LIVRE TROISIÈME

Sens typique

1. 1. En examinant attentivement la façon dont le sens du texte sacré s'applique à la conduite des élus, nous avons reporté à plus tard la reprise de l’exposé allégorique. Donc, afin de suppléer à ce que nous avons omis, pourquoi, tout en disant que Samuel servait le Seigneur en présence d'Héli, ajoute-t-on que la parole du Seigneur était précieuse ? Comme nous l'avons dit auparavant, Samuel représente les prédicateurs de la sainte Église, et Héli, les pères élus de l'Ancienne Alliance. 2. Le jeune Samuel servait donc le Seigneur quand le nouvel ordre des docteurs prêchait la foi au Rédempteur. Ce service, Paul en parle quand il dit : «Tant que je serai l'apôtre des païens, j’honorerai mon service.» D'où ce qu'il dit encore : «Ils sont hébreux, moi aussi; Israélites, moi aussi; serviteurs du Christ, moi aussi.» Servir le Seigneur, c'est donc aller au labeur de la prédication. 3. D'autre part, on dit que Samuel accomplissait ce service du Seigneur en présence d'Héli, car en tout ce que le nouvel ordre des prédicateurs a affirmé au sujet de la religion de la nouvelle foi, il s'est appuyé sur l'autorité des pères d'autrefois. Samuel servait donc le Seigneur quand le nouveau prédicateur affirmait : «Je le dis, en effet, le Christ Jésus s'est fait le serviteur des circoncis en témoignage de la véracité de Dieu, mais les nations glorifient Dieu pour sa miséricorde.» 2, 1. Afin d'accomplir aussi en présence d'Héli le service qu'il accomplissait pour le Seigneur, Paul ajouta : «Comme il est écrit : Louez le Seigneur, toutes les nations, et comblez-le de louanges, tous les peuples.» Et, pour se lier plus étroitement en présence d'Héli au service du Seigneur, il dit encore : «Isaïe le dit, en effet : Il y aura un rejeton de Jessé qui se dressera pour régir les nations, en lui les nations placeront leur espoir.» Le jeune Samuel servait le Seigneur quand Pierre proclamait la gloire de la résurrection du Seigneur, en disant : «Jésus, le Nazaréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous par des signes et des prodiges, vous l'avez livré et fait mourir par la main des impies qui l'ont fait souffrir. Cet homme, Dieu l'a ressuscité des morts le troisième jour, comme il l'avait arrêté d'avance, car il n'était pas possible qu'il fût retenu dans les souffrances de l'enfer.» 2. Mais, ce service qu'il accomplissait pour Dieu, il l'accomplit aussi en présence d'Héli, car il ajouta ceci : «David en effet dit de lui : Tu n'abandonneras pas mon âme à l'enfer et tu ne laisseras pas ton saint voir la corruption.» C'est donc bien à propos qu'on dit de Samuel qu'il sert le Seigneur en présence d'Héli, car quand les prédicateurs élus de la sainte Église établirent par la prédication les bases de la nouvelle foi, ce qu'ils ont affirmé en recourant à la raison, ils l’ont fondé sur l'autorité des pères d’autrefois. 3, 1. Alors, nous dit-on, la parole du Seigneur était précieuse. Ce qui est précieux ne peut être acheté à bas prix. Mais le prix qu'on paie pour acheter la parole de Dieu, c'est la peine qu'on prend à accomplir une oeuvre sainte. Car nous payons en quelque sorte la chose que nous voulons acquérir, quand nous nous donnons la peine d'oeuvrer pour la parole de la prédication que nous recevons. 2. Or, cette parole était précieuse, quand on ne l'échangeait pas contre la peine d'une oeuvre quelconque, quand tous ceux qui tuaient l'acquéreur de la Parole s'imaginaient offrir leur hommage à Dieu. En ce temps-là donc, qui voulait acquérir la parole avait besoin d'une grosse somme, car il ne pouvait garder la parole de la foi sans prendre beaucoup de peine, celui qui allait jusqu'à souffrir des tortures parce qu’il croyait. C'était en effet le temps où la parole que l’on achetait n'exhortait pas en recourant aux symboles d'une morale imagée, mais en énonçant clairement ce précepte : «Celui qui veut venir à ma suite, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu'il me suive.» 3. De là cette autre parole : «Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi», et : «Celui qui ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple.» Ainsi donc, quand on parle du service de Samuel, on rapporte que la parole du Seigneur était précieuse, parce que quand ceux qui ont cru à la vie éternelle que leur annonçaient les docteurs ont accédé à la foi, il est à croire qu'ils ont dû payer leur adhésion à la parole de la foi en déployant une grande endurance. 4. Et parce que le peuple juif avait déjà perdu la lumière de la connaissance divine, le texte poursuit : EN CES JOURS-LÀ, IL N'Y AVAIT PAS DE VISION MANIFESTE. Elle serait manifeste, la vision, s'il avait cru au Rédempteur dont il avait entendu qu'il était venu le visiter. 5, 1. C'est de son aveuglement dont il est ensuite question : IL ARRIVA qu'HÉLI ÉTAIT COUCHÉ À SA PLACE ET NE POUVAIT VOIR, AVANT QUE LA LAMPE DE DIEU NE FÛT ÉTEINTE. De fait, la vision n'est pas manifeste aux yeux d'Héli, car le sacerdoce judaïque a été enseveli dans l'aveuglement de son incrédulité. Héli est donc couché à sa place car, bien qu'ayant la lettre de la Loi, il ne trouve pas dans la Loi et dans les prophètes la position debout de qui est dans la lumière, mais la chute de qui est dans l'aveuglement. 2. En effet, la place où se trouve Héli, c'est-à-dire le prédicateur juif, c'est la Loi sacrée. Comme le sacerdoce judaïque possède encore le texte sacré, il est à sa place; mais ne connaissant pas le sens de la sainte Écriture, il ne se met pas dans la position debout de la foi, et l'on rapporte qu'il ne se tient pas debout, à sa place, mais couché. 3. De même, puisqu'il a été rejeté jusqu'à la fin du monde, il est dit que la lampe de Dieu ne peut voir. C'est pourquoi, puisque les Juifs reçoivent chaque jour de la sainte Église tant d'exhortations par la prédication, puisque, vaincus par tant d’affirmations de foi, ils ne croient pas, n'est-ce pas là ce que nous lisons à leur propos dans la Parole sacrée, et tenons aussi par expérience : ils sont rejetés, de telle sorte que non seulement ils ne voient pas, mais aussi qu'ils ne peuvent pas voir ? C'est pourquoi les apôtres, estimant qu'ils enduraient une peine inutile au service de ceux qui ne pouvaient pas voir, leur disent dans leurs Actes : «Puisque vous vous êtes rendus indignes de la vie éternelle, eh bien, nous nous tournons vers les païens.» 