LIVRE DEUXIÈME

Troisième section : Sens typique

29, 1. En effet, on lit ensuite dans la parole de Dieu : Puis ELQANA S'EN RETOURNA CHEZ LUI, À RAMATHA. Nous avons montré que cet homme désigne le Rédempteur du genre humain, Anne, son épouse, l'Église, l'enfant Samuel, le peuple des croyants issus du paganisme, et la ville de Ramatha, la patrie céleste. Pourquoi donc est-il dit qu'Elqana s’en retourna dans sa ville de Ramatha après que son épouse eut chanté son cantique, alors qu'Anne a chanté son cantique à Dieu après la naissance de l'enfant et que le Rédempteur est monté aux cieux avant que la sainte Église ait enfanté à la foi le peuple des païens ?
2. Cette question, à vrai dire, ne peut être posée que par ceux qui connaissent seulement la présence corporelle de notre Seigneur. En effet, Paul n'avait-il pas avec lui celui qui était remonté auprès du Père quand il disait : «Vous cherchez une preuve que le Christ parle en moi ?» Il déclare de même : «C'est en envoyés de Dieu que, devant Dieu, nous parlons dans le Christ.»
3. Pourquoi donc est-il dit qu'il s'en retourna, sinon parce qu'il s'est tantôt rendu présent à la sainte Église, par une faveur de sa grâce, et tantôt retiré à dessein pour la mettre à l'épreuve ? En effet, il s'est tantôt rendu présent à elle pour qu'en prodiguant abondamment les paroles de vie, elle gagne les païens; tantôt, en revanche, il s'est dérobé à elle comme s'il se rendait absent, pour que, privée de la grâce de sa parole, elle connaisse ce qu'elle est sans sa présence.
4. Il est donc dit, après le chant du cantique : «Elqana s'en retourna chez lui», parce que la sainte Église ne prêche son sublime message que grâce à la présence de celui qui, quand il se dérobe aux mortels selon son plan, reste continuellement présent aux citoyens de la ville éternelle. Sa demeure est, en effet, l'éternelle société des citoyens des cieux, qu'il habite en maître, leur prodiguant son amour, les comblant et les rassasiant. C'est donc là qu'il se rend quand il quitte Anne, car si, pour notre salut, il se dérobe à nous, qui sommes encore progressants, il se montre sans cesse aux citoyens parfaits et accomplis de l'éternelle patrie, car il ne convient pas d’éprouver plus longtemps par son absence ceux qui déjà sont éprouvés.
5. C'est donc fort à propos que l'on dit après le cantique d'Anne : «Elqana s'en retourna chez lui.» Car la sainte Église, qui enseigne à ses sujets de si hautes réalités, quand elle se trouve abandonnée selon un plan toujours bienveillant pour elle du Seigneur, ne possède pas toujours, de ce fait, la haute doctrine qu'elle doit enseigner.
30, 1. Mais nombre de ceux qui entendent les paroles de vie, rejetant leur malice d'autrefois, se proposent de vivre et d'agir plus correctement, et quand ils cessent d'écouter, comme s'ils n’avaient jamais entendu ces paroles de vie, ils retournent à leur impiété. Or, le peuple des païens qui écoutèrent la sainte Église fut non seulement avide de l’entendre, mais prompt à mettre en pratique. Le texte poursuit donc bien à propos : L'ENFANT SAMUEL SERVAIT EN PRÉSENCE DU SEIGNEUR DEVANT LA FACE DU PRÊTRE HÉLI. Autrement dit, en clair : «Dès qu'il l’eut entendu, il s'efforça de plaire à Dieu tout-puissant.»
2. C'est à propos qu'on l'appelle enfant, car, bien qu'il eût entrepris de grandes choses pour la défense de notre foi, il était encore novice dans la vie de la foi. Et parce qu'il plaisait à Dieu tout-puissant par son service, il fut serviteur en présence du Créateur. En effet, il se tient en présence du Seigneur, celui sur qui se porte de bonne grâce le regard du Seigneur quand il lui offre un culte. Assurément, il craint fort d’être chassé de la présence du Seigneur, celui qui prie ainsi : «Ne me rejette pas loin de ta face.» Désirant vivement y être de nouveau admis, il suppute en lui-même la durée de son sursis en disant : «Quand m'approcherai-je et verrai-je la face de Dieu ?» Élie en tire gloire, quand il dit : «Il vit, le Seigneur, devant qui je me tiens.»
3. Ainsi donc, Samuel servait en présence du Seigneur, car dans le culte de la nouvelle religion le peuple des païens se rendit très agréable à Dieu tout-puissant. En outre, cette parole indique implicitement le rejet des juifs, puisque seul, Samuel, qui désigne le peuple croyant des païens, est dit servir devant le Seigneur. Seul donc, il se tenait en sa présence, puisque le peuple des juifs avait cessé de lui plaire.
4. Ces deux choses, le Seigneur les dit l'une et l'autre par la bouche de Malachie. Il indique, en effet, le rejet des juifs quand il dit : «Je ne prends pas plaisir en vous, et les sacrifices que vous m'offrez, je ne les accepterai pas»; en revanche, celui qui a banni de sa présence l'incroyance du peuple juif montre celui qu’il regarde avec bienveillance quand il ajoute : «Du lever au coucher du soleil mon nom est grand parmi les nations, et en tout lieu on offre à mon nom une offrande pure.»
5. Mais il faut examiner avec attention ce qui est dit : «Devant la face du prêtre Héli.» C'était devant la face d'Héli que Samuel servait le Seigneur, car le ministère des prédicateurs de la sainte Église, la conversion du peuple des païens, l'amour et la révérence apportés au service du Rédempteur, tout cela l'ordre des docteurs d'autrefois l'a connu en vision longtemps à l'avance et enseigné par ses prophéties. Il savait, en effet, que ce peuple serait enclin à servir le Seigneur, celui qui disait : «Tous les rois de la terre l'adoreront, toutes les nations le serviront.»
6. D'où cette parole d'Aggée : «Il viendra, celui que toutes les nations désirent, et la maison du Seigneur sera remplie de gloire.» Ainsi, Isaïe : «Un rejeton de Jessé se dressera pour gouverner les nations; en lui les nations mettront leur espoir;» ainsi, le psalmiste : «Louez le Seigneur, toutes les nations, et célébrez-le, tous les peuples.» Ainsi, le patriarche Jacob : «C'est lui que les nations attendront.» C'est donc devant Héli que l'enfant Samuel servait le Seigneur, car l'attitude digne de Dieu que le peuple des païens adopta plus tard, l'ordre des anciens docteurs l'avait vue d'avance par l'esprit de prophétie.
31, 1. Suit immédiatement dans le texte, au sujet de ceux qui ont été rejetés : LES FILS D'HÉLi (sous-entendu «étaient») DANS L'IGNORANCE DU SEIGNEUR ET DES DEVOIRS SACERDOTAUX ENVERS LE PEUPLE. Qui sont, en effet, les fils d'Héli, sinon les Israélites selon la chair, eux qui connaissaient l'Écriture sainte rédigée par leurs pères et méconnaissaient pourtant ce qu'elle avait promis ? Ce sont eux que la Vérité elle-même invective dans l'Évangile quand elle dit : «Si vous croyiez Moïse, vous croiriez aussi en moi, car c'est de moi qu'il a écrit.» Et encore : «Abraham exulta à la pensée de voir mon jour; il l'a vu et s’est réjoui.»
2. Ils ont donc méconnu le Seigneur, ceux qui ont méprisé le Rédempteur venu dans notre chair. Il s’en plaint par la bouche d'Isaïe : «Le boeuf a connu son propriétaire, et l'âne, la mangeoire de son maître, mais Israël ne m'a pas connu.» Comme s'il disait : «Longtemps à l'avance, je lui ai révélé, par les prophètes, les voies de mon incarnation, et pourtant, quand s’est réalisé ce que j'avais promis, il ne l'a pas reçu.»
3. Voilà pourquoi il a aussi méconnu son devoir sacerdotal envers le peuple. Il connaîtrait, en effet, le devoir des prêtres, s'il enseignait que celui qu’avaient promis la Loi et les prophètes est venu maintenant pour le rachat du genre humain. Non seulement il n’a pas cru en lui, mais il s'est même déchaîné contre lui en le persécutant; c'est en cela qu'il méconnaît le Seigneur et son devoir sacerdotal envers le peuple.
32, 1. Cependant ce serait moindre malice si, tout en refusant de faire profiter ses inférieurs de l'annonce de la venue du Rédempteur, il avait craint de recourir aux mauvais traitements. Le texte poursuit donc : MAIS Si QUELQU'UN IMMOLAIT UNE VICTIME, LE GARÇON DU PRÊTRE VENAIT PENDANT QU'ON FAISAIT CUIRE LA VIANDE, TENANT EN MAIN UNE FOURCHETTE À TROIS DENTS QU'IL PLONGEAIT DANS LA MARMITE, LE CHAUDRON, LE POT OU LA COCOTTE, ET TOUT CE QUE RAMENAIT LA FOURCHETTE, IL L'APPORTAIT AUX PRÊTRES.
2. Que signifie, en effet, immoler une victime, sinon offrir à Dieu tout-puissant la confession de la vraie foi ? Quant aux ustensiles dans lesquels on fait cuire la chair immolée, sont-ils autre chose que les âmes des croyants ? Quand ils croient que le Christ Jésus homme, médiateur entre Dieu et les hommes, est vraiment le Fils unique du Père suprême, il se produit effectivement en eux une cuisson de la chair, que la déférence de la dévotion intérieure offre à Dieu.
3. Quant au garçon du prêtre, qui est-il, sinon le peuple soumis par déférence aux pasteurs incrédules de la Synagogue ? C'est à bon escient qu'il est appelé garçon, car, en préférant garder à la lettre les rudiments de la Loi, il refusa de grandir par l’Évangile jusqu'à l'âge adulte.
4. Pourquoi donc l'envoie-t-on s'emparer des aliments par force ? Pourquoi dit-on encore qu'il tenait en main une fourchette à trois dents en exerçant cette violence ? La nourriture de l'âme élue, c'est la personne du Rédempteur. Cette nourriture est cuite dans les vases sacrés, quand elle est apprêtée au feu de l'Esprit saint en un savoureux repas dans les âmes élues. La chair, en effet, est cuite lorsque, par la grâce de l'Esprit saint, nous croyons fermement et confessons effectivement que l'humanité du Seigneur a été assumée par la nature divine.
5. C'est pourquoi le Seigneur fait savoir par Moïse que les chairs de l'agneau pascal doivent être mangées comme ceci : «Vous n'en mangerez ni cru ni cuit à l'eau.» En manger cru, c'est croire, faute d'avoir la grâce de l'Esprit saint, que notre Rédempteur n’est qu'un homme; on le cuit à l'eau, quand la sagesse humaine débat de l'essence du Rédempteur. Les juifs en mangent donc cru, les hérétiques, cuit à l'eau, car ceux-là nient sa divinité, ceux-ci, par la sagesse humaine, évacuent le mystère de sa divinité et de son humanité.
6. Le garçon du prêtre est donc envoyé pour prendre de force la nourriture des fidèles, car le peuple juif, écarté de la foi au Rédempteur, a fait de grands efforts pour arracher l'amour de cette même foi du coeur des fidèles. On rapporte avec raison qu'il tenait en main une fourchette à trois dents, avec laquelle il empêchait la cuisson du morceau de viande qu'il avait pu piquer et extraire. Cette fourchette que le garçon tient en main, c'est la persécution que le peuple juif infligea à la sainte Église. Et parce qu'il a cherché à nuire aux fidèles par les séductions, les tourments et l'intimidation, cette fourchette avait trois dents.
7. D'autre part, il est dit justement que ce qu’il retirait avec sa fourchette, le garçon le portait aux prêtres, car ces prélats sans scrupules festoyaient quand la bande de leurs gardes retournait, par séduction ou par violence, celui qu'elle savait tenir ferme par la confession au sommet de notre foi.
33, 1. Le texte poursuit : C'EST AINSI QU'ILS AGISSAIENT ENVERS TOUT ISRAËL QUI SE RENDAIT À SILO, AVANT MÊME QU'ON EÛT FAIT BRÛLER LA GRAISSE. La graisse, c'est l'abondance intérieure. On désigne ainsi la dévotion par laquelle l'âme des élus est unie à son Créateur en une parfaite charité.
2. Il est normal qu'elle soit offerte quand la chair est déjà cuite, car nul ne peut s'élever aux sommets de la charité, s'il n'aime les mystères du Dieu incarné auxquels il croit. En effet, croire que la divinité a assumé l'humanité du Seigneur Jésus par l’opération du saint Esprit, c'est cuire la chair qui est offerte à Dieu.
3. Ainsi donc, avant que la graisse n'ait été brûlée, le garçon s'efforça de la dérober à tout Israël, car les assesseurs de la Synagogue pensèrent abattre les nouveaux confesseurs du Christ avant qu'une parfaite charité ne les ait unis à Dieu tout-puissant. C'est ce qu'indiquent clairement les paroles mêmes du récit sacré en disant : «Pendant la cuisson des chairs.» Ce qui signifie que la cuisson n'était pas achevée, mais en cours.
34, 1. Mais le procédé de cette abominable exaction nous est montré par ce qui suit : LE GARÇON DU PRÊTRE VENAIT ET DISAIT À CELUI QUI IMMOLAIT : DONNE-MOI LA CHAIR ET JE LA CUIRAI POUR LE PRÊTRE, CAR JE NE RECEVRAI PAS DE TOI LA CHAIR CUITE, MAIS CRUE. Donner au garçon la chair crue, ce serait affirmer, face aux persécuteurs, que le Christ n'est qu'un homme, et le garçon la cuirait pour le prêtre, car le peuple juif apprêterait sur le feu de la méchanceté ce dont les prélats aimeraient rassasier leur âme.
2. Le garçon du prêtre vint donc et demanda de la chair crue quand le peuple juif, asservi à la lettre de la Loi, suggéra aux fidèles de nier la divinité du Rédempteur. Il vient donc et dit : «Je ne recevrai pas de toi la chair cuite, mais crue», parce que, obligeant les fidèles à confesser que le Christ n'était qu’un homme, il ne voulait même pas entendre parler de sa divinité.
3. L'entêtement de ce peuple-là nous est montré par le redoublement des paroles sacrilèges au cours de cette abominable exaction. Le texte poursuit, en effet : «Car je ne recevrai pas de toi la chair cuite, mais crue», parce qu'il souhaitait vivement entendre dire que Jésus, notre Seigneur et Rédempteur, n'était pas Seigneur et homme, mais seulement homme.
35, 1. Toutefois, ceux qu'il tentait dans la chair comme des imparfaits, il les trouva parfaits. En effet, ceux qu'on contraignait à nier la divinité du Rédempteur, non seulement refusèrent de renier le Rédempteur, mais s'efforcèrent, par leur prédication, de conduire à la vie leurs contradicteurs. D'où la suite du texte : ET CELUI QUI IMMOLAIT LUI DISAIT : QU'ON FASSE D'ABORD BRÛLER LA GRAISSE AUJOURD’HUI SELON LA COUTUME; PUIS TU PRENDRAS POUR TOI TOUT CE QUE TON ÂME DÉSIRE. Il cherche, en effet, à détourner de son appétit bestial celui qui réclame de la chair crue, en lui proposant autant de chair cuite qu’il en voudra.
2. Comme si la sainte Église répondait aux juifs, affamés d'un mauvais appétit, et qu'au lieu de la seule humanité qu'ils souhaitent dévorer par le désir, elle promettait une nourriture divine en disant : «Laissez cuire d'abord, de façon à avoir pour nourriture vivifiante ce que vous aurez compris par l’Esprit saint.»
3. Le garçon du prêtre ne demanda-t-il pas de la chair crue, quand on disait à l'aveugle-né guéri par le Seigneur : «Rends gloire à Dieu. Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur ?» Rends gloire à Dieu, cela ne revient-il pas à dire : «Ne loue pas celui-là de t'avoir guéri, car il n'est pas Dieu ?» Et en le déclarant pécheur, on nie non seulement qu'il soit Dieu, mais encore qu'il soit un homme juste. Mais, refusant de lui donner la chair crue qui lui était demandée, il offrit la chair cuite, car en proclamant sans défaillance que (le Seigneur) était l'auteur de son salut, il montra, par le prodige si étonnant qu’il manifestait, que c'était non seulement un saint homme, mais encore le vrai Dieu.
4. Cependant le peuple, ayant perdu la raison et commencé d'imiter les bêtes, multipliait ses instances pour qu'on lui présentât la chair crue. Le texte ajoute en effet : NON POINT DONNE TOUT DE SUITE, SINON JE TE LA PRENDRAI DE FORCE.
36, 1. Le texte poursuit : IL ÉTAIT DONC TRÈS GRAVE, LE PÉCHÉ DES GARÇONS, AUX YEUX DU SEIGNEUR. Et pour montrer la gravité de ce péché, il ajoute la cause en disant : CAR ILS DÉTOURNAIENT LES HOMMES DU SACRIFICE DU SEIGNEUR. Le péché très grave, comme chacun sait, est celui que n'effacent pas les larmes de la pénitence. C'est ce péché très grave de la Synagogue qu'avait en vue le prophète quand il dit : «Le péché de Juda est inscrit au stylet de fer, à l’ongle d'acier.»
2. Ou encore, ce péché était très grave aux yeux du Seigneur parce qu'il entraînait d'autres à pécher. D’où la suite : «Car ils détournaient les hommes du sacrifice du Seigneur.» Ils détournaient en effet les hommes du sacrifice, parce qu'ils empêchaient le coeur des faibles de passer à la confession de la vraie foi.
3. On notera que ces gens qu'on détourne du sacrifice sont appelés hommes; car s'ils persistaient à confesser fermement notre foi, la parole divine les désignerait du nom de fils de Dieu. C'est ce que le Seigneur leur dit, en effet, par la bouche du psalmiste : «J'ai dit : Vous êtes des dieux et des fils du Très-Haut, vous tous; pourtant vous mourrez comme des hommes.»
37, 1. Le texte poursuit : CEPENDANT SAMÜEL SERVAIT EN PRÉSENCE DU SEIGNEUR, ENFANT CEINT D'UN ÉPHOD DE LIN. Le vêtement de lin est plus fin que celui de laine, on le sait. Il convient qu’on représente Samuel revêtu de l'éphod de lin, lui qui désigne l'ordre des prêtres choisi parmi les païens. Car, comparée à la vie selon la Loi, la nouvelle manière de vivre selon l'Évangile a la finesse du lin.
2. Le précepte a quelque chose d'animal, en effet, quand il déclare maudit quiconque ne laisse en Sion aucune postérité. Mais, dans le Nouveau Testament, tout est plus fin, et par suite, celui qui met en oeuvre ses préceptes se pare d'un vêtement de lin plus délicat. Ici l'on condamne l'abstinence du mariage; là on l'honore de louanges singulières. Ici les prêtres procréent charnellement; là ils portent le fruit de la génération spirituelle avec d'autant plus d’abondance qu'ils ne peuvent subir, même par le bien du mariage, aucune atteinte à leur pureté.
3. C'est donc à bon droit qu'en décrivant le vêtement de Samuel on dit qu'il était de lin : ainsi montre-t-on ouvertement la gloire du sacerdoce nouveau, resplendissant de l'éclat d'une nouvelle pureté.
4. Mais c'est en parlant du service de Samuel en présence du Seigneur qu'on mentionne l'éphod de lin dont il est ceint, car l'on ne sert Dieu convenablement que lorsque la personne du serviteur n'est pas souillée par la salissure du plaisir charnel, et l’accomplissement du ministère n'est agréable à Dieu que si la personne du ministre plaît à Dieu par la pureté de sa vie sainte.
38, 1. Dans ces débuts où il était encore novice, il progressait. Aussi le texte ajoute-t-il encore : ET SA MÈRE LUI FAISAIT UNE PETITE TUNIQUE QU'ELLE LUI APPORTAIT QUAND ELLE MONTAIT AVEC SON MARI POUR IMMOLER AU SEIGNEUR LA VICTIME SOLENNELLE. Immoler la victime, pour la sainte Église, c’est allumer, par la parole de sa prédication, l'amour du Créateur dans le coeur de ses auditeurs. C'est donc, nous dit-on, un petit vêtement qu'on apportait alors à Samuel; car en ce temps où, en novice qu'il était, il progressait encore et grandissait, il reçut de l’Église des instructions adaptées à sa petitesse, pour lui donner une justice dont la splendeur le fît rayonner.
39, 1. Le texte poursuit : ET HÉLI BÉNIT ELQANA ET SON ÉPOUSE EN DISANT : QUE LE SEIGNEUR TE RENDE UNE POSTÉRITÉ DE CETTE FEMME, EN GUISE D'INTÉRÊT POUR LE PRÊT QUE TU AS FAIT AU SEIGNEUR. La personne du prêtre Héli représente aussi les bons docteurs de l'ancien peuple. C'est pourquoi on le voit bénir Elqana et son épouse. En effet, cet ordre des anciens docteurs a vu par avance l'union
spirituelle du Christ et de la sainte Église, et il a annoncé avec piété que la progéniture de leurs élus serait digne du ciel.
2. Bien que cela ait eu lieu longtemps avant, cette bénédiction qu'il leur avait donnée ne s'est manifestée qu'au moment où la grâce de notre rédemption a été révélée et que tout fidèle est devenu capable de croire que les bienfaits si nombreux chantés à l'avance par nos pères d'autrefois se rapportaient à ce renouvellement.
40, 1. Et, pour faire connaître l'ordre selon lequel cela se faisait, le texte ajoute : ET ILS S'EN ALLÈRENT CHEZ EUX. S'en aller chez elle avec son époux, c’est pour la sainte Église fuir par moments les tracas de la vie active et vaquer par la contemplation aux joies de la vie d'en haut.
2. Elle avait abandonné un moment son enfant, cette mère qui disait : «Je désire être délivré et être avec le Christ.» Était-elle avec son enfant quand un amour puissant emporta ce grand docteur jusqu’au troisième ciel ?
3. Était-elle avec son enfant quand il fut admis au paradis et entendit des mots qu'il n'est pas permis à un homme de dire, emporté chez lui, comme il le montre en disant : «Nous n'avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir ?» Mais cette femme qui s'en allait chez elle avec son époux, ses entrailles de mère la pressaient de revenir auprès de son fils. De fait, il parlait et disait : «Il m’est nécessaire de rester dans la chair à cause de vous.»
