LIVRE QUATRIÈME

Sixième section : sens littéral

1. Les faits et gestes des saints du passé sont souvent une consolation pour les élus qui les suivent. En effet, selon un admirable dessein de la divine Providence, ils se sont élevés très haut par leur conduite sublime, de sorte que, dans cette acropole, ils agissaient vaillamment pour leur propre compte, tout en procurant une direction droite à leurs sujets; mais parfois, abandonnés à eux-mêmes, ils ont pris des décisions qui, tout en procédant d'une intention droite, n'étaient pas dans le droit fil de la divine volonté, et ainsi leurs défaillances deviennent une force pour les élus qui les suivent. Car même s'ils peuvent se tromper, comme des hommes, en décidant des affaires de la sainte Église, il ne s'ensuit pas que les décisions ecclésiastiques doivent être abandonnées.
2, 1. Voici en effet ce que dit le texte : CEPENDANT IL ADVINT QUE SAMUEL, DEVENU VIEUX, NOMMA SES FILS JUGES D'ISRAËL. LE NOM DE SON FILS AÎNÉ ÉTAIT JOHEL, CELUI DE SON CADET ABIA; ILS ÉTAIENT JUGES À BERSABÉE. ET SES FILS NE MARCHÈRENT PAS DANS SES VOIES.
2. Voilà donc un homme rempli de l’esprit de prophétie, qui n'a pas su que ceux qu’il nommait juges d’Israël devait ensuite dévier par avarice, accepter des cadeaux et pervertir le droit. Quoi d’étonnant, par conséquent, si ceux qui n'ont pas reçu la grâce de prophétie peuvent se tromper en décidant des ordinations, puisque ceux qui ont l'esprit de prophétie n’ont pas cet esprit pour prendre toutes leurs décisions ?
3. Cependant qui peut douter que ce saint homme, s’il avait prévu que ses fils seraient des méchants, ne les aurait pas gratifiés d'honneurs publics ? Ceux qui, en connaissance de cause, donnent de l’avancement à des réprouvés ne peuvent donc pas s’autoriser de cet exemple du prophète, car pareil choix n'est innocent que si ces gens, au temps où ils reçoivent de l’avancement, ne donnent encore aucun signe de leur méchanceté future.
4. Aussi est-ce à propos que ces Juges d'Israël établis par Samuel étaient appelés ses fils au temps de leur investiture, pour donner à entendre qu’ils étaient non seulement issus de lui selon la chair, mais encore ornés de ses splendides qualités morales. Aussi est-ce également à dessein qu'on note leurs noms, pour que ce no qu’ils portent fasse connaître la vertu exemplaire qui résidait alors en eux. «Le nom de l'un dit le texte, était Johel, et celui de l'autre Abia; ils étaient juges à Bersabée.
3, 1. De plus en disant qu’ils sont tombés dans l’avarice après avoir reçu leur dignité, le texte montre clairement qu'avant d’accéder à cette haute dignité, ils ne donnaient encore aucun signe de leur dépravation à venir.
2. Mais voici qu'au moment où nous nous employons à raffermir les pasteurs, nous apercevons les dangers considérables que court aussi le troupeau du Seigneur. Car les fils du prophète, sous une autorité, sont restés debout, mais une fois élevés aux postes de gouvernement, ils sont tombés. Par là, nous apprenons que, même si, quand nous sommes sous la houlette de nos supérieurs, nous faisons avec plaisir d'incessants efforts vers une vie sainte ou goûtons l'assurance que donne une belle conduite, nous ne devons pas cependant désirer avidement de gouverner les autres, mais le craindre grandement.
3. Mais tous les charnels, tant qu'ils sont, n'ont d’yeux que pour les choses visibles, et par suite ils ne réussissent pas à comprendre la conduite spirituelle des saints. Ils voient la haute situation des pasteurs de la sainte Eglise, mais ils sont incapables de saisir la répugnance avec laquelle ces hommes supportent au-dedans d’eux-mêmes le lustre que leur vaut au-dehors le prestige de leur haute situation, le poids écrasant que représente pour eux l’exaltation des honneurs, le véhément désir qu'ils ont de fuir ce ministère qu'ils accomplissent extérieurement.
4. Par le témoignage de l'éminent docteur, nous savons en effet que l'homme animal ne perçoit pas ce qui relève de l'Esprit de Dieu. Par suite, il s'égare d'autant plus follement dans sa recherche des biens charnels qu'il n'a aucunement cette pénétration des choses spirituelles que donne la vertu de discernement.
5. Certains d'entre eux vont même, dans leur folie, jusqu'à oser imprudemment attenter au statut du gouvernement de l'Eglise. D'où la suite du texte : TOUS LES ANCIENS D'ISRAËL SE RASSEMBLÈRENT DONC ET VINRENT LUI DIRE À RAMATHA : TE VOILÀ DEVENU VIEUX, ET TES FILS NE MARCHENT PAS SUR TES TRACES. METS À NOTRE TÊTE UN ROI QUI JUGE PAR-DESSUS NOS TÊTES, COMME EN ONT TOUS LES PEUPLES. En effet, puisqu'ils vivaient sous un régime spirituel, demander un roi ne revient-il pas pour eux à brûler de transformer cette autorité spirituelle en domination séculière ?
6. Mais quand les saints se voient méprisés par leurs inférieurs, ce qui les peine est moins le mépris dont ils sont l'objet que le déplaisir causé à Dieu par ceux qui les méprisent. lIls voient en effet que le mépris d'autrui augmente leur propre gloire intérieure, mais ils gémissent de ce que leurs mérites s'accroissent, aux dépens de leurs inférieurs. Ce qu’ils voudraient, c’est que leurs mérites progressent, mais sans empêcher qu'ils aient avec eux, dans l’éternelle rétribution des mérites, ceux dont ils sont les chefs. C’est pourquoi le texte ajoute : ELLE DÉPLUT AUX YEUX DE SAMUEL, LA PAROLE QU'ILS AVAIENT DITE : DONNE-NOUS UN ROI, ET QU'IL JUGE PAR-DESSUS NOS TÊTES. Ce qui lui déplut, en effet, c'est qu'en parlant ainsi ces gens, il le comprenait, déplaisaient à Dieu.
6, 1. Cependant, puisque le texte ne dit pas simplement : «Cette parole déplut à Samuel,» mais «aux yeux de Samuel,» en ajoutant aussitôt : ET SAMUEL PRIA LE SEIGNEUR, il nous faut examiner cela d'un peu plus près. Parce que les saints craignent beaucoup de déplaire au Dieu tout-puissant, ils se gardent de juger trop vite et commencent par ordonner raisonnablement toutes leurs actions au-dedans, afin de les exécuter irréprochablement au-dehors. Jamais en effet ils ne ratifient la décision de leur jugement, sans l'avoir mise à l'épreuve dans la contemplation de leur raison.
2. Ce sont ces yeux de la raison du prophète que le Seigneur voulait ouvrir quand il disait : «Vois de tes yeux et entends de tes oreilles.» D'où ce qu’il dit à ses disciples dans l’évangile : «Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez.» Les yeux des saints, en effet, sont leurs intelligence raisonnables, et c'est la grâce du saint Esprit qui les ouvre. Voilà pourquoi l'on dit qu’ils sont à Samuel, car tous les charnels, tant qu'ils sont, même s’ils semblent doués de raison du fait de leur sagesse humaine, sont en réalité d'autant plus aveugles et privés de cette lumière de la raison qu'ils voient seulement avec les yeux qui furent ouverts par le serpent.
3. Oui, si ces hommes voyaient la splendeur des vertus spirituelles, ils désiraient aussitôt l'avoir pour en orner leur âme. Si grand est leur noblesse, en effet, qu'il n’est jamais possible à qui la voit de ne pas y aspirer de tout son désir. Aussi les sages de ce monde, qui croient avoir les yeux de la raison, peuvent-ils ici toucher du doigt à quel point leur folie déraisonne, car ne pas s'éprendre de la beauté des saintes vertus, c’est non seulement ne pas voir leur gloire, mais même de ne pas en avoir le moindre soupçon.
4. Les saints, au contraire, déjà illuminés par l’Esprit saint et possédés de l’amour des biens intérieurs, ont les yeux de l'âme d'autant plus perçants pour voir la gloire de la lumière intime qu’ils ne désirent aucun objet qu’enveloppent les ténèbres du monde, et ils peuvent exercer leur discernement en matière charnelle avec d’autant plus de rectitude que, emportés d’une grande distance du charnel, ils sont montés plus haut dans la grâce du saint Esprit.
D'où la sentence prononcée par l'apôtre Paul après expérience de pareille vision; il dit : «Le spirituel juge tout.»
5. C’est donc bien à propos que le texte dit : «Cette parole déplut aux yeux de Samuel», car les hommes spirituels ne méprisent rien avant de l'avoir jugé méprisable au regard spirituel de l’âme. Et parce que la grâce du saint Esprit, qui abonde en eux et les remplit, les rend d’autant moins présomptueux et assurés de leur éminente vertu le texte poursuit : «Et Samuel pria le Seigneur.» Pourquoi le pria-t-il, en effet, sinon pour que le Seigneur daignât lui montrer s’il devrait donner son assentiment à la demande du peuple en effervescence ?
7, 1. C'est pourquoi le texte poursuit: LE SEIGNEUR DIT À SAMUEL : ÉCOUTE LA VOIX DU PEUPLE EN TOUT CE QU’ILS TE DISENT. CE N'EST PAS TOI, EN EFFET, QU'ILS ONT REJETÉ, MAIS MOI, NE VOULANT PAS QUE JE RÈGNE SUR EUX, CONFORMEMENT À TOUTES LEURS OEUVRES, CELLES QU’ILS ONT FAITES DEPUIS LE JOUR OÙ JE LES AI FAIT SORTIR D'EGYPTE JUSQU'A CE JOUR. La parole dite au prophète : «Mets un roi à leur tête», montre clairement qu'il a demandé une révélation à ce sujet, pour savoir s'il devait agir ainsi.
2. Quand à ce que Dieu dit ensuite : «Ce n'est pas toi qu’ils ont rejeté, mais moi, ne voulant pas que je règne sur eux», cela montre visiblement combien elle lui déplaît, cette requête qui, au dire du texte, avait déplu aux yeux de Samuel. Cet accord, de jugement chez les saints provient de la vertu de charité. Aimant le Créateur de toute leur âme et s'efforçant d'obéir à sa volonté avec dévotion, ils reçoivent en récompense, de celui qui rétribue dans les cieux, de ne pas s'écarter dans leurs appréciations de cette volonté de Dieu tout-puissant qu'ils suivent toujours en agissant bien.
3. Il est écrit, en effet : «Celui qui s'attache au Seigneur est avec lui seul esprit.» Celui qui s'attache au Seigneur, c’est celui qui cherche toujours à faire ce que sa volonté commande. Mais il devient avec lui un seul esprit, parce que sa longue fidélité dévouée dans les actes de piété lui vaut d’être admis à une telle grâce de connaissance divine que ses appréciations ne peuvent plus s'écarter, par une erreur que suggère l’esprit du monde, de la justesse de son jugement intérieur.
4. Mais voici des questions auxquelles il est très difficile de répondre : pourquoi le Dieu tout-puissant, tout en se plaignant d’être rejeté par ceux qui demandent un roi, décide-t-il malgré tout de faire ce qui était demandé ? Et si la dignité royale devait être instituée, pourquoi la majesté divine l’a-t-elle permise avec une sorte d’indignation ? Et quand, Dieu décide de choisir celui qu'il destine à la royauté, pourquoi choisit-il un homme qu'il va réprouver ? que répondre à ces questions, sinon ce que l’apôtre Paul répondit à ceux qui osaient scruter l'abîme ineffable des jugements de Dieu : «Ô homme, dit-il, qui es-tu pour répondre à Dieu ?» Mais si nous ne pouvons résoudre ce problème définitivement, nous pouvons y toucher sous forme de recherche.
5. Ne se pourrait-il pas que Dieu se plaigne d’être rejeté quand on lui demande un roi, à cause de la volonté réprouvée du peuple qui fait cette mauvaise demande et que le roi demandé soit concédé à titre de châtiment ? Si c'est avec raison qu'on dit cela, les deux données du texte représentent ensemble la faute et sa punition. En effet, il est convaincu d’avoir présenté une requête injuste, procédant d’une volonté réprouvée, celui dont on déclare que la demande équivaut à rejeter le Créateur. Le péché de mauvaise demande entraîna donc une peine de stricte justice. De fait, c'est un grand châtiment, procédant d'un strict jugement intérieur, qu'une âme réprouvée soit rejetée au point de recevoir la permission de faire le mal qu’elle décide. Convaincus d'avoir rejeté le Seigneur en demandant un roi, la permission qu'il reçoivent d'accomplir l’acte par lequel il rejettent loin d'eux le Seigneur est la peine la plus grave dont ils pouvaient être frappés.
8, 1. Notons ici que le Seigneur fait sien le rejet du prophète. Il ne dit pas simplement, en effet : «Ils m’ont rejeté, ne voulait pas que je règne sur eux», mais : «Ce n’est pas toi qu’ils ont rejeté, mais moi», afin de montrer qu’en la personne du supérieur qu'il a choisi, c'est lui-meme qui dirige ses sujets, et qu'en prenant un chef charnel pour lui confier la direction spirituelle des élus, c’est lui qu'on rejette manifestement, puisqu'on viole ses commandements.
2. On voit donc combien il faut révérer les pasteurs de la sainte Église qui sont vraiment bons. Voici, en effet, qu’en servant Dieu fidèlement, ils s'unissent à lui d'un lien d’amour si étroit que tout ce qu'on fait contre eux offense Dieu. D'où ce qu'il dit dans l'Évangile aux premiers pasteurs de l’Église : «Qui vous méprise, me méprise.»
9, 1. Plus fâcheux encore : on remarque ici qu'en se plaignant du rejet du pasteur, il rappelle tous les péchés commis par les auteurs de ce rejet, et même ceux de leurs pères : «Conformément à toutes leurs oeuvres dit-il, celles qu'ils ont accomplies depuis le jour où je les ai tirés de la terre d'Egypte.» C'est une faute très grave, on le voit, que celle dont l'examen ramène à la mémoire de Dieu tous les péchés passés.
2. Le Seigneur se plaint donc d'être rejeté, et pourtant il permet l’institution qui marque son rejet, car tout en suivant constamment la stricte ligne d'équité qui lui est inhérente, il n'empêche pas, de par sa miséricorde qu’on satisfasse les désirs des charnels. De plus, cette dignité royale, qui a pu être accordée à titre de châtiment, ne devait pas être accordée par la majesté divine avec tranquillité, mais avec une sorte d'indignation. La majesté de Dieu est indignée, disons-nous, non en elle-même, car elle n’est sujette à aucune passion, mais parce que, en examinant les fautes, elle prononce à travers les Écritures des paroles indignées.