4. Néanmoins, celui dont on a dit qu'il ne peut voir est appelé lampe de Dieu. De fait, le magistère de la Synagogue a été la lampe de Dieu quand il resplendissait, en la personne des pères élus, de la lumière de la vraie prédication et de la promesse de la venue du Rédempteur. Cette lampe n'a pas pu voir au temps où Samuel assurait le service car, quand vint le temps de la nouvelle prédication, le magistère de la Synagogue encourut le châtiment du rejet éternel. 6, 1. Et notons bien qu'il n'est pas dit : «Elle ne pouvait pas éclairer», car elle porte encore pour nous la lumière de la sainte Écriture; seulement, ce qu’elle porte, elle ne sait pas ce que c'est. C'est pourquoi l’on dit qu'avant même que la lampe fût éteinte, elle ne pouvait pas voir. Si elle ne peut voir alors qu'elle n’est pas encore éteinte, c'est que, à n'en pas douter, comme je l'ai déjà dit, la lumière qu'elle porte, elle n'y prête pas attention. 2. «Avant qu'elle ne soit éteinte», en effet, cela signifie : tant qu'elle éclaire. Et puisque, jusqu'à la fin du monde, la sainte Écriture ne lui sera pas retirée, s’il ne voit pas avant même qu'elle soit éteinte, il restera dans l'aveuglement jusqu'à la fin du monde. Si, d'autre part, on entend sa fonction d'allumer comme le zèle de l'incrédulité, il s'ensuit que s'il ne peut voir, c'est parce qu'il ne s'éteint pas. Car s'il éteignait le feu de l'incrédulité dans son âme, le zèle de l'impiété étant arraché, il ouvrirait les yeux de son âme à la paisible lumière de la vraie foi. 7, 1. Toutefois, puisqu'on nous dit que la lampe indigne ne peut pas voir, on cherche celle qui est digne, afin de voir. Le texte poursuit en effet : QUANT À SAMUEL, IL DORMAIT DANS LE TEMPLE DU SEIGNEUR, OÙ SE TROUVAIT L'ARCHE DE DIEU. ET LE SEIGNEUR APPELA SAMUEL. Assuré de l’aveuglement d'Héli, le Seigneur appela Samuel, parce que le sacerdoce des Juifs étant condamné, il éleva le nouvel ordre des prédicateurs à une plus haute grâce. 2. Mais celui qui a fait voir qu'il appelait, a montré aussi d'où il appelait, car c'est dans le temple du Seigneur, là où se trouvait l'arche, que Samuel dormait, nous a-t-on dit. Or, le temple de Dieu, c’est le lieu que Dieu habite. C'est pourquoi le psalmiste dit : «Le Seigneur dans son temple saint, le Seigneur a son trône dans les cieux.» Paul désigne ce lieu quand il dit : «Le temple de Dieu est saint, et ce temple, c’est vous.» Ainsi, le temple de Dieu, c'est l'âme de tout élu. Le temple où l'arche de Dieu est déposée, c’est l'esprit dans lequel sont conservés par la connaissance les mystères de la parole divine. 3. Qu'est-ce donc que dormir dans le temple, sinon persévérer dans la vigilance exercée sur soi-même, sans que fléchisse l'attention ? Samuel dormait dans le temple de Dieu, car chacun des prédicateurs de la grâce nouvelle, méprisant parfaitement tout ce qui est mondain, se reposa, veillant en l'intime de son âme élue. Et parce qu'il était instruit des mystères de la divine Écriture, il dormait dans le temple où se trouvait l'arche. Et remarquons qu'il n'est pas dit : «Il dormit», mais : «Il dormait», car cette vigilance de son âme, il ne s'efforça pas de la maintenir temporairement, mais d'y persévérer longuement. 4. Ainsi le sommeil de Samuel désigne-t-il le parfait mépris de l'âme du docteur pour le monde. Le prédicateur dort donc dans le temple quand, ayant chassé loin de lui toute sollicitude mondaine, il rentre en lui-même en s'entretenant des réalités spirituelles. Pierre avait choisi le repos de ce sommeil quand il disait : «Il n'est pas bien d'abandonner la parole de Dieu pour le service des tables.» 5. C'est pourquoi Jéthro, le Madianite, parent de Moïse, lui fit à bon droit ce reproche : «Tu t’épuises bêtement à cette tâche; écoute donc ce que je te dis, et le Seigneur sera avec toi. Tiens-toi à la disposition du peuple pour les affaires qui relèvent de Dieu, et tu lui rapporteras ce qu'il lui dit.» D'où cette parole de Paul pour rappeler les Corinthiens au sommeil du temple : «En fait, c'est déjà un tort pour vous que d'avoir entre vous des procès. Pourquoi ne pas souffrir plutôt l'injustice ?» Il avait saisi que ceux qui étaient arrachés à la méditation spirituelle par le souci des procès, ne pouvaient dormir dans le temple de Dieu. 8. On rapporte donc qu'il fut appelé par le Seigneur alors qu'il dormait dans le temple, car ce docteur fut alors élevé à la connaissance des secrets divins, lui dont le coeur se souciait non de demeurer dans ce qui est extérieur, mais dans ce qui est intérieur. 9, 1. Suite du texte : IL RÉPONDIT : ME VOICI. PUIS IL COURUT À HÉLI ET LUI DIT : PUISQUE TU M’AS APPELÉ. CELUI-CI LUI DIT : JE NE T'AI PAS APPELÉ, MON FILS, RETOURNE DORMIR. Pourquoi celui qui a entendu le Seigneur l'appeler a-t-il couru auprès d'Héli, sinon parce qu'il s'est cru appelé par Héli ? Et puisque nous sommes dans un commentaire typique, comment en vient-il à penser qu'il s'agit d'Héli, alors que c'est Dieu qui parle à l'enfant qu'il appelle ? 2. Mais toutes les paroles prononcées par nos pères d'autrefois dans les saintes Écritures, sont incluses dans la parole d'Héli. Puisqu'ils n'ont pas parlé d'eux-mêmes, Dieu ayant dit par leur entremise ce qu'il voulut, cette voix qu'on entend dans les saintes Ecritures, on sait que c'est la voix de Dieu qui s'exprime par la bouche d'Héli. Or, puisque l'enfant à qui Dieu parlait courut auprès d'Héli, Dieu prit certainement une voix semblable à celle d'Héli. 3. Comment se fait-il donc que la voix avec laquelle Dieu parle ne diffère pas de celle d'Héli, sinon parce que c'est Dieu lui-même qui parle aussi par les pères d'autrefois ? On sait que la voix d'Héli est celle de Dieu, car tout ce que disent les pères élus par les paroles sacrées, ils ne l'ont pas reçu d’eux-mêmes, mais de Dieu. C'est pourquoi, chez les prophètes, on répète presque à chaque intervention : «Ainsi parle le Seigneur», afin que nous comprenions que ce que la voix fait entendre par l'oracle prophétique n'est pas le fait d'un homme qui parle, mais de Dieu qui commande. 10, 1. Cependant, Dieu parle tantôt par les Écritures, tantôt par inspiration secrète. Il parle par révélation secrète quand, par l'Esprit, il dévoile à l'âme de l'élu ce qu'il doit faire ou enseigner. C'est pourquoi Samuel courut à Héli quand il entendit le Seigneur l'appeler, car l'ordre élu des prédicateurs de la sainte Église recherchait dans le texte sacré la valeur de ce qu'il avait appris par révélation divine. 