu'une partie se porte vers Dieu et l'autre vers les convoitises de la chair. La Justice du Seigneur ne souffrira pas ta malice; elle te livrera au démon, et le démon ne laissera pas ton coeur tranquille pour avoir dédaigné Celui qui est la véritable paix de ton coeur et qui Le sera toujours pour ton propre bien. Ton coeur ne doit jamais s'éloigner de Dieu dans la prière, car toute prière qui n'est pas sincère, éloigne notre coeur de Dieu et excite son Courroux. Au contraire, une prière sincère rapproche notre coeur de Dieu et nous met au nombre de ses fidèles enfants. Crois à ces paroles et sois bien sûr que si tu fais ta prière à la hâte pour laisser plus vite ton corps goûter les douceurs du repos, tu perdras à la fois et le repos du corps et celui de l'âme. Ah ! qu'il nous en coûte de fatigues, de sueur et de larmes pour que notre coeur se rapproche de Dieu ! Eh bien ! après avoir fait tant d'efforts, permettrons-nous à un moment d'oubli de nous replonger dans un état où la prière ne nous servirait qu'à nous éloigner de Dieu ? oh ! non; le Seigneur aura pitié de nous et des efforts que nous faisons pour obtenir sa pitié. C'est pourquoi Il veut que nous revenions à Lui de tout notre coeur et que nous ne L'abandonnions jamais.

 

§ 4. DE L'ACTION DE GRACES

 

Notre âme est involontairement portée à glorifier Dieu quand nous contemplons le ciel étoilé; mais elle y est encore plus portée lorsque nous songeons à tout ce que la Providence divine fait pour l'humanité, lorsque nous nous rappelons l'amour infini de Dieu pour les hommes, les moyens dont Dieu use pour leur faire obtenir la félicité éternelle, au point qu'Il n'a pas épargné son Fils unique pour nous sauver et nous mériter le royaume des cieux. Il est impossible de ne pas glorifier Dieu, si nous songeons que dès l'origine du monde nous sommes prédestinés à la félicité éternelle, et cela vraiment sans que nous la méritions; si nous reconnaissons que pendant toute notre vie nous recevons de Dieu la grâce pour travailler à notre salut, si nous pensons quel nombre infini de péchés nous sont pardonnés et cela - non une fois ou deux fois, mais continuellement, quelle abondance de dons naturels nous sont accordés, depuis la santé du corps jusqu'au souffle de l'air et jusqu'à la goutte d'eau qui tombe du ciel. Nous sommes involontairement portés à glorifier Dieu lorsque d'un oeil stupéfait nous contemplons la variété infinie de la création sur la terre dans le règne animal, dans le règne végétal et dans le règne minéral. Quelle sage organisation existe partout, dans les êtres les plus grands comme dans les plus petits ! Une glorification involontaire s'échappe du coeur et l'on s'écrie : ô Dieu, que vos oeuvres sont magnifiques; Vous avez tout accompli dans votre Sagesse. (Ps 103,24.) Gloire vous soit rendue, ô Seigneur, qui avez tout créé !

Seigneur ! que puis-je vous donner, comment puis-je vous remercier pour les faveurs immenses et incessantes dont vous me comblez, moi et tous mes semblables ? À tout moment je me sens anime par l'action de votre saint Esprit, je respire à tout moment l'air que vous avez crée, cet air qui est doux, agréable, sain et fortifiant; je m'éclaire de votre lumière spirituelle pleine de joie et de vie, ainsi que de la lumière matérielle qui est aussi votre création. Je jouis par la communion de la très douce et vivifiante nourriture du Corps et du Sang du Sauveur, et je me sustente en outre d'aliments matériels. Vous me revêtez d'un splendide vêtement royal, c'est-à-dire de vous-même, selon ces paroles : Vous tous qui avez été baptisés en Jésus Christ, vous êtes revêtus de Jésus Christ. (Gal 3,27). Vous me donnez aussi mon vêtement matériel. Vous purifiez mes péchés, vous me guérissez et me délivrez de mes nombreuses et violentes passions, vous faites disparaître ma corruption spirituelle par la puissance de votre Bonté sans borne, de votre sagesse et de votre force, vous pénétrez mon coeur de votre saint Esprit,- Esprit de sainteté et de grâce, - vous remplissez mon âme de vérité, de paix, de joie, d'espoir, de force, de courage, de hardiesse, de résistance, et vous rendez mon corps robuste et bien portant. Vous instruisez mon bras à la guerre et mes mains au combat (Ps 144,1), à ce combat éternel contre les ennemis invisibles de mon salut et de ma félicite, avec les ennemis de la sainteté et de la puissance de votre Gloire, avec les esprits abjects du mal et vous couronnez de succès toutes les oeuvres que j'entreprends en votre Nom... - Pour tant de faveurs je vous rends grâces, je glorifie et bénis votre très clémente, très grande et paternelle Puissance, ô mon Dieu, ô mon Sauveur et Bienfaiteur ! Que les autres le conçoivent aussi comme moi-même je le conçois. Ô sublime amour de l'humanité ! Qu'ils apprennent à vous connaître vous le Père de tous les hommes; qu'ils comprennent votre Bonté, votre e, votre Sagesse et votre Force et qu'ils vous rendent gloire avec le Père et le saint Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.