3. Autre chose : étant la figure des supérieurs charnels, le roi que Dieu élit n’est pas un élu mais un réprouvé. Ou peut-être Dieu a-t-il élu un roi réprouvé, afin que son successeur élu, le roi David, connut par lui ce dont il devait se garder. Oui, de fait, c'est bien là ce que nous lisons aussi à propos de la cour céleste des anges, puisque l'Écriture dit du premier ange apostat : «Il est le point de départ des voies de Dieu.» Mais celui qui a été créé avant toute chose est tombé par orgueil, et sa chute a enseigné aux saints anges la vertu qui leur permettrait de rester debout.
4. Cela, on le constate pareillement, pour peu qu’on soit capable d'ouvrir les yeux de la foi droite et de regarder : c'est un don de sa grande miséricorde que fait le Dieu tout-puissant, alors même qu'il inflige un châtiment, car en punissant les réprouvés il instruit les saints, de sorte que la défaillance des uns aide les autres à progresser.
10, 1. De fait, sa justice sévère permet que des maux se produisent, mais sa miséricorde tire de ces maux, qu’il inflige par justice, les biens qu'il a l'intention d’accomplir. Quelle faute, en effet est plus grave que celle qui nous vaut à tous de mourir ? Et quelle bonté plus grande que celle qui nous délivre tous de la mort ? Certes, si Adam n’avait péché, il n’eût pas fallu que notre Rédempteur prît notre chair dans le sein de la Vierge. Car il n’est pas venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence. S’il est donc venu pour les pécheurs, absence de péchés rendrait sa venue inutile.
2. Si les péchés pour l'effacement desquels nous croyons qu’il est venu, sont tenus pour permis par la justice de Dieu, alors, puisque le Dieu-Homme devait naître pour les pécheurs, le Dieu tout-puissant avait prévu qu’il tirerait du mal, dont tous devaient mourir, le bien qui vaincrait le mal. Quel croyant ne voit pas l’admirable supériorité de ce grandie ? Certes, grands sont les maux que nous endurons à cause de la faute originelle. mais quel élu ne voudrait en souffrir de pires encore, plutôt que de ne pas avoir un pareil Rédempteur ?
3. Qu'un roi soit donc élu, mais destiné à la réprobation. Qu'il soit élu comme par l'indignation de Dieu, non par la volonté de Dieu. Qu'il soit suivi d'un roi élu selon le coeur de Dieu, afin que son jugement rigoureux fasse venir le mal du châtiment sur les réprouvés, et que la générosité de la grâce divine fasse refluer sur les hommes pieux le bien qu'il allait tirer du mal. Ainsi en permettant à ceux-là de tomber dans le mal qu'ils désirent, Dieu fait en sorte que, par là-même, d'autres ne tombent pas dans le précipice où ceux-là se jettent.
11, 1. Mais puisque ces paroles énoncent le jugement de la rigueur divine, voyons à présent le soin que Dieu prend pour qu'ils ne fassent pas, en prenant de mauvaises décisions, ce qui leur vaudra d'être punis. Le texte poursuit en effet : MAINTENANT, DONC, ENTENDS LEUR VOIX. MAIS PRENDS-LES À TEMOIN ET PREDIS-LEUR LE DROIT DU ROI QUI VA RÈGNER SUR EUX.
2. C'est comme s'il disait, en montrant ouvertement sa clémence : «Entends leurs voix, mais qu'ils entendent d'abord eux-mêmes le droit du roi qu'ils demandent, afin qu'ils en aient peur et que le sentiment de s'être engagés dans une mauvaise entreprise leur fasse l'abandonner,
quand ils comprendront combien pénible est la chose qu'ils demandent.»
12, 1. Suite du texte : SAMUEL RÉPÉTA DONC TOUTES CES PAROLES DU SEIGNEUR. AU PEUPLE QUI LUI AVAIT DEMANDÉ UN ROI, ET IL DIT : VOICI QUEL SERA LE DROIT DU ROI QUI VA VOUS GOUVERNER. IL PRENDRA VOS FILS, LES METTRA SUR DES CHARS, EN FERA SES CAVALIERS ET LES SUIVANTS DE SES QUADRIGES. IL LES UTILISERA COMME TRIBUNS ET CENTURIONS, COMME LABOUREURS DE SES CHAMPS ET MOISSONNEURS DE SES RÉCOLTES COMME FABRICANTS DE SES ARMES ET DE SES CHARS. DE VOS FILLES AUSSI, IL FERA DES PARFUMEUSES, DES CUISINIÈRES ET DES BOULANGERES. VOS CHAMPS AUSSI ET VOS VIGNES ET VOS OLIVERAIES LES MEILLEURES, IL LES PRENDRA ET LES DONNERA À SES ESCLAVES. DE PLUS, IL PERCEVRA LA DÎME DE VOS MOISSONS ET DES REVENUS DE VOS VIGNES, AFIN DE LA DONNER À SES EUNUQUES ET À SES SERVITEURS. VOS ESCLAVES AUSSI ET VOS SERVANTES, L'ÉLITE DE VOS JEUNES GENS ET VOS ÂNES, IL LES PRENDRA ET LES EMPLOIERA À SES PROPRES TRAVAUX. VOS TROUPEAUX, ÉGALEMENT, IL EN PERCEVRA LA DIME, ET VOUS SEREZ SES ESCLAVES.
2. Quand on demande à des charnels de se soumettre tout ce qu'on leur commande leur pèse, même si ce n’est pas difficile, car gonflés d'un orgueil qui leur fait suivre ce que décide leur volonté propre, tout ce qui s'oppose à leur décision leur paraît pesant à l'extrême. Mais quand les ordres qu’on leur donne sont durs et contrariants de quel poids leur semble alors le fardeau, et comme leur coeur se gonfle, eux qui pourraient à peine supporter, dans leur mauvaise volonté, des ordres anodins et donnés gentiment, qu’ils supporteraient très facilement avec un peu de bonne volonté.
3. Voyons donc la réponse si pertinente que fait à la sotte audace de l'homme la sage providence du Créateur. Aux contempteurs des droits de Dieu on expose les droits des hommes, et à ceux avaient méprisé les conseils doux et salutaires de la divinité, on prédit les fardeaux durs et insupportables de l'esclavage humain, afin qu'ils fassent leurs comptes et constatent à quel point sont intolérables les ordres d'un homme pour ceux qui n'ont pas voulu obéir aux conseils de Dieu, alors qu’il les avertissait, plutôt qu'il ne leur ordonnait, de ne pas faire cette demande.
13, 1. Mais les coeurs des charnels sont pleins d’une témérité faite d'audace grandissante, pleins d'une dureté faite de raison simulée. La témérité les pousse à décider facilement ce qu'ils vont faire, mais faute de comprendre le mal qu'ils ont l'intention d'accomplir, ils ne peuvent être aidés par les conseils de ceux qui sont meilleurs qu’eux. C'est pourquoi le texte ajoute aussi à cet endroit : LE PEUPLE NE VOULUT PAS ENTENDRE LA VOIX DE SAMUEL, MAIS ILS DIRENT : NON, NOUS AURONS UN ROI AU-DESSUS DE NOUS, ET NOUS SERONS NOUS AUSSI COMME TOUTES LES NATIONS. NOTRE ROI NOUS JUGERA. IL MARCHERA DEVANT NOUS ET MÈNERA NOS LUTTES À NOTRE AVANTAGE.
2. Ce fut une grande témérité de demander un roi contre la volonté de Dieu; ce fut une grande dureté de ne pouvoir céder aux conseils du prophète. Ce fut une grande témérité d'exposer leurs raisons à celui qui, par révélation du Seigneur, savait d'avance, ils le savaient bien, tout ce qu'il allait faire; ce fut une grande dureté de ne pas se ranger à l'avis d'un homme qui commandait seulement, ils ne l'ignoraient pas, ce qu’une révélation du Seigneur lui avait enseigné.
3. Qu'est-ce, en effet, que cette réponse qu'ils lui font : «Non, nous aurons un roi au-dessus de nous, et nous serons aussi comme toutes les nations ?» Mais dire «non», c'est évidemment refuser ce qu'on entend. Ce mot montre clairement que le prophète leur a présenté le droit si pesant du roi, afin qu'ils ne le demandent pas. Cependant ils entendent le droit du roi et rejettent avec indignation le dessein dans lequel il leur est présenté. Ainsi se trouve indiqué le cheminement du coeur des réprouvés : leur mauvaise intention a pour aboutissement l’impuissance de la volonté à se convertir.
14, 1. Mais nous blâmons le vieux temps sans nous soucier de voir le nôtre. Celui-ci est d'autant plus relâché dans sa tiédeur et sa négligence coupables qu'il se fait plus vieux à mesure que le monde avance en âge. Aujourd’hui, en effet, nous prenons des décisions mauvaises avec d'autant plus d'audace que la vigueur de la condition humaine s'est perdue avec la vigoureuse jeunesse du siècle, et nous revenons d'autant plus difficilement sur nos mauvaises décisions que, le ressort de l'esprit se détendant, notre âme devient charnelle. Telle est en effet la loi de la décadence humaine : à l'affaiblissement de la vertu spirituelle répond le renforcement de la vie charnelle.
2. Tout cela, selon le mot de l'éminent docteur leur arrivait en figure et a été écrit pour nous. A présent, nous connaissons clairement les jugements de l’indignation divine qui ont suivi l’audace de ces Israélites, et pourtant nous ne craignons pas de décider d'agir contre la volonté de Dieu, contre le conseil des chefs de la sainte Église. De plus, quand on blâme nos mauvaises décisions, nous résistons et nous essayons de vaincre les conseils salutaires des supérieurs par une insurmontable obstination dans le mal.
3. Nous voyons quel surcroît de méchanceté constitue le fait d’avoir sous les yeux des hommes qui se perdent, et de ne pas craindre de marcher sur leurs traces vers la perdition, de voir des gens tomber dans les filets de la peine de mort et de ne pas redouter d'être enveloppés dans ces mêmes filets. Contre la volonté du Seigneur ils demandèrent un roi, mais ensuite la dignité royale fit que le peuple qui avait rejeté Dieu honora les idoles et adora des statues. Nous voyons donc quel respect est dû aux conseils des supérieurs, si nous prenons la peine de considérer que ceux qui ont osé les mépriser n'avaient pas prévu que leur action pourrait les faire sombrer dans un insondable abîme d'erreur.
4. C’est donc à bon droit que le Seigneur se plaint d’être rejeté dans cette demande d'un roi, c'est à bon droit qu’il accorde la dignité royale tout en s'indignant. Si grande était en effet l’iniquité des solliciteurs que, faisant une demande qui revenait à s'éloigner de Dieu, ils pouvaient en recevoir la permission du jugement divin, mais ne pouvaient en être empêchés.

Sens spirituel (négatif).

15, 1. Maintenant que nous avons donné ces explications au plan littéral, voyons aussi ce que signifie spirituellement la teneur de ce droit du roi.
2. On rejette Samuel et on demande un roi, quand la multitude réprouvée du peuple méprise son pasteur spirituel et cherche à se faire donner un chef charnel. Souvent la stricte justice de Dieu agit avec eux de telle sorte que par le fait même qu’ils méprisent l'élu qui leur prêche, Dieu permet qu’ils soient soumis à un réprouvé, et qu'en l’imitant ils périssent d'autant plus misérablement qu’ils avaient méprisé avec p!us d'orgueil et d'audace ce qui pouvait leur donner la vie pour toujours.
3. Quand donc, on prédit le droit du roi, on fait voir dans la conduite d’un seul prélat charnel ce que tous les autres hiérarques charnels vont faire en leur gouvernement tyrannique, et non ce que les élus doivent imiter. On lit en effet dans la même histoire des Rois que, quand le roi Achab s'empara de la vigne de Naboth, il encourut la colère du Dieu tout-puissant. Or ici, en prédisant le droit du roi, on dit qu'il prendra les champs, les vignes et les oliveraies les meilleures. Si donc on prédit ici la faute qui a été, selon l'autre passage, commise et punie, c'est que le jugement divin fait ici une prédiction, sans donner des ordres.
4. C'est pourquoi David, le roi élu, lorsqu'il demandait l'aire d'Ornan le Jébuséen pour y bâtir un autel au Seigneur, ne voulut pas user de ce droit royal des tyrans et refusa absolument de la prendre avant d'avoir payé pour elle un juste prix.
16, 1. Par suite, puisque les différents points de la prédiction du droit royal sont à éviter, non à imiter, il faut les considérer de façon détaillée, d'autant qu'il est impossible de les éviter si on les ignore. Samuel dit donc : «ll prendra vos fils et les mettra sur ses chars.»
2. Les fils des élus sont ceux qui imitent leurs vertus. Quant aux chars des hiérarques charnels, ce sont les fastes des hautes situations de ce monde. Car, en se glorifiant d’être au-dessus des autres, ils font comme s'ils se déplaçaient sur des chars et avançaient en dominant de haut. On met donc sur des chars les fils des fidèles, quand ils suivent les pasteurs réprouvés en désirant la gloire du monde, quand ils délaissent l'ascèse spirituelle pour rechercher les plaisirs de la vie charnelle et, descendant de leur sublime attention aux choses célestes, s'efforcent d'obtenir les hautes situations d'ici-bas.
3. Aussi, c'est fort à propos qu'on dit des fils des Israélites qu'ils seront mis, non sur un char, mais sur des chars, car tout ce qui donne du prestige à l'élévation des hiérarques charnels fait grandir leur orgueil, et ils grimpent en quelque sorte sur autant de chars haut perchés qu’ils voient de grandeurs qui leur donnent l'impression d’être supérieurs aux autres.
4. Le roi met donc sur ses chars les fils des gens de bien, quand le recteur charnel des élus les entraîne, par l'exemple de sa dépravation, à l'imiter dans son orgueil vicieux, en leur faisant dédaigner les biens célestes, désirer ceux de la terre et mettre toute leur joie à être au-dessus des autres dans le roulement des hautes situations temporelles.
17. Et parce qu'ils traitent leurs inférieurs non seulement avec hauteur, mais encore avec férocité, le texte poursuit : «Et il fera d'eux ses cavaliers.» De fait, ils sévissent en quelque sorte sur des chevaux, ceux qui sont à la fois haut placés par leur dignité et violents par leur puissance. Cavaliers, ils le deviennent aussi parce qu’ils dirigent les mouvements féroces de leurs coeurs contre des impuissants et sont prompts à exécuter tyranniquement tout ce qu'ils désirent. lis soufflent impétueusement, une écume rageuse à la bouche, et renversent ceux sur lesquels ils se jettent au galop de leur tyrannie.
18, 1. Mais tandis que certains pasteurs réprouvés se font les émules des grands de ce monde, et que d’autres jettent à terre par leur exemple ceux qu'ils peuvent terrasser, il en est aussi qui font intervenir de plus méchants qu'eux pour accomplir le mal qu'ils ne peuvent infliger par eux-mêmes aux gens de bien. D'où la suite du texte : «Et des coureurs qui précèdent ses quadriges.»