2. En effet, la règle d'une connaissance authentique a été énoncée dans les livres de la sainte Écriture, car les desseins de Dieu y ont été exposés par nos vénérables pères, eux qui avaient l'Esprit saint. Chaque fois qu'il a été appelé par le Seigneur, et il l'a été souvent, Samuel s'est donc empressé de se rendre auprès d'Héli, car en tout ce qu'il a appris par révélation de l'Esprit, l'ordre des prédicateurs a consulté les dires des pères d'autrefois, afin de ne tenir quelque chose pour révélation du Seigneur que lors qu'il saurait que cela ne diffère en rien de ce qu'il lisait dans le texte sacré. 3. Il s'égare facilement, en effet, celui qui ne sait éprouver par l'éclatante vérité de la sainte Ecriture la valeur de ce qu'il a recueilli dans l'ombre de la contemplation. D'où cet avertissement de l'Apôtre : «Satan se transfigure en ange de lumière.» Or, comment reconnaître la fausse lumière, sinon à la clarté de la vraie ? Samuel court donc auprès d’Héli chaque fois que le Seigneur l'appelle car, pour ne pas se laisser égarer par le fantasme de la fausse lumière dans leur intime contemplation, les saints docteurs examinent la qualité de leur révélation voilée en la comparant à la claire vérité de la sainte Écriture. 11, 1. À ce propos, il faut se demander comment Héli est en mesure de dire : «Je ne t'ai pas appelé, mon fils.» Cependant, nos pères qui, par la parole sacrée, parlent aux nouveaux prédicateurs, ne les appellent pas, mais ils leur montrent ce qu'est leur révélation intérieure. En effet, appeler l'âme de ses élus, c'est pour Dieu la réveiller par le souffle de sa grâce. 2. Les anciens pères, eux, parlent sans doute par la sainte Écriture; mais ils ne peuvent pourtant pas réveiller le coeur de qui les entend par le souffle de la grâce divine. Puisque, quand on interroge les saintes paroles, elles nous montrent qu'elles ne peuvent procurer le don de la grâce spirituelle, Héli dément figurativement avoir appelé Samuel en prononçant des paroles. 12, 1. Mais ce qu'elles ne peuvent donner, elles peuvent montrer comment on doit l'acquérir. C’est pourquoi Samuel s'entend dire par la voix d'Héli : «Retourne dormir.» Pourquoi Héli donne-t-il, à l'enfant qui est appelé, l'ordre de retourner dormir, sinon pour montrer aux prédicateurs qu'il doivent se préparer, par le repos de l'âme, à recevoir le don de la grâce intérieure ? 2. Et remarquons qu'il est dit : «Retourne.» Car Samuel s'en retourne quand le prédicateur élu passe de la méditation de la sainte Parole au secret de la contemplation intérieure. S'en étant donc retourné, il dormit, car il se reposa dans l'effort de la contemplation intérieure. 13, 1. Ici, il faut également remarquer que Samuel est appelé à trois reprises par le Seigneur, et qu'à trois reprises aussi Héli lui donne l'ordre de dormir. Qu'est-ce que cela signifie, sinon qu'il y a trois degrés de l'amour, comme nous l'avons appris de la Vérité elle-même : «Tu aimeras, dit-elle, le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur et de toute ton âme et de toute ta force» ? Mais qu'entendons-nous par notre coeur, sinon le jugement ? Et par notre âme, sinon la volonté ? Que désigne, d'autre part, notre force, sinon le sentiment de l'amour ? 2. En outre, que cherchons-nous à obtenir par le jugement, sinon la certitude de la vérité ? Et, par le moyen de la volonté, que désirent ceux qui aiment, sinon la volonté de faire le bien ? Que cherchent-ils par le moyen du sentiment, sinon la jouissance de la vraie joie ? Nous sommes en effet élevés par les degrés de l'amour jusqu'au sommet, quand la vérité est révélée au jugement de notre coeur, que la véritable bonté est accordée à la volonté de notre âme et qu’il est donné au sentiment de notre force d'éprouver, par infusion de la grâce divine, la joie spirituelle et vraie. 14. Samuel est donc appelé trois fois par le Seigneur, car quand l'ordre des prédicateurs de l'Église, encore débutante, s'est efforcé de tendre aux réalités d'en haut, il a désiré obtenir la vérité par le raisonnement de son jugement, la bonté par le choix de la volonté et la vraie joie par l'intensité du sentiment. Appelé jusqu'à trois fois, il s'est rendu auprès d'Héli, car il s'est empressé de consulter la sainte Écriture, par la méditation, au sujet de tous ses désirs. De même, il s'entendit dire à trois reprises par Héli qu'il n'avait pas été appelé, car il a appris, par la méditation, que nos pères nous ont transmis pour notre instruction les saintes paroles qu'ils ont consignées par écrit, sans pouvoir, cependant, nous gratifier des dons spirituels. 15, 1. Que signifient donc ces paroles : «Je ne t’ai pas appelé,» sinon : «Ce n'est pas moi qui t'ai donné le désir des dons spirituels ?» Car, si la sainte Écriture ou si quelque écrivain conférait les dons spirituels, tous ceux qui lisent les saintes paroles, tous ceux qui écoutent parler les interprètes de la sainte Écriture, seraient gratifiés de dons spirituels. Or, en fait, puisque beaucoup lisent chaque jour la sainte Écriture, écoutent les prédicateurs qui l'interprètent, et qu'après s'être appliqués à la lecture et avoir été exhortés par la prédication, certains demeurent dans la froideur inchangée de leurs vices, d'autres brûlent de l'amour des saintes vertus par l'effet de la grâce, il est clair que si l'ordre des vénérables pères nous a montré les dons des vertus en publiant les Écritures, l’amour des vertus qu'il inculque, le Créateur seul nous l'accorde. 2. C'est pourquoi Jacques nous en avertit avec bonté : «Tout ce qui est donné de meilleur et tout don parfait vient d'en haut, descendant du Père des lumières.» D'où ce que dit Paul : «Celui qui plante n'est rien, ni celui qui arrose, mais celui qui donne la croissance, Dieu.» A quoi vise donc cette parole : «Je ne t'ai pas appelé», sinon à nous montrer clairement que le fait que l'âme du fidèle élu s'élève aux désirs des choses d'en haut, provient de la seule infusion de la grâce divine ? Ainsi donc, quand le Seigneur appelle Samuel à trois reprises, et que son maître le renvoie dormir à trois reprises, il lui indique la façon d'atteindre les trois degrés de l'amour. 