SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR

Nous célébrons, bien-aimés, cette fête tant désirée, que l'univers entier voit toujours venir avec joie, la fête de la Passion du Seigneur. Dans les transports de notre allégresse, il ne nous est pas permis de garder le silence, et quoiqu'il soit difficile de parler souvent et d'une manière convenable de la même solennité, il est du devoir d'un pontife, dans cette grande circonstance, de faire entendre à son peuple les accents de sa voix paternelle. Cet admirable sacrement de la Miséricorde divine est un sujet intarissable, et on ne saurait jamais l'épuiser, parce qu'on ne saurait jamais en dire assez. Que notre faiblesse succombe donc sous le poids de la Gloire du Seigneur, et que les paroles nous manquent pour expliquer les oeuvres de sa Miséricorde. Que notre intelligence soit trop faible, notre esprit trop borné, notre éloquence insuffisante, il est avantageux pour nous de ne pouvoir comprendre dans toute sa grandeur la majesté de Dieu. Le Prophète a dit  : " Cherchez le Seigneur et Il vous fortifiera, cherchez continuellement sa Face " (Ps 104,4), car personne ne doit avoir la présomption de croire qu'il a parfaitement approfondi ce qu'il tâche de connaître, de peur qu'il ne cesse d'approcher de la vérité en cessant de la chercher. Mais entre tous les actes de la divinité qui sont l'objet de notre admiration, en est-il un qui soit plus au-dessus des forces de notre intelligence que le mystère de la Passion et qui mérite davantage nos réflexions  ? Toutes les fois que nous pensons, selon notre faiblesse, à la Puissance de Jésus Christ, qui est égale à celle de son Père, puisque son essence est la même, son Humilité nous paraît bien plus admirable que sa Toute-Puissance elle-même, et il est bien plus difficile de comprendre l'abaissement de la Majesté divine, que l'élévation de la Nature humaine. Mais ce qui nous facilite l'intelligence de ce mystère, c'est que, bien que le Créateur soit bien différent de la créature, et la Divinité impassible de la chair soumise à la souffrance, cependant les propriétés des deux natures sont réunies en une seule Personne, et les faiblesses et la toute-puissance, les humiliations et la gloire sont le propre de cette personne.

Telle est, bien-aimés, la règle de notre foi que nous avons tirée du Symbole et qui est fondée sur l'autorité de l'institution apostolique  : nous confessons que notre Seigneur Jésus Christ, Fils unique de Dieu, le Père tout-puissant, est né de la vierge Marie et du saint Esprit ; et nous n'avons point de sentiments contraires à sa Majesté, lorsque nous disons qu'Il a été crucifié, qu'Il est mort sur la croix et qu'Il est ressuscité le troisième jour. L'humanité et la divinité, unies ensemble, ont agi toutes deux d'une manière propre à leur nature ; le passible est joint à l'impassible, sans que la faiblesse de l'une fasse tort à la puissance de l'autre, et sans que cette même faiblesse de la nature humaine soit indigne de la Majesté divine. C'est avec justice que saint Pierre a été loué d'avoir compris et confessé cette unité  : lorsque le Sauveur du monde demanda ce que les disciples pensent de sa Personne, il répondit aussitôt sans hésiter  : " Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant " (Mt 16,16). Ce n'est point la chair et le sang qui lui ont révélé cette vérité ; au contraire, ils ne pouvaient que mettre obstacle aux connaissances intérieures ; c'est l'Esprit de Dieu qui agissait dans le coeur de saint Pierre,É pour qu'il apprenne d'abord ce qu'il devra enseigner et qu'il entende, pour la confirmation de la foi qu'il devra prêcher  : " Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle " (Mt 16,18). La foi chrétienne qui est fondée sur une pierre inébranlable et qui ne redoute point les portes de la mort, confesse dans sa puissance que Jésus Christ est vrai Dieu et vrai homme ; qu'Il est fils de la vierge Marie et qu'Il est le Créateur de sa mère ; que Lui, Maître du temps, est né dans le temps, que Lui, le Seigneur de toutes les Vertus célestes, est cependant de la race des mortels et que Lui-même ignorant le péché, a été immolé pour les pécheurs dans une chair semblable à celle du péché.