2. Quels sont en effet les quadriges du roi, sinon les âmes perverses de subordonnés mauvais, sur les conseils desquels le prélat réprouvé se repose ? Ce sont en effet des quadriges qui portent les rois, car ils soutiennent par leurs conseils iniques l’action des recteurs réprouvés. En eux, de fait, le roi se déplace comme sur une plate-forme élevée, car c’est par le moyen de ceux qui favorisent leur quête d'honneurs temporels que les dignitaires charnels accomplissent tous les désirs d'élévation séculière qu’ils roulent dans leur tête; ce nom de quadrige les représente exactement : comme le quadrige s'arrête et roule sur les mêmes roues, ainsi l'âme réprouvée a pour fin de ses efforts le roulement du siècle. Son repos, elle le trouve dans les innombrables soucis que lui donnent les affaires d'un monde en rotation, qu'elle ne cesse de remuer. Ils sont donc les quadriges des rois, parce qu'ils se font les porteurs des ordres des dignitaires charnels en tous les desseins l'élévation que ceux-ci roulent dans leur esprit.
3. Mais ceux qui prennent place parmi les familiers des hiérarques charnels ont eux-mêmes des inférieurs auxquels ils commandent. Ils sont donc eux-mêmes comme des quadriges du roi, et les autres comme des coureurs qui précèdent leurs quadriges, car de même qu'ils poussent le dignitaire charnel à opprimer les humbles de même ils sont conduits à maltraiter tous ceux qu'ils peuvent par d’autres qu'ils ont à leur service. De fait, il est une sorte de coureur qui précède les quadriges, celui dont l'astuce méchante médite les ruses par lesquelles il induira l'autre à faire du tort à des gens inoffensifs. Si cependant, avec beaucoup de manuscrits, nous lisons non pas «les coureurs qui précèdent», mais «les suivants» des, quadriges, il s'agit évidemment de ceux qui imitent les réprouvés courant au mal.
4. L'usage veut aussi qu'on attelle un quadrige pour honorer les rois. Le roi s'installe donc en quelque sorte sur un quadrige, lorsqu'un recteur charnel se glorifie des flatteries des grands qui l'entourent. Quant à celui qui les précède ou les suit en les louant, il court devant ou derrière les quadriges, car ceux-ci profèrent, par derrière ou par devant, les flatteries que ceux-là répandent dans les oreilles du peuple en précédant ou en suivant.
19, 1. Suite du texte : «Et il les utilisera comme tribuns et centurions.» Ils deviennent tribuns et centurions, quand ils en viennent à un tel degré de malice qu'ils se mettent à la tête des satellites impies qui exécutent les ordres du tyran; quand ils disposent en ordre de bataille les forces mondaines qu'ils mènent à faire la guerre aux innocents.
2. Les tribuns sont ceux qui, par leurs nombreux partisans, cherchent noise aux hommes dont la conduite est droite. Quant aux centurions, ce sont ceux qui n’omettent aucune façon de faire du mal. Ils atteignent en effet à la perfection dans l'iniquité, en s'appliquant continuellement à infliger les multiples et terribles maux dont ils sont capables. Le nom de centurion vient en effet du nombre cent. Et comme le nombre cent symbolise la perfection, celle-ci est atteinte dans le mal, quand les impies parviennent à une méchanceté achevée.
20, 1. Agréables par leur astuce, ils terrifient par leur violence. Ils cajolent certains agréablement, afin de pouvoir, avec leur aide, en terrifier d'autres férocement. Aussi le texte ajoute-t-il fort à propos : «Et les laboureurs de ses champs et les moissonneurs de ses récoltes.»
2. Les champs du dignitaire charnel sont les âmes de ses sujets. Les laboureurs de ses champs sont ceux qui, en usant de l’art ingénieux des séculiers, les persuadent d’agir de façon dépravée. De fait, ils ouvrent en quelque sorte, par leur parole, la terre compacte des champs, ceux qui, par des conseils néfastes, corrompent les coeurs des simples. Et ils moissonnent les récoltes, quand les coeurs de leurs inférieurs, induits en erreur, tirent de la semence de leurs mauvais conseils le fruit d'oeuvres mauvaises. Oui, ces oeuvres sont désignées par le mot «récoltes» car la perversité du sujet réprouvé, accueillie avec joie par les recteurs charnels, est pour leur âme une nourriture de choix.
21, 1. Et parce qu'ils s'enfoncent peu à peu dans cette perversité, le texte poursuit : «Comme fabricants de ses armes et de ses chars.» Que sont les armes, que sont les chats des tyrans, sinon tous les moyens de nuire qu’ils préparent pour égarer les coeurs de leurs inférieurs ?
2. Mais puisque le char sert à se rendre au point où l’on frappe avec les armes, ils deviennent fabricants des armes et des chars du roi, quand ils inventent, par les machinations détestables de leurs coeurs, les maux qu'ils feront et la façon dont ils infligeront ces maux après les avoir inventes. Fabriquer des armes, c'est réunir dans son âme réprouvée des moyens de nuire. Fabriquer des chars, c’est trouver le procédé permettant de faire aboutir les maux qu'on veut infliger.
22, 1. Suite du texte : «De vos filles aussi, il fera des parfumeuses, des cuisinières et des boulangères.» Sous le nom de filles, on désigne les âmes des faibles qui se trouvent dans la sainte Eglise. Elles deviennent parfumeuses du roi, car lorsqu'elles voient les dignitaires charnels au sommet de la gloire passagère, elles s’appliquent à répandre sur eux l'onguent de leurs flatteries. L’usage de ces parfums est réprouvé par le psalmiste : «L'huile du pécheur ne graissera pas ma tête.» Leurs filles deviennent donc parfumeuses, car les faibles, craignant de déplaire aux dignitaires charnels, caressent par des flatteries leur redoutable cruauté à laquelle ils se soumettent par peu.
2. Notons qu’on dit que le roi prend d'abord leurs fils et ensuite en fait ses cavaliers et ses centurions ou ses fabricants d’armes, tandis que les filles ne sont pas prises, mais deviennent simplement parfumeuses, cuisinières et boulangères. «Prendre» est en effet un acte de violence. On prend les fils, parce qu’il est difficile de faire tomber les forts. Quand le texte rapporte donc que les filles ne sont pas prises mais deviennent parfumeuses, qu’est-ce cela signifie, sinon que ceux qui sont faibles dans le bien se laissent facilement corrompre par l'exemple des méchants.
3. Elles deviennent aussi cuisinières et boulangères du roi, car ceux qui servent les tyrans et les adulant, présentent en guise d'aliments les flatteries par lesquelles ils s’efforcent de plaire. Les cuisinières sont en effet celles qui cuisent au feu la nourriture mangée par les rois. Ces cuisinières sont donc celles qui, par leurs obséquieuses flatteries, allument l'orgueil au coeur du prélat charnel, afin qu'il reçoive la flatterie avec d’autant plus d'avidité que le feu d'un dévouement empressé leur prépare en quelque sorte des mets plus délicats. Elles deviennent aussi boulangères, car en louant sa vie réprouvée, elles confirment l’âme du tyran dans la pratique du mal.
23, 1. Suite du texte : «Vos champs aussi et vos vignes et vos oliveraies les meilleures, il les prendra et les donnera à ses esclaves.» Quels sont les champs des hommes de bien, sinon les âmes dévouées de leurs sujets, qui, en écoutant volontiers leurs paroles, rapportent en abondance le fruit des bonnes oeuvres ? Quelles sont leurs vignes, sinon les âmes qui progressent, en les imitant, au point de fournir aussi à d'autres la parole de vie et d’allumer en eux par les discours l'amour du Créateur, comme s’ils les enivraient d'un jus qu'ils leur font boire ? Quant aux oliveraies, que sont-elles sinon les coeurs des auditeurs, que l'exemple et l'exhortation des hommes de bien font progresser dans les oeuvres de miséricorde ?
2. Mais quand le roi est intronisé, les champs sont ôtés, car lorsque les charnels proviennent aux postes d’autorité suprême, certains hommes de bien, parmi leurs auditeurs, prennent d’eux leurs mauvais exemples. On ôte donc les champs, quand des coeurs, remplis de dévotion depuis peu, se laissent séduire, et que la semence de méchanceté leur fait produire le fruit d’une mauvaise conduite. On ôte les oliveraies et les vignes, quand l’exemple d’un mauvais supérieur fait abandonner les oeuvres de miséricorde et les paroles de la sainte prédication, dont les premières ne sont plus accomplies et les secondes ne sont plus prononcées.
3. C’est bien à propos, d'autre part, qu'on rapporte que les champs, les vignes et les oliveraies confisqués sont donnés aux esclaves du roi. Sont esclaves, en effet, ceux qui, voués à être toujours au pouvoir de leurs maîtres, ne peuvent se soustraire au joug de leur domination. Les esclaves du roi sont donc ceux qui, par l'excès de leur iniquité, se lient si bien aux volontés des tyrans qu'ils ne s’en écartent plus par la suite. Les esclaves reçoivent donc les champs, les vignes et les oliveraies ôtés, car les partisans réprouvés des hiérarques charnels, en faisant passer au propos de mal agir les coeurs qu'ils séduisent, imposent en quelque sorte aux champs, aux vignes et aux oliveraies des élus le signe de propriété de leur pouvoir tyrannique.
24, 1. Suite du texte : «De plus, il percevra la dîme de vos moissons et des revenus de vos vignes, afin de la donner à ses eunuques et à ses serviteurs.» Quand les méchants sont au pouvoir, il est très difficile que celui qui leur est soumis ne subisse aucun dommage dans sa vie religieuse. Car ils pervertissent absolument les âmes des autres, mais même ceux qu'ils ne peuvent pervertir complètement, du seul fait qu'ils voient sans cesse leurs paroles et leurs oeuvres mauvaises, en sont peu ou prou souillés et pollués. C'est donc à bon droit que le texte dit : «Vos moissons et les revenus de vos vignes, il en percevra la dîme.» C'est comme s'il disait : «Sous un pasteur réprouvé, même les biens des élus ne restent pas intacts.»
2. Mais ce qui est ôté aux bons, est donné aux eunuques et aux serviteurs du roi. Les eunuques et les serviteurs des hiérarques charnels sont leurs auditeurs hypocrites. Ils sont eunuques, car ils font montre d'avoir rejeté la volupté du siècle, mais ils sont serviteurs du roi, car,
malgré toute leur parade de vertus prétendues, ils portent le joug que leur ont imposé les dignitaires réprouvés. C’est aussi à bon droit que, selon le texte, les dîmes des moissons et des vignes reviennent aux eunuques, car le virus des hypocrites ne se reconnait pas facilement. Même les saints peuvent s'y tromper, et alors ce qu'ils perdent est porté au compte de ceux qui les ont trompés.
25, 1. Suite du texte : «Vos esclaves et vos servantes, l'élite de vos jeunes gens et vos ânes, il les prendra et les emploiera à ses propres travaux.» Les esclaves et les servantes des saints sont ceux qui leur procurent le nécessaire pour vivre ici-bas. Ils sont esclaves et servantes, car en leur fournissant ce qui est nécessaire au corps, ils se montrent plus ou moins vigoureux dans cette oeuvre de miséricorde. Et ils sont l'élite de la jeunesse, car, qu’ils soient capables de beaucoup ou de peu, en dépensant dans cette oeuvre de miséricorde tout ce dont ils disposent, ils font le service de Dieu vaillamment, comme la fine fleur de la jeunesse. Ils sont aussi les ânes des élus, puisque ceux-ci leur imposent des fardeaux d'obéissance à porter, afin qu'ils aident leur fragilité en portant avec eux ce qu'ils ne pourraient porter sans eux.
2. Que veut-on dire, d'autre part, en prédisant qu’ils seront employés aux travaux du roi ? Mais ceux qu’on emploie aux travaux du roi accomplissent à certains jours fixes la corvée qu'ils doivent, de par le droit, aux pouvoirs publics. Pourquoi donc prédit-on qu'esclaves et servantes, l'élite de la jeunesse, seront employés aux travaux du roi, sinon parce que, quand les charnels occupent les premières places, les serviteurs des élus et les coeurs qui obéissent avec dévotion sont souvent souillés ? A force de voir leur vie réprouvée, en effet, peu à peu ils se laissent aller à imiter certains de leurs comportements. Sans doute ont ils une longue habitude de servir les élus, mais en voyant souvent la haute et éminente situation des autres, un mouvement d'orgueil les fait aspirer à être un jour servis par autrui à leur tour. Ils donnent aussi leurs biens avec miséricorde, mais à l'exemple des tyrans ils prennent souvent le bien d'autrui.
3. Mais parce qu'ils sont esclaves des saints, ils ne peuvent être soustraits à leur juridiction. En passant ils peuvent être abandonnés, mais la divine miséricorde les relève facilement de l'erreur. Parce que les exemples des méchants les font tomber, mais qu'ils viennent vite à résipiscence, c'est par mode de corvée, pour ainsi dire, qu’ils sont employés aux travaux du roi, sans y rester longtemps par un esclavage continu.
26, 1. Suite du texte : «Vos troupeaux, également, il en percevra la dîme, et vous serez ses esclaves.» C’est comme s'il disait : «Quand on met à votre tête un pasteur charnel, on effectue une déprédation de vertus, non seulement sur ce qui vous appartient, mais encore sur vous-mêmes.» En effet, les troupeaux des élus sont les foules de leurs vertus spirituelles.
2. Mais parce que les vertus spirituelles sont elles-mêmes détruites par l'exemple des méchants, le roi perçoit la dîme du troupeau, quand celui qui exerce l’autorité charnellement détruit dans les coeurs des saints certaines vertus. Il prélève des dîmes, car en détruisant l'intégrité de l'âme, il laisse imparfait le nombre des vertus. Le nombre dix, en effet, désigne la perfection. Aussi, dans la comparaison très claire que le Seigneur emploie pour montrer les pertes subies par notre humanité, met-il en scène une femme qui perd une de ses dix drachmes. Par cette destruction du nombre dix, il enseigne que la société céleste, dont il reste neuf choeurs des anges, demeure imparfaite jusqu'à la réparation de notre nature.
3. Et puisque les dîmes sont perçues chaque année, ceux qui ne cessent de payer la dîme sont esclaves du roi, dit le texte. Chaque année, en effet, ils servent ceux dont l'exemple les rend souvent plus mauvais.