3. En effet, puisque nous avons mis le jugement en rapport avec le coeur et que le jugement désire trouver la vérité, un profond sommeil nous est nécessaire, de peur que celui qui aime ne se réveille avant d’avoir trouvé la vérité qu'il cherche. Que l'enfant retourne donc et qu'il dorme, afin que celui qui désire trouver la lumière de la vérité prenne garde dans le repos de ne pas se laisser gagner par les ténèbres de l’erreur. Qu'il s'endorme aussi une deuxième fois, afin d’offrir de toute son âme l'hommage de son amour à Dieu tout-puissant, et que les bonnes choses qu'il aime, il les aime avec la pureté de l'innocence, sans que nul voile de méchancetés ne les recouvre. Comme on ne reconnaît pas ce voile sans un discernement d’une grande finesse, l'enfant qui est appelé par le Seigneur reçoit d'Héli l'ordre de s'en retourner et de dormir. 4. En effet, s'il néglige de dormir pour atteindre ce degré de l'amour, la force qu'il désire obtenir, il ne l'obtient pas; car même si nous pouvons désormais, grâce à l'inspiration divine, aimer le bien, nous ne discernons pas pleinement le bien que nous voulons, tant que l'âme n'est pas en un profond repos. Samuel est donc renvoyé dormir à trois reprises, car on rappelle au nouvel ordre des prédicateurs qu'il doit aimer de toute sa force. 16, 1. Et puisque nous avons associé la force au sentiment et que le sentiment de l'âme s’accomplit dans la joie spirituelle, Samuel a goûté le grand repos du sommeil, et, très solidement instruit des réalités spirituelles par le repos, le nouvel ordre des prédicateurs n'a pas accueilli la joie étrangère qui se présente sous les apparences de la vraie joie. En effet, il en va du progrès dans la contemplation comme des autres vertus : l'âme du contemplatif s'en réjouit souvent à tort. Samuel a donc dormi de nouveau, car si l’ordre des docteurs ne redoublait pas de prudence quand il se livre à la contemplation, il croirait parfois jouir de la vraie joie alors que sa joie est vaine. 2. Ainsi a-t-il dormi une première fois car, s'efforçant de procurer à son esprit la connaissance de la vérité, il a rejeté tout ce qui est erroné, grâce à un jugement d'une grande finesse. Il a dormi une deuxième fois car, en apprenant à aimer le Créateur de toute son âme, il a pris soin, par le moyen d'un grand repos, de ne rien mêler de répréhensible aux biens qu'il désirait. Il a encore dormi une troisième fois, de sorte qu'en recevant, dans la contemplation de Dieu, la joie d'en haut, il pût rejeter après mûre délibération la vaine gaieté. 17, 1. Et puisque ceci est dit de Samuel alors qu’il en était encore à progresser, le texte poursuit bien à propos : C'EST QUE SAMUEL NE CONNAISSAIT PAS ENCORE LE SEIGNEUR, ET LA PAROLE DU SEIGNEUR NE LUI AVAIT PAS ÉTÉ RÉVÉLÉE. L'ordre des prédicateurs, en effet, ne connut pas alors le Seigneur avec la perfection qu'il atteignit par la suite. Ou bien peut-être dit-on qu'il ne connaissait pas le Seigneur, parce que les hautes et profondes vérités qu'il connaissait, il ne les livrait pas à ses auditeurs encore faibles et ignorants. 2. C'est pourquoi la Vérité, qui savait tout mais ne voulait pas l'indiquer, dit à ceux qui voulaient connaître le jour de la venue du Seigneur : «Quant à ce jour et à cette heure, nul ne les connaît, ni les anges du Ciel, ni le Fils, mais le Père seul.» Comment se fait-il que le Fils qui sait tout ne connaisse pas le jour du jugement, sinon que, parmi tout ce qu'il savait, tout en connaissant le jour, il le connaissait sans vouloir le dire, mais savait quand il arriverait et ce qu'il serait ? 3. C'est pourquoi Jean-Baptiste, qui connaissait parfaitement le Seigneur, lui envoya des disciples, comme s'il ne le connaissait pas, en disant : «Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ?» En effet, Samuel prêchait comme sans connaître le Seigneur, quand l'évangéliste Matthieu, omettant de parler de la divinité du Rédempteur, commença par la seule mention de son humanité : «Généalogie de Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham.» Mais Samuel connaissait certes le Seigneur et la parole du Seigneur lui avait déjà été révélée, quand Jean entreprit de faire connaître la grandeur de sa divinité, en disant : «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu.» 4. Samuel ne connaissait pas le Seigneur, quand Paul prononça ces paroles : «Je me suis fait tout à tous pour que tous soient sauvés.» En effet, celui qui se faisait faible avec les faibles, petit avec les petits et tout à tous, était aussi certainement ignorant avec les ignorants. De fait, pour user du même vocabulaire d'ignorance, il dit en s'adressant aux Corinthiens : «J'ai considéré que je ne connaissais rien parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié.» Car, avec les savants, il connaissait le Seigneur et sa parole lui avait été révélée. C'est pourquoi il dit : «Mais nous qui, le visage découvert, contemplons la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, comme par l'Esprit du Seigneur.» 5. De là cette autre parole de sa part : «Nous parlons de sagesse parmi les parfaits, non d’une sagesse de ce monde, ni des princes de ce monde, mais nous parlons de la sagesse de Dieu qui est restée cachée, mystérieuse.» D'où encore ce qu'il proclame au sujet du Seigneur, qu'il connaissait : «Lui qui est la splendeur de sa gloire et l'effigie de sa substance, qui soutient toutes choses par sa parole puissante, opérant la purification des péchés, il siège à la droite de la Majesté au plus haut des cieux, devenu d’autant supérieur aux anges que le nom qu'il a reçu par héritage est incomparable au leur. Auquel des anges, en effet, Dieu a-t-il jamais dit : Tu es mon fils, moi aujourd'hui je t'ai engendré ?» Ainsi donc, quand on dit qu'il ne connaît pas le Seigneur, ce n'est pas faute de le connaître, mais pour se montrer simple. 18, 1. Suite du texte : HÉLI COMPRIT DONC QUE C'ÉTAIT LE SEIGNEUR QUI APPELAIT L'ENFANT. Car s’il n'avait pas compris, il ne lui aurait nullement transmis, par les Paroles sacrées, des avis salutaires. En effet, s'il comprit, c'est qu'il avait vu d'avance. Car tout ce que Dieu tout-puissant a décidé d’accomplir pour l'édification de sa future Église, il l'a révélé par son saint Esprit de prophétie aux pères d'autrefois. 2. En effet, il est dit par la bouche du prophète Amos : «Le Seigneur Dieu n'accomplira aucune parole sur la terre qu'il ne l'ait révélée à ses serviteurs, les prophètes.» Entrevoyait-il autre chose, en effet, que la vocation des nouveaux prédicateurs, celui qui disait : «À la place de tes pères, des fils te sont nés; tu les établiras princes sur toute la terre» ? 