41. Le texte poursuit : LE SEIGNEUR VISITA DONC ANNE. ELLE CONÇUT ET ENFANTA TROIS FILS ET DEUX FILLES. Les trois fils représentent les membres plus parfaits de la sainte Église, ceux qu'on a toujours vu agir avec vigueur pour la foi trinitaire. Mais si la sainte Église n'engendrait que des parfaits, notre faiblesse nous empêcherait de parvenir aux récompenses de la vie éternelle. À la force des fils succède donc la fragilité des deux filles, car si la sainte Église a produit contre l'orgueilleux ennemi du genre humain de vigoureux lutteurs, ses membres faibles parviennent eux aussi, en accomplissant les deux préceptes de la charité, aux joies de l'éternelle patrie.
42, 1. Cependant quiconque, à cette époque, commençait à se former au ministère sacerdotal, n’en resta pas toujours à ses premiers pas de débutant. Aussi le texte poursuit-il : ET L'ENFANT SAMUEL FUT GRAND AUX YEUX DU SEIGNEUR. Ici il faut soigneusement noter que Samuel est appelé à la fois enfant et grand. De plus, en le déclarant grand, on spécifie que sa vertu est estimée non aux yeux des hommes, mais aux yeux du Seigneur.
2. Pourquoi donc le déclare-t-on enfant sinon en raison de son humilité, et pourquoi grand, sinon parce qu'il avait atteint les cimes de la perfection ? On dit donc de Samuel qu'il était enfant et grand aux yeux du Seigneur parce que le nouvel ordre des prédicateurs, tout en parvenant aux cimes d'une vie très élevée, n’a pas perdu la force de son humilité. Il ne lui servirait de rien, en effet, d'être grand devant Dieu s'il cessait d'être enfant, car en perdant l'humilité, il ne pourrait plaire à Dieu tout-puissant par l'élévation de sa vie.
3. Ils étaient déjà grands, ceux qui, au nom de Jésus, chassaient les démons hors des possédés. Mais parce qu'ils avaient perdu le bien de l'enfance, la Vérité les reprend en disant : «Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair.»
4. Et de nouveau, il les avertit en disant : «En vérité je vous le dis, si vous ne vous convertissez et ne devenez comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux.» La vie des nouveaux prédicateurs étant donc à la fois sublime par le mérite et modeste par l'humilité, il convient de déclarer Samuel à la fois grand et enfant. Et comme, de ces deux manières, ils sont très agréables à Dieu, on spécifie qu'il était grand, non pas sans plus, mais aux yeux du Seigneur.
43, 1. Le texte poursuit : CEPENDANT HÉLI ÉTAIT TRÈS VIEUX ET IL ENTENDIT TOUT CE QUE SES FILS FAISAIENT À ISRAËL TOUT ENTIER, ET COMMENT ILS DORMAIENT AVEC LES FEMMES QUI SE TENAIENT À LA PORTE DE LA TENTE. La personne d'Héli représente non seulement le sacerdoce ancien, mais encore les enseignements des pères d'autrefois; car, en exerçant son autorité de dignitaire spirituel, il assuma la tâche d'instruire par une prédication salutaire ceux pour qui il offrirait au Seigneur des victimes de propitiation.
2. Pourquoi donc Héli est-il appelé vieux, sinon parce que, dans le coeur des juifs réprouvés, la vigueur des commandements célestes s'était affaiblie ? Héli resta jeune tant que la Sainte Écriture garda la puissance d'une grande autorité sur les élus de la Synagogue; celle-ci avait, en effet, reçu les promesses de la venue du Rédempteur et l'attendait d'un grand désir. Héli devint vieux quand les juifs perdirent leur dévotion pour la promesse qu'ils gardaient : ils voyaient le Rédempteur attendu par leurs pères se manifester comme tel par les miracles accomplis devant eux et, complètement aveugles, ils doutaient, malgré sa lumière éclatante, de la présence de la Vérité.
3. Le texte dit même qu'il était très vieux, pour enseigner que toute la vigueur de la foi s’était évanouie de la Synagogue. «Presque» disons-nous cependant, car tout en étant très vieux, Héli vivait tout de même, bien que tout à fait affaibli. En effet, que signifiait alors vivre pour ce vieillard – l’Écriture – sinon communiquer à la Synagogue un souffle de foi très faible ? Il pouvait être très vieux et rester en vie quand le coeur des juifs hésitait, sans croire fermement que le Seigneur Jésus était le Rédempteur ni le condamner ouvertement comme blasphémateur.
4. Cette débilité de la vieillesse nous est montrée par Jean l'Évangéliste quand il dit : «Les uns disaient : Il est bon; les autres : Non, mais il séduit les foules.» De là, le mot des juifs, manifestant eux-mêmes leur fourberie sournoise : «Jusques à quand vas-tu nous tenir en suspens ? Si tu es le Christ, dis-le nous franchement.» De là aussi cette autre parole : «Maître, nous voulons voir un signe de toi.»
44, 1. Mais cet Héli très vieux entendit tout ce que ses fils faisaient à Israël tout entier. Il est certain qu’il l'entendit, puisqu'il le sut. Ce que nous connaissons, nous le gardons enfermé dans les enclos de notre mémoire. Les paroles sacrées, quand on les consulte, manifestent au dehors toute l'incrédulité des juifs qui y est inscrite. Aussi la présentent-elles à la façon d’un souvenir longtemps gardé en mémoire.
2. C'est cette connaissance acquise par l'ouïe que Michée attribue en quelque sorte à Héli quand il dit : «Le Seigneur n'accomplira aucune parole sur terre sans la révéler à ses serviteurs, les prophètes.» D'où la confession d'Habaquq au Dieu Fils unique : «Seigneur, j'ai entendu ce que tu m'as fait entendre et j’ai eu peur. J'ai considéré tes oeuvres et je me suis épouvanté. Au milieu des deux animaux, tu te feras connaître.» Pour les anciens docteurs de la Synagogue, en effet, entendre les crimes de leurs fils, c’est les connaître à l'avance.
45, 1. Mais ce qu'il a ainsi connu d'avance, il l'explique en disant : «Tout ce que ses fils faisaient à Israël tout entier, et comment ils dormaient avec les femmes qui se tenaient à la porte de la Tente.» Pour les juifs, dormir avec les femmes, c'est se laisser souiller par diverses hérésies.
2. Fort à propos, ces femmes se tenaient, nous dit-on, à la porte de la Tente. Qu'est-ce, en effet, que la porte de la Tente, sinon la lettre de la Loi spirituelle ? En ne comprenant la sainte Écriture que selon la lettre, les juifs établissent des hérésies là où ils pouvaient avoir accès au fond caché de la vraie foi. Car de même qu'on entre par la porte à l'intérieur de la Tente, de même, par la lettre de la sainte Écriture, on entre dans la connaissance spirituelle du Rédempteur. En s'en tenant à la lettre, les juifs se fourvoient : voilà pourquoi on nous dit que les femmes se tenaient à la porte, et non à l'intérieur de la Tente.
3. Les juifs contredisent notre Rédempteur dans toutes les Écritures; c'est pourquoi on ne nous parle pas d'une femme seulement. Tout cela, les fils d’Héli se le font à eux-mêmes, car selon la parole du prophète : «L'âme qui aura péché, c'est elle qui mourra.» Mais il est dit qu'ils le font à Israël tout entier, parce qu'en périssant dans la nuit de leur erreur, les chefs entraînent leurs subordonnés dans les ténèbres de leur aveuglement.
4. Les fils d'Héli dorment donc avec les femmes, car les juifs réprouvés sont souillés jusqu'à la fin du monde par les hérésies dont ils sont atteints. Ils dorment aussi, car s'ils sont plongés dans le profond sommeil nocturne de leur erreur, ils n'en seront pas moins, à la fin du monde, éveillés par Élie à la foi au Rédempteur.
46, 1. Le texte poursuit : ET IL LEUR DIT : POURQUOI FAITES-VOUS, À CE QUE J'ENTENDS DIRE, DES CHOSES PAREILLES, DES CHOSES ABOMINABLES, (faites) PAR TOUT LE PEUPLE ? Voici qu'Héli était vieux, mais son langage avait du mordant, car la vertu de la parole sacrée, quand bien même elle est inefficace dans le coeur des réprouvés, n'en mène pas moins, aux yeux de qui sait comprendre, une minutieuse enquête sur les fautes commises par les juifs. C'est en effet sur le ton d'un examen sévère qu'il dit : «Pourquoi faites-vous, à ce que j'entends dire, des choses pareil les, des choses abominables, (faites) par tout le peuple ?»
2. Mais en demandant : «Pourquoi faites-vous ?», celui qui questionne montre qu'ils s'enfoncent, sans le discernement de la raison, dans la nuit de l'hérésie. Il dit qu'ils ont fait des choses abominables, qu'il a entendues, et il déclare que ces choses abominables sont (faites) par tout le peuple. Qu'est-ce à dire, sinon que le peuple juif en son entier était tombé dans le gouffre de l'hérésie, mais que les prêtres réprouvés étaient la cause de sa chute ?
3 . D'où la parole du prophète Osée : «La cause de la chute du peuple, ce sont les mauvais prêtres.» Si, en effet, le peuple qui leur était soumis est tombé, c’est qu'il a voulu imiter ses chefs dans leur chute. Quand il dit : «Des choses abominables, à ce que j’entends dire, (faites) par tout le peuple», il faut donc entendre que ces choses sont faites par le peuple, non rapportées par lui. Ce qui revient à dire : «Ces choses abominables faites par le peuple, à ce que j’entends, pourquoi les faites-vous ?»
47, 1. Voilà pourquoi, aussitôt après, il explique plus clairement ce qu'il vient de dire, en ajoutant : N'AGISSEZ PAS AINSI, MES FILS. ELLE N'EST PAS BONNE, LA RUMEUR QUE J'ENTENDS À VOTRE SUJET : VOUS FAITES TRANSGRESSER LE PEUPLE DU SEIGNEUR. En quoi, cependant, le peuple du Seigneur transgressait-il les commandements, si ce sont ces hommes-là qui dormaient avec les femmes ? Mais ce qui leur arrivait avait aussi une portée figurative; par suite, cela préfigurait ce qui devait se produire au temps de l'incarnation du Seigneur. Oui, quand les prêtres dorment avec les femmes, leurs subordonnés transgressent les commandements du Seigneur; car lorsque les chefs se souillent en se laissant atteindre par l'hérésie, la foule réprouvée de la Synagogue qui leur est soumise, s'enfonce dans les mêmes puanteurs.
2. Il dit donc : «Pourquoi faites-vous, à ce que j'entends, des choses pareilles, des choses abominables, (faites) par tout le peuple ?» Ce qui revient à dire : «Votre faute est d'autant plus grande que votre crime souille d'une infamie plus grande le peuple tout entier.»
3 . Un prophète dit aussi quelque chose d'analogue : «De Dan, déclare-t-il, s'est fait entendre le son de ses chars et de ses chevaux.» Ce qu'il ne faut pas comprendre comme signifiant que Dan a entendu le son, mais qu'il produit lui-même, en sévissant avec chars et chevaux, ce son qu'on entend.
4. Dans cette phrase, il faut encore noter qu’après avoir rapporté qu'il entend parler de choses abominables faites par tout le peuple, il ajoute des paroles de douce affection : «N'agissez pas ainsi, mes fils. Elle n'est pas bonne, la rumeur que j'entends à votre sujet : vous faites transgresser le peuple du Seigneur.»
5. Héli reprend avec vivacité tout en avertissant avec douceur, car l'Écriture des anciens pères dénonce et stigmatise l'erreur du peuple juif, tout en l’appelant avec une affectueuse bonté de la nuit de l'erreur au jour de la vraie foi. Il les nomme «fils», afin qu’ils reconnaissent qu'ils doivent être les héritiers de la promesse paternelle et qu'ils reçoivent le Sauveur du monde avec d'autant plus de dévotion qu'ils n'ignorent pas la promesse qui en a été faite à leurs pères.
48, 1. En outre, désirant ardemment les faire revenir de leur audace pécheresse, il ajoute une raison en disant : Si UN HOMME PÈCHE CONTRE UN HOMME, DIEU PEUT SE LAISSER APAISER. MAIS S'IL PÈCHE CONTRE DIEU, QUI PRIERA EN SA FAVEUR ?
2. Un homme pèche contre un autre homme quand un humain agit mal envers un autre humain. Pourquoi donc dit-il : «Dieu peut se laisser apaiser», sinon parce que de tels péchés étaient légers au regard de ceux que les juifs songeraient à commettre contre le Fils de Dieu ? C'est bien contre Dieu qu'ils péchaient, car celui qu'ils projetaient de tuer avait fait voir, à la lumière d'éclatants miracles, qu'il était Dieu.
3. Cela, le Seigneur le montre aussi en disant lui-même : «Si je n'avais fait parmi eux des oeuvres que personne d'autre n'a faites, ils n'auraient pas de péché.» Et pour montrer que Dieu le Père ne se laissera pas apaiser, il ajoute ces mots : «Mais à présent ils n'ont pas d'excuses pour leur péché, car ils ont vu et ils m'ont haï, moi et mon Père.»
4. C'est donc comme s'il disait : «Qui obtiendra par sa prière le pardon d'un péché commis contre celui-là même qui pardonne ? Qui suppliera le Père tout-puissant pour celui qui condamne à mort son Fils unique coéternel ?» Il ne rendrait pas son discours plus clair s'il déclarait ouvertement : «Celui que vous persécutez comme un être purement humain, il est aussi Dieu.»
5. La loi de la raison exige donc que celui qui persécute le Créateur n'obtienne aucun pardon. Mais la bonté de Dieu a vaincu la sévérité de la raison. Il a montré l'équité de la loi, mais sans maintenir, dans l'exécution de la prescription juridique, la force de la sentence prononcée. En rigueur de justice, en effet, il était arrêté qu'aucune prière ne leur ferait obtenir l'indulgence. Mais, alors qu'aucune supplication humaine ne pouvait s'interposer en leur faveur, la bonté du Rédempteur ne leur manqua pas. Tout homme capable de supplier pour les coupables fait défaut. Mais alors qu'aucun homme ne pouvait s'interposer pour eux, le Dieu-homme lui-même s'est fait intercesseur plein de bonté.
6. Pendu à la croix, il fait cette prière : «Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font.» Dieu s'est donc laissé apaiser envers ceux qui avaient péché contre Dieu, non par la prière d'autrui, mais par la sienne propre.
49, 1. De plus, Dieu s'est laissé apaiser, non à l'égard de tous, mais de quelques-uns. Car certains persécuteurs du Seigneur se sont convertis à la prédication des apôtres, tandis que les autres ont péri. Les premiers sont mentionnés par Luc quand il dit : «Leur nombre s'éleva à cinq mille.» Quant aux réprouvés, notre texte ajoute à leur sujet : ET ILS N'ÉCOUTÈRENT PAS LA VOIX DE LEUR PÈRE, CAR LE SEIGNEUR VOULAIT LES METTRE À MORT.
2. Parlant par la bouche d'un prophète, le Seigneur déclare : «Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive.» Comment donc peut-il à la fois vouloir mettre à mort un pécheur et ne pas vouloir la mort du pécheur ?
3. Mais la parole que nous venons de citer a une suite où se reconnaît la vérité. Il dit en effet : «Mais qu'il se convertisse et qu'il vive». Puisqu'il veut que le pécheur vive pour qu'il se convertisse, si la prescience de Dieu le sait incapable de conversion, il le met à mort. Le Seigneur veut donc mettre à mort, mais ceux dont il sait à l'avance qu'ils ne voudront pas se convertir.
4. Il est déclaré miséricordieux et juste, quand le Prophète le supplie en ces termes : «Seigneur, délivre mon âme, toi, notre Dieu miséricordieux et juste.» Par miséricorde il attend la conversion des pécheurs, par justice il condamne ceux qui ne se convertissent pas. Par miséricorde il veut que les pécheurs se convertissent et vivent, mais par justice il veut punir ceux qui n'ont pas voulu se convertir. Miséricordieusement, il ne sauve que de son plein gré, et par justice, il condamne malgré lui.
5. Quand on dit donc qu'il veut mettre à mort, on montre la suprême et incorrigible impiété des pécheurs, qui s'expose volontairement à être punie par le fait de la justice divine. Nous voyons agir de même les juges d'affaires temporelles, même les plus enclins à la bonté. Ils voudraient que personne ne commette de faute, de manière à n'être obligés de punir per sonne. Mais quand les méchants s'enhardissent à perpétrer des crimes, ils les punissent volontairement, en dépit d'une volonté plutôt encline à ne pas les voir commettre des actes punissables.
6. On constate ici, toutefois, que le texte ne dit pas : «Ils furent mis à mort parce qu'ils ne voulurent pas écouter la voix de leur père qui voulait les corriger», mais : «Ils n'écoutèrent pas, parce que le Seigneur voulait les mettre à mort.» Cependant à bien considérer l'équité du jugement divin, on ne voit aucune différence entre mettre à mort quelqu'un et l'abandonner à un crime qui lui vaut de périr dans une réprobation éternelle.
7. C'est donc comme si l'on disait : «Si grande fut leur faute qu'ils reçurent des exhortations à se convertir sans pouvoir remonter de la fosse où ils se mouraient, et qu'après avoir bu l'océan de la colère divine, ils eurent, pour combler la mesure de leur damnation, non seulement le châtiment du crime qu'ils avaient commis, mais encore une peine supplémentaire pour avoir méprisé la prédication.»
8. Mais pourquoi contempler avec étonnement dans le passé ce que nous voyons se produire encore à présent : Héli qui avertit, ses fils qui dédaignent ses avertissements, le Seigneur qui veut mettre à mort ? Chaque jour, en effet, qu'est-ce que la sainte Écriture fait entendre aux juifs sinon la ténèbre de leur erreur ? Car les annonces du Rédempteur ne relèvent pas d’un sens si caché et spirituel qu'elles ne montrent manifestement son incarnation, sa naissance, sa passion, sa résurrection et son ascension dans les cieux. Et ils ne sont pas eux-mêmes dénués de raison au point de ne pas voir que ces biens si excellents sont le fait du Rédempteur. Mais cependant ils sont aveugles, puis qu'ils entendent que les signes promis à leurs pères ont resplendi en la personne du Rédempteur, et ne croient pas que cela soit. Ils sont donc aveugles; non qu'ils ne voient pas les promesses, mais ils ne croient pas à leur accomplissement.
9. Pourquoi n'entendent-ils pas la voix de l’Écriture qui les avertit, sinon parce que le Seigneur veut les mettre à mort ? Rien d'étonnant, cependant, s’ils périssent par un jugement de celui dont ils ont tué le Fils unique. Une rigoureuse justice immanente sévit, en effet, contre le peuple juif : chaque jour ils entendent les invitations à la vie prononcées par les Écritures, et ils ne croient nullement à ces Écritures qui les invitent.
50, 1. Mais, après le rejet des juifs incrédules, le texte expose les succès remportés auprès des païens par le saint ordre des prédicateurs, en disant : L'ENFANT SAMUEL PROGRESSAIT ET CROISSAIT, ET IL PLAISAIT AUSSI BIEN À DIEU QU'AUX HOMMES. Il progressait par les succès de la prédication, il croissait par le nombre des ministres. De son progrès, l’apôtre Paul se glorifie en disant : «De Jérusalem à l’Illyrie, j'ai fait tout le tour en menant à bien l'annonce de l'Évangile du Christ.»
2. Quant à la mesure de la croissance, Luc l’indique en disant : «Le nombre des disciples s'accroissant, des plaintes s'élevèrent de la part des Grecs contre les Hébreux, parce qu'on négligeait leurs veuves dans le service.» Et peu après : «Ils choisirent, dit le texte, Etienne, homme rempli de foi et d'Esprit saint, Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parmène et Nicolas, prosélyte d'Antioche. On les présenta aux apôtres, et ils leur imposèrent les mains en priant.»
3. De ce progrès des nouveaux prédicateurs, il est encore écrit : «Leur voix a retenti par toute la terre, et leurs paroles jusqu'aux extrémités du monde.»
51, 1. Mais il faut considérer de près ce que dit le texte : «Il plaisait aussi bien à Dieu qu'aux hommes.» Celui qui enseigne plaît aux hommes quand il se montre digne d'être vénéré de ses subordonnés et orné de ses bonnes oeuvres. Il plaît à Dieu quand il se garde de tirer de sa bonne conduite aucune vaine gloire et qu'il désire seulement mériter la louange de Dieu.
2. Le texte dit donc : «Il plaisait aussi bien à Dieu qu'aux hommes», car certains prédicateurs font montre d'une sainteté qu'ils ne possèdent pas. Tout en plaisant aux hommes, ils déplaisent à Dieu. C’est pourquoi il est dit à présent de Samuel, figure du nouveau prédicateur élu : «Il plaisait aussi bien à Dieu qu'aux hommes.» Ils se présentent comme dignes de vénération à leurs subordonnés, et ils offrent à Dieu leur pureté d'intention.
3. Il s'était efforcé de plaire aux hommes celui qui disait : «Nous sommes la bonne odeur du Christ en tout lieu.» Et il dit encore : «Je me suis fait tout à tous, pour les sauver tous.»
4. Il apprenait aussi à ses auditeurs à plaire aux hommes, en disant : «Soyez sans reproche aux yeux des juifs et des païens, car moi-même je plais à tous en toute chose, ne cherchant pas mon profit personnel mais celui du grand nombre.»
5. Mais, après avoir déclaré qu'il avait plu aux hommes, il fait valoir la pureté de son coeur, en disant : «Notre gloire, la voici : c'est le témoignage de notre conscience.»
6. Que notre texte dise donc : «Il plaisait aussi bien à Dieu qu'aux hommes», car le nouvel ordre des prédicateurs s'est montré à la fois vénérable au dehors auprès de ses auditeurs pour les entraîner à l'imiter, et agréable à Dieu au dedans par l'innocence de sa volonté.
52. Le texte poursuit : UN HOMME DE DIEU VINT À HÉLI. Que représente cet homme de Dieu, sinon le vénérable collège des saints apôtres ? Nul doute qu’il ne mérite le nom d'«homme de Dieu» par son éminente sainteté. En effet, le sommet hiérarchique auquel il s'était élevé en recevant la suprématie de l'univers entier, il l'ornait d'une vertu également sublime. Quant au moment où il vint à Héli, ce fut quand il alla annoncer aux pontifes de la Synagogue qu'elle était rejetée.