27. Le fait que cet esclavage est mentionné après la perception des dîmes peut encore indiquer une progression dans le mal. Car ceux qui baissent peu à peu font chaque jour un pas vers les profondeurs de l’iniquité. Le texte dit donc : «Il prélèvera la dîme de vos troupeaux, et
vous serez esclaves.» C'est comme s'il disait : «A l’exemple des méchants vous tomberez peu à peu, mais en tombant vous vous interdisez de jamais abandonner leur imitation.» En effet il est écrit : «Être vaincu par quelqu’un, c’est devenir son esclave.» Parce que, en imitant un pasteur réprouvé, ils tombent dans l’esclavage du péché, quand ils veulent secouer le joug de celui-ci, ils en le peuvent;
28, 1. D'où la suite du texte : ET VOUS CRIEREZ CE JOUR-LÀ POUR VOUS PLAINDRE DE VOTRE ROI, ET LE SEIGNEUR NE VOUS ÉCOUTERA PAS CE JOUR-LÀ, PARCE QUE VOUS AVEZ DEMANDÉ POUR VOUS UN ROI Comme s'il disait : «En tombant peu à peu, vous apprenez à imiter sa dépravation, mais ses exemples dépravés, auxquels vous vous soumettez spontanément, vous ne pourrez les abandonner spontanément.» Car «quiconque fait le péché est esclave du péché». Ceux qui sont dominés par les péchés ne peuvent donc par eux-mêmes se libérer de leur joug. Souvent ils viennent au Seigneur avec des prières et demandent d'être libérés, mais ils ne peuvent être exaucés. C'est que le jugement divin en use ainsi avec eux : puisqu'ils n'ont pas voulu éviter le mal quand ils le pouvaient, ils ne peuvent l'éviter quand ils le veulent, et après être tombés spontanément dans des maux connus par avance, ils ne peuvent les fuir quand ils en ont fait l’expérience.
2. Aussi indique-t-il la cause qui les empêche d’être exaucés, en disant : «Parce que vous avez demandé pour vous un roi». C'est comme s'il disait en clair : «Parce que vous avez demandé qu'on vous donne ce qui vous vaudrait d'avoir à l'avenir tous ces maux; je l'avais prédit, et vous le saviez.» Comme je l'ai dit plus haut, c'est pour préfigurer les prélats charnels qu'on fait ces prédictions sur la conduite future du roi, pour que la connaissance de pareils malheurs détourne de le demander.
29, 1. Mais les coeurs des réprouvés ont cette particularité : prompts à concevoir un mauvais dessein, ils ne se pressent pas de l'abandonner. Aussi le texte poursuit-il : LE PEUPLE NE VOULUT PAS ENTENDRE LA VOIX DE SAMUEL, MAIS ILS DIRENT : NON, NOUS AURONS UN ROI AU-DESSUS DE NOUS, ET NOUS SERONS NOUS AUSSI COMME TOUTES LES NATIONS. NOTRE ROI NOUS JUGERA. IL MARCHERA DEVANT NOUS ET MÈNERA NOS GUERRES À NOTRE AVANTAGE.
2. Ces mots décrivent manifestement les moeurs des sujets charnels : désirant les biens extérieurs, ils ne prennent pas garde aux maux intérieurs, même quand on les leur annonce. Mais les supérieurs charnels, par la puissance temporelle dont ils font montre, donnent aux inférieurs qui leur sont soumis un grand espoir d'être protégés. En disant donc : «Nous aurons un roi au-dessus de nous, et il mènera nos guerres à notre avantage», n’indiquent-ils pas les moeurs des sujets réprouvés, qui méprisent les prédicateurs humbles et spirituels pour être aidés temporellement par les charnels ?
3. Cela, ils ne le feraient sûrement pas, s'ils n’avaient d'abord perdu la lumière du coeur. Car, de même qu’ils méprisent au-dehors l'humilité des hommes spirituels, sans parvenir à discerner la sublime puissance qui fait leur grandeur au-dedans, de même dans les autres ils voient la puissance tyrannique qu'ils exercent à l'extérieur, sans voir
la faiblesse qui les rabaisse au-dedans. Les premiers, parce qu’ils sont unis à Dieu, usent même à l'extérieur, quand ils veulent, d'une puissance admirable. Les seconds, parce qu’ils se détournent du Seigneur, ne peuvent réaliser par une action forte les espérances prometteuses qu'ils donnent en se fondant sur leur puissance séculière.
4. Prenons un exemple tout proche : afin de mener les guerres de ceux qui demandent un roi, on choisit Saül fort et puissant au point que, d'après ce récit sacré, il dépasse tout le peuple à partir des épaules, et il est si bien choisi et apte à gouverner le royaume qu'il n'y en a pas de meilleur que lui parmi les fils d'Israël. Mais quand cet homme de valeur exceptionnelle est abandonné à sa force charnelle il perd la guerre qu'il avait reçue à mener, et il perd également la vie.
5. Samuel, au contraire, qui ne se signalait pas par sa puissance séculière, qui servait humblement non seulement Dieu mais encore les hommes, s'est montré puissant, et a remporté des triomphes même dans les guerres extérieures. En effet, on a dit de lui un peu plus haut : «Samuel prit un agneau de lait et l'offrit tout entier en holocauste au Seigneur. Il cria vers le Seigneur en faveur d'Israël, et le Seigneur l’exauça. Le Seigneur tonna à grands coups de tonnerre ce jour-là sur les Philistins et les terrifia. Et ils furent taillés en pièces par les fils d'Israël.»
6. Que le texte dise donc : «Le peuple ne voulut pas entendre la voix de Samuel», afin d'indiquer que les coeurs des orgueilleux, dans leur désobéissance, sont rejetés par le jugement de l'équité divine, au point que de grands maux imminents sont prêts à fondre sur eux et que cependant ils ne peuvent les voir.
30. Suite du texte : ET SAMUEL ENTENDIT TOUTES LES PAROLES DU PEUPLE. Samuel a donc entendu ce que le peuple a dit sans l’entendre. Dire et ne pas entendre, ce fut, pour le peuple réprouvé, proférer des paroles contraires à la volonté de Dieu sans prévoir le moins du monde le châtiment qui frapperait ces mauvais propos. Samuel, lui, entendit les paroles du peuple, car les hommes spirituels, en entendant le son de propos orgueilleux, y reconnaissent ce qui va leur mériter la divine punition. Que le texte dise donc : «Samuel entendit toutes les paroles du peuple», car tout ce que les charnels profèrent orgueilleusement au-dehors, les hommes saints et spirituels le pèsent intérieurement, supputant ce que cela vaut au jugement de Dieu.
31, 1. Mais parce que, quand ils trouvent condamnable la vie de leurs sujets charnels, ils intercèdent pour que leurs crimes soient effacés, le texte continue : ET IL LES DIT À L'OREILLE DU SEIGNEUR. Parler à l'oreille de quelqu’un suppose qu'on jouit d'une grande familiarité auprès de lui. Parce qu'ils sont unis au Dieu tout-puissant par un grand lien d’amour, les saints lui parlent à l’oreille : quand ils le supplient de les entendre et de se montrer propice, ils le font avec d'autant plus d'assurance qu'ils ont reçu une place plus haute pour intercéder auprès de sa miséricorde. Ils disent les péchés du peuple en une humble confession, mais ils les disent à l’oreille du Seigneur, car c'est avec une prière mue par des sentiments puissants qu'ils frappent à la porte de la bonté propice du Seigneur.
2. Mais peut-être dit-on qu'il parle à l'oreille du Seigneur parce que les saints, quand ils implorent pour les pécheurs, ne révèlent pas aux hommes les prières qu’ils présentent à Dieu pour eux. D'où la défense que fait le Seigneur à ses disciples dans l'Évangile : «Quand vous prier, vous ne ferez pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des places afin d'être vus des hommes.»
3. Ils disent donc les paroles ou les actes du peuple, quand ils placent devant le Seigneur les fautes de parole et d’action pour les effacer par leurs prières. Mais ils les disent à l’oreille du Seigneur, afin qu'en fuyant le témoignage des hommes quand ils prient, ils soient plus vite exaucés par celui qui voit dans le secret.
4. En rapportant donc que Samuel parla à l'oreille du Seigneur, le texte indique comment il obtient accès auprès de la divine condescendance. Car il est impossible que parvienne à Dieu une prière faite avec l'intention d’être connue des hommes.
32, 1. C'est pourquoi celui dont on assure qu'il a parlé à l’oreille du Seigneur, a aussi reçu sa réponse, nous dit-on. Le texte ajoute en effet : LE SEIGNEUR DIT À SAMUEL : ECOUTE LA VOIX DU PEUPLE ET ÉTABLIS UN ROI QUI RÈGNE SUR EUX. Il faut noter ici que Samuel a dit à l'oreille du Seigneur les paroles du peuple demandant un roi, et que le Seigneur se déclare rejeté par cette demande d'un roi que fait le peuple.
2. En répondant donc à l'orant et en commandant à l'orant de faire un roi, n'indique-t-il pas que la prière d’un élu, faite avec dévotion, n'est jamais infructueuse ? De fait, s'il n'a pas obtenu la correction du peuple, il a obtenu cet avantage d'être instruit : il a appris que le peuple était rejeté à cause de sa mauvaise demande, et en même temps il a su comment il devait agir vis-à-vis de ces hommes rejetés.
3. Le prophète a donc pu être entendu et ne pas être entendu : en priant il a appris comment il devait se comporter, mais il n'a pas ôté sa dureté de coeur au peuple qui faisait une demande répréhensible. Les saints, en effet, par le fait même qu'ils supplient le Seigneur pour les pécheurs avec dévotion, bénéficient de l'aide protectrice de Dieu, de sorte qu'ils ne subissent pas la pollution des crimes dont ils ne réussissent pas à effacer la souillure par leurs prières.
4. Au reste, pourquoi le Seigneur dit-il : «Entends leurs voix», alors qu'il a été dit plus haut : «Samuel entendit toutes les paroles du peuple ?» Mais il avait entendu les paroles du peuple de façon à savoir ce qu'ils disaient, non pas de façon à accorder ce qu'ils demandaient. Quand donc le Seigneur lui dit : «Entends les voix du peuple et établis un roi qui règne sur eux», il commande au prophète de se montrer favorable à la volonté du peuple.
5. Voici que, on le voit clairement, le prophète en prière n'est pas entendu, tandis que le peuple qui rejette Dieu et demande un roi est entendu. Qu'est-ce à dire, sinon que, par un étonnant et effrayant jugement du Dieu incompréhensible, les saints ne peuvent être exaucés quand ils prient pour des réprouvés, tandis que les réprouvés eux-mêmes, quand ils pèchent, peuvent se faire entendre et accomplir leurs méfaits ? Ainsi la liberté de mal agir laissée à ceux-ci leur mérite une aggravation du châtiment éternel, tandis que ceux-là voient s'accroître, à cause de leurs sentiments de compassion, le salaire qui les récompensera perpétuellement.
33, 1. Et aussitôt le texte commence à montrer le processus par lequel on s'est acheminé vers l’établissement de ce roi; il dit : ET SAMUEL DIT À TOUS LES FILS D'ISRAËL : QUE CHACUN S'EN AILLE DANS SA CITÉ.
2. Quand nous voulons réfléchir à des questions spirituelles, il nous faut écarter de notre attention les objets charnels, car l'âme ne pénètre pas les réalités intérieures, lorsqu'elle est aveuglée par la poussière des actions extérieures. Quand donc le prophète du Seigneur ordonne au peuple entier de s'en aller chacun chez soi, il repousse loin de lui-même le tumulte des charnels, afin de voir les actes spirituels qui sont à faire d'autant plus clairement que l'attention portée aux actions terrestres n'obscurcit par le regard de son âme.
34, 1. En outre, le texte indique qui est celui qu'a en vue le jugement divin, en disant : IL Y AVAIT UN HOMME DE BENJAMIN NOMMÉ CIS, FILS D'ABIEL, FILS DE SEROR, FILS DE BEORETH, FILS D'ABIA, FILS DE GEMINI; C'ÉTAIT UN HOMME FORT, REMPLI DE VIGUEUR. ET IL AVAIT UN FILS NOMMÉ SAÜL, ÉLU ET BON. ON NE TROUVAIT PAS PARMI LES ENFANTS D'ISRAËL MEILLEUR QUE LUI. IL DÉPASSAIT DE L’ÉPAULE TOUT LE PEUPLE.
2. En présentant la personne du futur roi, pourquoi inscrit-on les noms de ses pères, sinon pour laisser prévoir que son règne ne durera pas ? Car en parlant d'un règne dont il prévoyait la fermeté, Moïse dit : «Le sceptre ne disparaîtra pas de Juda, ni le chef issu de sa chair, jusqu'à la venue de celui qui doit être envoyé, et c'est lui qui sera l'attente des nations.» Ainsi donc, puisque la tribu de Juda était destinée, selon ces prévisions, à régner perpétuellement, on mentionne l'ascendance de Cis, afin que la dignité royale, qui allait être instituée en la personne de son fils, apparaisse manifestement comme une disposition provisoire, non destinée à se perpétuer.
35, 1. Mais le père du roi charnel s'appelle Cis, c’est-à-dire «dur» en notre langue, et on le qualifie d’«homme fort, rempli de vigueur». Aujourd'hui encore dans la sainte Eglise, il est quantité de charnels qui paraissent faire de grandes choses, mais qui sont des charnels, parce qu’ils n'ont pas la grâce du saint Esprit. Ils sont donc forts et pleins de vigueur, parce que toutes les grandes choses qu'on les voit faire sont corporelles. Oui, si l'on dit aussi que Cis, père de Saül, était un homme fort, plein de vigueur, c'est pour donner à entendre qu'il avait de grandes forces corporelles.
2. L'homme fort, plein de vigueur, est donc dur, car celui qui fait de grandes choses charnellement n'a pas le coeur attendri par une compassion pénétrée de charité fraternelle. Il agit puissamment, faisant des choses admirables extérieurement aux yeux des hommes, mais il ne sait pas s’unir intérieurement aux âmes de ses frères par un sentiment d’amour. Il accomplit des actes de force que Dieu réprouve, et il ne se soucie pas de montrer les sentiments de charité que Dieu approuve.
3. Il est donc dur, car tandis qu'il déploie son action corporelle avec un coeur orgueilleux, la grâce du saint Esprit n’attendrit pas son âme. A l'inverse, un saint homme se félicite en ces termes : «Dieu a attendri mon coeur, et le Tout-Puissant m'a troublé.»
4. Et il arrive souvent que ceux qui imitent la conduite de ces gens deviennent, par un jugement de Dieu, les chefs de la sainte Eglise. Aussi est-ce bien à propos que le texte rapporte que Saül était fils de Cis.
36, 1. Cependant il nous faut chercher pourquoi Saül est qualifié d’«élu» et de «bon», alors qu'on le dit fils d’un homme dur. Mais s’il est dit «élu», ce n'est pas selon la grâce mais selon le jugement de Dieu. On le dit «bon» aussi, pour louer les dispositions prises par la divine équité. En effet, même les maux que nous endurons souvent pour nos péchés sont des biens, parce qu'ils nous sont infligés par la justice divine. Est bon, de fait tout ce qui est juste.
2. Par la justice de Dieu, en effet, permission est donnée à des pasteurs réprouvés, de s'élever aux postes de gouvernement de la sainte Eglise mais tout en étant mauvais par leur iniquité, ces hommes sont bons en vertu d’une disposition divine, et ils sont élus à présent par un dessein de Dieu qui reste caché, en attendant d’être réprouvés au jugement universel et dernier. Qu'on appelle donc «élu» le pasteur retrouvé, puisque c'est Dieu qui décide dans son indignation de l'instituer, qu'on le dise «bon», puisque la permission de l'établir est juste.