19, 1. Mais, comprenant que celui-là devait être appelé, il lui donna aussi ce conseil : VA DORMIR, ET SI PAR LA SUITE IL VIENT À T'APPELER, TU DIRAS : PARLE, SEIGNEUR, CAR TON SERVITEUR ÉCOUTE. Le sommeil de Samuel, je crois l'avoir suffisamment montré, désigne le repos de la méditation intérieure. Par la bouche d'Héli, Samuel s'entend commander de dormir, parce que la Parole sacrée enseigne au docteur de vaquer à la contemplation des mystères intérieurs. 2. Mais comment se fait-il que Samuel, appelé trois fois et renvoyé dormir autant de fois, ne reçoive pourtant pas encore l'ordre de dire à Dieu : «Parle, Seigneur, car ton serviteur écoute ?» Là, on lui ordonne de dormir, non de parler cependant; ici, en lui enjoignant de dormir par obéissance, on lui donne aussi permission de parler. Là encore, quand on l'envoie dormir, on ne lui dit pas : «Va», mais : «Retourne»; ici, par contre, on ne lui dit nullement : «Retourne», mais : «Va.» À quoi donc veut-on en venir en lui donnant des ordres si divers ? 3. Nous comprenons mieux une telle diversité si nous prêtons attention à ce que signifie ici encore le fait que Samuel dorme. Et puisque nous avons rapporté les états de sommeil précédents à la probation des dons de la sainte charité, que signifie ici pour Samuel, c'est-à-dire le nouveau prédicateur, qu’il dorme, sinon qu'il possède dans une tranquille sécurité ces dons désormais éprouvés et connus ? 4. C'est donc avec raison qu'on ne lui avait pas d'abord dit : «Va», mais : «Retourne;» et maintenant, non plus : «Retourne,» mais : «Va.» Celui qui en était encore à exercer son discernement, on lui ordonnait de retourner afin que, grâce à la tranquillité de l'âme, il discerne un nouveau don, lui qui en avait déjà connu un grâce à ce même repos de l'âme. Mais, à celui qui avait déjà tout vérifié en le soumettant à son discernement, on dit : «Va,» car on l’envoyait avec une intention désormais sûre pour lui faire posséder ce qu'il connaissait. 20, 1. Pourquoi donc lui ordonne-t-on d'abord de dormir sans parler, et maintenant de dormir et de parler, sinon parce qu'il ne convenait pas qu'il dise à Dieu : «Parle» avant qu'il n'apparaisse vraiment de façon certaine que celui qui parlait à ses sens intérieurs, était Dieu ? On ne dit donc pas de parler à celui qui en est à exercer son discernement, car tant qu'il ne reconnaît pas parfaitement celui qui lui parle intérieurement, il ne doit pas désirer recevoir une parole spirituelle encore incertaine pour lui et la recevoir comme certaine. En effet, pour l'âme, dire à Dieu : «Parle», c'est recevoir en toute sûreté son inspiration intérieure. 2. Cela convient donc à celui qui a une connaissance parfaite, non pas à celui qui vérifie la qualité, car tant qu'on ne l'a pas soumis au jugement intérieur, on n’a ni vérifié que c'est Dieu qui parle, ni reçu comme certain et connu ce qu'on ne sait pas être de Dieu. Il fut donc dit à Samuel : «Va dormir,» car lorsque l'ordre des saints prédicateurs a acquis la connaissance des dons spirituels, vérifiés par les Paroles sacrées, grâce à ce même enseignement de l'Écriture sainte, il apprit à se reposer d'autant plus sûrement en ces dons par l'amour qu'il avait une plus claire intelligence de leur authenticité. 3. On lui a également enjoint de dire : «Parle, Seigneur» quand il serait appelé par Dieu, car, par son application à la sainte lecture, il a appris non seule ment à écouter avec dévotion le Seigneur parler, quand sa grâce nous visite intérieurement, mais aussi, quand il se tait, à l'implorer par de vifs désirs, pour qu'il daigne parler. 21, 1. Suite du texte : SAMUEL S'EN ALLA DONC ET DORMIT À SA PLACE. Le prédicateur de la sainte Église a autant de places que de progrès en sa conduite. C’est pourquoi le bienheureux Job dit, en consacrant les places successives de son progrès par des louanges adressées à Dieu : «Je proclamerai son nom à chacun de mes pas.» En effet, il n'est plus désormais à la place où l'on discerne, mais à celle où l'on connaît parfaitement, à partir du moment où il est élevé à de plus hautes vérités. 2. Car la place du prédicateur, c'est la connaissance certaine de ce qu'il doit connaître. Le Seigneur dit en effet, au sujet des prédicateurs réprouvés : «Les dépositaires de ma Loi ne m'ont pas connu.» Samuel dormit donc à sa place, quand l'ordre des docteurs posséda la connaissance des réalités spirituelles avec la certitude de la vérité. 22, 1. Mais on nous montre à quel degré il s’est élevé, en ajoutant aussitôt : LE SEIGNEUR VINT DONC ET SE TINT LÀ. Dire du Seigneur, non qu'il revient, mais qu'il vient, c'est montrer que les Juifs sont abandonnés et que la sainte Église est visitée. C’est pourquoi l'on rapporte que non seulement il vient, mais encore qu'il se tient là. Il fait savoir, il est vrai, qu'il est venu pour visiter les Juifs, quand il dit : «Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël.» Mais, s'il est venu, il n'est pas resté, car il a abandonné celle qui méprisait le bienfait de son salut. 2. C'est pourquoi il adresse cette menace aux chefs de la Synagogue : «Votre maison va vous être laissée déserte.» De là aussi ce qu'il leur annonce : «Amen, je vous le dis, le Royaume de Dieu vous sera retiré et sera confié à un peuple qui lui fera porter son fruit.» Ainsi donc, il vint à Samuel et resta là car, une fois pour toutes, il a pris à son service les prédicateurs de la sainte Église et, leur maintenant sa grâce, il ne leur retire plus sa présence par la suite. 3. Il était effectivement venu à Samuel, quand il disait aux nouveaux prédicateurs, en leur soumettant le monde : «Allez dans le monde entier, annoncez l'Évangile à toute créature. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé; mais celui qui ne croira pas sera condamné.» Mais, puisque celui qui vient va rester, que le Seigneur dise : «Voici que moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation du siècle.» 4. Le Seigneur était donc venu, non pas pour se retirer, mais pour rester là, car il choisit de nouveaux ministres de la foi qu'il protège jusqu'à la fin du monde, tandis qu'ils se succèdent en se léguant l'héritage des saintes vertus. 23. 1. Or, lui qui vient pour visiter par sa grâce et qui reste là, maintenant son immuable élection, écoutons ce qu'il ajoute : ET IL L'APPELA, COMME IL L'AVAIT FAIT, UNE DEUXIÈME FOIS : SAMUEL, SAMUEL. Il a, de fait, appelé une deuxième fois, puisqu'il lui a donné une double fonction dans son ministère de prédicateur : écraser la superbe de la Synagogue en la repoussant, et exalter l'humilité des païens en les appelant à la foi. 2. Ou bien peut-être est-il appelé une deuxième fois en ce sens qu'on l'incite à détruire le vieil homme et à construire le nouveau ? Il a donc été appelé une fois quand l'Esprit lui apprenait comment il pouvait faire disparaître les péchés et les vices du coeur des pécheurs. Dieu l'a appelé une deuxième fois quand il lui a montré, par l'enseignement du magistère intérieur, comment, après avoir détruit dans l'esprit des convertis la bâtisse de l'impiété, il devait construire le nouvel édifice des saintes vertus. 