53, 1. Le texte poursuit : ET IL LUI DIT : NE ME SUIS-JE PAS RÉVÉLÉ OUVERTEMENT À LA MAISON DE TON PÈRE, QUAND IL ÉTAIT EN EGYPTE DANS LA MAISON DU PHARAON ? NE L'AI-JE PAS CHOISI PARMI TOUTES LES TRIBUS D'ISRAËL POUR ÊTRE MON PRÊTRE, AFIN DE MONTER À MON AUTEL, DE M'OFFRIR UN PARFUM D'ENCENS ET DE PORTER L'ÉPHOD DEVANT MOI ? N'AI-JE PAS DONNÉ À LA MAISON DE TON PÈRE TOUT CE QUI REVENAIT DES SACRIFICES DES FILS D'ISRAËL ?
2. Le judaïsme étant rejeté par jugement divin, on fait apparaître l'admirable disposition de justice avec laquelle ce rigoureux jugement a été prononcé. On commence donc par énumérer les dons accordés à Héli. En montrant que le Dieu tout-puissant a donné avec tant de bonté, on fait voir avec quelle justice il frappe celui qui le méprise.
3. Il s'est révélé à la maison de son père, affirme-t-il, pour lui ôter toute excuse d'ignorance. Cette révélation de sa connaissance, c'est en Egypte qu'il déclare la lui avoir faite, pour qu'Héli ne pense pas qu'il l'a
obtenue par ses mérites. En langage clair, c'est comme s'il disait : «Je me suis fait connaître de lui en un pays où il pouvait m'oublier et où il était incapable de se souvenir de moi.» Et, de peur que le don de la connaissance divine ne paraisse peu de chose à ce réprouvé, il dit l'avoir pris d'entre toutes les tribus d'Israël pour lui conférer l'honneur suprême du sacerdoce. C'est comme s'il disait : «Je l'ai mis au-dessus de ceux dont il n'était pas le supérieur mais l'égal.»
54, 1. Remarquons que son office sacerdotal est décrit selon trois fonctions : «Pour monter, dit le texte, à mon autel, m'offrir un parfum d'encens et porter l'éphod devant moi.»
2. Cet autel, que désigne-t-il, sinon la pierre que le patriarche Jacob leva pour en faire une stèle ? Et cette pierre, que représente-t-elle sinon celui que Paul, dans son éloge des croyants, célèbre en ces termes : «Bâtis sur le fondement des apôtres et des prophètes, avec le Christ Jésus au sommet pour pierre d'angle» ? Le père d'Héli a donc été choisi par le Seigneur pour le sacerdoce afin de monter à son autel, car si l'ordre des anciens docteurs a été mis à la tête du peuple qui lui était soumis, c'est pour annoncer que la restauration du genre humain aurait lieu quand viendrait le Rédempteur.
3. Il a offert un parfum d'encens, car le Rédempteur futur qu'il annonçait, il lui a uni, par le désir, le coeur de ceux qui l'écoutaient. Il a aussi porté l'éphod, car, à ce désir qui attendait de si grandes choses, il a joint l'ornement d'une conduite qui en était digne. Il offrirait, certes, un parfum d'encens, mais ne porterait pas l'éphod, s'il allumait dans le coeur de ses auditeurs le désir de la venue du Rédempteur, tout en s’écartant de celui-ci par la discordance de ses moeurs détestables.
4. Et parce que Dieu tout-puissant demandait une religion authentique et non feinte, c'est devant lui, et non devant le peuple, qu'il dit lui avoir enjoint de porter l'éphod. Porter l'éphod devant le Seigneur, c'est rechercher la récompense de la seule bonté divine par une vie pure.
5 . Mais il est clair que ces choses-là sont dites à Héli par manière de reproche. En effet, il ne monta pas à l'autel, car ce sacerdoce, qui présidait la Synagogue quand la Vérité se manifesta, n'annonça nullement aux foules qui lui étaient soumises celui qui se révéla par tant de signes éclatants comme le Rédempteur du genre humain. Il n'offrit pas davantage de parfum d'encens à Dieu, puisque c'est à la persécution qu’il incita son peuple, et non à l'amour.
6. Il dédaigna aussi de porter l'éphod devant le Seigneur, car la vérité de la religion ne brilla nullement en lui. En effet, s'il arborait quelque signe de probité, cet ornement dont il parait sa vie provenait du désir de tromper, non d'une intention de charité. C'est bien ce que le Seigneur leur reproche, en disant : «Malheur à vous, scribes et pharisiens, car vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui au-dehors ont belle apparence aux yeux des hommes, mais au-dedans sont pleins d'ossements de morts.»
7. Mais celui à qui il a confié tant de biens spirituels paraîtrait avoir moins reçu, s'il ne lui avait accordé aussi des biens temporels en abondance. D'où la suite : «Et j'ai donné à la maison de ton père tout ce qui revenait des sacrifices des fils d'Israël.» Comme s'il lui adressait ouvertement ce reproche : «Je ne l'ai laissé manquer de rien, lui à qui j'ai conféré les plus hautes distinctions spirituelles et les plus grands pouvoirs, et que j'ai abondamment pourvu de biens terrestres pour son usage temporel.»
55, 1. Mais celui qui énumère si raisonnablement les biens offerts, écoutons à présent avec quelle rigueur il examine et scrute l'audace de sa transgression. S’en suit, en effet : POURQUOI REPOUSSEZ-VOUS DU PIED LE SACRIFICE ET LES OFFRANDES QUE J'AI ORDONNÉ D'OFFRIR DANS LE TEMPLE ? Le juge, en effet, ne dit «pourquoi» que s'il examine avec rigueur; et celui à qui l'on reproche d'avoir repoussé du pied le sacrifice et les offrandes offerts à Dieu, est jugé lui avoir fait injure sans prendre avis de la raison. Remarquons qu'il est dit au pluriel : «Pourquoi repoussez-vous du pied le sacrifice qui m'est offert ?», afin qu'on voie que cette parole s'adresse non seulement à Héli mais aussi à ses fils. C'est que les bêtes sauvages ont coutume de rejeter du pied tout ce qui s'y attache.
2. Quels autres sacrifices revenaient en effet aux fidèles, sinon de s'appliquer aux louanges de leur Rédempteur, d'annoncer que Jésus Christ s'est enseveli dans la mort pour le salut du monde et qu'il a rendu la vie au genre humain en ressuscitant ? En quoi consistaient leurs offrandes, sinon à offrir sans cesse à Dieu tout-puissant des actions de grâces pour de si grands bienfaits qui leur avaient été accordés ?
3. Tout cela, les fils d'Héli l'ont repoussé du pied, puisqu'en rejetant le message nouveau, il n'ont pas suivi le conseil de la raison qui s'exprimait dans les paroles sacrées, mais les impulsions de leur violence. En les détournant de leur fureur déraisonnable, la Vérité désirait les rendre attentifs au conseil de la raison quand elle disait : «Scrutez les Écritures, puisque vous pensez y trouver la vie éternelle; elles aussi, elles me rendent témoignage.» C'est pourquoi il dit encore ici : «Ce que j'ai prescrit d'offrir dans le temple.»
4. En effet, dans la Loi, les psaumes et les prophètes avait été écrit ce qui concernait la passion, la résurrection du Seigneur et la condition de l'Église universelle. Les chefs de la Synagogue ont donc repoussé du pied le sacrifice et les offrandes qu'il était prescrit d'offrir au Seigneur dans le temple du Seigneur, car ce n'est pas en recourant à l'autorité de l'Écriture sainte qu'ils se sont efforcés d'examiner l'enseignement de la sainte Église, mais ils l'ont refusé et rejeté en n'écoutant que les impulsions de leur fureur.
5. De fait, s'ils avaient consulté, l'esprit éclairé, les préceptes de Dieu contenus dans la parole sacrée, ils auraient accueilli comme des envoyés de Dieu les saints prédicateurs qu'ils ont violemment rejetés.
56. Mais celui qui reproche leur fureur déraisonnable aux fils d'Héli, c'est-à-dire aux anciens docteurs de rang inférieur, accuse aussi de négligence le père lui-même, en disant : TU AS HONORÉ TES FILS PLUS QUE MOI. Comme s'il lui adressait ouvertement ce reproche : «Ils ont rejeté, et toi, tu as honoré ceux qui rejetaient.» De fait, il a plus honoré ses fils que Dieu car, alors qu'il méprisait ouvertement ses oeuvres manifestes, il procurait à ses fils des profits temporels.
57, 1 D'où la suite : POUR QUE VOUS MANGIEZ LES PRÉMICES DE TOUS LES SACRIFICES QU'ON ME FAIT. Ces paroles, on le voit, accusent en réalité l'ordre des docteurs de rang supérieur, qui a consenti à faire mourir le Rédempteur, parce qu'il craignait de perdre le profit des offrandes d’autrefois.
2. C'est pourquoi, ayant délibéré avec des pharisiens, ils disaient : «Qu'allons-nous faire, car cet homme accomplit de nombreux signes ? Si nous le laissons faire, tous croiront en lui, et les Romains viendront et détruiront notre lieu et notre nation.» Et ils dirent encore : «Vous voyez bien que nous n'arrivons à rien : voici que tout le monde se met à sa suite.»
3. Voilà donc pour quelle raison il honora ses fils : c'était afin qu'ils aient de quoi manger; car il garda le silence au lieu de prêcher, de peur qu'en affirmant la vérité du culte nouveau, il ne puisse plus jouir à l'avenir des biens dont se repaissait autrefois sa volupté.
58, 1. Puisqu'il a montré l'énormité et la nature de la faute, voyons à présent avec quel esprit de justice il indique la façon dont il va se venger. En effet, il poursuit : C'EST POURQUOI, AINSI PARLE LE SEIGNEUR DIEU D'ISRAËL : J'AVAIS BIEN DIT QUE TA MAISON ET LA MAISON DE TON PÈRE SERVIRAIENT DÉSORMAIS EN MA PRÉSENCE À PERPÉTUITÉ. MAIS MAINTENANT, QU'IL N'EN SOIT PLUS QUESTION. Comme s'il prononçait ouvertement cette sentence bien pesée : «Tu as honoré tes fils pour qu'ils mangent les prémices de tous les sacrifices; mais si le droit de prélever les prémices vous est retiré, c'est parce qu'ils ont été honorés sans qu'ils en soient dignes.»
2. Quand il dit, en effet : «Il n'est plus question que ta maison serve en ma présence», est-ce dire autre chose que ceci : «Je vous fais déchoir des plus grands honneurs, vous à qui revenait le droit de prélever les prémices ?»
3. Il a donc été pris, par une admirable disposition de la justice : parce qu'il désirait avidement manger les prémices, à cause de cela il dut s'abstenir de les prélever. En effet, il accepta la mort du Rédempteur pour ne pas perdre le profit que lui procurait le sacerdoce; mais le Rédempteur, par son triomphe sur la mort, obtint la suppression des profits de l’ancien culte.
4. Cependant, il parle ainsi : «J'avais bien dit que ta maison et celle de ton père serviraient en ma présence. Mais maintenant, qu'il n'en soit plus question.» Autrement dit, en clair : «Pour que tu demeures dans cette dignité suprême, je t'ai souvent rappelé à l'ordre; mais maintenant, tu n'es pas tel que je t’ai désiré.»
59, 1. Parce que cela est dit à propos de la réprobation des juifs, le texte dit ensuite au sujet de l'ordre des nouveaux prédicateurs : MAIS CELUI QUI M'AURA GLORIFIÉ, JE LE GLORIFIERAI. Nous percevons à présent la gloire de celui qui glorifie, car les prédicateurs de la sainte Église chantent les louanges du Dieu tout-puissant par le grand éclat de leur vie, et se réjouissent de leur suprématie sur toute la terre.
2. De fait, tous les païens sont désormais aux pieds des prêtres, et ceux à qui ils se réjouissent d’être soumis par obéissance, ils se glorifient de les avoir comme protecteurs dans les cieux. Le Seigneur glorifie donc celui qui le glorifie, car ceux dont il reçoit chaque jour les pieuses louanges, il les met à l’honneur aux yeux de tout l'univers. La gloire de celui qui est glorifié, n'est-ce pas d'habiter sur terre et de fermer le ciel, de partager la vie commune des hommes et de montrer à ses sujets les trônes des hauteurs célestes par l'autorité de sa puissance ?
3. Il glorifiait effectivement le Seigneur, celui qui disait : «Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant.» Mais le Seigneur glorifia celui qui le glorifiait, car il lui répondit : «C'est à toi que je donnerai les clefs du royaume des cieux, et tout ce que tu auras lié sur la terre sera aussi lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre le sera aussi dans les cieux.»
60, 1. Mais à propos de ceux qui, d'entre les juifs, sont rejetés comme réprouvés, le texte poursuit : CEUX QUI ME MÉPRISENT SERONT COMPTÉS POUR RIEN. Ceux qui le méprisent, ce sont ceux qui refusent de croire qu'il est le Rédempteur du monde. C'est à eux que s'adressent les plaintes de la Vérité quand elle dit dans l'Évangile : «Mais ses concitoyens le haïssaient et envoyèrent après lui une ambassade pour dire : Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous.»
2. Mais nous voyons à présent leur déchéance, car ils sont proscrits dans leur race comme dans leur condition. Déchus, ils le sont dans leur race, car ils ont entendu la Vérité leur dire : «Vous êtes les fils du diable.» Ils le sont aussi dans leur condition, car privés de leur liberté et de leur royaume, ils sont réduits à être pour toujours les esclaves des nations.
61, 1. Mais il nous indique avec plus de clarté le déroulement des châtiments : VOICI, DES JOURS VIENDRONT OÙ JE COUPERAI TON BRAS ET LE BRAS DE LA MAISON DE TON PÈRE, POUR QU'ON NE TROUVE PAS DE VIEILLARD CHEZ TOI. Le voici donc sans bras, car celui qui a perdu et le Temple et la Tente n'étend plus la main pour l'offrande de l'ancien sacrifice.
2. Et puisque c'est à Héli, c'est-à-dire aux grands prêtres de la Synagogue, qu'il parlait, il menace de couper non seulement son bras, mais encore celui de la maison de son père, afin d'indiquer la destruction totale de l'ancien culte et pour qu'on comprenne que ce que nous voyons réalisé à présent au temps nouveau, résulte d'un décret ancien. Le Seigneur a coupé ainsi son bras et celui de la maison de son père, car il a écarté radicalement du sacrifice ancien non seulement les grands pontifes du judaïsme, mais aussi les prêtres de rang inférieur.
3. Le texte ajoute donc opportunément : «Pour qu'on ne trouve pas de vieillard chez toi.» Le vieillard, ce sont les prêtres dont la fonction, exercée avec le sérieux d'une grande dignité morale, n’est privée du poids de la religion par aucune légèreté puérile.
4. Son bras et celui de la maison de son père ont donc été coupés de telle sorte qu'il ne subsiste pas de vieillard chez lui : car le culte de l'ancien sacerdoce a si bien disparu qu'il ne reste absolument personne qui puisse dorénavant sacrifier selon l'ancien rite. En effet, après que le Rédempteur du genre humain s’est offert pour nos péchés selon le nouveau rite du sacrifice, il n'y a plus de prêtre à la manière d’autre fois.
62, 1. Mais celui qui supporte le dommage de la perte du sacerdoce endure le tourment d'une peine plus cruelle, celui de la douleur causée par l’envie. C'est pourquoi le texte poursuit : ET TU VERRAS TON RIVAL DANS LE TEMPLE AU MILIEU DE TOUS LES BIENS D'ISRAËL. Il voit en effet son rival à l'intérieur du temple, puisque lui-même en est à présent expulsé.
2. Car quel est le rival de l'ancien sacerdoce, sinon l'ordre des nouveaux prédicateurs ? En s’efforçant d'égaler le zèle des pères élus d'autrefois dans sa vie et son enseignement, il rivalise pour le bien avec les biens d'Héli. Paul nous y incite, en disant : «Rivalisez tous de la bonne façon dans le bien.»
3. Comment interpréter les «biens d'Israël», sinon comme les satisfactions de cette vie passagère, dont l'Israël selon la chair se réjouissait tant ? C'est donc au milieu de tous les biens d'Israël qu'il voit son rival, celui qui voit dans la sainte Eglise les heureux prédicateurs de la vérité, comblés de richesses et d’une haute dignité.
4. Quand le texte dit qu'il sera vu dans le temple, on peut l'entendre aussi en un sens plus élevé. En effet, au milieu de tous les biens, c'est dans le temple que se trouve son rival, car tout le bonheur temporel dont il profite, l'ordre des prédicateurs en dispose en considération de l'éternité.
63. On lit ensuite : CEPENDANT, JE N'ÉCARTERAI PAS COMPLÈTEMENT TOUS TES DESCENDANTS DE MON AUTEL. De fait, il aurait écarté complètement tous ses descendants d'auprès de son autel, s'il n'en avait admis aucun à partager notre foi. Il ne les a donc pas tous écartés de son autel car, même s'il a rejeté les prêtres réprouvés de la Synagogue, il en a conduit néanmoins un grand nombre, par miséricorde, à le connaître. C'est ce que Luc indique à leur sujet dans les Actes des Apôtres : «Une multitude de prêtres obéissait à la foi.» Ils furent jugés dignes d'un ministère si grand et nouveau, ceux qui ne voulurent pas rester dans la vétusté avec ceux qui se perdent.
64, 1. Cependant, comme le sacerdoce judaïque souffrit le tourment de l'envie non seulement à la vue des prédicateurs issus du paganisme, mais encore à la vue de ceux du judaïsme qui accédèrent à la foi, le texte poursuit : MAIS POUR QUE TES YEUX TE MANQUENT ET QUE TON ÂME SE CONSUME.
2. On peut dire aussi que c'est pour cela qu'il n’a pas totalement écarté les descendants d'Héli de son autel : afin que les yeux d'Héli lui manquassent et que son âme se consumât. Car il voulait prendre des élus parmi les juifs en vue du service de la prédication nouvelle, afin que, séparés de ceux-ci, les réprouvés soient retenus dans le châtiment par le péché.
3. Les yeux d'Héli lui manquèrent, en effet, quand le sacerdoce suprême saisit en sa raison, par la bouche des prédicateurs, la vérité de la foi et ne la connut pas. Son âme elle aussi se consuma, puisqu'en perdant la grâce du saint Esprit, elle subit le châtiment de son rejet et se dessécha.
65, 1. Suite du texte : ET UNE GRANDE PARTIE DE TA MAISON PÉRIRA EN ATTEIGNANT L'ÂGE ADULTE. Le temps de l'âge adulte, c'est celui de l'incarnation du Seigneur. C'est ce que l'Apôtre indique en disant : «Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, issu d'une femme, né sujet de la Loi, afin de racheter les sujets de la Loi, pour que nous recevions l'adoption filiale.»
2. Qu'étaient donc les préceptes du judaïsme, sinon des rudiments pour enfants ? C'est de ce temps de l'enfance dont parle le même apôtre en disant : «Quand nous étions petits, nous étions asservis aux éléments du monde.» Elle est donc morte au moment de l'âge adulte (la plus grande partie de la maison d'Héli), puisque, à la plénitude du temps, en sévissant contre le Rédempteur du monde, elle s'est elle-même transpercée avec le glaive de l'incrédulité. Néanmoins, c'est à juste titre qu'est annoncée l'extinction non pas de toute sa maison, mais d'une grande partie car, parmi eux, certains crurent au Rédempteur.
66, 1. Et, ajoutant une cause de douleur plus grande, il dit : LE SIGNE QUI TE SERA DONNÉ, C'EST CE QUI ARRIVERA À TES DEUX FILS OPHNI ET PHINÉES : EN UN SEUL JOUR, ILS PÉRIRONT TOUS LES DEUX. Nous avons montré plus haut que les deux fils d'Héli représentent les deux classes du sacerdoce ancien. Elles se sont sans aucun doute éteintes le même jour, puisque toutes deux se sont entendues pour faire mourir le Rédempteur.
2. Mais c'est à juste titre qu'on mentionne la mort des prêtres comme signe de l'extinction future de la maison, car quand meurent les pasteurs, il faut que le troupeau les suive dans un trépas semblable. Et parce qu'ils ont été trompés par un raisonnement fallacieux, il est dit qu'ils meurent en plein jour. Le bienheureux Job parle de la fausseté de cette lumière lorsqu'il dit : «Ils marchent dans les ténèbres comme en plein jour.»
67. Or, celui qui a rejeté l'ancien sacerdoce a préparé le nouveau. C'est pourquoi le texte dit ensuite : ET JE ME SUSCITERAI UN PRÊTRE FIDÈLE. En effet, après la mort des fils d'Héli, le Seigneur s’est suscité un prêtre fidèle, puisque, quand les chefs du peuple ancien se furent éteints dans l'incrédulité, il prit des élus pour accomplir le ministère de notre rédemption. Celui-là, il le dit fidèle, car l'ancien, à qui il succéda, a été rejeté en raison de son infidélité.
68, 1. Et parce qu'on porte au crédit de ce prêtre la foi qui agit par l'amour, ce sont ces oeuvres d’amour que décrit la suite du texte. En effet, on lit ensuite : IL AGIRA SELON MON COEUR ET MON ÂME. Car l’ineffable substance divine voulut désigner par des parties de l'être humain une réalité qu'il ne faut pas entendre chez elle au sens littéral.
2. Ainsi, quand elle dit : «Il agira selon mon coeur et mon âme», cela ne signifie pas que la substance divine incorporelle et infinie ait un coeur et une âme, mais elle parle à l'homme comme un homme a coutume de parler à un homme, de sorte que, à travers ce que l'homme comprend en entendant son propre langage, il sache clairement aussi ce que Dieu veut. Elle aurait pu dire plus simplement : «Il fera ma volonté.»
69, 1. Et pour montrer quelles seront les récompenses de son ministère, elle dit : ET JE LUI ÉDIFIERAI UNE MAISON FIDÈLE. Quelle est en effet cette maison, sinon la patrie éternelle ? Celle-là que le Seigneur présente en disant : «Dans la maison de mon Père les demeures sont nombreuses.» Mais il est dit qu'il édifie maintenant cette maison, car c'est par les actions d’une vie de piété qu'on la prépare.