37. De même, parce qu'il est prévu que les jugements divins seront exécutés par lui plus efficacement que par tout autre, on dit que personne n'est meilleur que lui parmi les enfants d'Israël. On rapporte aussi qu'il dépasse de l'épaule tout le peuple, parce que celui qui vit à la manière des charnels accomplit de grands efforts pour faire ce qu'un autre ne peut faire. Le chef charnel en effet dépasse de l'épaule le peuple entier, quand il est d’une force sans pareille dans les choses extérieures.
38, 1. On peut aussi entendre tous ces mots comme des éloges de la personne du roi qui va être institué destinés à confondre l'intention orgueilleuse de ceux qui demandent un roi. Ils disent en effet : «Un roi régnera et notre roi nous jugera. ll marchera devant nous et mènera nos guerres à notre avantage.» On dit donc qu'il est élu et bon, et qu'il n'est personne de meilleur que lui parmi les enfants d'Israël, afin que toutes les qualités se trouvent au plus haut point en la personne du roi demandé, mais que son impuissance à atteindre les objectifs du peuple mette en déroute et fasse rentrer sous terre l'humaine présomption.
2. De fait, comme je l'ai dit plus haut, le roi qui est choisi pour marcher à la tête du peuple et mener leurs guerres, une fois abandonné par le secours divin, fut vaincu à la guerre et y périt; pour le peuple, à la tête duquel il marchait dans cette guerre, il ne fut pas alors cause de salut, mais de mort. Tout cela, le peuple l'aurait finalement attribué à Dieu, si celui qui avait été choisi pour roi par le jugement de Dieu n’avait pas été si parfaitement apte à réaliser ce que le peuple voulait.
3. On peut aussi entendre «élu» et «bon» en ce sens qu'on lui reconnaît ces qualités dans le moment présent, non dans l'avenir qui est prévu. On l'appelle donc élu et bon pour donner à entendre qu'il était ainsi au temps où le Seigneur l'a élu, avant que sa désobéissance ne lui valût d’être réprouvé. C'est pourquoi la raison exige que les épithètes «élu» et«bon» qui lui sont appliquées jusqu’à l'époque de sa réprobation soient aussi entendues par nous comme prises en bonne part.

Sens spirituel (positif)

39, 1. Reprenant donc tout de façon sommaire, voyons ce qui s'y trouve d'édifiant selon une autre interprétation. Puisque Samuel, nous l'avons dit, représente le sacerdoce nouveau, que signifie son vieillissement sinon que, à mesure que l'Église avance dans le cours du temps, la beauté de la vie religieuse subit les atteintes de l'âge en certains prêtres ? Samuel a vieilli, en effet, car l’autorité morale perd sa vigueur.
2. De fait, Samuel était jeune, si l'on peut dire, quand l’ordre sacerdotal n’avait de désirs et d'aspirations que pour les biens célestes, ne cherchait rien ici-bas pour pouvoir prêcher plus efficacement les réalités d'en haut, et enflammant également de leur amour les âmes de ses sujets par ses paroles et par ses exemples. De fait, il était rempli de force et rayonnait de sa jeune beauté, montrant la puissance de la parole céleste dans le resplendissement d'une vie sainte, car tout ce qu'il pouvait prêcher de fort par ses discours, il s’efforçait aussi de le faire voir en menant une existence sublime.
3. Il vivifiait par la parole les âmes mortes, mais l’admirable fleur de jeunesse dont il se parait lui faisait aussi ressusciter les corps morts par un simple commandement. Aux aveugles il accordait la vue, aux boiteux la marche, à toutes les maladies la guérison et en même temps il rayonnait tellement de la splendeur de sa très sainte vie qu’il fallait plus de puissance pour pouvoir vivre ainsi que pour secourir les autres par les merveilles dont nous avons parlé. Samuel était donc dans la vigueur de sa jeunesse, pour ainsi dire, quand l'ordre sacerdotal brillait à la fois par la puissance opérative de ses miracles et par la beauté si extraordinaire de sa sainte vie.
40, 1. Mais voilà longtemps que Samuel a vieilli. Bien du temps a passé, en effet, depuis que l'amour du siècle attire à lui quantité de ceux dont la vertu devrait chasser du coeur d'autrui les joies de ce monde. Nous ne voulons pas dire pour autant que la sainte Église n'a pas d’hommes religieux, mais qu’ils sont peu nombreux ceux qui arrivés au sommet d'où l'on prêche, savent mépriser le monde et s'attacher aux désirs d'en haut.
2. C'est pourquoi le texte dit bien de Samuel tout ensemble qu'il est vieux et qu'il prophétise. Il est vieux, parce qu'il a perdu chez beaucoup la rigueur d'une vie austère; cependant il ne cesse de prophétiser, car il a quelques hommes spirituels et montre en eux avec force la capacité de voir à l'avance que donne l'Esprit.
3. On peut aussi l'entendre sans inconvénient d’un seul et même prédicateur. Ils sont vieux et ils prophétisent tout ensemble, ceux qui, tombés dans la négligence et relâchés, enseignent bien mais vivent mal.
41, 1. Ces gens-là établissent leurs fils comme juges, quand ils confèrent la dignité sacerdotale à ceux qui ont sous les yeux le temps où ils mènent une vie relâchée. Cependant ce sont des jeunes qu'ordonnent les vieux, car ceux qui vont recevoir une promotion promettent de se montrer forts. Ils s'engagent en effet à embrasser la vie sacerdotale, profession qui exige une grande force, alors qu’ils n’ont pas assez de vertu pour la mener à l’avenir comme il convient.
2. Ce sont donc des jeunes qui sont promus, car ceux qui les ordonnent ne les admettent pas à un ordre avant d'avoir reçu d'eux une profession de vertu. Au préalable, en effet, ils leur exposent la vie sublime qu'ils doivent mener et l'enseignement précis qu'ils doivent donner la nécessité de mener une vie sublime pour pouvoir faire entendre une prédication, le devoir qu'ils ont d’orienter toujours leur conduite vers le ciel, de ne pas chercher de rétribution temporelle pour leurs travaux de prédicateurs, de ne pas faire de distinction entre les personnes quand ils jugent, mais de tout peser sur les justes balances de l'équité. Ainsi leur font-ils entendre les difficultés des voies de Dieu, et dire s'ils veulent en assumer les fatigues.
42, 1. Ces voies difficiles, beaucoup de candidats aux ordres sacrés déclarent qu'ils les suivront, mais une fois leurs ambitions réalisées, ils n'observent pas le fort engagement qu'ils ont pris. Aussi rapporte-t-on bien à propos que les fils de Samuel n'ont pas marché dans ses voies, mais qu'ils ont accepté des cadeaux et perverti le droit. Ce sont en effet les voies de Samuel, car elles sont exposées d'office par le prédicateur. Les fils ne marchent donc pas dans les voies de leur père, quand ceux qui parviennent aux ordres sacrés par ambition abandonnent les chemins ardus de la religion que leur montrent les anciens et s'enfoncent profondément, avec une ardeur perverse, dans la recherche des choses de la terre.
2. C'est pourquoi le texte dit ouvertement qu'ils tombent dans l'avarice, acceptent des cadeaux et pervertissent le droit. En effet, quand on ne se donne pas la peine de travailler pour les biens du ciel, il est inévitable qu’on s'emmêle plus étroitement dans la convoitise des biens de la terre.
3. Tomber dans l'avarice, c'est s'adonner tout entier à la recherche des choses terrestres. ll en est, en effet, qui s'efforcent d'obtenir par avarice des profits terrestres, mais qui ne tombent pas pour autant dans l'avarice, car ils font la chasse aux biens temporels, mais évitent dans cette chasse de commette le crime. Tomber dans l'avarice, c’est donc, à cause des biens terrestres que l'on convoite ardemment, ne pas craindre de commettre le crime. On tient en effet sa propre âme pour inférieure à tout ce qu’on peut désirer.
4. De là vient la rapine violente, de là viennent les vols cachés, car les avares oppriment violemment quand ils sont les plus forts, et quand ils ne peuvent s'emparer des choses par la violence, ils essaient de les voler. Souvent aussi, faute de pouvoir voler de leurs mains ils tendent des embûches par des paroles mensongères. D'où la progression bien ordonnée des fils de Samuel dans la confusion désordonnée de l’avarice, le texte disant d'eux pour les blâmer : ILS TOMBERENT DANS L'AVARICE, ACCEPTÈRENT DES CADEAUX ET PERVERTIRENT LE DROIT. En effet ceux qui ont perverti le droit pour recevoir des cadeaux n'ont pas cherché, pour perpétrer le vol de l'objet convoité, l’obscurité de la nuit, mais les ténèbres de l'esprit
43. Notons que l'ardeur de l'avarice entraîne l'acceptation des cadeaux, et l'acceptation des cadeaux la perversion du droit. Le récit du prophète montre ainsi non seulement comment ce vice mauvais progresse dans le coeur des réprouvés, mais encore comment il peut être radicalement extirpé de l’âme des saints. Car si cette perversion du droit nait de l’acceptation et que l’acceptation des cadeaux a pour racine l'avarice, celui qui n'accepte pas de cadeaux ne pervertit pas le droit, et il est facile de rejeter les cadeaux offerts, quand on a complètement extirpé de son coeur la racine de l'avarice.
44. Mais cette faute des fils de Samuel nous la saisissons mieux par la vue que par la parole. Car, si nous considérons certains postes ecclésiastiques à l’abandon quand le père vieillit, les fils encourent le blâme d’avarice d'acceptation de présents et de perversion du droit. C’est que, quand la personne du chef se dégrade par des profits honteux, les coeurs des ouailles qui lui sont soumises ont vite fait de se corrompre : en menant personnellement une vie mauvaise, on donne aussi aux autres l'exemple de la dépravation.
45, 1. Mais ici, il fait bon admirer les jugements du Dieu tout-puissant. Car les fils de Samuel, en tombant dans l'avarice, en acceptant des cadeaux pour pervertir le droit, donnent au peuple qu'ils dirigent de mauvais exemples, mais le peuple, en demandant un roi, chasse du pouvoir suprême les fils du prophète; de son côté, le Dieu tout-puissant reçoit les prières de ceux qui demandent un roi, et en même temps il s'irrite de leur demande.
2. Ces faits peuvent nous troubler, si nous ne voyons pas leurs raisons de près. N'est-il pas parfaitement juste que le jugement du peuple fasse tomber celui qui, par le jugement réprouvé de son esprit, a décidé de mener une vie telle qu'elle mène à sa perte le peuple qui le suivrait ?
3. Cependant, quand les prêtres vivent mal, les laïcs ne doivent pas les juger. Ils sont donc dignes de recevoir un plus indigne, pour avoir eu l'audace indigne de rejeter l'indigne. Car le texte dit des fils de Samuel : «Ils reçurent des cadeaux et pervertirent le droit», mais au sujet du roi demandé par les enfants d'Israël, il profère des menaces bien plus terribles en disant : «Il prendra vos champs, vos vignes et vos oliveraies les meilleures, et il les donnera à ses esclaves.» Quel esprit avisé ne voit que prendre par la violence, en vertu de l'autorité publique, champs et vignes est pire que de faire fléchir le droit sous des apparences de vérité afin de pouvoir recevoir des cadeaux ? Cette dernière faute se couvre d'une certaine honte se dissimule sous une certaine pudeur; l'autre, au contraire, s’avère d’autant plus détestable qu'elle s'étale davantage et se commet plus effrontément.
46, 1. Mais puisque notre commentaire n'est pas encore arrivé aux temps du règne où ces maux sont décrits même à la lettre, et puisque nous nous proposons toujours de parler de Samuel élu et bon, il semble utile de voir en détail comment même le droit du roi, tel qu'on le prédit, peut être pris en bonne part. Car s'il ne présentait pas quelque chose de bon du point de vue spirituel, le récit sacre ne dirait pas : «Samuel dit au peuple la loi de la royauté, inscrivit dans un livre et la déposa devant le Seigneur.»
2. Eh bien donc, les enfants d'Israël seront mis sur les chars du roi : qu'est-ce à dire ? Mais les chars des prélats de la sainte Eglise sont leurs pieux désirs. Car lorsqu'ils aspirent avec ferveur aux joies d'en haut, ils sont comme portés sur des chars dans les hauteurs. De là vient qu’on dit d’Élie qu’il fut emporté au ciel sur un char de feu, car il est bien impossible d'être ravi par les joies d'en haut, si on ne les cherche pas chaque jour par des désirs élevés et fervents. Quand donc les bons auditeurs, à l'exemple des prédicateurs, commencent à mépriser les biens de la terre et à aimer ceux de l'éternité, les enfants d'Israël sont mis sur les chars du roi.
47. Le texte dit d'eux, il faut le noter, qu'on les prendra et qu'on les mettra sur des chars, car il faut d’abord s’arracher aux désirs charnels pour être capable de bien s'enflammer des feux de l'amour d'en haut. Ces désirs terrestres ne sont pas faciles à abandonner. Aussi le texte dit-il qu’on prend les fils d'Israël. Il faut en effet un grand déploiement de violence pour que l'auditeur élu abandonne complètement les désirs de la terre et se laisse emporter dans les hauteurs du ciel. C'est de cette violence que le Seigneur dit dans l'Évangile : «Le royaume des cieux souffre violence, et des violents s'en emparent.» C'est d'elle que Paul dit : «Nul ne sera couronné s'il n’a observé les règles du combat.»
48, 1. La même vérité est aussi indiquée obscurément par les mots employés, quand le texte dit qu'on prend les fils pour les mettre, non sur des sièges, mais sur des chars. Le char servait aux anciens à combattre. De plus, celui qui se déplace en char se porte contre l'ennemi en position dominante et en inspirant la terreur. De fait, les hommes élus dominent et terrifient d'autant plus leurs ennemis cachés qu’ils sont montés plus haut sur les cimes de l’amour intérieur. Ils sont en position dominante, car les suggestions des esprits mauvais ne parviennent pas jusqu’à leur volonté. En outre, ils sont terrifiants, car ils pourront rejeter leurs conseils d'autant plus facilement que la force intérieure de leurs sentiments les tient dans la contemplation de la joie éternelle.
2. Chaque fois qu'on dit cela à ceux qui sont encore charnels, on fait preuve de bonté envers eux en leur adressant de charitables menaces. C'est comme si l’on disait : «Puisque vous demandez un personnage vertueux, vous ne pourrez, sous sa férule, vous livrer à l'oisiveté de la vie charnelle.»
49, 1. C'est pourquoi le texte dit aussi que l'on fera des cavaliers du roi et des coureurs qui suivent les quadriges royaux, des tribuns et des centurions. Tout cela fait partie de l'armée terrestre. Quand donc on prédit que les cavaliers et les coureurs qui suivent les quadriges deviendront des tribuns et des centurions, c'est pour toute sorte de fins guerrières qu'ils sont enrôlés.