24. Ce magistère, l'ordre des saints prédicateurs s'est volontiers laissé instruire par lui et s'est offert à lui avec empressement pour lui obéir. Aussi le texte ajoute-t-il : SAMUEL DIT DONC : PARLE, SEIGNEUR, CAR TON SERVITEUR ÉCOUTE. Écouter Dieu parler, c'est accomplir ses commandements par des actes. À l'inverse, la Vérité dit elle-même aux réprouvés, dans l'Écriture : «Celui qui est de Dieu écoute les paroles de Dieu; voilà pourquoi vous n'écoutez pas, vous qui n'êtes pas de Dieu.» 25. Mais, ce qu'il désire montrer à celui qui écoute, il le dit ensuite. Le texte poursuit en effet : ET LE SEIGNEUR DIT À SAMUEL : VOICI, JE VAIS PRODUIRE EN ISRAËL UNE PAROLE TELLE QUE LES DEUX OREILLES EN BOURDONNERONT À QUICONQUE L'APPRENDRA. 26, 1. Et, expliquant sans délai cette parole, il dit : JE LUI AI ANNONCÉ, EN EFFET, QUE JE JUGERAIS SA MAISON POUR TOUJOURS À CAUSE DE SON INIQUITÉ, PARCE QU'IL CONNAISSAIT L’INDIGNE CONDUITE DE SES FILS ET NE LES A PAS CORRIGÉS. C'EST POURQUOI, JE L'AI JURÉ À LA MAISON D'HÉLI, NI SACRIFICE, NI OFFRANDE N'EFFACERA JAMAIS L'iNIQUITÉ DE SA MAISON. Que signifient ces paroles, sinon le rejet des Juifs, déjà si souvent déclaré ? 2. En effet, la maison du prédicateur, c'est la multitude de ceux dont il a la charge. Il l’habite comme son propre bien, quand il veille sur elle par sa sollicitude empressée. La maison d'Héli, c’est-à-dire de l'ancien sacerdoce, a donc été le peuple juif, maison qu'il a rendue immonde par les souillures de son vice en y menant une vie indigne. 3. Il a regardé ses fils qui se conduisaient indigne ment, puisque les prêtres du sacerdoce suprême ont vu les prêtres de l'ordre inférieur s'acharner contre le Rédempteur. Et il ne les a pas repris, puisqu'il n’a nullement usé de son autorité pour les empêcher de verser un tel sang. C'est pour cela que la menace divine lui promet que sa maison sera jugée pour toujours. Car, pour Dieu, juger c'est condamner. C’est donc pour toujours qu'elle est jugée, puisqu'elle est destinée à périr dans un châtiment éternel. Et comme c'est là une punition divine pour l'éternité, il dit qu’il a déclaré par serment qu'aucune prière ni offrande ne pourrait jamais effacer l'iniquité de la maison d'Héli. 4. C'est ce que, de toute évidence, nous avons vu s'accomplir, puisque le peuple juif s'entête obstinément dans son incrédulité. Que sont en effet la dureté et l'aveuglement actuels du peuple qui fut jadis tellement élu, sinon l'accomplissement du serment de la punition divine ? En effet, par un juste châtiment, il s'est enfermé dans la mort éternelle, celui qui n'a pas craint de contraindre la Vie éternelle à la mort temporelle. Toutefois, ce qu'il affirme en prêtant serment, il dit qu'il l'avait annoncé, car à propos du rejet des Juifs, il a fait connaître aux docteurs de la sainte Église des générations suivantes ce qu'il avait montré auparavant à leurs prédécesseurs. Effectivement, il est maintenant dit à Héli par la bouche de Samuel ce qui lui avait été dit plus haut par l’homme de Dieu. 27, 1. Suite du texte : SAMUEL DORMIT JUSQU'AU MATIN. Pourquoi la sainte Écriture décrit-elle avec tant de soin le sommeil de Samuel ? Et, comme il est dit qu'il s'est déjà rendormi quatre fois, celui qui ne croit pas que l'Esprit de Dieu a dit cela en un sens spirituel se méprend tout à fait. Car même si l'on en perçoit bien le sens littéral, il est écrit qu'il a dormi tant de fois pour qu'à partir du sens littéral, on découvre la signification allégorique du texte. 2. Que veut donc dire le fait que Samuel ait dormi une cinquième fois ? Puisque nous avons rapporté le premier sommeil à la recherche de la vérité, le second à la vérification des bonnes oeuvres, le troisième à la découverte de la vraie joie, le quatrième à la jouissance d'une perfection atteinte, éprouvée et connue, ce cinquième genre de sommeil se rapporte à l’effort qu'on fait pour préparer ce qu'on va dire. 3. Samuel a donc dormi une cinquième fois, car si l'ordre des prédicateurs a appris à connaître la vérité par le jugement de son coeur, a choisi de faire le bien par la volonté de son âme, a reçu la vraie joie par l'affection de sa force, s'est reposé dans la sécurité des sublimes vertus par l'assurance d'une béatitude atteinte et connue, tout cela, qu'il a expérimenté en lui-même, il n'a pourtant pas pu l'enseigner à ses fidèles sans s'y être disposé par une intense préparation de son jugement. 4. Souvent, en effet, un docteur a en lui ce qu’il prêchera, et pourtant, ce qu'il a, il ne peut le prêcher comme il faut, car même si ce qu'il dira lui a été enseigné auparavant par le Seigneur, il ne sait pas la façon dont il devrait l'exposer au peuple. Samuel s’est donc endormi à nouveau, puisque l'ordre des prédicateurs s'est préparé intérieurement en s’appliquant avec ardeur au repos, de peur de répandre sans profit dans sa prédication la semence de la parole divine qu’il avait reçue au cours d'une profitable contemplation. 5. De fait, quand le prédicateur est amené à réfléchir au contenu, à la longueur ou au temps de son discours, ce qu'il doit dire à tous ensemble, la manière dont il doit exhorter à part tel ou tel, parce qu’il recourt au grand repos de la sainte méditation, c’est tout à fait à propos que Samuel s'endormant à nouveau nous est donné comme figure du nouveau prédicateur. Car dormir, c'est alors pour lui préparer, par le repos de l'âme, sa manière de parler. Quant à s'éveiller, cela consiste pour lui à quitter le repos de la méditation pour prendre la parole. 28. Et comme, avec raison, il ne s'éveille pas avant d'avoir préparé ce qu'il doit dire, le texte ajoute : «Jusqu'au matin.» Car le matin, c'est le moment où l'esprit du docteur sait parfaitement comment il doit proclamer la parole. C'est pourquoi le prophète en avertit les docteurs trop empressés : «C'est en vain que vous vous levez avant le jour.» Ils se lèvent avant le jour, ceux qui ne dorment pas jusqu'au matin. Mais c'est en vain qu'ils s'éveillent, car ils profèrent inutilement la parole, n'ayant pas appris, par la réflexion, la manière dont ils doivent la proférer. D'où ce conseil qu'il leur donne : «Levez-vous après avoir été assis;» de sorte que, dans le repos de la réflexion, ils recueillent une parole et qu'ils la sèment par le labeur du discours, non pas en vain, mais pour le profit des auditeurs. 