2. Toutefois, les oeuvres de l'homme sont indignes de la mériter, si elles ne sont pas accomplies par la grâce du Dieu miséricordieux. Aussi est-il bon qu’au moment d'édifier le bâtiment de la maison, le Seigneur lui promette de l'édifier, car les forces humaines sont incapables d'une telle oeuvre sans le secours divin. D'où ce que dit Paul : «C'est Dieu qui opère en moi le vouloir et le faire.» Et encore : «Cela ne relève donc ni de l'homme qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde.» Cette demeure, il avait promis de l'édifier quand il disait : «Je m'en vais vous préparer une place et je reviendrai pour vous prendre avec moi, afin que là où je suis, vous soyez aussi.»
70, 1. Comme il devait effectivement écouter par un libre consentement et avec dévotion la grâce qui l'appelait, le texte poursuit : ET IL MARCHERA TOUJOURS EN PRÉSENCE DE MON CHRIST. En effet, pour chacun de ses élus, marcher en présence du Christ, c'est se considérer toujours sous le regard du Rédempteur et accomplir ce qu'on sait lui être agréable. Ou bien il marche en présence du Christ, celui qui, en tout ce qu'il fait, garde les yeux fixés sur lui et dirige la droiture de sa vie, à l'instar de celui dont il reconnaît que, ayant assumé l'humanité, il est le modèle établi pour les élus.
2. Mais le judaïsme ne sera pas abandonné pour toujours aux ténèbres de son aveuglement, car il est dit par le prophète : «Les fils d'Israël seraient-ils plus nombreux que les grains de sable de la mer, un reste néanmoins sera sauvé.» Comme le dit Paul : «L'aveuglement s'est emparé d'une partie d'Israël, jusqu'à ce que la totalité des païens soit entrée, et ainsi tout Israël sera sauvé.»
71. Il fait donc savoir, dans la suite, qu'il visitera le judaïsme : ET IL ARRIVERA QUE QUICONQUE SUBSISTERA DE TA MAISON VIENDRA AFIN QU'ON PRIE EN SA FAVEUR. Assurément le judaïsme demande qu'on prie pour lui le Seigneur quand, à la vue des élus issus des nations, désormais rassemblés, il n'ignore pas les ténèbres de son aveuglement; lorsqu'il désire être offert à Dieu tout-puissant par l'intermédiaire de ses prêtres en confessant l'éternelle Trinité, car dans sa vieillesse d'antan, il ne présume pas de mériter la joie céleste.
72. Cependant, cette foi au Rédempteur, qu’il accueille en se convertissant, il la dépense aussi pour la conversion des autres par la prédication. D'où la suite du texte : POUR OFFRIR UNE PIÈCE D’ARGENT. L'argent désigne, bien sûr, les paroles de Dieu, car il est dit par la bouche du prophète : «Les paroles du Seigneur sont de l'argent passé au feu.» Cet argent, le judaïsme le dépense à la louange de Dieu quand il enseigne ouvertement notre foi, qu'il réfutait auparavant en demeurant incrédule.
73. Et parce que ce Rédempteur, qu'il annonce avec amour, il l'imite aussi en souffrant avec lui, le texte poursuit : ET UNE TOURTE DE PAIN. En effet, le nom de pain désigne celui qui a dit de lui-même : «Je suis le pain vivant, descendu du ciel.» La tourte de pain, c'est donc la chair du Rédempteur meurtrie par les supplices. D'où cette parole du prophète contemplant cette tourte de pain : «En vérité, c'étaient nos souffrances qu'il supportait, et nos douleurs qu’il endurait». Par ailleurs, il a été dit par un sage : «Si tu t'assieds à la table d'un puissant, prends bien garde aux mets qui te sont apportés, car il te faudra en apprêter de semblables.» Ainsi donc le judaïsme offre-t-il une tourte de pain et une pièce d’argent, quand il annonce ouvertement notre Rédempteur et que, par amour pour celui qu'il annonce, il ne refuse pas d'endurer les tourments des infidèles.
74. Parce qu'il trouve un grand plaisir à imiter ainsi la passion et à prendre cette suave nourriture, le texte poursuit : ET IL DIRA : ATTACHE-MOI, JE T'EN PRIE, À QUELQUE FONCTION SACERDOTALE. «Attache-moi», dit-il. C'est comme s'il disait : «Ne me rejette pas comme un être infâme et responsable de la mort sanglante du Rédempteur.» Il demande que lui soit aussi accordée une fonction sacerdotale, car il désire être associé aux véritables prêtres pour pouvoir prendre part à leurs joies, eux dont il aspire à imiter les offrandes en s'offrant lui-même.
75, 1. Voilà pourquoi, exprimant son désir de nourriture, il dit : POUR QUE JE MANGE UN PETIT PAIN. Ici il faut noter qu'il est prédit que le judaïsme offrira la tourte de pain avec dévotion, et désirera le petit pain pour sa consommation. Pourquoi donc est-ce le petit pain, et non la tourte de pain, qu’on désire consommer ? Et pourquoi dit-on que c'est la tourte de pain qui doit être présentée en offrande, et non pas le petit pain ? Mais, parce que le petit pain a une forme ronde, et qu'on ne peut distinguer en quelque sorte ni le commencement ni la fin de ce qui est rond, c'est avec raison que l'être éternel du Rédempteur est signifié par un petit pain.
2. Nous pouvons donc offrir la tourte mais non pas le petit pain, car bien que nous puissions imiter la passion du Seigneur en mourant ou bien en traitant durement notre chair, nous n'avons pas en nous l'éternité pour la présenter à son regard. Et c'est le petit pain qui doit être l'objet suprême de notre désir, non la tourte de pain, car si nous suivons le Rédempteur du genre humain sur cette terre en souffrant avec lui, nous désirons le posséder, dans la patrie céleste, non plus mortel et souffrant, mais éternel et régnant. Ainsi donc, tout en désirant offrir la tourte de pain, il déclare : «Pour que j'aie à manger un petit pain», car les convertis du judaïsme aspirent à posséder notre Rédempteur en une éternelle réfection, lui dont ils ont imité ici-bas la passion en cherchant à s’acquitter vaillamment de leur service, non à y trouver leur récompense.

Sens moral

76, 1. Nous avons parcouru ce passage de l’histoire sainte selon l'explication typologique, afin de chercher quelque chose de l'enseignement moral de ce même texte sacré. Donc, il est dit que Samuel servait en présence du Seigneur. Néanmoins, on ne déclare pas que ce service est accompli pour le Seigneur, sans plus, mais devant la face d'Héli. Ces paroles montrent donc, non pas la perfection du service, mais celle de l'humilité. En effet, la face d'Héli, c'est l'avis que dicte à chaque maître son jugement. Car il sert le Seigneur devant la face de son maître, celui qui, dans l'accomplissement de son service, ne suit pas son propre jugement et qui avance sur la voie du travail de la manière que son maître a prévue.
2. De fait, tous les hommes parfaits et dociles à Dieu servent en présence du Seigneur, mais ils ne le servent pas devant la face d'un homme, car Dieu lui-même leur apprend de l'intérieur comment régler à l'extérieur leur vie, leurs moeurs et leur enseignement. C'est pourquoi, par l'oracle de louange de son père, le précurseur du Rédempteur s'entendit promettre : «Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut; tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer ses voies.» On le représente marchant devant la face du Seigneur, lui qui, dans son service, n’allait pas suivre l'avis d'un supérieur humain, mais l'inspiration divine.
3. On dit donc que Samuel servait le Seigneur devant la face d'Héli, pour apprendre à tous les subordonnés, par son exemple, qu'ils doivent chercher à plaire au Créateur dans leur service en ne présumant pas d'agir contre l'avis de leurs supérieurs. En effet, celui qu'on dit serviteur du Seigneur devant la face de son maître, s'il refuse par enflure d'orgueil de marcher devant sa face, il n'est pas serviteur en présence du Seigneur. Il donne la preuve, en effet, qu'il ne connaît pas le Seigneur tout-puissant, puisqu'il refuse de lui plaire en suivant le jugement de celui à qui il s’est soumis en vue de lui plaire.
77, 1. C'est pourquoi l'on dit des fils d'Héli qu'ils étaient fils de Bélial et qu'ils ne connaissaient ni le Seigneur ni leurs devoirs sacerdotaux envers le peuple. Sont fils, en effet, ceux qui se soumettent à des pères spirituels pour leur instruction. Quand ils dédaignent par orgueil de suivre les avis de ces mêmes pères, ils sont appelés avec raison fils de Bélial, car ils se font les imitateurs de l'esprit apostat, tombé du ciel à cause de sa superbe. Ceux-là connaissent d’autant plus mal le Seigneur qu'ils s'adjugent la connaissance de celui-ci avec plus d'arrogance. De fait, il arrive que, ce qu'ils doivent savoir, ils l'ignorent d'autant plus dangereusement que, ne sachant pas ce qu'ils croient savoir, ils ne se soucient pas de l'apprendre. Et parce qu'ils ne peuvent aimer le Créateur invisible qu'ils ne connaissent pas, ils ruinent, par leur convoitise des choses visibles, le service de Dieu qu'ils prétendent accomplir.
2. Voilà pourquoi de ces prêtres dont il est dit qu’ils ne connaissent pas le Seigneur, on déclare aussi qu’ils ignorent leurs devoirs sacerdotaux envers le peuple. Et pour manifester les causes du blâme qu'ils reçoivent, on indique que le garçon de ce prêtre ignorant s'approchait avec une fourchette à trois dents de tous ceux qui venaient sacrifier et exigeait avec violence de la viande crue. Les mots dont on use désignent, à l'intérieur de cette avidité rapace, trois espèces de gourmandise. En effet, celui dont le serviteur venait saisir violemment les morceaux de viande avant qu’ils ne soient cuits, n'était pas capable d'attendre le temps légitime du repas; lui pour qui l'on demandait de la viande ne savait pas se contenter de mets ordinaires; et quand, en refusant la viande cuite, il exigeait de la viande crue, il dédaignait de manger cette viande normalement apprêtée.
3. Mais, puisque la perversité des serviteurs s’est mise au service du plaisir des prêtres, pourquoi dit-on que le très grand péché devant le Seigneur fut celui non des prêtres eux-mêmes, mais de leurs garçons ? Toutefois, par ces mêmes mots, on met en lumière la faute plus grave des prêtres. En effet, celui qui affirme que le péché des inférieurs était très grand devant le Seigneur, connaissait la perversité des supérieurs, parvenue à quel comble de la damnation ! Cependant, si l'énormité de la faute est dénoncée, ce n'est pas seulement en raison de leur appétit d'une nourriture défendue, mais aussi en raison de leur violente rapacité.
78. Toutefois la parole revient à l'histoire de l'enfant élu, pour que, dans ce dernier, nous considérions plus attentivement non ce qui doit être rejeté, mais ce qui doit être imité. Il est donc dit que, ceint de l'éphod de lin, il se trouve en présence du Seigneur. Que désigne l'éphod de lin, sinon la clarté de la continence ? Nous sommes, en effet, ceints de cet éphod quand est préservé de toute part l'éclat de notre chasteté, quand rien, ni dans notre âme, ni dans notre chair, n'échappe à la loi de la rigueur, ce qui nous précipiterait dans les ténèbres de la luxure. Un tel serviteur se tient en présence du Seigneur, car il ne se trompe pas en espérant voir Dieu tout-puissant, qu’il sert en se ceignant d'une si éclatante pureté.
79, 1. La mère de cet enfant, montant avec son époux pour sacrifier une victime solennelle, lui apportait, nous dit-on, une petite tunique. La mère monte avec son époux quand l'esprit du prédicateur s’élève, par la présence intérieure de l'époux, à la contemplation des joies sublimes de l'éternité. Alors donc, elle sacrifie une victime solennelle, car, tandis qu'elle est unie à son Créateur par la douceur ineffable de son amour, elle offre sa liturgie festive sur les autels célestes. Et alors elle remet une petite tunique, car si l'âme du pasteur est élevée dans les hauteurs par la grande grâce d'une visite intérieure, son devoir cependant est d'imposer aux faibles des préceptes de vie, non pas à la mesure de son élévation, mais selon leurs forces. Voilà pourquoi, lorsque Moïse revint de la montagne, la face resplendissante d'un immense éclat, il voila son visage pour que le peuple pût fixer son regard sur lui.
2. Que celle qui est mère spirituelle apporte donc à son fils une petite tunique, de sorte qu'elle dispense aux petits un enseignement encore léger et facile, sans leur imposer le poids de sa vaillance. Car ils s'effondrent souvent dans de grandes oeuvres, ceux qui peuvent vaincre l'ennemi par de plus petites. C’est pourquoi David, s'avançant au combat contre le puissant champion des Philistins, déposa cuirasse, bouclier et toutes autres armes et, ne pouvant attaquer l'ennemi sous le poids de cet équipement, il l’abattit d'une seule pierre de sa fronde.
3. Elle était montée pour sacrifier une victime solennelle, cette mère qui disait : «Je connais un homme de cette espèce, qui fut ravi au paradis.» Mais, de ces grandeurs, il ne rapporta pas de grand vêtement aux petits, car il dit : «J'ai entendu des paroles secrètes qu'il n'est pas permis à l'homme de prononcer.» Et il dit aussi : «C'est du lait que je vous ai donné à boire, non de la nourriture solide.» À son petit garçon, que la mère apporte donc une petite tunique et, à la taille du corps, qu'elle proportionne la mesure du vêtement. Ainsi, tandis qu'il combat par la vertu d'un genre de vie modéré, l'ennemi ne l’écrasera pas sous le fardeau excessif de son armure.
80. Et parce que, grâce aux soins prudents et zélés de la charge pastorale, Dieu multiplie les profits des convertis en faveur du prédicateur, on nous rapporte qu'Anne a été visitée par le Seigneur, et que, par la grâce du don divin, elle a mérité la grâce de la fécondité en enfantant des fils et des filles. Elle engendre des fils quand elle gagne par la parole ceux par lesquels elle donne à d'autres la semence de la sainte prédication. Elle enfante des filles quand elle rappelle au service de Dieu tout-puissant les âmes qui, bien qu'elles ne soient pas aptes à la prédication, développent diligemment en elles-mêmes la semence de la parole divine reçue des prédicateurs et par la suite, comme des filles qui enfantent, l'engendrent par leurs bonnes oeuvres pour servir d'exemple à leurs proches.
81. Toutefois, puisqu'on rapporte d'abord que Samuel était ceint de l'éphod, ensuite que sa mère fut féconde et eut de nombreux enfants, on peut raisonnablement voir là un fait que nous constatons tous les jours : à cause de la bonne opinion qu'on se fait du disciple élu, les convertis que gagne le maître se multiplient. C'est pourquoi il est dit que Samuel fut grand auprès du Seigneur après la naissance de ses frères et soeurs, car en vérité, ils sont déjà grands aux yeux du Seigneur, ceux qui, par l'exemple de leur vie pieuse, convertissent le coeur de leurs proches au service de Dieu tout-puissant.
82. 1. Cependant, on nous inculque une grande crainte, car Héli est condamné pour les fautes de ses fils, lui dont on ne rapporte aucun péché personnel. En effet, pour les bons, une bonne vie suffit pour être sauvés; pour le prélat, en revanche, sa vie personnelle ne suffit pas. Car il atteint un très grand âge, celui qui s'efforce toujours de mener une existence sans reproches. Voilà pourquoi il est écrit : «La vénérable ancienneté ne se compte ni à la durée, ni au nombre des années. Les cheveux blancs, en effet, c'est la sagesse d'un homme, et son grand âge, une vie sans tache.»
2. Cependant, il en est qui se distinguent par leur vie bonne, tout en manquant absolument de l’autorité que requiert la fonction de prélat. Même s'ils se donnent du mal, en effet, pour encourager leurs inférieurs à bien agir, ils ont honte, néanmoins, de s'opposer aux délinquants par zèle pour le bien. Ceux-là, même s'ils en viennent parfois à leur adresser des reproches, nuisent par leurs paroles plutôt qu’ils ne sont utiles, car ils ne combattent pas leur obstination avec la rigueur qu'elle mérite.
3. Car le même Héli qui apprit les crimes de ses fils et comment ils dormaient à l'entrée de la Tente avec des femmes, déclara qu'il entendait dire les pires propos par le peuple tout entier, comme si, d'entrée de jeu, il leur adressait avec autorité un violent reproche. Cependant, lui qui devait réprimer les fautes qu’il dévoilait, les atténua par la suite, en disant : NON, MES FILS. En leur donnant ce titre de parenté, il montre clairement à quel point il est en désaccord avec la volonté du Seigneur, puisqu'il appelle «ses fils» ceux que la parole de Dieu vient de traiter de fils de Bélial, c'est-à-dire de l'esprit démoniaque, en disant : «Or les fils d'Héli, ces fils de Bélial …»
83. Certes, dormir avec des femmes, c'est pécher sans scrupule et sans aucune crainte du châtiment futur. Les femmes prostituées sont les convoitises de ce monde. On dit bien à propos qu'elles font le guet à l'entrée de la Tente, car elles dressent des embûches à ceux qui s'efforcent d'entrer dans le royaume des cieux. Celui qui se laisse attirer par des convoitises mondaines, mais ressent de la frayeur quand il réfléchit à la crainte de Dieu, se souille, il est vrai, avec des femmes, mais il ne dort pas avec elles, car s'il tombe par sa désobéissance, il ne se repose pourtant jamais en sécurité sur les méfaits qu'il a accomplis. Celui qui dort avec des femmes, il ne convient donc pas qu’il soit honoré d'un titre de parenté, car ceux qui se sont obstinés dans leurs crimes, en rejetant désormais la crainte de Dieu, on ne doit pas les reprendre en termes trop modérés; de peur qu'ils ne croient leurs péchés sans importance, erreur qu'ils commettent quand les paroles de l'autorité ne sonnent pas à leurs oreilles avec force.
84, 1. Mais les pasteurs trop indulgents ont coutume d'avancer, parmi leurs paroles lénifiantes, quelques arguments dictés par la raison. C'est pourquoi il est dit par la bouche d'Héli : SI UN HOMME VIENT À PÉCHER CONTRE UN HOMME, DIEU PEUT LUI PARDONNER. MAIS S'IL A PÉCHÉ CONTRE DIEU, QUI PRIERA EN SA FAVEUR ? Quand un homme pèche contre un autre homme, ils se font mutuellement tort à propos
de choses passagères; mais pécher contre Dieu, c’est lui ravir ce qu'il a créé en vue de l'éternité. Donc quiconque entraîne son âme ou celle d'un autre fidèle à pécher se rend coupable envers Dieu, car il s’efforce de lui arracher son propre bien. Ce qui nous est présenté comme une faute d'autant plus grave que l’on trouve rarement quelqu'un d'assez digne pour en obtenir l'absolution par son intercession.
2. En effet, dans la question : «Qui priera en sa faveur ?» il n'est pas dit que, pour de tels cas, même le remède de la pénitence soit refusé, mais que l’on guérit difficilement les blessures dues au péché quand elles sont profondes. Ces paroles, on peut cependant comprendre qu'elles sont dites parce que les reproches s'adressent à des prêtres. Un homme pèche en effet contre un autre, quand une faute est commise par quelqu'un dont le délit relève du jugement d’un supérieur. Donc, puisque les péchés du peuple des inférieurs qui relèvent des prêtres sont effacés par les prières de ceux-ci, quand un prêtre commet une faute,
il n'a pas de supérieur qui puisse réparer par ses prières. Ce que la Vérité elle-même indique, en disant : «Si le sel perd sa saveur, avec quoi le salera-t-on ?» Qu'on dise donc : «Qui priera en sa faveur ?» C’est comme si l'on disait : «À quel intercesseur peut encore recourir celui qui a été ordonné pour prier en faveur des autres, quand lui-même se précipite dans le péché ?»
85. La gravité de cette faute nous est montrée par le fait que beaucoup d'entre eux sont rejetés par le Seigneur dans les ténèbres d'un coeur impénitent, et qu'aucune exhortation d'un homme ne peut les ramener à de meilleurs sentiments. C'est pourquoi il est dit ensuite bien à propos : ILS N'ÉCOUTÈRENT PAS LA VOIX DE LEUR PÈRE, CAR LE SEIGNEUR VOULAIT LES METTRE À MORT.
86,1. On nous dit cependant que Samuel progresse et croît tout en plaisant à la fois à Dieu et aux hommes, pour montrer l'application de l'élu qui oriente ses efforts vers la patrie éternelle en menant une vie droite, tandis qu'il croît chaque jour des plus petites vertus à de plus grandes. C'est pourquoi le psalmiste dit : «Ils iront de vertu en vertu; on verra le Dieu des dieux dans Sion.» Par conséquent, progresser relève de la vie sainte; croître, du mérite; plaire à Dieu et aux hommes, de la perfection consommée. Et puisque la vie sainte se rapporte aux oeuvres et que le mérite provient de la charité, les auditeurs progressent, mais sans croître, quand ils manifestent leurs bonnes oeuvres par motif de vanité sans avoir la charité. Nous progressons donc et croissons si, en nous élevant par de meilleures actions aux sommets de la vie sainte, nous ne cherchons, par ces oeuvres sublimes, qu'à obtenir la joie éternelle.
2. Quant à plaire à la fois à Dieu et aux hommes, cela relève d'une grande vertu, car nos bonnes oeuvres offensent souvent nos proches, si nous ne les accomplissons pas avec grande précaution. Il plaît donc à la fois à Dieu et aux hommes, celui qui, dans une oeuvre bonne qu'il accomplit en hommage au Dieu tout-puissant, agit avec circonspection et cherche à plaire à Dieu, sans offenser personne dans le service de Dieu.
3. Et puisqu'on dit cela de Samuel, encore enfant et placé sous la direction d'un autre, c'est là un enseignement pour la vie de ceux qui vivent en communauté. En effet, certains qui mènent la vie commune dans des lieux consacrés, quand, pris d'un zèle de novice, ils souhaitent, sous couleur de grandes oeuvres, se réserver du temps, plaisent d'autant moins à leurs confrères qu'ils leur sont moins utiles.
4. On présente donc le jeune Samuel, cet élu, en exemple à suivre à ceux qui mènent la vie commune. Ainsi donc chacun d'eux plaît aussi bien à Dieu qu’aux hommes quand il se rend utile à ses frères et sert Dieu avec dévotion. Qu'il prenne soin de lui-même sans oublier le bien de son prochain, de sorte qu'il plaise par sa bonté à ceux qui sont avec lui ici-bas, et par son zèle aux yeux d'En-Haut. Qu'il ne dévoile qu’avec précaution la vigueur de sa force pour ne pas accabler le coeur des faibles en se hâtant, entraîné par sa force, vers les biens d'en haut.