2. Sont cavaliers, en effet, ceux qui, par la vertu de l'esprit, refrènent le laisser-aller voluptueux de leur chair et dominent à grand effort toutes leurs pulsions passionnelles. De fait, c'est comme perché sur un cheval qu'il se déplace, celui qui, grâce à la vertu de chasteté, exerce un contrôle sur sa chair et, libre et rapide, pourra aussi bien échapper à son ennemi quand il le dédaigne que l’attaquer quand il daigne s'en occuper. En apprenant à bien se gouverner, il a tellement accru son pouvoir vertueux que son ennemi ne peut tenir devant cette espèce de cavalier qui le charge au galop.
50, 1. Et parce qu'ils suivent, dans leur force vertueuse, les exemples des pères élus, ils deviennent des coureurs qui suivent les quadriges royaux. En effet, les quadriges du roi sont les bons exemples du prédicateur élu. En eux, il se montre à la fois combattant et triomphant, car lorsque nous regardons les oeuvres saintes d’un prédicateur, nous constatons sa sublimité à la fois dans le combat qu'il livre sur le champ de bataille et dans le triomphe que remporte sa vertu.
2. Mais ceux qui sont courbés sous les désirs charnels peuvent seulement le voir sur ses quadriges, sans pouvoir suivre ses quadriges. Comme des piétons, en effet, ils marchent au ras du sol, paresseux à la course, faibles au combat.
3. Aussi, pour pouvoir suivre les quadriges royaux, qu'ils commencent par devenir cavaliers ! Qu'ils foulent aux pieds leurs désirs terrestres, dominent leur chair, endossent la blanche armure de la chasteté. Nous pouvons alors courir derrière les pères élus dans le combat spirituel, et cela d'autant mieux qu'en exerçant sur nous-mêmes un contrôle méritoire, nous portons des coups vigoureux aux troupes de nos ennemis cachés.
51. Si, comme le portent un certain nombre de manuscrits, nous ne lisons pas «coureurs qui suivent» mais «coureurs qui précèdent», cette leçon se prête à une interprétation positive. Courir devant les quadriges royaux, c'est louer verbalement les exemples des justes. Cependant il faut alors être cavalier, car ce serait louer de façon inacceptable que de célébrer l'existence et l’enseignement sublimes des saints, sans se soucier de les imiter en menant soi-même une vie élevée.
52, 1. Mais celui qui sait présenter aux uns la vie et l’enseignement des autres, celui-là commence à être un instructeur militaire au spirituel. Aussi est-ce bien à propos que le texte ajoute : IL LES UTILISERA COMME TRIBUNS ET CENTURIONS. Ils sont tribuns au début, centurions quand ils deviennent de parfaits instructeurs spirituels. En effet, comme nous l'avons dit plus haut, le nom de «centurion» vient du nombre cent.
2. Par tribuns on peut aussi entendre les hommes spirituels, simples quant au savoir, mais brûlants d’amour pour Dieu et le prochain. Bien qu'ils ne sachent pas tenir des propos élevés et spirituels, ils s'efforcent tout de même d'embraser de l'amour du Créateur ceux qu'ils peuvent en leur montrant ce qu'ils savent : l'exemple des élus. Le mot «tribut» désigne une parenté ou une curie. Si donc le nom de«tribun» vient de «tribu», ceux qui proposent l’exemple des saints à leurs proches pour les faire progresser sont ce qu’on appelle des tribuns. Afin de détruire notre grossièreté, ils viennent en curie, pour ainsi dire, quand ils mettent devant nos yeux les actes par lesquels les saints ont plu au Seigneur tout-puissant. Et lorsqu'ils décrivent les vertus particulières de nombreux saints, ils nous découvrent, en quelque sorte, la noblesse de ces parentés spirituelles.
3. Par «centurions» on peut donc entendre les hommes plus parfaits qui, ayant bien profité du magistère des prédicateurs, deviennent leurs auxiliaires et leurs collaborateurs. C’est d'eux que le Seigneur dit dans l'Évangile : «Tout scribe instruit du royaume des cieux ressemble à un pere de famille qui tire de son trésor le neuf et l’ancien» En effet, ces gens-là ne sont pas seulement remarquables par leur conduite, mais encore savants dans la science de la parole de Dieu. Cela leur permet d'inciter leur prochain au combat spirituel avec d'autant plus d'efficacité qu'ils illustrent par leurs actes de vertu les hautes maximes qu’ils savent prêcher. Ils ont des mots pour enseigner ils ont des actes pour donner l'exemple aux simples. Ainsi les sages comprennent ce qu’ils disent, et ceux qui ne voient pas au-dedans la signification secrète des mots, imitent les actes qu’ils voient au-dehors. Ils sont donc nommés centurions, quand la perfection de la vertu leur fait atteindre le faîte des dignités, de sorte qu'ils mènent une vie sublime et enseignent d’autant plus efficacement que leur vie est plus élevée.
53, 1. Mais ceux qui sont centurions, exerçant leur commandement en temps de guerre, doivent aller plus loin et produire aussi, aux yeux de tous, des fruits de paix. Après les tribuns et les centurions, on institue donc des ouvriers qui labourent les champs et moissonnent les récoltes, afin d’ouvrir les coeurs des vaincus avec la charrue de l'exhortation et d'en tirer une abondante moisson de ce froment que sont les bonnes oeuvres.
2. Après l'instauration de la paix, en quelque sorte, ils labourent, ceux qui éveillent à l'exercice des oeuvres de charité les coeurs que les assauts spirituels ont vaincu. Et ils moissonnent les récoltes, quand la semence de la parole divine, qu'ils avaient jetée dans les âmes de leurs auditeurs produit des oeuvres de choix pour leur plus grande joie. En effet, c'est comme s'ils moissonnaient à la faux le froment des champs, quand, ouvrant tout grand les bras de la charité, ils reçoivent d'une vie céleste ce qui rassasie au-dedans leur dévotion.
54, 1. Mais aussi longtemps que nous vivons ici-bas nous ne possédons rien en paix. Car, le vieil adversaire faisant toujours la guerre à ceux qui se conduisent bien il nous faut sans cesse défendre notre bonne conduite. Aussi est-ce bien à propos qu'après ceux qui labourent les champs en moissonnent les récoltes, le texte rapporte qu’on institue des ouvriers qui fabriquent les armes et les chars du roi. Ils fabriquent des armes et des chars pour défendre les champs qu’ils cultivent et les récoltes qu’ils moissonnent.
2. Ils fabriquent le char pour aller rapidement au devant des ennemis, les armes pour être forts. Ils montent sur le char pour emporter d'un assaut impétueux le camp des démons, et ils portent des armes pour tuer ceux qu’ils assaillent.
3. Il se tenait là-haut sur son char, celui qui disait : «Notre vie est dans les cieux.» D'où l'assurance avec laquelle, désormais visiblement supérieur à tous ses ennemis, il affirme : «Aucune créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus.» Mais celui qui était monté sur le char tenait ses armes à la main. D'où ce qu’il déclare : «Pour moi, je cours, mais pas à l’aventure; je lutte, mais pas en donnant des coups en l’air : c'est mon corps que je frappe et que je réduis en servitude.»
4. Ce char, donc, est-il rien qu'il représente plus correctement qu'une haute rectitude d’intention ? Fabriquer un char, c'est donc dresser dans l'âme des auditeurs la plateforme supérieure d’une intention droite. En effet, ceux qui reçoivent en partage le ministère de prêcher en donnant les meilleurs exemples, ceux-~là fabriquent des chars, après s’être dépensés à labourer et a moissonner : ils enseignent à leurs sujets, outre la bonne conduite dont ils font preuve, à ne pas attendre, pour toutes les bonnes oeuvres qu’ils accomplissent, d'autre rétribution que les récompenses éternelles. Mépriser les biens de la terre, ne désirer aucune chose passagère, aimer les biens éternels et se hâter vers eux avec de grands désirs, c'est là siéger tout en haut d’un grand char. C'est de ces chars qu'il est dit par le psalmiste : «le char de Dieu est dix mille fois multiple. Ce sont des milliers qui se réjouissent; sur eux le Seigneur est monté.»
5. Quant aux armes, ce sont leurs desseins tranchants, dont ils frappent leurs ennemis avec d'autant plus de force qu’ils découvrent leurs astuces plus rapidement. D'où ce que disait quelqu'un qui parlait lui aussi en qualité de guerrier armé : «Nous n'ignorons pas leurs astuces.» Il fabriquait aussi des armes quand il disait : «Il y a le bouclier de la foi, avec lequel vous pouvez éteindre tous les traits enflammés, du malin : Prenez aussi le casque du salut et le glaive de l’esprit, qui est la parole de Dieu.»
55, 1. Montés sur ces chars et munis de ces armes, les élus sont rapides et forts. Rapides, car dans leur élan vers les biens spirituels, ils découvrent en un instant les puissances spirituelles du mal; forts, car leur ardent désir des biens suprêmes leur fait tenir pour rien tout ce que leur suggère l'amour d'en bas, celui du siècle, et comme portés par un char pesant, ils se jettent sur l'ennemi avec une grande impétuosité, détruisant en un instant, par les saintes vertus et les desseins tranchants dont ils sont pleins, toutes les tentations qu'on leur oppose.
2. Et ce n'est pas sans correspondre à ce sens que le char, quand il roule sur le sol, lève le bas de ses roues et en baisse le haut. De même, en effet, l'intention des saints, attendant les biens célestes en récompense des actes terrestres qu'elle accomplit, lève en l'air, pour ainsi dire, ce qu'elle traîne sur la terre. Et parce que, en présence du Créateur, elle s'humilie à propos de ses bonnes oeuvres aussi bien que de son attente de la récompense éternelle, elle abaisse jusqu'à terre ce qu'elle a levé en l'air. Sur ses roues, en effet, notre char ne cesse de rouler, si l’intention de nos bonnes oeuvres regarde toujours vers l'éternité et si, pour toute l'élévation à laquelle nous parvenons en progressant, nous prenons soin de rester humbles.
56. Mais ces armes et ces chars n'appartiennent au roi que s'ils ne s'écartent aucunement de l'exemple et de l'enseignement des prédicateurs de la sainte Eglise. Les prédicateurs fabriquent donc des chars et des armes, quand ils apprennent à leurs auditeurs à se hâter vers la patrie céleste en gardant une intention droite et en se munissant de vertu.
57. Tout cela, nous l'avons exposé dans une perspective de progrès individuel, mais rien ne nous empêche d’appliquer ces différentes choses à des personnes différentes. Nous avons montré que les élus, en progressant sur l’échelle des vertus, commencent par être mis sur les chars, puis reçoivent les fonctions de cavaliers et de coureurs précédant les chars royaux, sont nommés tribuns, centrions, laboureurs et moissonneurs, enfin deviennent fabricants d’armes. Mais puisque la sainte Église emploie les élus à divers services, on peut, si l'on veut, attribuer chaque don de la grâce à un ordre particulier, de façon à en faire la caractéristique de ceux auxquels il appartient plus spécialement.
58, 1. Pourquoi donc le texte ajoute-t-il que les filles des Israélites seront parfumeuses, cuisinières et boulangères. Mats le nom de «filles» dénote tantôt la faiblesse tantôt la fécondité. Que sont donc les filles des Israélites sinon les âmes élues, prêtes à concevoir la parole divine ?
2. Elles deviennent parfumeuses du roi, car en progressant sous la conduite de leur prédicateur, elles reçoivent en abondance la grâce du saint Esprit, qui leur permet de donner des remèdes salutaires aux coeurs contrits. Elles deviennent aussi cuisinières, car remplies de la ferveur de l'Esprit saint, elles allument par leur exemple l'amour du Christ au coeur de leurs proches. Elles deviennent boulangères, quand elles nourrissent les âmes élues de l’aliment de la parole de Dieu.
3. Les filles sont donc parfumeuses, quand elles soignent les blessures du péché. Elles sont cuisinières, quand aux coeurs purifiés des souillures du péché elles mettent la flamme d'un zèle ardent pour les bonnes oeuvres, en leur donnant l'exemple de leur propre vertu. Et elles sont boulangères, quand, à ceux qui progressent grâce aux exemples, elles ne présentent plus des exemples, mais parlent le langage d'une doctrine élevée, afin que, nourris d'aliments solides, pour ainsi dire, ils agissent avec d'autant plus de force que, ayant reçu une instruction spirituelle, ils désirent dorénavant avec plus de ferveur les biens éternels.
59, 1. Le texte poursuit : VOS CHAMPS ET VOS VIGNES ET VOS OLIVERAIES LES MEILLEURES, IL LES PRENDRA ET LES DONNERA À SES ESCLAVES. Que sont les champs, les vignes, les oliveraies qui nous sont ôtés en vertu du droit des prélats ? Mais les saints prédicateurs, quand ils parlent pour corriger les péchés, blâment les plaisirs de la chair, les convoitises de l'âme, la simulation des bonnes oeuvres.
2. Si, en effet, les plaisirs de la chair n'étaient pas des champs possédés injustement, l'Apôtre ne dirait pas : «Celui qui sème dans la chair, récoltera de la chair la corruption.» Semer dans la chair, c'est enfouir le propos de son âme dans les plaisirs du corps. Ceux qui le font récoltent de la chair la corruption, car à la résurrection des élus ils ne reçoivent pas le renouvellement de l’éternelle incorruptibilité.
3.· Sous le nom de vignes, c'est très justement que sont représentées les convoitises de l'âme, car elles enivrent les coeurs éprouvés et les rendent étrangers à la connaissance de la vérité. C’est le fruit de cette vigne que Moïse vitupère en disant : «De la vigne de Sodome est leur vignoble, et leur ceps vient de Gomorrhe. Leur raisin est un raisin de fiel, et c'est une grappe d'amertume que la leur.» De la vigne de Sodome il tire son vignoble et son ceps de Gomorrhe, celui qui remplit son âme de convoitises détestables. Oui, il se fait une vigne, en quelque sorte, celui qui oublie les biens éternels en s'enivrant de ces convoitises, et celui qui se rafraîchit comme à l'ombre d'une vigne, sous le charme d’un plaisir dépravé, se prépare en punition le feu éternel. Aussi est-ce parfaitement à propos que, pour montrer le fruit de cette vigne, il a dit : «Raisin de fiel et grappe d’amertume». Du raisin pour la vue, du fiel pour le goût : alléchant pour les yeux, amer pour le palais, car l’âme retrouvée aime intensément l'objet de sa convoitise, mais ce qui lui est doux à présent lui devient amer dans la peine éternelle.
4. Le roi prend donc nos champs, quand un prédicateur élu nous ôte par ses discours les mouvements de notre chair dont le déploiement nous procure le plaisir. Il prend nos vignes, quand il retranche complètement de notre coeur les convoitises qui l'enivrent. Il ôte aussi les oliveraies, quand il reprend les actes de fausse miséricorde, quand ses exhortations montrent avec raison qu'un acte et dépourvu de tout mérite, s'il ne procède délibérément dune bonne intention.
60, 1. Mais voici une question à examiner très soigneusement : pourquoi dit-on que tout cela sera donné aux serviteurs du roi ? Car, si on nous l'ôte à bon droit, à qui sera-ce attribué sans inconvénient ? Mais si nous creusons la question, nous trouvons que nos saints prédicateurs sont grands en ce qu'ils commandent.