Pour briser les fers du genre humain, qui était esclave depuis sa prévarication fatale, Jésus Christ a caché sa Puissance et sa Majesté au démon, et ne S'est présenté à lui qu'avec nos faiblesses et nos imperfections. Si cet ennemi cruel et superbe eût pu pénétrer la Sagesse de la divine Miséricorde, il se serait plutôt appliqué à adoucir et à calmer l'esprit des Juifs, qu'à leur inspirer une haine injuste, de crainte de perdre ses nombreux esclaves en voulant attaquer la liberté de Celui qui ne lui devait rien. Sa propre ruse l'a trompé  : il a fait condamner le Fils de Dieu au supplice qui a régénéré tous les enfants des hommes ; il a versé le sang innocent, qui a été le prix de la réconciliation du monde et qui a servi de breuvage salutaire à l'humanité. Le Sauveur a souffert le genre de mort qu'Il avait choisi Lui-même. Il a permis que des hommes furieux portassent sur Lui leurs mains impies et concourussent ainsi par leur crime même à l'accomplissement de ses projets. Et sa Bonté pour ses bourreaux fut si grande, que du haut de la croix Il priait son Père de ne point Le venger et de leur pardonner sa mort. Il disait  : " Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font " (Lc 23,34). L'efÞcacité de cette prière fut telle qu'un seul sermon de saint Pierre convertit à la pénitence un grand nombre de ces mêmes hommes qui venaient de crier  : " Que son Sang retombe sur nous et sur nos enfants  ! " (Mt 27,25), et on baptisa dans un seul jour près de trois mille Juifs (Ac 2,41), et ils n'avaient tous qu'un même coeur et qu'une même âme (Ac 4,32) ; ils étaient tous prêts à mourir pour Celui dont ils avaient demandé le supplice à grands cris. Le traître Judas ne put participer à cette grâce, parce qu'il était le fils de la perdition et que le démon s'était emparé de lui ; il s'abandonna à son désespoir avant que le Sauveur eût accompli le sacrement de la rédemption de tous les hommes. Comme le Seigneur est mort pour tous les impies, Il aurait peut-être trouvé remède à ses crimes s'il ne s'était hâté à s'étrangler lui-même. Ce coeur rempli de fiel, adonné au vol et au mensonge et rempli de l'idée de son parricide, n'avait jamais réfléchi aux maximes de son Maître ni à la Grâce dont Il parlait si souvent ; il ne se souvenait plus de ces paroles du Sauveur  : " Car Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs " (Mt 9,13), et " le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu " (Lc 19,10). Judas ne s'était point fait une idée véritable de la Clémence de Jésus Christ, qui, non content de guérir les infirmités du corps, cicatrisait aussi les blessures des âmes faibles, comme on peut le voir par les paroles qu'Il adressa au paralytique  : " Prends courage, mon enfant, tes péchés te sont pardonnés " (Mt 9,2), ou par ce qu'Il dit à la femme adultère qu'on Lui amena  : " Je ne te condamne pas non plus  : va, et ne pèche plus " (Jn 8,11). Jésus Christ prouvait par toutes ses actions qu'Il était venu sur la terre pour être le Sauveur du monde et non son Juge. Le traître Judas ne comprit point ces vérités ; il porta sur lui-même ses mains criminelles, et ce ne fut point par un sentiment de repentir, mais avec la fureur d'un homme qui veut mourir  : après avoir vendu l'Auteur de la vie à ses meurtriers, il mit le comble à sa damnation en terminant sa vie par un crime.

Ce que les faux témoins, ce que les cruels princes du peuple, ce que les prêtres impies de Jérusalem ont osé faire contre la Personne de Jésus Christ, grâce à la lâcheté du juge et avec le secours d'une populace ignorante, doit être détesté dans tous les siècles et pourtant il fallait qu'il en fût ainsi. Autant le supplice de Jésus Christ était cruel dans l'esprit des Juifs, autant il est admirable par la vertu du Crucifié. Le peuple déploie sa fureur contre un seul Homme, et Jésus Christ a compassion de tous les hommes. Il permet à la cruauté de Le faire souffrir, et cette licence du crime sert à l'accomplissement de la Volonté éternelle. Ainsi, les Þdèles doivent considérer les choses qui se sont passées à la mort du Fils de Dieu et que l'Évangile nous a apprises, non seulement comme des mystères opérés pour la rédemption des pécheurs, mais encore comme des exemples de justice qui nous sont proposés. Pour examiner cette proposition avec soin, nous la développerons mercredi  : j'espère que nous serons secondé par la Grâce de Dieu et que nous pourrons nous acquitter de nos promesses par le secours de vos prières et par la protection de notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne avec le Père et le saint Esprit dans les siècles des siècles. Amen.