87, 1. Il est écrit qu'un homme de Dieu vint à Héli. S'apprêtant à manifester la sévérité du jugement divin, il énumère soigneusement tous les biens qu'il a prodigués à Héli. Et puisqu'enfin il annonce la peine du châtiment qu'il mérite, que faut-il en déduire, sinon que les fautes des pasteurs sont jugées avec plus de minutie et que la peine du châtiment n'est pas seulement aggravée par leurs fautes, mais encore par les bienfaits dont ils ont bénéficié ? De même, le fait qu'il revienne sur chacun de ces bienfaits en particulier indique quelque chose de plus grave, car ils conduisent un à un au supplice, ces dons qu'on reproche d'avoir mal conservés. En effet, il ne sait pas garder les dons que Dieu lui a faits, celui qui souille l'éclat de la dignité pastorale par les salissures de ses mauvaises actions. C'est pourquoi il est dit justement que la maison d'Héli a rejeté du pied les dons et victimes du Seigneur. Le pied est la partie de notre corps qui entre en contact avec le sol. On nous montre donc, dans cette partie inférieure du corps, le désir de l'âme qui convoite les biens de la terre.
2. Et puisque, comme l'ont pensé certains, on avait coutume de présenter des victimes pour avoir obtenu ou en vue d'obtenir la victoire, et d'offrir des dons à ses amis, que désignent ces victimes et ces dons, sinon les voeux de ceux qui sont encore progressants et les dévotions des parfaits à la louange de Dieu tout-puissant ? Nous qui progressons, en effet, par les tentations de nos ennemis cachés, quand nous préparons nos forces à les combattre, nous présentons des victimes à la louange de Dieu tout-puissant. En outre, quand nous avons gagné les combats qui nous sont imposés, quand nous rendons grâce à Dieu tout-puissant pour la victoire obtenue, nous immolons des victimes à ce même Seigneur. D'autre part, ceux qui lui font l'offrande d'eux-mêmes dans l'élan d’un amour qui fait d'eux ses proches, ils lui offrent des présents comme à un ami. Les présents, ce sont donc les élans de l'amour dont s'embrase le coeur des élus dans le désir de leur Créateur.
3. Et parce que, quand le pasteur recherche les biens terrestres, il nuit à beaucoup qui sont engagés dans la lutte spirituelle, et aussi à beaucoup qui commencent déjà à aspirer à la contemplation du visage du Créateur, il repousse ainsi du pied les victimes et les dons de Dieu, car par l'exemple de son inconduite, il rend vains les efforts de ces deux groupes de fidèles. Les victimes sont donc repoussées, car le labeur du combat spirituel est souvent abandonné par des soldats du Christ inexpérimentés quand ils voient les chefs de l'armée chrétienne s'abandonner à une torpeur oisive dans le repos des satisfactions terrestres. Les dons sont repoussés du pied, car les élans amoureux d'un grand nombre de ceux qui aiment déjà les réalités célestes se refroidissent quand ils voient que leurs hiérarques ont perdu tout désir amoureux de rechercher la patrie céleste, et par contre, figés par la froideur du corps, se vautrent dans les plaisirs les plus vils.
88, 1. Il en est qui font assurément partie de cette catégorie, conférant des honneurs spirituels pour des motifs charnels et dispensant à leur parenté ce qui est dû au mérite. Ils redouteraient assurément leur péché de présomption s'ils méditaient attentivement ce que le Seigneur reproche au prêtre Héli : TU AS HONORÉ, dit-il, TES FILS PLUS QUE MOI, POUR QUE VOUS MANGIEZ LES PRÉMICES DE TOUS LES SACRIFICES D'ISRAËL, MON PEUPLE. Il honore ses fils et ses proches plus que le Seigneur, celui qui appelle aux ordres sacrés des personnes que désigne non l'honnêteté de vie, mais l'amour des parents. Voici d'autre part pourquoi les fils sont honorés : afin de manger les prémices des sacrifices. Les prélats, esclaves de la chair, distribuent ainsi à leurs proches selon la chair les plus hautes dignités spirituelles, afin qu'ils jouissent des richesses ecclésiastiques et que, élevés au sommet de la hiérarchie, ils soient comblés de l'abondance des biens terrestres. Ils ne prêtent aucune attention à la valeur de ceux qui accèdent à un ministère spirituel, mais cherchent seulement à gratifier d'une dignité temporelle ceux qu'ils entourent d'une affection charnelle.
2. Le Seigneur se plaint donc de ce qu'il a honoré ses fils, mais parce que ce sont des scélérats. Même s'ils sont proches en raison du lien de parenté charnelle, il ne sont pas à rejeter, s'ils resplendissent d'une vie conforme à l'enseignement de l'Église. Mais, ceux qui procurent de l'avancement aux réprouvés, on nous montre qu'ils bouleversent l'ordre même de la promotion, quand on rapporte que les fils ont été promus aux honneurs afin de manger les prémices des sacrifices. En effet, le prêtre ne prêche pas pour manger; mais il mange pour poursuivre sa prédication. Et c'est ce que Paul exprime en disant : «Que celui qui annonce l'Évangile vive de l'Évangile.» Et encore : «Il ne faut pas museler le boeuf qui foule le grain», afin que le héraut de la sainte Église donne à son corps la nourriture pour avoir la force de supporter le labeur de la prédication. On prouve ainsi qu'ils ont perverti le bon ordre de la promotion, ceux qui procurent de l'avancement à leurs proches, non en vue de servir, mais en vue d'acquérir une dignité. Ils ne le feraient pas, si, dans la plus haute fonction spirituelle, ils n'avaient pour eux-mêmes et pour leurs proches une affection charnelle.
89. Mais, s'ils comprennent le rejet d'Héli, qu’ils redoutent aussi les condamnations de leur propre faute. Car ainsi parle la voix de Dieu : «Tu as honoré tes fils plus que moi, pour que vous mangiez les prémices de tous les sacrifices de mon peuple, Israël. C'EST POURQUOI, AINSI PARLE LE SEIGNEUR, DIEU D'ISRAËL : J'AVAIS DÉCLARÉ QUE TA MAISON ET LA MAISON DE TON PÈRE SERVIRAIENT EN MA PRÉSENCE À PERPÉTUITÉ. MAIS MAINTENANT, QU'IL N'EN SOIT PLUS QUESTION. Voici qu'Héli est déposé de la plus haute dignité par la sentence divine, convaincu d’avoir honoré ses scélérats de fils pour leur donner les prémices en nourriture; c'est afin que les prédicateurs de la sainte Église comprennent que s'ils confient sciemment les ministères spirituels à des réprouvés sous la motion d'un amour charnel, ils sont tombés du haut de ce sommet où ils paraissent se tenir extérieurement, par la juste sentence d'un juge qui examine intérieurement.
90, 1. Dans la suite du texte : MAIS CELUI QUI M'AURA GLORIFIÉ, JE LE GLORIFIERAI, il montre aussi implicitement que leur audace l'a déshonoré. Paul leur adresse le même reproche : «À cause de vous, le nom de Dieu a été blasphémé parmi les nations.» En effet, en souillant l'éclat de la dignité reçue par l’ignominie d'une triste renommée, ils déshonorent le Seigneur. Il est donc juste que soit exclu du sommet des honneurs l'homme qui fait du tort à celui de qui – de toute évidence – il tenait sa dignité. En revanche, il fait cette promesse générale : «Mais celui qui m’aura glorifié, je le glorifierai.»
2. Sans conteste, il glorifie Dieu, le pasteur qui incite les fidèles à l'imiter par l'exemple de ses bonnes oeuvres; celui qui, du haut de la dignité sublime de son gouvernement brille des feux puissants d'une vie excellente; celui qui ne fait pas acception de personnes, en admettant des ministres réprouvés à ce miroir (de sainte vie que devraient être) les saints ordres, mais choisit ceux qui serviront de modèle au peuple fidèle, de telle sorte que quiconque les regarde en vue de les imiter ne tombe pas, car il suit en eux la vraie lumière. À ceux-là la Vérité dit par elle-même : «Que votre lumière brille devant les hommes, pour qu’ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père, qui est aux cieux.»
3. Mais ceux qui le glorifient, le Seigneur les glorifie, car la gloire supérieure dont rayonnent à l'extérieur les pasteurs de la sainte Église, ils la reçoivent en leur coeur des largesses de la grâce divine, et l'honneur qui les rend sublimes aux yeux des hommes, ils l'obtiennent de la générosité de la majesté qui les habite, en raison de leur zèle méritoire dans le ministère.
91, 1. Il reproche, en revanche, à ceux qui ne l'honorent pas, une gloire qu'ils n'ont pas reçue de lui, en disant : «Ils ont régné, mais sans mon aveu; des princes se sont dressés, et moi, je les ai ignorés.» Ils règnent, en effet, de leur propre chef et non en vertu d'un choix de la souveraine providence, ceux qui, sans y être appelés par Dieu, parviennent par cupidité à la gloire des plus hautes fonctions ecclésiastiques. Ceux-là, le Seigneur les ignore, car il les réprouve par le jugement d'une justice qui s'exerce intérieurement.
2. C'est donc comme s'il disait : «Si l'honneur dont ils jouissent semble venir de moi, ils ne l'ont pas mérité par leur service, mais ils l'ont ravi par cupidité.» Voilà pourquoi le texte poursuit : MAIS CEUX QUI M'ONT MÉPRISÉ SERONT DÉSHONORÉS. C'est comme s’il disait : «Même s'ils affichent l'honneur de leur dignité sous couvert de religion, ils n'en sont pas moins déshonorés, car l'élévation de leur vie ne concorde pas avec la gloire de la situation éminente dont ils jouissent.»
92, 1. Mais, puisque cela est promis au futur, on peut l'appliquer sans inconvénient au mérite de la rétribution à venir. C'est ce dont Jean parle, en disant : «Quand il apparaîtra, nous lui serons semblables.» D'où l'affirmation de l'évangéliste Marc : «Alors on verra le Fils de l'homme avec grande puissance et gloire.» Quand donc le Seigneur déclare qu'il glorifiera celui qui le glorifie, il lui promet la gloire de lui être semblable. De fait, le Seigneur glorifie celui qui lui rend gloire, car il récompense d'une éternelle dignité ceux qui, par l'exemple de leurs bonnes oeuvres, resplendissent dès maintenant dans la sainte Église aux yeux des élus. Mais ceux qui le méprisent seront déshonorés, car ils ne sont pas dignes d'avoir part à la gloire des élus. En effet, puisque, par une conduite coupable, ils revêtent à présent l’image de l'ange déchu, ils seront comme lui déshonorés en partageant avec lui le châtiment éternel.
2. Le prophète a en vue, en effet, la glorification des uns et l'abaissement des autres quand il dit : «Les saints exulteront dans la gloire, ils se réjouiront sur leur couche. La louange de Dieu est dans leur bouche, et des glaives à double tranchant dans leurs mains, pour tirer vengeance des nations, pour châtier les peuples, pour mettre les entraves à leurs rois et jeter leurs princes dans les chaînes de fer.» Le Seigneur glorifie donc qui le glorifie, car les humbles, ses élus, exultent avec lui dans son éternelle gloire. De fait, il est dit à leur sujet qu'ils se réjouissent sur leur couche de la gloire obtenue, car l'éclat de leur glorification, ils le reçoivent en proportion de leur conduite personnelle. Mais les contempteurs de Dieu endurent un perpétuel déshonneur, car les rois des nations et les princes sont tenus captifs dans les chaînes de fer, c'est-à-dire éternelles, attachés par des liens au châtiment. Les rois des nations et les princes, ce sont les prélats des charnels, pleins de superbe et de gloriole. Ils seront alors déshonorés, quand on les attachera avec des chaînes de fer, car qui se dresse contre les humbles pendant cette vie passagère, sera, dans le châtiment éternel, privé de l'éclat du prestige et des prétentions de la tyrannie.
93. Voilà aussi pourquoi le texte poursuit ici : VOICI, DES JOURS VIENNENT OÙ JE COUPERAI TON BRAS ET LE BRAS DE LA MAISON DE TON PÈRE. Le bras du contempteur, c'est sa puissance temporelle. Et, parce qu'en péchant, il a quitté la famille du Père céleste, il a déjà pris pour père l'ange déchu de la gloire céleste. La maison de son père, c'est la société des sujets qui se complaît avec lui dans le mal. À leur propos il a été dit précédemment : «Tu as honoré tes fils plus que moi.» Ainsi donc, le bras du contempteur et de la maison de son père sera-t-il coupé quand, la mort charnelle survenant, le prélat et ses sujets perdront ensemble la tyrannie qui repose sur la violence. En effet, il est désormais sans bras, quand il ne peut aucunement exercer sa violence en opprimant les petits. C'est pourquoi le Juge éternel lui signifie cette juste sentence : «Jetez-le pieds et poings liés dans les ténèbres extérieures.»
94. En outre, il n'y aura pas de vieillard dans sa maison. Car la maison du damné, c'est l'enfer, tandis que la véritable vieillesse, c'est la maturité que confère la sagesse. Aussi n'y aura-t-il pas de vieillard dans sa maison car, en enfer, on ne pourra trouver aucun moyen de salut. C'est la raison pour laquelle l’Écriture sainte incite les élus à agir en vertu de la véritable sagesse, en disant : «Tout ce que peut faire ta main, fais-le sans tarder; car il n'y a ni raison, ni sagesse, ni science aux enfers vers lesquels tu te hâtes.» C’est pourquoi Paul déclare : «Voici, c'est maintenant le moment favorable, c'est maintenant le jour du salut.» Il n'y aura donc pas de vieillard dans la maison du contempteur, car quiconque est sage se prépare une demeure, non en enfer, mais au ciel.
95, 1. De plus, et pour l'accroissement de son tourment, le contempteur voit son rival dans le temple, au milieu de tous les biens d'Israël. Car le temple de Dieu, c'est la patrie céleste, dont il est dit par la bouche du prophète : «Le Seigneur dans son temple saint, le Seigneur a son trône dans les cieux.» Quant à Israël, dont le nom signifie «qui voit Dieu», il désigne cette bienheureuse multitude des anges dont le Seigneur dit dans l'Évangile : «Leurs anges voient sans cesse la face de mon Père qui est aux cieux.» Les biens d'Israël, ce sont les joies éternelles de ces esprits bienheureux. Le contempteur verra donc son rival dans le temple, car le prédicateur réprouvé et désormais damné reconnaît la cohorte des humbles qui se réjouit dans les cieux. C'est à ce rival que sont remis tous les biens d'Israël, car il est écrit : «Dieu sera tout en tous.»
2. Ainsi donc, tous les biens d'Israël représentent-ils tout ce qu'est Dieu pour les habitants de la cité bienheureuse. En effet, bien que cette essence éternelle soit en elle-même le bien suprême et simple, néanmoins, puisque, par la révélation de sa gloire, elle rassasie tous les désirs de ces esprits bienheureux, le docteur incomparable la présente comme «Dieu tout en tous». C'est pourquoi l'on dit à juste titre, non pas que Dieu est tout en lui-même, mais qu'il l'est en tous; en effet, Celui qui, dans sa nature, constitue d'une manière ineffable un bien unique et simple, est pour tous les justes un bien aussi multiple que le sont les joies dont ils sont tous remplis par la contemplation de sa gloire.
3. Tous les biens d'Israël sont donc remis à son rival, car la cohorte des humbles élus est reçue parmi les choeurs des anges pour se rassasier éternellement des joies de la divine contemplation. Elle est qualifiée à bon droit de rival du contempteur, car les élus de Dieu accueillent les bonnes admonitions et les exhortations, même quand elles sont prononcées par des prédicateurs orgueilleux et négligents. C'est pourquoi le Seigneur ordonne ceci : «Tout ce qu'ils vous disent, faites-le; mais ce qu'ils font, ne le faites pas.» D'où la parole de Paul : «Rivalisez tous de la bonne façon dans le bien.»
4. Mais puisque l'Écriture dit : «Que soit exclu l'impie, de peur qu'il ne voie la gloire de Dieu,» il semble contraire à cette parole de comprendre que, dans les enfers, les damnés voient ceux qui, au ciel, sont dans la joie. Toutefois, puisque «voir» s’entend aussi de la connaissance intellectuelle, il voit son rival dans le temple : en effet, même si l'impie est tenu captif dans les peines de l'enfer, il ne doute pas que dans le ciel, ces élus, qu'il ne voit pas de ses yeux, ont part à la joie des bienheureux habitants de ce lieu. Et notons bien qu'il est dit à deux reprises : IL N'Y AURA PAS DE VIEILLARD CHEZ TOI, car il n'est instruit pour son salut ni par l'expérience des tourments qu'il a comme damné, ni par la connaissance du bonheur d'autrui qu'il n'a pas.
96. Mais il arrive que des fils élus naissent quelque fois à ces pasteurs réprouvés grâce à leur enseignement. Ils ne sont pas compromis par la faute de leurs pasteurs, car ce qu'ils suivent, ce sont les exhortations de la bonne prédication qu'ils entendent, non les oeuvres perverses qu'ils voient. C'est pourquoi le texte poursuit : MAIS JE N'ÉCARTERAI PAS COMPLÈTEMENT DE MON AUTEL TOUT HOMME DESCENDANT DE TOI. Sont «hommes», en effet, ceux qui brillent du haut du sommet où les a conduits une stricte règle de vie. Comme si l'on disait : «La raison pour laquelle je ne les écarte pas de mon autel, c'est que ce sont des hommes.» En effet, c'est en raison du mérite de leur vie qu'ils sont maintenus au faîte de leur pouvoir. C'est pourquoi le Seigneur de justice prononce cette juste sentence par la bouche du prophète : «L'âme qui aura péché, c'est elle qui mourra; le fils ne portera pas la faute de son père, ni le père celle de son fils.» Il serait donc juste que le Seigneur écarte de son autel tout homme descendant de lui, si le fils portait la faute du père.
97. Mais, de ce que le disciple élu est vu en gloire, s'accroît la peine du docteur réprouvé. C'est pourquoi le texte poursuit : MAIS POUR QUE TES YEUX TE MANQUENT ET QUE SE CONSUME TON ÂME. Ses yeux lui manquent, en effet, car, par la vie de celui qui a profité de ses exhortations, ils sont confondus. Son âme aussi se consume car elle est soumise à plus de souffrance, quand il se rend compte que le bien enseigné fleurit en récompense de gloire chez ses inférieurs, et que lui-même n'a eu cure de s'y appliquer. Dans ce qui est dit ici, il faut encore remarquer que celui qui s’engage à ne pas écarter de son autel tout homme descendant d'Héli, n'en reçoit, d'après ces paroles, qu'un petit nombre, car il est clair que les disciples qui suivent les voies perverses du comportement des maîtres réprouvés sont plus nombreux que ceux qui suivent les voies droites de leur enseignement.
98, 1. Voilà pourquoi on nous dit aussi qu'une grande partie de sa maison doit mourir à l'âge adulte. Cet âge adulte désigne la période de leur fonction sacerdotale. Ainsi, celui qui se met à la suite d’un maître réprouvé est-il conduit à l'âge adulte lorsqu’il est promu à la dignité de l'ordre sacré. Quand il est parvenu à cet âge, il meurt; car quiconque aura accédé à un tel ministère sans en être digne, ou bien qui s’y sera comporté indignement, sera condamné. C’est pourquoi Paul déclare à propos du corps et du sang du Seigneur : «Celui qui mange et boit sans en être digne, mange et boit sa propre condamnation.» Ils meurent donc à l'âge adulte, parce qu'ils périssent pour avoir eu la présomption et l'audace d'exercer un ministère trop sublime pour eux.
2. Ah ! Que les téméraires y songent donc, et qu’ils ne s'empressent pas de prendre sur eux le poids d’un tel ministère, mais le redoutent plutôt. En effet, celui à qui l'on annonce qu'il va mourir quand il parviendra à l'âge adulte, reste en vie jusqu'à ce qu'il y parvienne, car tous les faibles et ceux qui sont inaptes à un tel ministère, s'ils considèrent la mesure de leur petitesse, ont dans la sainte Église une place où ils peuvent se garder et vivre. C'est pourquoi le Seigneur les avertit par la bouche de Moïse : «Si un animal touche la montagne, qu'il soit lapidé.» De là vient aussi qu’en quittant Sodome, Loth s'abstient de gravir la montagne, pour se détourner vers la petite ville de Segor, de peur que, encore petit et s'efforçant de monter sur les hauteurs, il ne meure en arrivant brusquement à l’âge adulte. Nous quittons Sodome lorsque nous fuyons les flammes ardentes de la concupiscence. Nous ne gravissons pas aussitôt les hauteurs, car nous ne portons pas la main sur la dignité du plus haut ministère, considérant avec crainte notre propre faiblesse; de peur que, dédaignant de rester au niveau de la faiblesse de notre âge, nous qui avons vécu quand nous étions petits, nous ne mourions à l'âge adulte.
99, 1. En signe d'extinction de sa maison, on annonce à Héli la mort de ses deux fils en un seul jour. En effet, comme nous l'avons dit, ces fils représentent ceux qui seraient promus aux ordres sacrés par leurs proches selon la chair, non en vue d'accomplir la fonction, mais d'obtenir la gloire d'un honneur mondain. Ils sont donc morts en un seul jour, car ils ont péri dans le désir du bonheur mondain. Gloire temporelle, respect dû à l'honneur, puissance de la première place, éclat de la dignité, foule de serviteurs, abondance de biens, tout cela est un jour qu'on aime de façon mondaine, mais qui cause la mort. Qu’ils entendent donc, les fils d'Héli, qu'ils vont mourir tous deux en un seul jour. En effet, ceux qui s'attachent au plaisir de la vie périssable dont ils jouissent dans cette haute charge pastorale qu'ils ont reçue, recherchent sans doute la joie, mais ils récoltent les pleurs; ils se proposent une vie de réjouissances, mais aboutissent à la tristesse de la mort.
2. Ainsi se hâtent-ils vers la mort, chaque fois qu’ils se félicitent vainement d'un bonheur temporel. C’est ce qu'estime l'Apôtre quand il mentionne la veuve qui apostasie, en disant : «Quant à celle qui vit dans les plaisirs, elle est morte quoique vivante.» Il déclare, en effet, qu'elle meurt ce jour-là, en montrant que la mort de la veuve est causée par ses plaisirs. Mais la mort des fils serait moins grave si elle n'entraînait pas la mort d'autrui. Voilà pourquoi on leur annonce non seulement qu'ils vont mourir, mais encore que leur mort sera le signe de l'extinction de leur maison; car, lorsque ceux de son entourage, se faisant les imitateurs du maître réprouvé, se précipitent dans le même abîme que lui, les disciples de leurs disciples ajoutent leur chute à la leur.