2. Quels sont donc ces serviteurs, sinon ceux qui ont pour chef celui dont le Seigneur dit au bienheureux Job : «Le prendras-tu pour serviteur à jamais ?» De fait, les esprits malins sont les serviteurs des saints : serviteurs perpétuels en cette vie, serviteurs à jamais dans l’autre. Chaque jour, en effet, ils infligent aux saints ce qui leur vaudra. d'être couronnés. Car, puisque c'est le combat de cette vie qui nous procure la gloire éternelle de la victoire en renouvelant sans cesse les guerres qui nous conduisent à l'éternel repos, ils nous rendent sans nul doute de grands services. Ils sont aussi les serviteurs de ceux qui les vainquent, comme l'atteste la Vérité : «Quand on est vaincu par quelqu'un, on en devient le serviteur.» Car, en engageant le combat contre ceux qui vont les vaincre, ils servent ceux qui seront couronnés pour la force avec laquelle ils font face temporairement à leurs combats.
3. Mais ce qui augmente la gloire des saints accroît et aggrave la condamnation des esprits mauvais. Aussi les champs, les vignes et les oliveraies ôtés sont-ils donnés aux serviteurs. Les démons sont châtiés de toute leur malice dans les peines éternelles. Dans la lutte cachée où ils s’affrontent, quand les élus remportent la victoire, ils doivent à leurs ennemis les maux qu'ils repoussent, car, tandis que les uns sont éprouvés comme l'or dans la fournaise, les autres sont punis pour leurs suggestions détestables.
4· Les serviteurs reçoivent donc des champs, des vignes et des oliveraies, car lorsque les pécheurs reviennent à la vie grâce à la prédication des docteurs, les démons reçoivent un supplément de damnation pour le temps si prolongé où les pénitents sont restés, trompés par eux, prisonniers de leur faute passée. Ces choses sont aussi données aux serviteurs quand les pécheurs, convertis au Seigneur par le ministère des prédicateurs, reconnaissent que les démons les trompaient lorsqu'ils étaient captifs de l'amour de leurs méfaits passés.
61, 1. Pourquoi, d'autre part, le texte rapporte-t-il que les moissons et les revenus des vignes sont soumis à la dîme, et que celle-ci est donnée aux eunuques, serviteurs du roi ? Mais les moissons des élus sont soumises à la dîme, quand nous recueillons la fine fleur de leurs oeuvres pour la donner en exemple aux fidèles.
2. Un seul homme, cependant, a eu en lui la plénitude de toutes vertus. Lui seul, il a eu cela, parce qu'en lui s’est répandue corporellement toute la plénitude de la divinité. Quant à nous, parce que nous avons tous reçu de sa plénitude, nous possédons les dons de la grâce de façon partielle et fragmentaire. D'où le mot de Paul : «A l'un est donnée par l'Esprit une parole de sagesse, à un autre une parole de science selon le même Esprit; à celui-ci le don des langues, à celui-là l'interprétation des paroles; à un autre la foi dans le même Esprit, à un autre l'accomplissement de miracles, à un autre la prophétie, à un autre le discernement des esprits.»
3. Le nombre dix étant parfait, nous percevons la dîme des vertus quand nous recueillons les dons de chaque élu pour que nos inférieurs les imitent. Car il est écrit de Moïse qu'il était le plus doux de tous les hommes. D’Abraham aussi il est dit qu'il crut en Dieu et que cela lui fut compté pour justice. Quand donc nous voulons imiter la douceur ou la foi, il nous faut, en quelque sorte, soumettre à la dîme les produits alimentaires des moissons élues, en prenant l’exemple de Moïse et d'Abraham pour restaurer notre âme. Oui, c’est bien ainsi que les prédicateurs nous proposent en exemple la chasteté de Joseph, la patience de Job, le zèle de Phinées, car en nous montrant les vertus des parfaits, ils rassemblent en quelque sorte les dîmes des moissons élues pour les placer devant ceux qui progressent dans le bien.
62, 1. Aussi est-ce bien à propos qu'on prédit que ces dîmes des fruits du sol seront données aux eunuques et aux serviteurs. Sont eunuques, en effet, ceux qui, par leur vertu morale, ont brisé en eux-mêmes tous les attraits du plaisir. Le Seigneur dit d'eux dans l’Évangile : «Il est des eunuques qui se sont mutiles pour le royaume des cieux.»
2. Quant aux serviteurs, ce sont ceux qui s’adonnent encore, sous le contrôle d'autrui, aux exercices de la vie active et ne peuvent encore sortir en liberté dans le large espace de la charité. Ce sont eux aussi qu'on trouve chez Moïse astreints à servir leurs maîtres pendant six ans, afin de sortir en liberté la septième année : en effet, ils doivent d’abord être parfaits en leur action, pour pouvoir sortir dûment dans la plus haute contemplation.
3. Aux eunuques qui le servent, le docteur donne donc la dîme des moissons, quand ceux qui lui obéissent dans la candeur de la chasteté suivent les oeuvres insignes des anciens. Il donne aussi la dîme des vignes, quand il leur montre de quelle admirable charité nos pères ont aimé Dieu et le prochain, pour que, eux aussi, ils s’efforcent d'être remplis de cette abondante charité et que, comme enivrés, oubliant le passé, ils n'aient d'amour que pour les biens à venir et ne cessent de courir vers eux avec ferveur.
63, 1. Après tout cela, on prédit que les serviteurs et servantes des Israélites, ainsi que l'élite de leurs jeunes gens, seront pris pour être employés aux travaux du roi. Qui sont donc les serviteurs des charnels, sinon ceux que l'exemple des méchants, par une longue accoutumance, a tellement pervertis qu'ils paraissent avoir définitivement courbé le cou de leur âme sous le joug d'une imitation détestable ? On prend donc leurs serviteurs, quand le zèle des prédicateurs élus fait abandonner le péché même à ceux qui paraissaient fortement assujettis à la funeste imitation des charnels.
2. On les appelle aussi l'élite des jeunes gens. Jeunes, ils le sont, de fait, parce qu'ils sont forts dans le mal. On les qualifie aussi d'élite, parce qu'ils sont pires que les autres pécheurs. Le prophète dit en effet : «Malheur à vous qui êtes puissants pour boire le vin, et forts pour mélanger les liqueurs enivrantes.» Ils boivent le vin, ceux qui reçoivent précipitamment dans leur for intérieur la ferveur de la convoitise. Et ils mélangent les liqueurs enivrantes, parce que, s'enflammant de convoitises brûlantes, ils perdent la raison et ne savent plus revenir aux voies droites. Puissants et forts, tant pour boire que pour mélanger les liqueurs enivrantes, ils le sont à tel point qu'on les présente, pour la ferveur de leur détermination à mal agir comme des serviteurs d'élite.
3. Cette élite des jeunes gens, la parole divine la désigne à nouveau quand elle représente l'avidité du diable en disant : «Sa nourriture est de choix.» De fait le vieil adversaire se repaît gloutonnement de leur méchanceté parce qu'ils sont plus méchants que les plus méchants.
4. Quant au nom , de «servantes», il désigne cette espèce détestable de pécheurs qui sont très mauvais par la gravité de leurs fautes et donnent aux autres l'exemple de la perversion. Comme des servantes, en effet, ils enfantent des serviteurs, en n'étant pas seulement, dans le domaine des fautes graves, des ouvrières mais encore des mères.
64, 1. Cependant la prédication des saints va jusqu’à convertir certains, qui deviennent ensuite de grands serviteurs du Dieu tout-puissant. Aussi le texte dit-il fort à propos que les serviteurs et les servantes sont pris et employés aux travaux du roi.
2. Le roi n'a-t-il pas pris une servante, quand il a dit de la grande pécheresse : «Ses nombreux péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé ?» Et il l'a employée à ses travaux, quand, est entré dans son village et qu’elle l’a reçu dans sa maison. Il a a employée à ses travaux, quand ressuscitant des morts, il lui a ordonné d’annoncer sa résurrection.
3. De même, il a pris un serviteur, quand, arrachant Matthieu aux profits de son bureau de péage, il l'a appelé à le suivre. ll l’a employé a ses travaux, en se faisant offrir par lui un repas dans sa maison. Il l'a employé à ses travaux, car il en a fait un prédicateur en Ethiopie et un évangéliste dans le monde entier. Par le ministère des prédicateurs, on voit même revenir au Seigneur des personnes dont le salut pouvait sembler désespéré à vues humains. C'est donc bien à propos que, d'après le texte les serviteurs et les servantes, ainsi que l'élite des jeunes gens, seront employés aux travaux du roi.
65, 1. Sous le nom de serviteurs et de servantes, on peut entendre les mouvements du coeur et les affections. Car, lorsque les premiers nous suggèrent des actes répréhensibles, ils sont serviteurs; quand les affections de l’âme aspirent à subir les suggestions des mouvements pervers, elles sont servantes. C’est alors qu'il nous faut dominer les uns et les autres par la rigueur de notre propos. Les prédicateurs prennent nos serviteurs et nos servantes quand ils forment les mouvements de nos coeurs et nos affections de façon à les orienter vers le service de Dieu. Ils les emploient aux travaux du roi, quand nous nous mettons à accomplir ce service de Dieu, que nous avons appris de leur enseignement.
2. Par suite, les ânes, à leur tour, ne figurent-ils pas au mieux les mouvements lascifs de l'âme ? On les emploie aux travaux du roi, quand l'âme, que ses mauvaises pensées portaient à la lascivité, progresse grâce à la prédication d'un docteur et emploie ses affections à des aspirations qui tendent à imiter la chasteté.
66. Sous le nom de serviteurs, de servantes et d'ânes, le texte peut encore viser ceux qui servent corporellement avec vigueur des hommes séculiers. Mais ils sont employés aux travaux du roi, car en se convertissant au service du Dieu tout-puissant, ils endurent l'effort spirituel en vue de la récompense éternelle avec d'autant plus de dévotion qu'ils voient plus clairement la stérilité des grandes peines qu'ils enduraient.
67, 1. On nous dit aussi que le roi perçoit la dîme des troupeaux, parce que quiconque aspire à plaire au Dieu tout-puissant doit être à la fois pur par l'innocence et zélé pour la pratique des bonnes oeuvres. L'un rend l'arbre bon l'autre lui fait produire des fruits. Mais pour pouvoir garder l'innocence et accomplir de bonnes oeuvres, nous utilisons quantité de choses. Nos troupeaux, par conséquent, ce sont les foules de nos pensées innocentes.
2. Pourquoi donc les soumet-on à la dîme, sinon parce que le détail de nos pensées ne se laisse pas voir facilement ? Souvent, en effet, nous croyons avoir de bonnes pensées, et un examen détaillé montre qu'elles ne sont pas bonnes. Les troupeaux doivent donc être soumis à la dîme, pour que la part qui revient au roi ne contienne rien qui ne tombe sous le nombre dix. Cela se réalise bien en nous, quand nous apprenons de nos maîtres, les prédicateurs, à être parfaits non seulement en accomplissant des actes, mais encore en scrutant nos pensées.
68, 1. Pour finir, le texte dit : VOUS SEREZ SES ESCLAVES, pour que, sachant qu'ils lui appartiennent, ils n’osent pas transgresser ses ordres. C'est cette domination royale que le Seigneur voulait établir, quand il disait : «Tout ce que tu lieras sur terre sera lié aussi dans les cieux et tout ce que tu délieras sur terre sera délié aussi dans les cieux.» Ce pouvoir, il l'exerçait également sur ses sujets, celui qui disait : «Si quelqu'un vous annonce un autre évangile que celui que je vous ai annoncé, qu'il soit anathème !»
2. De là le mot que le Seigneur dit à ses disciples quand il les envoie prêcher : «Qui vous écoute, m'écoute, et qui vous méprise, me méprise.» De là ce que le Seigneur dit à ces mêmes disciples au sujet des prédicateur du judaïsme : «Tout ce qu’ils vous disent, faites-le.»
3· Nous sommes donc les esclaves de nos rois, quand nous obtempérons aux ordres de nos hiérarques, en ne nous permettant de rien faire sans leur autorisation. Puisque tout contribue donc au bien de ceux qui confirment leurs vertus par la vertu d'obéissance, on dit à la fin du droit du roi : «Et vous serez ses esclaves», afin que les sujets fidèles sachent qu’ils doivent se soumettre aux injonctions des prédicateurs, même quand, en progressant dans les vertus, ils parviennent au comble de la perfection. Cela, la Vérité elle-même l’enseigne à ses disciples, lorsqu'elle dit en propres termes : «Quand vous aurez fait tout cela, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles.»
69. 1. Mais c'est à des charnels que Samuel parlait de la sorte. Aussi ajoute-t-il : ET VOUS CRIEREZ CE JOUR-LÀ LOIN DE LA FACE DE VOTRE ROI QUE VOUS VOUS ÊTES CHOISI, ET LE SEIGNEUR NE VOUS EXAUCERA PAS CE JOUR-LA, PARCE QUE VOUS AVEZ DEMANDÉ POUR VOUS UN ROI.
2. Ceux qui avaient demandé un roi crient loin de la face du roi, quand ceux qui avaient voué de mener une vie spirituelle sous un bon directeur tentent d'abandonner les durs travaux de cette vie. La face, en effet, est ce à quoi l’on reconnait un chacun. La face du roi est donc la manière de vivre et l'enseignement notoires d'un bon prédicateur. Pour la vie, éternelle, ils observent eux-mêmes un régime dur et austère, et ils prescrivent aux autres un régime dur; aussi leurs sujets charnels s'efforcent-ils, non d'imiter leur vie et leur doctrine, mais de les fuir.
3. En effet, ils voient alors la face du roi, après avoir demandé un roi dont ils ignoraient le visage, car ils comprennent, à la vue de leur hiérarque, combien pénible est la sévérité du voyage vers le ciel, qu'ils désiraient comme une chose facile avant de le connaître. Alors ils crient loin de la face du roi, ceux qui avaient demandé un roi, car, ne voulant pas renoncer à leur manière de vivre charnelle ils essaient de fuir l'imitation louable de l'excellent pasteur qu'ils voulaient avoir à leur tête.
4. Et parce que leur coeur aveugle ne peut avoir la lumière, ils crient vers le Seigneur. En d'autres termes pour pouvoir esquiver le joug spirituel de Dieu, ils supplient le Seigneur. Mais le Seigneur ne les exauce pas ce jour-là. Quel est ce jour ou les sujets réprouvés supplient le Seigneur, sinon l'aspiration à une vaine prospérité ? Ils ne sont donc pas exaucés, car jamais la grâce divine n’accorde que, une fois qu’on a promis de se soumettre à de bons supérieurs, on puisse s'en aller librement aux plaisirs du monde. C'est pourquoi il ajouta la cause : «Parce que vous avez demandé un roi». Comme s’il disait : «La promesse de soumission aux pasteurs spirituels est irrévocable. Vous demandez facilement qu’on vous donne un roi, mais si la dignité royale vous pèse, vous ne pouvez facilement échapper à leur pouvoir.»