29. Suite du texte : ET IL EUT PEUR DE RÉVÉLER À HÉLI SA VISION. Pourquoi donc avait-il peur, sinon parce qu'il avait appris cela en dormant ? Car celui qui ordonne ce qu'il va dire, en réfléchissant, fixe aussi judicieusement le moment où il va le dire. Samuel a eu une vision et il a eu peur de la révéler à Héli, car l'ordre des docteurs de la sainte Église a vu que les Juifs devaient être rejetés et il a craint de le leur signifier avant le temps de leur rejet. C'est pourquoi il préfère exhorter les Juifs au remède de la pénitence, en disant : «Faites pénitence, et que chacun d'entre vous reçoive le baptême.» 30, 1. D'où la suite du texte : ET IL OUVRIT LES PORTES DE LA MAISON DU SEIGNEUR. La maison du Seigneur, est-ce autre chose que la sainte Église des élus ? Et que sont les portes de cette maison sinon les vertus spirituelles ? Samuel ouvrit, de fait, les portes de la maison du Seigneur quand l'ordre des prédicateurs révéla les fruits des vertus spirituelles à ceux qui accouraient en nombre à l'unité de la vraie foi. Car les portes de la maison étaient fermées, en quelque sorte, tant que les vertus de la sainte Église étaient ignorées. 2. On rapporte d'ailleurs à bon droit que Samuel a ouvert les portes de la maison du Seigneur alors qu’il craignait de révéler sa vision à Héli, car avant que l'ordre des prédicateurs ne signifiât clairement aux Juifs leur rejet, quand il les incitait à la pénitence, il dévoila les secrets des vertus spirituelles aux élus qui accouraient à la foi. En effet, celui qui, au temps de la miséricorde, a craint de dire ce qu'il avait vu, a révélé la vision du rejet au temps de l'exécution de la sentence, en disant : «Puisque vous vous êtes rendus indignes de la vie éternelle, eh bien, nous nous tournons vers les païens.» 31, 1. C'est ici que se pose une question, car on rapporte que si la vision de Samuel a été révélée, c’est plutôt à cause de la prière et de l'imprécation d’Héli. Le texte poursuit en effet : HÉLI S'APPROCHA DONC DE SAMUEL ET LUI DIT : SAMUEL, MON FILS. CELUI-CI RÉPONDIT : ME VOICI. PUIS IL L'INTERROGEA : QUELLE PAROLE LE SEIGNEUR T'A-T-IL ADRESSÉE ? JE T'EN PRIE, NE ME LA CACHE PAS. QUE LE SEIGNEUR TE FASSE CECI ET QU'IL Y AJOUTE CELA SI TU ME CACHES UNE SEULE DE TOUTES LES PAROLES QUI T’ONT ÉTÉ DITES. SAMUEL LUI RÉVÉLA DONC TOUTES LES PAROLES ET NE LUI EN CACHA POINT. Comment, en effet, a-t-il appris la vision de son rejet par la bouche de l'exécuteur de la sentence divine, lui qui entendit ce dernier la lui communiquer non pas tant comme un porteur de menaces que comme quelqu'un qu’il contraignait par d'instantes prières ? 2. Que ceux, toutefois, qui posent cette question comprennent d'abord que si nous cherchons la signification de cette affirmation, ce n'est pas en son sens littéral, mais en son sens spirituel et typologique. En effet ici, le fait de venir, pour Héli, ne signifie ni un mouvement corporel du sacerdoce judaïque, ni une motion de son âme. Mais venir a consisté pour lui en ceci : apparaître aux prédicateurs en tant que créature de Dieu douée de raison. Il est donc venu, car en se faisant voir dans la nature humaine, il a ému de pitié le coeur des docteurs pour sa personne. 3. La venue d'Héli ne consiste donc pas pour le peuple ancien à s'approcher en son âme ou en son corps, mais à se montrer dans la condition humaine. Ou bien encore, venir a peut-être consisté pour lui à être choisi parmi tous les peuples pour célébrer le culte de Dieu. Il a aussi appelé Samuel son fils, car ce dernier est regardé par celui dont on rapporte que, dans les pères élus, il fut l'instituteur de la sainte Église. Il l'appelle donc son fils non par affection, mais pour signifier la dignité qu'il a perdue. 4. Et puisqu'on le voit plongé dans les ténèbres de l'aveuglement, le texte rapporte qu'il a demandé que la vision lui soit révélée. Supplier, pour lui, c'est inciter l'âme des prédicateurs à la miséricorde, à cause de leur commune nature. Il ajouta même une imprécation à ses prières, car lorsque l'ordre des prédicants prêta attention au sacerdoce judaïque plongé dans une telle misère, il craignit d'attirer sur lui la colère du Seigneur tout-puissant s'il ne lui venait pas en aide en lui adressant la parole. 5. C'est pourquoi le texte poursuit à bon escient : «Samuel lui révéla donc toutes les paroles et il ne lui en cacha point.» Il lui révéla tout ce qu'il avait vu, afin que, ayant entendu ce qu'il méritait, il en vînt, poussé par une grande crainte, à se soucier d’obtenir la pitié de Dieu. Il lui révéla toutes les paroles du Seigneur, afin que, se voyant rejeté dans sa vétusté, il se hâtât, par les larmes de la pénitence, d'être renouvelé par la vraie foi. 32, 1. CE DERNIER RÉPONDIT EN DISANT : C'EST LUI LE SEIGNEUR. QU'IL FASSE COMME BON LUI SEMBLE. Ces paroles, que nous enseignent-elles en toute clarté, sinon l'incrédulité du peuple juif ? Car celui qui appelle Dieu tout-puissant «Seigneur», s'estime être encore son serviteur. Ainsi donc, quand les docteurs de la sainte Église signifient au peuple juif qu'il est rejeté, celui-ci réplique : «C'est lui le Seigneur. Qu’il fasse comme bon lui semble», car, croyant plaire à Dieu par les institutions d'autrefois, il ne redoute nullement les menaces de la sainte Église. 2. On dirait que les Juifs incrédules affirment ouvertement et disent aux prédicateurs de la sainte Église qui leur adressent des menaces : «Les menaces dont vous nous accablez nous effraient d'autant moins que nous croyons d'une foi certaine le servir, lui dont vous nous annoncez que nous sommes déchus de sa grâce.» Donc, quand ils ajoutent : «Qu'il fasse comme bon lui semble», ils tournent en dérision les docteurs de la sainte Église plutôt qu'ils ne se soumettent à la sentence divine. Comme s'ils disaient en d'autres termes : «Il nous fera d'autant moins une chose pareille qu'il est notre Seigneur, lui dont vous nous prédisez la punition.» 