3. Qu'ils entendent donc, ceux qui aiment le bonheur terrestre procuré par la charge la plus haute qu'ils ont reçue, et qu'ils s'effraient de l'énormité de leur péché. Ils méritent pour finir un châtiment d'autant plus sévère qu'ils voient ouvertement que de la vanité qu'ils aiment, ils ne sont pas seuls à mourir, car en buvant la mort que recèle la joie mondaine, ils transmettent de leur boisson fatale à une multitude de disciples.
100. Cependant, ces paroles peuvent enseigner aux docteurs réprouvés la brièveté de la vie présente. Ils meurent, en effet, en un seul jour, car en parvenant au terme de cette vie, ils se rendent compte qu'elle a été pour eux tout à fait brève. Voilà pourquoi il a été dit par la bouche d'un sage : «La joie de l’hypocrite ressemble à un instant.» De là encore les paroles du bienheureux Job à propos de ceux qui s'attachent à ce monde : «Ils passent leur vie en jours heureux, et en un instant descendent aux enfers.»
101, 1. Mais, quand ces réprouvés ont été traînés au châtiment, les pasteurs sages et élus sont invités à prendre soin du troupeau du Seigneur. C'est pourquoi il est dit ensuite : ET JE ME SUSCITERAI UN PRÊTRE FIDÈLE. Le Seigneur invite, en effet, un prêtre fidèle, car l'autorité suprême exige pour son service quel qu'un qui non seulement pense comme il faut, mais encore sert fidèlement. Mais il ne pourra bien servir qu'après avoir appris par la parole divine ce que doit être son service. C'est pourquoi, en promettant ce prêtre fidèle, on atteste qu'il agira selon le coeur et l'âme de Dieu tout-puissant.
2. Comment entendons-nous en effet le coeur et l'âme de Dieu sinon de son Écriture sainte ? Car c’est avec le coeur que nous réfléchissons avant de prendre une décision, et avec l'âme que nous éprouvons de l'amour. Ainsi donc, puisque c'est dans la parole sacrée que nous connaissons les desseins de Dieu tout-puissant, puisque c'est là que nous découvrons l'amour dont il a aimé le genre humain, son coeur et son âme représentent spirituellement cette parole. Ce prêtre que Dieu tout-puissant appelle à son service, c'est donc celui qui agit selon son coeur et son âme; car nul n'est digne d'une telle ordination, sinon celui qui a appris sa volonté par la parole sacrée, et s’est efforcé, par une charité zélée, d'employer ce qu'il a appris au profit du prochain.
102, 1. Mais il nous faut encore examiner de près ce qui est dit : SELON MON COEUR ET MON ÂME. On trouve, en effet, dans la sainte Écriture, des préceptes, certes prescrits par une permission de Dieu, mais non par son amour. Si ce prêtre que Dieu promet de susciter accomplissait ces préceptes, il agirait selon le coeur de Dieu, mais non pas selon son âme, en mettant en oeuvre un dessein permissif de Dieu, et non le précepte de son amour. N'étaient-ils pas le fait de sa permission, ces commandements dont il dit : «Je leur ai donné des préceptes qui n'étaient pas bons ?» Et quand les pharisiens discutaient avec la vérité à propos du billet de répudiation, ils s’entendirent répondre : «Moïse vous a donné cette loi en raison de votre dureté.»
2. Ainsi donc, puisque ces commandements étaient le fait d'un dessein permissif, quiconque les accomplissait agissait selon le coeur du Seigneur, mais non selon son âme. En revanche c'est du coeur et de l’âme que vient ce précepte dont il dit : «Voici mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés.» Car, ce qu'il prescrit par un dessein, il l'embrasse par une étreinte de charité. De là ce même enseignement : «Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent.» De là ce qu'il commande pareillement : «Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux.» Ainsi donc, ces préceptes et ceux qui leur sont semblables sont prescrits par le coeur et l'âme de Dieu, car la révélation de son dessein secret nous montre là ce qui est agréé à ses yeux au jugement de sa charité. Voici donc le signe auquel nous savons ce qu'est un prêtre fidèle : s'il agit selon le coeur et l’âme de Dieu, car il est vraiment fidèle s'il suit non ce que son dessein permet, mais les préceptes que son amour commande.
103, 1. Cependant, puisqu'il n'est pas choisi en vain, mais pour gagner le peuple qui lui est soumis, le texte poursuit : ET J'ÉDIFIERAI POUR LUI UNE MAISON FIDÈLE. En effet, la maison du prêtre, c'est le peuple nombreux qui lui est soumis et au milieu duquel il vit. Cette maison fidèle lui est édifiée par le Seigneur, car elle s'élève sous l'inspiration divine pour lui obéir avec zèle. En effet, la maison infidèle, c'est l’assemblée des sujets qui reçoit chaque jour l'enseignement d’un bon pasteur et qui ne cherche pourtant pas à lui obéir en s'appliquant aux bonnes oeuvres. Elle s'avère en effet une maison infidèle, car les richesses de la parole de Dieu qui lui sont confiées par le ministère de son prédicateur, sont dissipées par la négligence d'une vie de désordre, et ce qui lui est remis en vue de gagner par le négoce, (Dieu) ne le recouvre pas au jour de la reddition de comptes.
2. Ainsi donc le Seigneur construit une demeure fidèle pour le bon prédicateur quand, grâce à Dieu, le coeur du peuple qui lui est soumis est disposé à écouter sa voix; afin que, non seulement il garde ce qui y est déposé du talent de la parole, mais qu'il y ajoute en le multipliant par le gain et le conduise à la table où il sera reçu éternellement. Et, remarquons-le, il est dit que la maison fidèle sera édifiée par le Seigneur, afin que le prédicateur ne tire pas vaine gloire de la bonne conduite du peuple qui lui est soumis. De même, il faut encore noter que le Seigneur se suscite à lui-même un prêtre fidèle, pour que le coeur des sujets ne se permette pas d'attribuer à ses mérites le fait d’être dirigé par cet excellent pasteur. Encore faut-il noter que le Seigneur déclare fidèle à lui-même le prêtre qu'il se suscite, tandis que la maison qu'il lui bâtit, il déclare qu'elle sera fidèle au prêtre, car le prédicateur doit obéissance à Dieu, et le sujet au prélat.
104. Mais le prélat ne marche bien devant l’inférieur que s'il a en vue la Vérité pour diriger tout le cours de sa vie. C'est pourquoi le texte poursuit : ET IL MARCHERA EN PRÉSENCE DE MON CHRIST TOUS LES JOURS. Le Christ du Seigneur, c'est le Rédempteur du genre humain. Puisque nous croyons qu'il est désormais au ciel, ses fidèles ne le voient plus désormais avec les yeux du corps, mais par l'esprit. Ainsi donc, il marche en sa présence tous les jours, celui qui ne fait rien suivant sa pensée du moment. Car, pour marcher droit en sa conduite extérieure, il regarde en son intérieur vers le Christ qu'il porte en son coeur par la contemplation.
105, 1. Toutefois, parlant encore au pasteur réprouvé, il poursuit : IL ARRIVERA CEPENDANT QUE QUICONQUE SUBSISTERA DE TA MAISON VIENDRA AFIN QU'ON PRIE EN SA FAVEUR. On dit qu'il restera quelqu'un de sa maison, car on indique qu’elle s'éteindra en sa plus grande partie. En effet, de la maison du pasteur réprouvé subsiste celui chez qui la conscience du péché n'a pas anéanti l'espérance d'obtenir le pardon. Il subsiste donc, car par le propos de faire pénitence, l'espérance d'obtenir la vie allège le poids de la conscience.
2. Il vient afin qu'on prie en sa faveur, celui qui, par sa pénitence, se hâte vers Dieu dont il s'est détourné par le péché. C'est donc pour qu'on prie en sa faveur qu'il vient, car qui s'est rendu indigne de Dieu requiert un digne intercesseur, afin que soit absous par les prières d'un autre celui qui s'avère incapable de se purifier par sa propre prière. C'est pourquoi Jacques nous en avertit avec bonté : «Confessez-vous mutuellement vos péchés et priez les uns pour les autres afin d'être sauvés.» Et il dit encore : «La prière obstinée du juste est très puissante.»
106, 1. Mais cette prière est puissante pour celui qui, en se tenant éloigné de l'impureté du péché, revient à la ressemblance de Dieu dont il s'était privé en péchant. C'est pourquoi le texte poursuit : AFIN D'OFFRIR UNE PIÈCE D'ARGENT. Sur la pièce est en effet gravée l'image du Seigneur, pour qu'on sache qu'elle est à celui sur l'ordre duquel elle a été fondue. Ainsi donc la pièce de Dieu signifie sa ressemblance. C'est pourquoi il dit dans la Genèse : «Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance.» Et parce que nous connaissons par la parole sacrée l'image et la ressemblance de Dieu à laquelle nous devons revenir, il est dit que la pièce est d’argent. Donc, celui qui, se détournant d'une voie de péché, vient pour qu'on prie en sa faveur, doit offrir une pièce d'argent, car la pénitence qu'il s'inflige avec componction et sa confession avec larmes ne lui servent de rien si, faute de se corriger et de restaurer en son intérieur la beauté de la bonne volonté, on ne le voit pas rayonner la lumière de l'image de Dieu.
2. En effet, être à l'image et à la ressemblance de Dieu, c'est haïr le mal d'une haine fulgurante et aimer le bien à la perfection. C'est pourquoi le prophète, voyant que le genre humain a perdu la gloire de la ressemblance divine, fixe son regard sur celui qui, dans la lumière fulgurante de notre restauration, est venu du Ciel, en disant : «Tu as aimé la justice et haï l'iniquité.» Ainsi, se voyant désormais renouvelé, par la contemplation du Christ, dans la perfection, il s'écrie : «J'ai haï les impies et j'ai aimé ta loi.» Par conséquent, celui qui sort de la maison du réprouvé par la confession, qui demande par humilité qu'on prie pour lui le Seigneur, il faut absolument qu'il prenne soin d'offrir une pièce d'argent, afin que, ayant retrouvé l'éclat de la bonne volonté, il haïsse parfaitement le mal qu'il faisait et qu'il aime d'un amour sans faille le bien qu'il négligeait.
107, 1. Voilà pourquoi des décrets de clémence sont promulgués par jugement du juste juge : «Quel qu’en soit le moment, dit-il, si le pécheur se convertit, il vit sûrement, il ne mourra pas.» Néanmoins, la conversion du pécheur ne consiste pas à faire une humble confession, mais à renouveler en lui l'homme intérieur, quand, corrigé par l'inspiration divine, le pécheur prend en dégoût le mal qu'il aimait, et s'attache au bien qu'il haïssait. Il en est, en effet, qui s'accusent de la perversité de leur crime et ne corrigent pas leur volonté dévoyée. On ne croit pas qu’ils se sont convertis au Seigneur, car la véritable conversion, ne se fait pas sur les lèvres, mais dans le coeur. En effet, se convertir, c'est «se tourner ensemble». La conversion du pécheur est donc véritable quand notre homme entier est ramené au bon plaisir de notre Créateur, quand par haine du mal, notre chair s'abstient des mauvaises actions, et que, par amour de la justice, l'âme se meut et s'applique à bien agir.
2. Mais, parce qu'il en est dans l'Église qui n’en viennent à la satisfaction de la pénitence qu'au terme de leur existence, et que la sentence de la Vérité déclare : «À quelque moment qu'il se convertisse, le pécheur vit», il arrive fréquemment que certains s'interrogent beaucoup pour savoir si ceux qui commettent des péchés pendant une longue vie et ne s'accusent d'avoir mal agi qu'au moment de la quitter, entrent aussitôt dans la vie après leur mort corporelle. À quoi il faut répondre que c'est la vigueur de la conversion qui efface la grandeur des fautes. Or, la vigueur de la conversion, c'est la motion de la charité déversée dans le coeur par la visite de l'Esprit saint. Il est de plus écrit de ce même Esprit qu'il est la rémission des péchés. En effet, quand il daigne visiter le coeur des élus, il le purifie puissamment de toutes les souillures de leurs péchés, car déversé dans l'âme, il l'incite tout aussitôt et de façon ineffable à haïr les péchés et les vices et à aimer les vertus. Sans attendre, il lui fait haïr ce qu'elle aimait et, ce dont elle avait horreur, l'aimer avec ardeur, ainsi que gémir grandement de l'une et de l'autre chose; car le mal qu'elle a en horreur, elle se souvient de l'avoir aimé pour sa damnation, et le bien qu'elle aime, de l'avoir haï.
3. Qui oserait dire, en effet, qu'un homme, même chargé du fardeau de toutes sortes de péchés, puisse périr s'il est visité par la grâce de l'Esprit saint ? Puis donc qu'un pécheur ne se convertit jamais sans être illuminé par l'Esprit saint, que conclure sinon que, comme il fuit la mort du péché en le haïssant, de même, il vit par la vie de la justice, à laquelle il se convertit en la désirant ? Il peut entrer dans la vie dès après sa mort si, dans sa conversion, il reçoit un feu d'amour assez puissant pour pouvoir consumer dans l'âme toute la rouille que le péché y a accumulée. C’est pourquoi il est dit de la femme pécheresse : «Ses nombreux péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé.» C'est la raison pour laquelle, par la même bouche de la Vérité il fut dit au larron qui confessait, suspendu à la croix : «Amen, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis.»
4. Ainsi donc, au moment de leur trépas, seuls viennent à résipiscence pour leur salut ceux qui, visités en leur intérieur, aiment le bien à la perfection et haïssent parfaitement aussi le mal auquel ils s’étaient attachés. Cependant, si ceux-là ne savent pas suffisamment s'affliger des péchés qu'ils ont commis, néanmoins eux aussi reçoivent la vie au moment où ils se convertissent. En effet, ceux qui ont eu la perfection de la bonne volonté en confessant leurs péchés, passent après leur mort à la vie par une peine qui les purge de leur péché, parce qu'ils n'ont pas eu un amour assez fort pour effacer leurs péchés. C’est pourquoi Paul dit : «Ils seront sauvés comme à travers le feu.»
108, 1. Mais le pécheur qui craint d'obtenir dans l'au-delà son salut par le feu, qu'il supplée ici-bas, par l'affliction de sa chair, à la vigueur d'amour qu'il sait lui manquer. C'est pourquoi le texte ajoute aussi : ET UNE TOURTE DE PAIN. Le nom de pain, en effet, désigne quelquefois les jouissances terrestres dont on se nourrit. Voilà pourquoi le prophète Jérémie, parlant du peuple juif corrompu par son amour pour le siècle, dit : «Son peuple tout entier gémit et cherche du pain.» Donc, le pécheur converti tord son pain, quand il tourmente son plaisir d'autrefois par l'affliction de la pénitence. Tordre le pain, c'est en effet affliger sa chair à cause de sa jouissance passée.
2. Ainsi donc, celui qui désire parvenir au salut sans passer par le tourment du feu, qu'il offre avec une pièce d'argent une tourte de pain, de sorte que celui qui abandonne ses péchés par la bonne volonté les fasse totalement disparaître par une forte affliction de sa chair. Car il offrait bien une pièce d'argent, celui qui, ayant désormais récupéré la ressemblance divine, exécrait en le confessant ce qu'il avait fait, et disait : «Mes plaies sont puanteur et pourriture à cause de ma folie», et encore : «J'ai été courbé et humilié à l'extrême.»
3. Mais celui qui craignait qu'une pièce d'argent ne fût pas pour lui une offrande suffisante, a eu soin d’y ajouter une tourte de pain. Il le confesse, en effet, en disant : «Je rugissais en gémissant dans mon coeur.» Ce rugissement indique les pleurs d'une grande douleur dans l'affliction de la pénitence. En ajoutant cette tourte de pain à la pièce d'argent, cet homme dit encore : «Car je reconnais mon offense et je me soucierai de mon péché.» Se soucier de son péché, c'est opposer une digne affliction de sa chair à la jouissance d'autrefois. Il tordait donc un pain à offrir, celui qui, tout en proclamant ses crimes passés, se souciait aussi de savoir comment il pourrait les effacer.
109. Et parce qu'il arrive parfois chez les pénitents que, sous l'austérité de leur genre de vie, se glisse un désir d'être loué, le texte indique, par ce qui suit, l'intention du pécheur vraiment converti : ET IL DIRA : ADMETS-MOI, JE T'EN PRIE, À QUELQUE FONCTION SACERDOTALE. En effet, la fonction sacerdotale, c'est la récompense de chaque élu dans la vie éternelle. Car tous les élus de Dieu sont ses prêtres, puisque, en le servant sans relâche par l'hommage de leur ministère, ils ne cessent de lui offrir continuellement des présents sacrés. C'est pourquoi, désormais transportés de joie dans le Royaume, ils disent : «Tu nous as rachetés pour Dieu par ton sang, et tu as fait de nous pour notre Dieu un royaume et des prêtres.» Ainsi donc, quand le pécheur converti déclare : «Admets-moi, je t'en prie, à quelque fonction sacerdotale», ce langage signifie qu'il n'espère gagner, par l'austérité de sa vie et de sa pénitence, rien d’autre qu'une part de la béatitude éternelle, afin d'obtenir un bonheur assuré qu'il goûte sans fin, sans jamais plus traîner après soi les tourments de la pénitence.
110, 1. C'est pourquoi le texte ajoute : POUR QUE JE MANGE UN PETIT PAIN. En effet, si le pain, dans la parole divine, représente les délices, le petit pain est la délectation sans fin de la vie éternelle. C'est de cette délectation que parle le prophète : «On trouvera en elle joie et allégresse, l'action de grâces et le chant de louange.» De là encore ce qu'il laisse entendre à propos des convives invités désormais à manger à table un petit pain et non une tourte de pain : «Sur leur tête, une joie éternelle, ils connaîtront joie et allégresse.» D'où cette parole du psalmiste, qui fait dire au pénitent qui se corrige : «Tu m'as montré les chemins de la vie, ta face me comblera de joie, à ta droite, des délices éternelles.» Car les chemins de la vie sont les afflictions de la pénitence. C'est par elles que le pécheur est conduit de l'abîme de sa damnation à la patrie éternelle, quand il se tourmente spontané ment à cause des péchés qu'il a commis.
2. Voilà pourquoi, quand le pécheur pressent qu’il est corrigé, il l'indique en disant : «C'est toi, Seigneur, qui m'as rendu mon héritage.» Et de même, confiant, il poursuit : «Car tu n'abandonneras pas mon âme en enfer.» Le pécheur connaît les chemins de la vie, quand la voix divine lui inspire les afflictions de la pénitence, c'est-à-dire quand il considère d’un esprit illuminé quelle amertume de vie il doit opposer à chacun des plaisirs coupables d'autrefois. Celui-là se glorifie d'être rempli de la joie de voir la face de Dieu tout-puissant, car il se rassasie de la claire contemplation de Dieu et, lui qui, sur la gauche de la vie présente, se livre temporairement à la componction de la pénitence, se rassasie, sur la droite de la vie éternelle, de délices jusqu'à la fin. Ainsi donc, celui qui a offert une tourte de pain est amené à manger un petit pain, car celui qui par l'amour de la vie céleste tourmente les plaisirs mauvais, se prépare un perpétuel festin à la table de la joie éternelle.

Quatrième section : sens moral

111, 1. Le texte poursuit : LE JEUNE SAMUEL SERVAIT LE SEIGNEUR EN PRÉSENCE D'HÉLI. On le voit, ce qui est dit plus haut de l'enfant élu est ici répété : «Le jeune Samuel était serviteur sous le regard du Seigneur, devant la face d'Héli.» C'est bien la même chose que de servir le Seigneur en présence d'Héli et d'être serviteur du Seigneur devant la face d'Héli. Et puisque, grâce à Dieu, nous avons expliqué à fond cette phrase en son lieu, nous ne nous attarderons pas du tout à répéter son explication. Mais, puisque c'est la parole de Dieu qui parle ici et là, il est clair qu'elle ne l'a pas fait sans motif d’utilité. Pour éviter la lassitude de notre lecteur nous renonçons donc à redonner une explication, mais nous exposons la cause de cette répétition afin de lui être utile.
2. En effet, certains fidèles, quand ils sont encore peu instruits, obéissent aux directives des prélats de la sainte Église; mais, quand ils se sont un peu élevés dans une vie vertueuse, ils ne persévèrent pas dans cette humilité de l'obéissance. Agar, l'esclave de Sara, en est une bonne figure spirituelle, elle qui, se voyant enceinte par l'oeuvre d'Abraham, l'époux de sa maîtresse, se mit à la mépriser. Agar conçoit, certes, quand l'âme réprouvée d'un fidèle croit s'élever, soit par les connaissances acquises, soit par son genre de vie. Étant enceinte, nous dit-on, elle méprisa sa maîtresse, car désormais cette âme dédaigne de se soumettre par obéissance à la volonté du pasteur qu'elle a pour supérieur. Mais, celle qui méprise sa maîtresse, il est dit qu'elle est esclave : car les fidèles qui s'enorgueillissent sont à la fois affaiblis par relèvement et éliminés du nombre des fils de Dieu.
3. On rapporte cependant que Samuel a progressé, puisqu'il a été dit plus haut : «Le jeune Samuel progressait et croissait, et il plaisait aussi bien à Dieu qu'aux hommes.» Par quel genre de vie sublime il a parcouru ces trois étapes, nous l'avons expliqué précédemment. Si donc maintenant on rapporte aussi qu'il servait en présence de son maître, n'est-ce pas parce qu'il donne l'exemple aux auditeurs élus, afin qu'en progressant dans un genre de vie plus élevé, ils n'oublient jamais de garder le bien de l'obéissance ? En effet, ils ne progressent que s'ils s'efforcent de s'élever en mérites à la fois par la vigueur de leurs oeuvres et par la valeur de leur humilité.
112, 1. Il y a autre chose dans ce verset qui doit être noté : on nous montre Samuel servant le Seigneur en présence d'Héli, au moment même où ce dernier est réprimandé par le Seigneur pour la faute de ses fils. C'est qu'en effet certains fidèles, considérant combien est grande leur propre force, préfèrent se comporter en juges sévères de leurs prélats plutôt qu'en auditeurs bienveillants. Et, comme ils ont pris l'habitude de scruter et d'examiner leur genre de vie, s'ils remarquent dans leur comportement la souillure d'une faute même légère, ils refusent de se soumettre à leurs ordres par obéissance. Or, ils se montreraient vraiment forts s'ils supportaient humblement ce qu’ils estiment être la faiblesse de leurs supérieurs.