70, 1. Puisque nous disons cela au plan de la lettre, il nous paraît nécessaire de noter que le Dieu tout-puissant, en prédisant le droit du roi, donne aux supérieurs religieux un mode!e à suivre : eux qui exercent l'autorité sur la voie très étroite de la vie religieuse, ils ne doivent pas en accorder facilement l’entrée aux nouveaux venus qui s’y présentent. C’est pourquoi un maître excellent de cette vie religieuse très étroite, disciple bien instruit de la suprême Vérité donne ce précepte : «Éprouvez les esprits, pour voir s’ils sont de Dieu.» Et encore : «Qu'on lui annonce des choses dures et âpres, afin qu'il sache à quoi il s’expose en entrant.»
2. Que le Seigneur prédise donc le droit du roi sachant tout, qu'il dise comment les charnels vont se comporter dans son observation. Pour que les faibles ne s’approchent pas facilement d'une vie de vertu, que des supérieurs pleins de force ne reçoivent pas facilement des faibles. La conversion rapide vient souvent d'une décision prématurée, non d'un accroissement de dévotion. Quand des faibles font des promesses fortes, ce n'est pas que leur âme fasse preuve de solidité, mais que leur discernement s'égare. Ces gens-là sont tous compris dans l’avertissement que le sage donne à un individu en disant : «Ne soulève pas un poids qui te dépasse.»
3. Ceux qui dirigent les autres dans la forte entreprise de la vie régulière doivent donc recevoir ceux qui se convertissent à cette vie avec d'autant plus de discernement qu'il est plus opportun de savoir d'avance si la demande de ceux qui se présentent vient de la vertu de leur âme ou d'une volonté prématurée. Car ceux qui agissent facilement demandent d'ordinaire l'âpreté de la vie spirituelle avec tant d'instances qu'ils semblent désirer l'objet de leur demande avec une grande vertu d'âme.
71. C'est donc très heureusement que le texte ajoute : LE PEUPLE NE VOULUT PAS ENTENDRE LA VOIX DE SAMUEL, MAIS ILS DIRENT : NON, NOUS AURONS UN ROI AU-DESSUS DE NOUS, ET NOUS SERONS NOUS AUSSI COMME TOUTES LES NATIONS. NOTRE ROI NOUS JUGERA. IL MARCHERA DEVANT NOUS ET MÈNERA NOS GUERRES À NOTRE AVANTAGE. Plus haut, nous avons expliqué cela tout au long. Il est donc vain de s'attarder à des recherches sur ces mots.
72, 1. Suite du texte : ET SAMUEL ENTENDIT TOUTES LES PAROLES DU PEUPLE, ET IL LES DIT À L'OREILLE DU SEIGNEUR. Entendre la voix du peuple, c'est prendre connaissance de ce que disent extérieurement ceux qui demandent l'habit de la sainte vie religieuse. Car nous ne faisons, en quelque sorte, qu'entendre la voix des nouveaux venus, quand nous savons ce qu'ils affirment extérieurement, mais ne voyons pas ce qu'ils vont être au sein des affirmations de leur engagement. Nous devons donc dire ce qu’ils disent à l'oreille du Seigneur, pour qu’il reçoive lui-même les paroles de leur engagement, lui qui scrute les coeurs tout en entendant les paroles, et qui exige des oeuvres vigoureuses en guise d'intérêt, conformément à l'acte écrit de la profession.
2. Que les âmes de nos novices entendent donc cela et s'en alarment, car ce qu'ils nous disent, nous le répétons à l’oreille du Seigneur. En effet, la promesse qu'ils font devant nous, nous l'offrons à Dieu, si bien qu'il tient désormais de nos mains l’engagement qui fondera ses exigences. En se libérant de la sorte, le supérieur lie son sujet : celui-ci est passible d'une sentence d'autant plus sévère qu’il peut savoir plus clairement que, pour les réponses qu’il fait, il devra rendre compte au Dieu tout-puissant.
3. Quand donc nous offrons à Dieu ce que les novices promettent, nous lui donnons, si l'on peut dire, la reconnaissance de dette qu'ils nous font. Et comme cela se fait de façon cachée, c'est à l'oreille du Seigneur que Samuel d'après le texte, répéta ce qu'avait dit le peuple. En effet : nous parlons à l’oreille de nos amis, quand nous cachons aux autres ce que nous leur disons.
73, 1. Suite du texte : LE SEIGNEUR DIT À SAMUEL : ECOUTE LA VOIX DU PEUPLE ET ÉTABLIS UN ROI QUI RÈGNE SUR EUX. Plus haut, le prophète a dit, en prévision de l’avenir : «Vous crierez vers le Seigneur ce jour-là, et il ne vous exaucera pas, car vous avez demandé un roi.» A présent, le Seigneur dit : «Écoute leur voix et établis un roi qui règne sur eux.»
2. Que nous montre-t-on par là, sinon que souvent de bons supérieurs de la sainte Eglise reçoivent de Dieu l’inspiration de soumettre aux exercices de la vie céleste des hommes qui ensuite ne se montrent pas dévots sous la discipline de cette profession ? Ceux-là ensuite crieront loin de la face du roi, et cependant ils reçoivent un roi par ordre de Dieu, car il leur vient l'inspiration divine d’entrer avec dévotion au service de Dieu, alors que la sollicitude de leurs pasteurs devra, non sans accroître leur récompense éternelle, dépenser beaucoup de peine et d’énergie pour les maintenir sous les obligations de leur service.
3. Ils crient vers le Seigneur loin de la face de leur roi dit le texte. Mais ce que répond le prophète envoyé par le Seigneur, que les rois l'entendent, afin de savoir, au milieu de ces cris, ce qu'ils doivent faire. «Il ne vous écoutera pas», dit-il. Eux non plus, donc, ils ne doivent pas écouter. En effet, ceux qui sont tièdes dans les saints monastères doivent être soignés comme des malades, non expulsés comme des morts. Car, s'ils ont été envoyés par le Seigneur, les onguents spirituels qui leur sont appliqués les font revenir a résipiscence.
4. Que le Seigneur dise donc : «Établis un roi qui règne sur eux», car certains, qui sont venus au service de Dieu avec dévotion, se refroidissent par une permission d’en haut, mais ils retrouvent un chaleureux amour de la patrie céleste grâce aux efforts des pasteurs à l'autorité desquels ils s'étaient soumis par inspiration divine.
74, 1. Mais quel est le pasteur apte à cette tâche ? Le texte le fait voir en disant : lL Y AVAIT UN HOMME DE BENJAMIN NOMMÉ CIS, FILS D'ABIHEL, FILS DE SEROR, FILS DE BEORETH, FILS D'ASIA, FILS D'UN HOMME DE GEMINI; C'ÉTAIT UN HOMME FORT, REMPLI DE VIGUEUR. ET IL AVAIT UN FILS, NOMMÉ SAÜL, ÉLU ET BON. Pourquoi, en désignant le roi qui va être institué, indique-t-on au préalable les noms de ses pères, sinon parce qu'un homme appelé au gouvernement de la sainte Église n'en est pas digne, si ses moeurs ne sont pas empreintes de la noblesse des saint pères ?
2. Si d'ailleurs on donne les noms de six pères, c’est pour représenter la perfection de leur vie sainte dans les bonnes actions. C'est en six jours, en effet, que le monde a été créé, et c'est en six âges qu'il arrive à sa fin. Il y a donc six pères nommés dans la généalogie des pasteurs de la sainte Eglise, car ceux-ci, par l'imitation, sont les fils de ceux qui sont parvenus au comble de la perfection pour servir de modèles à leurs successeurs.
7S, 1. Le père du roi s'appelle Cis, c’est-à-dire «dur», car ceux que les saints prédicateurs imitent ne sont pas des gens de vie et de zèle relâchés. Non, ils sont durs car le langage qu'ils parlent aux pécheurs n'est pas mou. Durs, ils le sont aussi, car pour bien corriger les autres, ils montrent dans leur propre manière de vivre les choses dures qu'ils commandent.
2. De fait, il se montrait dur, celui qui reprenait les Juifs en disant : «Race de Vipères, qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? Faites donc de dignes fruits de pénitence.» Mais tout en étant dur pour les autres, il n'était pas doux pour lui-même. Car pour montrer qu'il pratiquait la dure pénitence qu'il prêchait, l'Évangéliste dit de lui : «Il portait un vêtement de poils de chameau et une ceinture de cuir autour des reins; pour nourriture, il prenait des sauterelles et du miel sauvage.»
3. A Ezéchiel aussi, Dieu dit : «Voici que j'ai rendu ton front plus dur que leurs fronts; semblable à l'acier et à la pierre j'ai rendu ta face.» Mais l'homme si dur qui s’en prenait à des endurcis dans le mal, pour montrer les durs événements dont il allait parler, pleura pendant sept jours au milieu deux avant de parler. Il dit en effet : «Je m’assis là où ils étaient assis, et je restai là pendant sept jours pénétré de tristesse, au milieu d'eux.»
4. Les saints prédicateurs ne sont donc pas doux et tendres pour les pécheurs obstinés, et l'âpreté de leur prédication se retrouve dans leurs actions. Aussi est-ce à bon droit qu'on nous présente Saül comme le fils d’un homme dur. Tels sont en effet les modèles que le prédicateur élu doit imiter : ceux dont la prédication est incisive et qui mettent en pratique ce qu'ils disent.
76, 1. De là ce que le texte ajoute au sujet de ce même père du roi : «C’était un homme fort, rempli de vigueur». Il en est dans, la sainte Église qui sont forts, mais remplis d’orgueil et d’arrogance. Ils font de grandes choses, mais quand les hommes cessent de louer ce qu'ils font, ils cessent à leur tour de faire ces grandes actions. Il est donc fort, rempli de vigueur, celui qui tient de l'Esprit saint la vertu qu'il déploie en agissant bien.
2. C'est au sujet de cette vigueur qu'Anne a prophétisé plus haut dans son cantique en disant : «Les faibles se sont ceints de vigueur.» C'est elle que le Seigneur promet à ses disciples en disant : «Restez dans la cité, jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut.» C'est avec cette vigueur que marchait celui dont il est écrit : «Jésus revint en Galilée avec la force de l’Esprit.»
3. Celui qu’on appelle «dur» est donc qualifié de «fort, rempli de vigueur,» car les hommes élus, en prêchant des vérités très élevées et en déployant une action de grande qualité, accomplissent avec la force du saint Esprit tout ce haut enseignement, toutes ces grandes actions.
77, 1. Le texte ajoute à son sujet très justement : «Il avait un fils nommé Saül, élu et bon.» En effet, celui qui imite les hommes de cette trempe est non seulement apte à travailler au ministère, mais encore digne de recueillir le fruit de l'héritage. Judas, lui aussi, fut élu pour le ministère, mais, faute d'être bon, il perdit son droit de succession.
2. Quels sont donc ceux que représente Saül, encore élu et bon, sinon les élus qui imitent les saints pères, utiles aux autres par leur enseignement et à eux-mêmes par la vie qu'ils mènent, capables de diriger les autres sans cesser de pourvoir à leur propre bien ? De fait, ils sont à la fois élus et bons, car ils se dépensent pour gagner autrui sans subir eux-mêmes aucune perte. En eux-mêmes ils sont pleins, pour les autres ils débordent, et de leur trop-plein ils donnent aux autres sans rien perdre de leur plénitude. Ils ont de quoi fournir à autrui, mais de ce qu'ils ont pour leur propre suffisance ils ne fournissent rien à personne. Aux autres ils s'efforcent de procurer de l'huile, sans pour autant se priver du combustible qui produit la lumière, et tout en illuminant les autres, ils ne s'éteignent pas eux-mêmes.
3. C’est donc bien à propos que le texte dit de Saül qu’il est élu et bon, car celui qui reçoit le gouvernement de la sainte Eglise doit être riche tout ensemble d'une parure de dons spirituels et d'une plénitude de mérites.
78, 1. Et parce que les élus doivent être ceux qui, dans la masse, sortent de l'ordinaire, le texte poursuit : ON NE TROUVAIT PAS PARMI LES ENFANTS D'JSRAËL DE MEILLEUR QUE LUI. Son excellence est mise en relief par la suite : IL DÉPASSAIT DE L'ÉPAULE TOUT LE PEUPLE.
2. En la personne du hiérarque qui va recevoir l’ordination, cette apparence corporelle annonce des actes de vertu. Que désigne l'épaule, en effet, sinon la force ? Mais celui qui dépassait de l'épaule tout le peuple était d'une si haute stature que le plus grand du peuple n'arrivait avec sa tête qu'à l'épaule du roi, tandis que le futur roi dominait du cou et de la tête la taille de tous.
3. Les têtes du peuple ne sont-elles pas les âmes du peuple soumis ? Tendues à l'extrême, elles arrivent à l'épaule du roi qui va être institué, car celui qu'on cherche pour le gouvernement suprême de la sainte Eglise doit être tellement parfait qu'il doit faire voir dans sa propre conduite tout ce que le peuple veut se proposer en matière de bonnes oeuvres. De fait, les têtes des gens du peuple touchent en quelque sorte l'épaule du roi, quand leurs coeurs trouvent en leur pasteur toutes les vertus qu’ils cherchent en lui.
4. Mais le roi les dépasse du cou, les dépasse de la tête. Le cou ne représente-t-il pas le discours, et la tête la contemplation de l'âme ? Il dépasse donc de la tête et du cou les têtes de tous ses sujets, s'il se fait admirer pour la hauteur de sa contemplation et l'élévation de son enseignement. De fait, il a en quelque sorte la tête très haute, quand il contemple les secrets célestes que les autres ne peuvent contempler. Il a aussi le cou au-dessus des autres, quand on admire l'élévation de ses discours, pour laquelle il n'a pas d'égal.
5. De fait, il avait en quelque sorte dressé la tête très haut, celui qui disait : «J'en viendrai aux visions et révélations du Seigneur. Je connais un homme de ce genre – était-ce en son corps ou hors de son corps, je ne sais, Dieu le sait.» Mais comme un roi élu et bon, pour montrer qu’il tenait aussi son cou au-dessus de toutes les têtes, il dit : «J'entendis des paroles secrètes, qu'il n'est pas permis à un homme de dire.»
6. Pourquoi, cependant, admirons-nous cette espèce de cou proéminent à propos de ce qu'il a passé sous silence ? Egalons-le, si nous le pouvons, en ce qu'il a dit. Du cou de l'apôtre Paul sont sorties ses épîtres. Depuis ce temps-là, les gens savants se sont mis à les expliquer, et ils s'efforcent encore de mieux comprendre ce qu'il a dit. Et tout en progressant chaque jour dans son enseignement, ils ne peuvent parvenir, malgré tous leurs efforts, au sommet de son cou.
7. Que le roi domine donc du cou, qu'il domine de la tête, qu'il ait l'épaule haut perchée : ainsi il sera parfait dans sa conduite, admirable par sa parole, plus élevé que quiconque sur le haut lieu de la contemplation.