33, 1. Le texte poursuit : OR, SAMUEL GRANDIT, ET LE SEIGNEUR ÉTAIT AVEC LUI. Pourquoi, après qu’il ait révélé la vision à Héli, dit-on de Samuel qu’il grandit, sinon parce qu'après avoir repoussé par la parole les fils de la Synagogue, l'ordre de nos docteurs a recueilli auprès des païens un surcroît d'honneur et de gloire ? Il a donc grandi puisque, lui qui a d’abord limité le ministère de la parole à une seule nation, il a étendu ensuite au monde entier la réputation de sa sainteté et de sa doctrine. 2. C'est pourquoi le psalmiste dit : «Leur voix s’est répandue par toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux extrémités de la terre.» Et encore, s'adressant à la sainte Église : «À la place de tes pères, des fils te sont nés, tu les établiras princes sur toute la terre.» Ainsi a-t-il grandi quand il a rayonné sur le monde entier. 3. On dit aussi que le Seigneur était avec lui, car tout le parfum qu'a exhalé sa réputation de sainteté, toute la clarté qu'a répandue sa lumineuse parole, il les devait à la présence du Rédempteur qu'il avait avec lui. 4. En effet, bien que par sa parole Paul pénètre non seulement ce qui est le plus humble et terrestre, mais aussi ce qui est le plus élevé et céleste, c'est de lui qu’il tient cette puissance de parole, de celui dont il affirme qu'il est avec lui, en disant : «Cherchez-vous une preuve que le Christ parle en moi ?» Car celui qui parlait en lui était avec lui. Par sa vie, il répand le parfum sur le monde entier; mais c'est de lui qu'il tire l'odeur de la vie, comme il le montre en disant : «Nous sommes en tout lieu la bonne odeur du Christ.» 5. Jean fait savoir que tout provient de la présence du Rédempteur, quand il dit : «De sa plénitude, nous avons tous reçu.» Ainsi, quand on dit de Samuel qu’il grandissait, on indique que le Seigneur était avec lui, car lorsque l'ordre des docteurs a resplendi aux yeux du monde entier de la grâce de sa grande sainteté et de sa profonde doctrine, c'est en raison de la présence du Seigneur qu'il a pu se montrer si grand, lui qui ne l’a pas abandonné dans le monde. 34, 1. Le texte poursuit : ET L'ON SUT DANS TOUT ISRAËL, DE DAN À BERSABÉE, QUE SAMUEL ÉTAIT UN FIDÈLE PROPHÈTE DU SEIGNEUR. Ces noms de territoires représentent la totalité des Juifs. Que représente donc la totalité des Juifs, sinon toute l'Église ? Ainsi donc, tout Israël reconnaît que Samuel est un prophète du Seigneur, car quiconque a la foi croit que l'ordre des saints prédicateurs dit la vérité au sujet des temps futurs. Car il revient au prophète d'annoncer les réalités futures et de révéler celles qui sont cachées. 2. Quant aux prédicateurs de la sainte Église, quand ils découvrent les vices cachés dans l'âme, quand ils mettent en lumière les secrets des vertus spirituelles, quand ils mettent à la portée de tous les sens cachés des saintes Écritures, quand ils promettent aux fidèles élus les joies futures de la céleste patrie, ils exercent le ministère prophétique. On dit donc que tout Israël reconnaît en Samuel un prophète fidèle du Seigneur, car celui qui n'accorde pas sa foi aux docteurs de la sainte Église ne peut voir par la foi le Seigneur tout-puissant. 35. Et comme cette gloire de la connaissance divine, qui s'est révélée à ses premiers docteurs, est demeurée dans la sainte Église, le texte ajoute : ET LE SEIGNEUR RECOMMENÇA À SE MANIFESTER À SILO. En effet, Silo veut dire «envoyé». Et comme, jusqu'à la fin du monde, il envoie ses élus pour assurer le ministère de la prédication, le Seigneur se manifeste à Silo, car il se montre plus clairement à ceux par qui il révèle aux autres la gloire de sa lumière. Il est d'ailleurs juste de dire : «Il recommença à se manifester», car il ne cesse de choisir ceux sur qui il déverse la splendeur de la lumière divine. 36, 1. Et la raison pour laquelle cette vision est dite recommencée, le texte l'indique, en disant : CAR LE SEIGNEUR S'ÉTAIT RÉVÉLÉ À SAMUEL. Si, en effet, il recommence à se manifester, c'est parce que le Seigneur qui s'était révélé, se révèle encore et toujours et que jamais il ne retire à la sainte Église le don de sa manifestation qu'il n'a cessé de lui prodiguer depuis son commencement. 2. Néanmoins, si l'on dit qu'il s'est révélé à Samuel, on ne rapporte pas combien de fois il a recommencé à se manifester. En effet, la sainte Église est conduite jusqu'à la fin du monde, sous la direction des prédicateurs qui annoncent ici-bas les joies sublimes de l'éternité parce qu'ils voient, dans la sublime manifestation de Dieu, les hautes réalités qu'ils prêchent. 3. On rapporte que cette manifestation s’est accomplie selon la parole du Seigneur. Qu'est-ce que la parole du Seigneur, sinon la promesse du Rédempteur ? Il recommença donc à se manifester selon la parole du Seigneur, puisqu'il ne cesse de montrer que sa promesse est véridique. En effet, la parole que le Seigneur prononce à propos de cette continuelle manifestation est celle-ci : «Voici que moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la consommation du siècle.» 37, 1. Le texte poursuit : ET LA PAROLE DE SAMUEL PARVINT À TOUT ISRAËL. On sait que la parole parvient quand la promesse de nos prédicateurs s'accomplit. La promesse de la parole, c'est la joie qui demeurera sans fin. La parole de Samuel parvint donc à tout Israël, puisque toute la multitude de la sainte Église parvient à la joie de l'éternelle béatitude, et ce qui est maintenant promis, dans la foi, par la parole de ses saints prédicateurs, lui est montré en son authentique réalité dans le Royaume des cieux. 2. En effet, la parole que les docteurs adressent aux fidèles quand ils leur font ces promesses est celle-ci : «Tout homme qui croit en lui ne périt pas, mais il aura la vie éternelle.» Ou encore, voici le don que les docteurs leur promettent dans leur enseignement : «Ce que l'oeil n'a pas vu, ni l'oreille entendu, ce qui n'est pas monté au coeur de l'homme, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment.» 3. La parole de Samuel parvint donc à tout Israël, car quiconque a accordé sa foi aux saints prédicateurs qui invitent à mener la vie présente en hommes religieux, et qui promettent aux justes les joies éternelles, atteint ces éternelles joies, qu'il a espérées en vivant pieusement, au moment où il quitte ce monde en mourant dans la chair. C'est pourquoi celui dans la foi duquel il avait promis l'affirme aussi : «Amen, je vous le dis, le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas.» 4. Ou encore, la parole de Samuel est désormais parvenue à tout Israël, puisque, Dieu ayant exécuté son châtiment, on sait que le rejet total des Juifs est accompli.