2. Car il se montre grand devant Dieu en raison de son mérite, celui qui se soumet au juste commandement que lui donne un homme qui, à certains égards, ne mérite pas d'être honoré. Voici en effet que le jugement de Dieu blâme ouvertement Héli pour la faute que sa négligence a causée, et néanmoins on rapporte que l'enfant du Seigneur, Samuel, sert le Seigneur en sa présence. C'est afin qu'il apprenne à se connaître lui-même, celui qui méprise son supérieur pour une faute légère, alors que Samuel s'est soumis par une humble obéissance à celui que Dieu tout-puissant avait réprouvé en le jugeant si sévèrement.
113, 1. Toutefois, puisque Héli se voit reprocher un peu plus haut d'avoir honoré ses sujets qui ont péché, il nous faut évaluer la dignité des ordres sacrés dont ils sont revêtus. En effet, le pasteur ne doit pas honorer le pécheur dont il a la charge si celui-ci ne s'est pas amendé de sa faute; mais l'inférieur ne doit pas mépriser son supérieur quand il se reconnaît juste et lui pécheur, car le Juge éternel a confié le soin de juger les fidèles aux pasteurs de la sainte Église, mais il s'est réservé d'examiner ces pasteurs à son tribunal.
2. Cependant, ce jugement que Dieu se réserve, les pasteurs doivent le redouter grandement, car il leur faut préparer des justifications de leur conduite et de leur enseignement d'autant plus minutieuses que le juge qu'ils affrontent est d'une plus grande perspicacité. Que leur crainte du jugement futur, qu'il doit porter dans la vie future, ne se réduise pas à celle d’un événement lointain, de peur que celui qui est partout présent ne les frappe sans avertissement ni délai.
3. En effet, les pasteurs négligents pensent que la vie présente leur laisse un long laps de temps pour faire pénitence et échapper au châtiment de la vindicte future; mais le juge, qui est partout présent, inflige un châtiment sans délai, car il leur retire d'abord la lumière de la contemplation, puis les arrache à la vie pour les jeter dans les tourments.
114, 1. C'est pourquoi l'Écriture ajoute ensuite à propos d'Héli, qui meurt un peu plus tard en se brisant le cou : EN CES JOURS-LÀ, IL N'Y AVAIT PAS DE VISION MANIFESTE. En effet, quand le pasteur méprise ses devoirs, bien qu'il les connaisse, il se voit infliger une rigoureuse sentence qui le rend incapable de voir ce qu'il doit faire, puisqu'il n'a pas voulu accomplir ce qu'il voyait. Car la vision manifeste n’est pas donnée au pasteur négligent, mais à celui qui aime. C'est pourquoi la Vérité dit par elle-même : «Celui qui m'aime, mon Père l'aimera, et moi je me manifesterai à lui.»
2. En effet, la splendeur d'une vision manifeste est révélation de la vérité aimée. Cette vérité, si elle se montre à l'amour qui la mérite, il est parfaitement juste qu'elle se cache à ceux qui somnolent au lieu de faire le bien; car le signe de l'amour, ce n'est pas le mouvement affectif de l'âme, mais l'application à faire le bien. C'est pourquoi, dans l'Évangile, le Seigneur a dit auparavant : «Celui qui garde mes commandements et qui les met en pratique, c'est celui-là qui m'aime.» Puisque, en négligeant d'agir, on encourt l'obscurcissement de la vision intérieure, il est tout à fait normal qu'au moment où le prêtre est accusé de mépriser les commandements, on dise que la vision s'obscurcit.
115, 1. Suite du texte : ET LA PAROLE DU SEIGNEUR ÉTAIT PRÉCIEUSE. Au niveau du sens littéral, l’adjectif «précieux» est mis pour «rare». Ainsi donc, la parole du Seigneur était précieuse car, comme était rare celui qui, dans la contemplation, apercevait les choses d’en haut, il ne pouvait y en avoir beaucoup qui prêchassent le bien par la parole.
2. C'est ce que nous voyons aussi se produire de nos jours dans la sainte Église, car beaucoup, à cause du respect qui s'attache aux grandes dignités, convoitent la gloire que procure une charge mais, négligeant les fonctions de l'ordre sacré, et incapables de voir les choses d'en haut, ils ne peuvent les prêcher aux fidèles qui leur sont confiés. Ainsi la parole est-elle précieuse dans l'Église qu'ils régissent, car les fidèles entendent rarement les exhortations d'une bonne prédication quand les prélats recherchent, par désir, non les choses d'en haut, pour les prêcher, mais celles d'ici-bas, pour les faire.
3. La sainte Écriture les stigmatise ainsi : «Chiens muets qui ne peuvent aboyer». Elle n'a pas dit : «Qui ne veulent pas», mais : «Qui ne peuvent pas» car, certes, aimant de tout leur coeur, de toute leur âme et de toute leur force la gloire de ce monde, ils voudraient parler au peuple des réalités sublimes, afin de pouvoir s'approprier aussi la gloire de ce discours sublime. Ainsi donc, les chiens muets qui voudraient aboyer ne le peuvent pas car, leur coeur dépravé étant tout occupé des réalités terrestres, les secrets de la vérité qu'ils proclameraient, ils ne les comprennent pas, puisqu'ils ne leur sont pas révélés.
116, 1. Mais comme on garde avec grand soin ce qui est précieux, cette parole : «Il n'y avait pas de vision manifeste» peut s'appliquer à la négligence des prélats charnels, et ce qui suit : «Et la parole du Seigneur était précieuse», à l'ardent effort des bons fidèles. En effet, les sujets fidèles, même s'ils n’ont personne pour leur prêcher souvent les choses d’en haut tirées du trésor de la parole sacrée, s’attachent avec une admirable dévotion à ce qu'ils ont pu en apprendre un jour et le gardent comme quelque chose d'inestimable, en le plaçant au ciel par leurs bonnes oeuvres, là où les voleurs, qui pourraient les dérober, ne rôdent pas.
2. C'est pourquoi l'Évangile dit à propos de celui qui achète la bonne perle : «Quand il en eut trouvé une précieuse, il vendit tout ce qu'il avait et l’acheta.» Ainsi donc, lorsqu'il est dit qu'au temps où les visions étaient obscurcies, la parole était précieuse, on proclame la louange des fidèles élus, car on doit les célébrer d'une gloire d'autant plus sublime que le bien qui a disparu chez les supérieurs, demeure dans les inférieurs par la perfection d'une grande charité.
117, 1. La droiture de leur vie est souvent telle que la vision qui s'est obscurcie leur est dévoilée; de sorte que ceux qui observent avec dévotion les petites choses connaissent aussi les grandes qu'ils doivent accomplir. C'est pourquoi le texte poursuit : DONC, UN JOUR, HÉLI ÉTANT COUCHÉ À SA PLACE, SES YEUX S'ÉTAIENT AFFAIBLIS ET IL NE POUVAIT PLUS VOIR AVANT QUE LA LAMPE DE DIEU NE SOIT ÉTEINTE. OR SAMUEL DORMAIT DANS LE TEMPLE DU SEIGNEUR. ET LE SEIGNEUR APPELA SAMUEL. Le Seigneur appelle de fait le jeune Samuel chaque fois que les décrets cachés de Dieu sont révélés aux humbles fidèles et qu’ils méritent d'obtenir, par leur humilité, la lumière de la contemplation que les prédicateurs orgueilleux ont perdue en raison de leur superbe.
2. Notons cependant que cela arrive un jour où Héli, nous dit-on, repose à sa place et ne peut plus voir. C'est en effet durant le jour qu'est appelé celui qui, pour son salut et celui d'autrui, est élevé à la connaissance des secrets de la sagesse d'en haut. Au contraire, c'est au cours de la nuit que Salomon reçut la sagesse, pour montrer, par l'obscurité du moment, que cette sagesse qu'il recevait, il n'y persévérerait pas.
118, 1. On peut comprendre cela autrement, à savoir que c'est à propos d'Héli qu'on parle d'obscurité. La mention du jour indique à quel point sa cécité est grande, car il était plongé dans de grandes ténèbres, celui qui, en plein jour, ne voyait pas. Aujourd'hui aussi, quand on considère la situation de la sainte Église, il y a une grâce de lumière pour tous. Il est venu, en effet, celui qui, diffusant les rayons de la vraie clarté, devait dire : «Je suis la lumière du monde; celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres.»
2. Et, comme la gloire de son intime splendeur est ineffable, on ne dit pas : «Ce jour-ci», ou «Ce jour-là», mais : «Un jour»; jour dont la clarté est connue, mais la grandeur de sa clarté inconnue. Le pasteur endure donc de grandes ténèbres si, considéré comme étant par fonction l'oeil de l'Église, il est incapable de voir, alors qu'une telle lumière lui est accordée. C'est pourquoi la Vérité montre aussi par elle-même dans quelles ténèbres est plongé son oeil, quand elle dit : «Comme elles seront grandes, ces ténèbres !»
119, 1. Mais voici qu'il indique d'où provient cette obscurité, en disant : «Il était couché à sa place.» Car la place où se trouve le prédicateur est faite pour qu’il s'y tienne debout, non pour qu'il s'y couche. C’est pourquoi le Seigneur se donne lui-même en exemple à ses prédicateurs quand il dit : «Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert.» En effet, se tenir debout au milieu des frères, c'est se donner en exemple aux inférieurs par un genre de vie laborieux. Se tenir debout s'applique donc à la pratique des oeuvres et à l'obligation de combattre. C'est pourquoi celui qui préside au combat spirituel donne cette consigne : «Tenez-vous donc debout, avec la vérité autour des reins.»
2. Et puisque être couché, c'est se reposer, celui dont on dit qu'il est couché à sa place se voit reprocher de s'abandonner à la torpeur du repos à une place consacrée au combat et au labeur. Se tenir debout, c'est aussi l'attitude du juste. D'où cette parole de Paul : «Car pour ce qui regarde la foi, vous tenez bon.» Être couché signifie donc aussi la négligence d'une vie relâchée. Héli est donc couché en sa place quand, entraîné par le vice, le prédicateur réprouvé se repose sur le siège du juste. Les yeux de celui qui est couché à sa place s'obscurcissent donc, car ils ne peuvent voir les choses d'en haut, ceux qui, placés au sommet de la charge pastorale, ne s'appliquent pas aux oeuvres vertueuses, mais se plongent dans les délices d'une vie relâchée.
120, 1. Celui-là, ce n'est plus pour le louer sincèrement, mais pour le blâmer en se moquant, qu’on l'appelle lampe de Dieu. En effet, celui qui porte ce titre de lampe de Dieu et dont on dit qu'il ne peut plus voir, est plus ridiculisé que défini par un tel nom. Au juste, en effet, on adresse cette louange véridique : «Il était, lui, la lampe qui brûle et qui éclaire», car étant l'aube de la lumière véritable, il répandait en parlant ce qu'il avait puisé en aimant.
2. Ce prédicateur charnel, on l'appelle aussi lampe en raison de sa fonction, et aveugle en raison de ses intentions, car il exerce la haute charge de donner la lumière, mais il enferme son âme dans les ténèbres de la vanité. On montre que sa perversité est totale en disant, non pas «Il ne voyait pas», mais : «Il ne pouvait pas voir.» Voilà pourquoi, quand le Seigneur parle de l'arbre mauvais, il dit : «Un arbre mauvais ne peut pas produire de bons fruits.»
3. Ainsi donc, la lampe de Dieu est incapable de voir, quand celui qui est élevé par sa haute charge pastorale est oppressé par un amour du siècle si épais qu'aucune inspiration de la grâce ne le soulève jusqu’à la perception de la clarté intérieure; désormais rejeté par le juste courroux de Dieu, il est abandonné aux ténèbres de son aveuglement, de telle sorte qu’aucun rayonnement de la lumière d'en-haut ne vient plus jamais le visiter.
121, 1. D'autre part, c'est avec raison que l'on dit : «Avant que ne soit éteinte». Ne pas voir, en effet, c'est le châtiment du pécheur, du moins, tant qu'il est vivant dans ce siècle; mais être incapable de voir, c’est la peine éternelle à laquelle est condamné dans l’autre siècle celui qui est mort dans l'impiété. C'est pourquoi un jugement du Créateur ordonne qu'il soit enfermé dans les ténèbres extérieures, afin de n'être jamais ramené à la vue de la lumière. En disant donc qu'il ne peut voir avant que la lampe soit éteinte, on assimile le prédicateur réprouvé, vivant encore dans ce siècle, à l'impie damné pour l'éternité, en raison de sa cécité.
2. La lampe s'éteint quand le pasteur vient à mourir. Ou bien la lampe s'éteint parce que, quand le prédicateur réprouvé meurt en son corps, quelque lumière de la gloire de sa haute charge qu'on ait vu briller en lui, il la perd, et il reste comme le vase d'argile d’une lampe éteinte, puisque le personnage est mis sous bonne garde jusqu'au jugement éternel, tout en étant entièrement privé de tout l'éclat du siècle. Ainsi donc, avant que la lampe de Dieu ne soit éteinte, il ne peut pas voir, car il possède, en son aveuglement éternel, la rétribution de sa damnation future, tandis qu'aux yeux des humains, il brille encore de la splendeur de la haute charge qu'il a reçue.
122, 1. «Or, Samuel dormait dans le temple de Dieu où se trouvait l'arche de Dieu.» C'est à bon droit qu'on décrit le prélat réprouvé, non pas dormant mais couché, tandis que l'enfant soumis et élu, on ne dit pas qu'il est couché, mais qu'il dort. Car dormir a parfois un sens positif, alors qu'être couché a presque toujours un sens négatif. D'où cette parole de l’épouse dans le Cantique des cantiques : «Moi, je dors, mais mon coeur veille.»
2. Le sommeil de l'enfant représente donc le repos que trouve tout fidèle élu quand il cesse de mal agir. C'est en effet dans le temple et là où se trouve l’arche que dort celui qui, absorbé par le désir du ciel et la méditation de l'Écriture sainte, n'applique pas sa pensée à ce qui est pervers. Il en est, en effet, qui dorment dans le temple, mais non pas là où se trouve l'arche de Dieu : car certains esprits simples se reposent par l'amour dans la contemplation céleste, sans être toutefois capables de méditer les secrets de la Parole sacrée.
3. Ainsi donc, Samuel, dont on dit qu'il dort non seulement dans le temple mais devant l'arche de Dieu, représente les fidèles à la fois savants et élus, car en puisant dans la parole sacrée les flammes de leur amour par la méditation fréquente, ils sont emportés très haut, jusqu'au désir de la céleste patrie, et ils choisissent, pour ainsi dire, le lieu le plus retiré du temple pour dormir, en s'éloignant d'autant plus du labeur terrestre public qu'ils sont plus secrètement enfouis par la méditation dans le sanctuaire de la vision intérieure.
123. «Et le Seigneur appela Samuel.» Appeler, pour Dieu, c'est éveiller par l'effet d'une grâce plus forte. Le Seigneur appelle en effet celui qui dort, car il éveille ceux qui sommeillent, insensibles à l’attrait des réalités terrestres, pour les faire grandir dans la connaissance des réalités d'en haut. Lorsque le souci de ce qui est extérieur nous tient éveillés, nous ne percevons pas ce qui est intérieur et spirituel. Repousser les préoccupations terrestres, c'est donc nous disposer à recevoir la grâce d'en haut, car l’infusion des dons divins dans le coeur des élus est d'autant plus abondante que, sous la garde de la méditation intérieure, leur âme est plus pure.
124, 1. Suite du texte : «Et le Seigneur, dit-il, appela Samuel. CELUI-CI RÉPONDIT : ME VOICI. PUIS IL COURUT À HÉLI ET LUI DIT : TU M'AS APPELÉ, N'EST-CE PAS ? CE DERNIER LUI DIT : JE NE T'AI PAS APPELÉ, MON FILS, RETOURNE DORMIR. ET IL ALLA DORMIR. ET DE NOUVEAU LE SEIGNEUR APPELA SAMUEL. SE LEVANT, IL SE RENDIT AUPRÈS D'HÉLi ET LUI DIT : ME VOICI, PUISQUE TU M'AS APPELÉ. CE DERNIER RÉPONDIT : JE NE T'AS PAS APPELÉ, MON FILS, RETOURNE DORMIR. C'EST QUE SAMUEL NE CONNAISSAIT PAS ENCORE LE SEIGNEUR, ET LA PAROLE DU SEIGNEUR NE LUI AVAIT PAS ÉTÉ RÉVÉLÉE. ET DE NOUVEAU LE SEIGNEUR APPELA SAMUEL POUR LA TROISIÈME FOIS. IL SE LEVA, SE RENDIT AUPRÈS D'HÉLI ET LUI DIT : ME VOICI, PUISQUE TU M’AS APPELÉ. ALORS HÉLI COMPRIT QUE C'ÉTAIT LE SEIGNEUR QUI APPELAIT L'ENFANT, ET IL DIT À SAMUEL : VA DORMIR ET S'IL VIENT À T'APPELER, TU DIRAS : PARLE, SEIGNEUR, TON SERVITEUR ÉCOUTE.
2. Pourquoi donc Dieu tout-puissant fait-il entendre son appel dans une telle mise en scène, au point que l'esprit de celui qui est appelé soit empêché de reconnaître celui qui l'appelle; de lui faire croire, alors qu'il entend Dieu, qu'il s'agit de son maître humain; de faire retentir son appel sans dire pourquoi; de le laisser se rendre auprès de son maître pour être autant de fois renvoyé prendre le repos du sommeil, sans pourtant lui permettre de se reposer en dormant ?
3. De fait, lui qui a appelé celui qu'il a voulu à connaître ses secrets, était-il obligé d'user d'une voix semblable à celle d'Héli, n'eût-il pas pu appeler avec la voix qu'il voulait ? Et lui qui a appelé quand il a voulu, n'eût-il pas pu dire tout de suite pourquoi ? Et lui qui a voulu l'éveiller pour qu'il écoute, n'eût-il pas pu lui apprendre, autrement que par son maître, comment il devait écouter ?
4. Mais, en cette affaire, Dieu tout-puissant met en oeuvre un plan de grande envergure, en sorte que le coeur des élus soit instruit de deux manières : tout fidèle voyant d'après la forme du sens littéral le bien de l'obéissance auquel il doit se conformer, et les prélats contemplant les mystères cachés qui, par l'étude, les acheminent à la lumière de l'intelligence.
125, 1. Néanmoins, je crois devoir dire en premier lieu que l'enfant qui a cru entendre son maître quand le Seigneur lui parlait, a entendu une voix corporelle. Ainsi donc, ce n'est pas par lui-même que Dieu a parlé à l'enfant, mais par un esprit angélique, car celui qui n'est pas enfermé dans un corps n'est pas réduit à user d'un organe corporel pour faire entendre sa voix.
2. Voilà ce qui, assurément, convient à l'oreille d’un enfant. En effet, si grands que soient les mérites d’un fidèle commençant, puisqu'il n'en est pas encore à la perfection, mais progresse dans la vie spirituelle, il ne peut percevoir la parole que Dieu tout-puissant prononce par lui-même. Dieu tout-puissant, esprit suprême et illimité, parle spirituellement par lui-même aux hommes éminents et spirituels quand il révèle en un langage spirituel à leur intelligence les actions qu'ils doivent faire et les instructions qu'ils doivent connaître. Ainsi donc, Dieu a produit une voix extérieure par un esprit angélique, mais l’Esprit créateur a révélé ce qu'il a voulu par la présence de sa grâce.
3. En appelant ainsi d'une voix qui a été prise pour celle d'Héli, il ne s'est pas fait connaître, afin que l'enfant courût auprès de son maître et, s’entendant dire qu'il n'avait pas été appelé, montrât, grâce à cette méprise, en quel haut degré de vertu il se tenait. L'enfant qui, humblement soumis à un homme et élevé au sublime sommet de l'obéissance, s’approcha quand on l'appela et s'en retourna quand on lui en donna l'ordre, quel exemple nous donne-t-il, sinon celui de la plus haute obéissance ?
4. En effet, la véritable obéissance ne discute pas l'intention des supérieurs, pas plus qu'elle ne fait de différence entre les commandements, car celui qui soumet à un supérieur toute la conduite de sa vie ne met sa joie que dans l'accomplissement de ce qui lui est commandé. C'est qu'il ne sait pas juger, celui qui a appris à obéir parfaitement : il croit que tout son bien consiste à obéir aux commandements.
126, 1. Mais une telle gloire, qu'il tient de sa conduite parfaite, confond notre vie. Voici que nous avons décidé d'avancer vers la patrie céleste sous la conduite des chefs de l'armée du Christ et, quand on nous commande de faire des choses différentes, même à des moments différents, nous murmurons. Qui donc, en effet, réprimerait son murmure, qui retiendrait sa colère, s'il s'entendait appeler deux et trois fois et cependant recevait pour réponse de celui qui l'appelle qu'il n'a pas été appelé ?
2. Nous éprouvons cette ténèbre de notre paresse, car l'éclat dont resplendit le bien d'une telle vertu en raison de son mérite, nous ne le voyons pas. C'est en effet le seul bien pour recouvrer la vie, puisque la faute de la désobéissance fut un mal suffisant pour procurer la mort. Si donc la mort a prévalu par le mal de la désobéissance, nous sommes rendus à la vie chaque fois que nous obéissons. Ainsi donc, le jeune Samuel ne s'offense ni d'avoir été appelé, ni d’avoir été repoussé, car il n'a pas cherché à voir l'intention de qui l'appelait ou le repoussait, lui qui ne savait trouver sa joie que dans l'obéissance.
127, 1. Par ailleurs, quand on se lève, c'est pour peiner, et quand on retourne se coucher, c'est pour se reposer; alors que cherche-t-on à nous montrer, sinon que l'un et l'autre nous acheminent à la vie, pour autant que l'âme de celui qui obéit ne considère rien d'autre que le bien de l'obéissance ? En effet, ce qu’il doit considérer dans le commandement, c'est seulement qu'il s'agit du commandement de son supérieur; et celui qui s'attache au bien de l'obéissance ne doit pas considérer la tâche qui lui est commandée, mais son fruit, puisque, pour mériter les joies de la vie éternelle, ce n'est pas la nature du travail qui est recherchée, mais la mortification de la volonté propre et l'exécution de celle d'autrui. D'où ce que dit Paul : «La circoncision n'est rien, et l'incirconcision n’est rien, mais l'observation des commandements.»
2. Donc, au regard de Dieu tout-puissant, ni ce qui concerne le travail, ni ce qui concerne le repos n’est sans importance, puisque cela peut procurer la vie éternelle à ceux qui obéissent. Ainsi, que quiconque est encore soumis à l'autorité d'un autre ne considère rien d'autre que le gain très grand et très élevé que lui mérite l'ordre qui lui a été donné de la part de Dieu, puisqu'il lui vaut en retour la récompense de la vie. À l'inverse, que les désobéissants considèrent que si le premier père du genre humain a failli et a perdu les joies du paradis, ce n'est pas pour avoir commis le vol, la rapine, l'adultère ou l'homicide, mais pour avoir désobéi à propos d'un fruit défendu.
3. La conclusion est claire : si les ordres des supérieurs qui paraissent mineurs séparent des joies intérieures quand on les méprise, même les ordres tout à fait insignifiants que l'on accomplit, procurent la vie. Ainsi donc, si l'artisan zélé de la vie commune, dans le saint concours auquel se livrent en communauté les serviteurs de Dieu, désire obtenir plus largement la récompense que le bien de l'obéissance lui mérite pour l'éternité, qu'il sache qu'il n'excellera qu'en soumettant plus que les autres sa volonté propre à l’autorité de son supérieur.
4. En effet, les pieux soldats du Christ ne doivent pas surestimer le profit du jeûne ou les efforts d’une rude discipline par rapport aux ordres des supérieurs. Car le repas qu'on prend sur ordre, par charité, est d'un plus grand mérite qu'un jeûne qu'on s’impose par décision personnelle. En effet, celui qui restaure sa chair contre son gré parce qu'on le lui commande, a mérité par sa soumission la récompense du jeûne, et, en mangeant, il s'est acquis la rétribution plus grande qu'obtient l'obéissance.
128, 1. Dieu a donc appelé l'enfant, mais en prenant une voix semblable à celle du maître, pour montrer de quelle manière il parle. Il n'a pas dit pourquoi il l'appelait, pour que l'enfant élu montre la supériorité de son humble obéissance. Il l'a laissé se rendre auprès de son maître pour lui faire l'hommage de son dévouement. Il est autorisé à retourner se reposer en dormant afin que, même ces toutes petites choses, nous ne les méprisions pas. De nouveau Dieu le réveille pour montrer que celui qu'il voulait donner en exemple aux élus ne se lasse pas des instances de ceux qui commandent.
2. Par celui qui allait être réprouvé, l'enfant apprit comment il devait écouter, afin que nous sachions qu'il nous faut respecter les ordres des supérieurs, même quand leur propre existence n'est pas digne de louanges; car leur enseignement – que leur mauvaise conduite peut déprécier aux yeux des orgueilleux – fait parvenir ceux qui écoutent humblement au sommet de l'intimité divine.
129, 1. Mais, comme le texte poursuit : «C'est que Samuel ne connaissait pas encore le Seigneur», et qu’il est dit plus haut qu'il sert le Seigneur, il y a là, apparemment, une forte contradiction, car il ne pouvait pas ne pas connaître celui qu'il servait. En effet, est-il un homme qui soit au service de quelqu'un qu’il ne connaît pas ? Toutefois, la suite montre comment une solution rationnelle doit rendre intelligible ce qui semble contradictoire : «Et la parole du Seigneur, dit-on, ne lui avait pas été révélée.» Par cette suite, en effet, il nous est donné de comprendre que celui qu’il connaissait, parce qu'il l'aimait et le servait, il ne le connaissait pas par la révélation de sa parole. Car, il ne s'était pas encore entendu appeler ainsi par celui qu’il donnait la preuve de connaître, en le servant avec dévouement et en l'aimant avec ardeur.
2. Mais il est logique d'entendre cela de la conduite des fidèles. Nombreux sont en effet ceux qui progressent bien sous la direction d'un autre, s'acquittant, au temps de leur noviciat, de leurs devoirs envers Dieu tout-puissant, sans pourtant parvenir, par la pureté de la contemplation, à le voir en son intime beauté. Ceux-là, quand leur soumission leur mérite aussi de recevoir le don de cette divine contemplation, l'expérience de la vision intérieure leur fait comprendre qu'ils ne connaissaient pas encore de cette façon celui qu'ils servaient.
3. Jacob le montre bien, lui qui vit le Seigneur alors que, en route pour prendre femme, il somnolait pour se reposer après la fatigue du chemin; mais en se réveillant, il dit : «Vraiment, le Seigneur est là, et moi, je ne le savais pas.» Certes, il ne pouvait douter que le Seigneur fût là avant de s'endormir, lui qui pensait qu'il est partout; cependant, parce qu'à ce moment il le connut plus parfaitement, il dit qu'il ne l'a pas connu tant qu'il n'avait pas de lui cette très intime connaissance.
4. Le chemin qu'on parcourt pour aller prendre femme, c'est la résolution d'une obéissance dévouée par laquelle on désire obtenir la fécondité de la charité intérieure. Jacob s'endort ainsi en chemin quand le sujet fidèle, supplantant l'esprit malin par le labeur de l'obéissance, est admis au repos de la vision intérieure. Il confessera alors qu'il ne connaissait pas le Seigneur, car tandis qu'il s'étonne du spectacle de cette lumière intérieure auquel il vient d'être élevé, il découvre, par l'expérience de cette beauté dévoilée, qu'il a ignoré jusqu'alors un tel bien.
5. En effet, nous connaissons Dieu par la foi comme par ouï-dire; mais c'est par l'amour contemplatif que se révèle à nous, comme par une manifestation de sa présence, celui qui s'est fait connaître par ouï-dire. On a d'ailleurs raison de dire, au moment où le fidèle qui progresse par l'obéissance est élevé au degré de la contemplation, qu'il ignorait autrefois le Seigneur; car on découvre, comme s'il était réellement présent, celui qui, auparavant, semblait comme inconnu, n'étant connu que par ouï-dire, au lieu d'être connu par sa présence.
130, 1. Mais, comme il est dit séparément : «Il ne connaissait pas encore le Seigneur, et la parole du Seigneur ne lui avait pas été révélée», on peut interpréter cela plus subtilement. En effet, dans une même et unique contemplation intérieure de Dieu sont répandues sur celui qui contemple une étonnante charité à la vue d'une telle gloire, et une grande stupeur devant la révélation des paroles secrètes. Il en est donc qui connaissent le Seigneur et reçoivent la révélation de sa parole, car ils sont remplis d’une étonnante douceur par l'infusion d'une telle charité à laquelle ils ont l'habitude de puiser constamment, et sont instruits d'une grande sagesse par la révélation de la parole.
2. Il en est d'autres, au contraire, qui connaissent le Seigneur et à qui la parole du Seigneur n'a nullement été révélée; car des hommes sans instruction mais parfaits en leur noble conduite, perçoivent, certes, en contemplant, l'ineffable douceur de l'amour que procure la gloire de la divine contemplation, sans pour autant parvenir à ce sommet qu'est la révélation de la parole de Dieu, car ils ont été élevés au rang de ceux qui aiment, non à la sublimité de la prédication. La parole leur est révélée, certes, pour qu'ils l’aiment; elle leur demeure cachée pour qu'ils ne la prêchent pas.
3. C'est à bon droit qu'on dit de celui qui est élevé au ministère de la prédication : «Il ne connaissait pas encore le Seigneur, et la parole du Seigneur ne lui avait pas été révélée»; afin que, en indiquant ainsi ce que ce novice n'a pas encore, on désigne clairement les charismes dont le prédicateur doit être nanti. En effet, celui qui n'éprouve pas encore cette force de l’amour intérieur, bien qu'il connaisse le Seigneur par la foi comme par ouï-dire, ne le connaît pas par la présence de cette grande charité; et s'il aime ardemment sans que, par l'esprit, il sache encore scruter les mystères cachés, il connaît déjà le Seigneur, certes, mais il n’est pas encore parvenu à la révélation de sa parole.
131. Le texte ajoute immédiatement au sujet de l'enfant obéissant : «Samuel s'en alla donc et dormit.» Désormais averti, l'enfant est renvoyé à la connaissance de la parole de Dieu, quand l'inférieur élu est préparé à connaître les réalités spirituelles par les avis du supérieur. Et dormir, pour lui, c'est se reposer dans le désir de la vie éternelle, c'est-à-dire, quand, désormais assoiffée des seules réalités d'en haut, son âme rejette avec dédain toutes celles d'ici-bas; de sorte que, plus elle écarte soigneusement de sa quête tout ce qui est corporel, plus elle est remplie d'un amour débordant pour ce qui est invisible.
132. Remarquons qu'il reçoit quatre fois l'ordre de retourner dormir pour se reposer car, lorsque nous usons de ce siècle n'importe comment, nous sommes éveillés par l'action, la parole et la pensée aux réalités terrestres. On nous ordonne donc par trois fois de dormir afin que, par l'apaisement des activités, le silence des lèvres et le rejet des pensées inutiles, nous soyons préparés à connaître les réalités célestes. On nous envoie nous coucher pour la quatrième fois quand, avec la permission de nos supérieurs, on nous commande d'interrompre même un service utile, de sorte que, libres de tout souci, notre esprit tout entier se recueille pour percevoir la vision céleste.
133, 1. Remarquons aussi que le Seigneur réveille l'enfant qui se repose sans qu'Héli le sache, et pourtant, l'ayant réveillé, il ne lui révèle la raison de son appel que par l'intermédiaire de ce même Héli qui lui donne des ordres; car il élève les inférieurs élus au désir de la patrie céleste par une secrète inspiration, mais il ne permet pas qu'ils vaquent dans le repos à cette patrie qu'ils aiment sans la permission de leurs supérieurs.
2. Car pourquoi donc, chaque fois que l'enfant est appelé, le laisse-t-on se rendre auprès de son maître, sinon parce que les désirs des sujets, divinement inspirés, sont soumis au jugement des supérieurs ? En effet, l'oeuvre que le sujet réalise sous l’inspiration divine, on sait qu'elle ne plaît à Dieu que s’il l'accomplit sur l'ordre ou avec la permission du supérieur. À quatre reprises le Seigneur appelle donc l'enfant, et à quatre reprises son maître lui enjoint de chercher le repos du sommeil, car c'est par inspiration divine que nous sommes enflammés du désir de tempérer notre activité, de garder les lèvres closes, de rejeter toute préoccupation intérieure, d’interrompre notre service par amour d'une vie plus cachée, et pourtant il nous est interdit d'accomplir les désirs que nous inspire notre amour, sans la permission de nos supérieurs.
3. Voilà pourquoi le Seigneur appelle sans en donner la raison, afin que, le maître ayant donné sa permission, il communique lui-même avec le disciple qu'il a appelé. En effet, Dieu, avant que fût donné l'ordre d'écouter, s'est tu après avoir appelé, tandis qu'il a montré la raison de son appel, dès que l'enseignant humain eut ordonné d'écouter. Le texte poursuit en effet : SAMUEL S'EN ALLA DONC DORMIR À SA PLACE.
134, 1. ET VOICI QUE LE SEIGNEUR VINT ET SE TINT LÀ ET IL L'APPELA COMME IL L'AVAIT APPELÉ LA DEUXIÈME FOIS : SAMUEL, SAMUEL ! ET SAMUEL DIT : PARLE, SEIGNEUR, TON SERVITEUR ÉCOUTE. ET LE SEIGNEUR LUI DIT. Puisque ces paroles concernent la substance divine incorporelle et invisible, il faut que nous entendions au sens spirituel ce qui paraît relever du corps. Où irait-il en effet, celui qui est partout ? Comment peut-on dire qu'il se tient là et parle, celui qui n'est pas fait d'une substance corporelle ?
2. Mais, si l'on use de mots adaptés à notre indigence à propos de cette substance qui enrichit toute chose, c'est pour que, grâce à eux, nous puissions nous hausser à la connaissance de ce qu’elle opère mystérieusement. En effet, pour le Seigneur, venir c'est toucher, par la présence de sa grâce, le coeur des élus. Se tenir là, c'est pour lui rester là, et par le don de cette même grâce, garder les âmes qu'il touche dans ce don qu'il leur fait de sa grâce. Quant à appeler, c'est pour lui éveiller l'âme élue pour qu'elle reçoive le surcroît d'une grâce plus grande.
3. Le Seigneur vient, en effet, mais il ne se tient pas là, quand le coeur des négligents est touché par la grâce et qu'ils ne persévèrent toutefois pas dans le sentiment et l'amour de cette grâce qui les touche. Il vient et se rend présent en quelque sorte, puis ne restant pas, s'éloigne, quand, touchés par la grâce divine du moment, ils se proposent soudain de bien agir, et laissent aussitôt à l'abandon la bonne intention qu'ils s'étaient fixée.
135, 1. D'autre part, si l'on réfère ces paroles à la contemplation, le Seigneur vient et se tient là quand il touche soudain par sa grâce le coeur des élus et, l’ayant touché, ne l'abandonne pas soudain; de sorte qu’en survenant il le visite, qu'il l'affermisse en y restant et que celui qui s'est manifesté pour la joie de l’âme bien-aimée, ne se retire pas de son propre mouvement avant qu'elle ne se soit rassasiée de sa vision.
2. Néanmoins, en disant que le Seigneur se tient là, on laisse entendre qu'il partira le moment venu. Car, même s'il rassasie parfois l'âme des élus en se révélant pendant un certain temps, il retire la douceur de sa présence afin qu'ils désirent plus ardemment ce qui leur est retiré. Le Seigneur vient donc quand il visite, il reste là quand il se révèle avec suavité, il appelle quand il éveille à l'amour de sa gloire manifestée par le plus ardent des désirs.
136. C'est pourquoi, autant de fois que le Seigneur réveille l'enfant, il l'appelle en répétant son nom. Appeler quelqu'un par son nom signifie qu'on se sent avec lui en grande intimité. Ainsi quand Dieu parle à Moïse en disant : «Je te connais par ton nom.» Le nom de celui qu'on appelle est donc répété quand l'âme du voyant est gratifiée d'une intimité déjà grande avec la majesté qui l'habite, et s'élève par de fervents désirs à l'amour de celui qui l'appelle. Si bien que, à l'exception de ce qu'elle entend, elle ne s’attache à rien et désire se fixer pour toujours dans la joie de la voix entendue.
137. D'où ce que le texte ajoute bien à propos : «Samuel dit donc : Parle, Seigneur.» Ce «donc» marque une conclusion qui s'impose. Comme si l’on disait en clair : Il répondit donc «Parle», parce qu’il ne pouvait répondre autrement. Car, que peut désirer d'autre l'âme qui est élevée à la joie d'entendre parler la majesté ? Pour cette âme, dire à Dieu : «Parle», c'est désirer écouter sans cesse cette parole d’une ineffable douceur. Il dit donc : «Parle», celui qui voudrait que Dieu ne se taise jamais.
138, 1. D'où la suite : «Car ton serviteur écoute.» Autrement dit : «Car ce que je perçois par l'expérience de l'amour intérieur, je désire l'éprouver éternellement pour m'en délecter.» Il demande donc que Dieu parle, celui qui désire qu'il ne cesse jamais de se faire entendre à ses sens intérieurs; de peur qu’après avoir été élevé à une aussi sublime exaltation en entendant parler le Seigneur, il ne retombe à terre quand Dieu se tait, pour endurer les angoisses de l'humanité damnée.
2. Si, en effet, nous sommes arrachés aux ténèbres de notre corruption quand il nous parle, lorsqu’il vient à se taire en nous retirant sa grâce, nous retombons dans ces mêmes ténèbres. Il convient donc bien que celui qui est transporté sur un tel sommet dise au Seigneur : «Parle», car il se complaît d’autant plus dans la joie de ce qu'il entend au dedans de lui-même qu'il ne met son plaisir en aucune chose qui lui est extérieure, et son désir de demeurer avec celui qui parle est d'autant plus ardent qu'il voudrait plus intensément ne jamais plus retomber dans sa propre bassesse.
139, 1. Même lorsque, par ordre de Dieu, nous disons au Seigneur : «Parle», c'est par sa grâce que nous le disons; et pourtant, nous ne pouvons le dire avec les sentiments qui sont ceux des élus parfaits quand ils le lui disent, car ce qui relève d'un désir ineffable, ne peut s'exprimer en langage raisonnable. Ce sentiment, Pierre nous le laisse bien voir quand, à la vue du Seigneur transfiguré sur la montagne, apercevant son visage resplendissant comme le soleil, voyant ses vêtements blancs comme la neige, il dit : «Seigneur, il est bon que nous soyons ici. Si tu le veux, dressons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie.»
2. En effet, celui qui dit : «Il est bon que nous soyons ici» voudrait, s'il le pouvait, ne jamais retomber de la vision d'une telle gloire. Donc, quand Pierre dit : «Seigneur, il est bon que nous soyons ici», et Samuel : «Parle, Seigneur, car ton serviteur écoute», les paroles sont différentes, certes, mais les sentiments sont les mêmes. Car ce que montre Pierre, élevé sur la montagne lors de la transfiguration du Seigneur, c’est ce que Samuel donne à entendre, appelé une deuxième fois par le Seigneur qui vient et reste là.
3. Mais, bien que l'évangéliste blâme Pierre de ne pas savoir ce qu'il disait, il ne semble pas contredire ce sens. Ce que blâme l'évangéliste, ce n'est pas le sentiment de Pierre, mais sa raison; car, élevé à part avec le Seigneur dans la gloire, il désirait qu'il en soit toujours ainsi et ne voulait pas qu'il descende jusqu’à l'ignominie de la croix pour le salut de tous. Il ne savait donc pas ce qu'il disait, mais il brûlait d’amour pour ce qu'il voyait; car il voyait un bien si grand qu'il était impossible ne pas l'aimer avec autant d’ardeur.
4. C'est pourquoi, s'il est juste de blâmer Pierre, il est néanmoins raisonnable de l'excuser : il était vaincu par la délectation que suscite l'amour d'une telle majesté. Cependant, en reprochant à Pierre d’ignorer ce qu'il disait, on mentionne la cause de son ignorance. L'évangéliste ajoute en effet : «Car ils étaient épouvantés.» Cette ineffable beauté de la majesté qui l'habite ébranle parfois d'un étonnant effroi l'âme élue à laquelle elle se manifeste avec suavité, de peur qu’en raison de la grandeur de cette vision, elle ne s'enorgueillisse en un instant si, emportée par une séduisante contemplation sur de tels sommets, l'Esprit qui la meut ne la refrène pas par le frein de la crainte.
5 . Dans une seule et même vision de la gloire qui se révèle, elle contemple à la fois la bonté du Créateur indiciblement séduisante et sa justice infiniment redoutable, afin que, plus l'âme du voyant se délecte de voir la bonté de Dieu, plus elle prenne garde, épouvantée à la pensée de sa justice, de ne pas se rassasier en vain.
140, i. C'est pourquoi, quand Samuel est élevé à l'intimité d'une conversation avec Dieu, ce n'est pas l'heureuse promotion des élus qui lui est annoncée, mais la terrible déchéance des grands. Le texte pour suit en effet : «Et le Seigneur dit à Samuel : Voici, JE VAIS PRODUIRE UNE TELLE PAROLE EN ISRAËL QUE LES DEUX OREILLES EN BOURDONNERONT À QUICONQUE L'ENTENDRA. Au milieu des dons sublimes qu'elle a reçus, l'âme élue est conduite à se garder avec d’autant plus de prudence de relèvement qu'elle voit la justice de Dieu tout-puissant rejeter ceux-là mêmes qui ont été gratifiés de dons plus sublimes encore.
2. Voilà pourquoi on annonce que la parole que le Seigneur menace de produire fera bourdonner les oreilles de ceux qui l'entendront. Les oreilles du corps se mettent à bourdonner quand elles sont heurtées par un son insupportable. En effet, lorsque le bruit déversé dans l'oreille dépasse sa capacité, le son que rejette cet organe trop étroit se change en bourdonnement; car la voix qui ne pénètre pas à l'intérieur au moment où elle est déversée, siffle longtemps dans les cavités des oreilles.
3. Pour les oreilles de l'âme, le bruit insupportable est le rejet de quelque grand prédicateur. On ne saisit pas l'énorme bruit déversé, car lorsqu'on se remémore les dons sublimes qui avaient été accordés au prédicateur réprouvé, on ignore le jugement de la divine justice qui l'a fait rejeter. La puissance du son déversé se change donc en bourdonnement dans les oreilles car, bien que l'effort de la pensée ne saisisse pas par quel jugement divin cela se fait, le coeur de ceux qui y réfléchissent est frappé de crainte tandis qu'il y songe longuement. En effet, les oreilles bourdonnent comme sous l'effet du bruit d'un son puissant qui y reste enfermé, quand le coeur des justes tremble à la pensée longuement entretenue de la réprobation des grands hommes.
141, 1. Mais ce sont les deux oreilles qui bourdonnent, nous dit-on, c'est-à-dire la droite et la gauche. Et puisque la droite représente la vie éternelle, la gauche, la vie présente, et que par l'oreille nous entendons ce qui est dit, comment interpréter l'oreille gauche sinon comme l'application à faire le bien, et l'oreille droite, sinon comme l'application à regarder les réalités d’en haut ?
2. Ainsi donc, les deux oreilles de celui qui écoute bourdonnent, car lorsque les élus voient la déchéance des grands hommes, ils sont doublement troublés dans leur application. C'est en effet avec un coeur rempli de crainte qu'ils s'élèvent à la contemplation des réalités éternelles, et les réalités temporelles, ils n'en disposent pas sans une immense frayeur. Ce bourdonnement d'oreilles, il l'avait enduré, celui qui disait au Seigneur : «Ta justice ressemble aux monts de Dieu, et tes jugements sont un grand abîme.» Car les monts de Dieu sont les hommes élus les plus éminents.
3. La justice de Dieu est égalée par de tels monts, quand ils accomplissent par leurs oeuvres les hauts commandements de Dieu. Et pourtant, les jugements de Dieu sont un grand abîme, car si les oeuvres qu'accomplissent les saints sont justes à leurs yeux, ils ne peuvent savoir ce qu'elles valent aux yeux de Dieu. C'est pourquoi, les biens dont ils sont capables, ils les accomplissent sans cesse et ils craignent l'abîme des jugements divins qui tonne au-dessus d'eux; car, à cause de la parole que le Seigneur produit et qu’ils entendent, le bourdonnement d'une grande crainte ébranle leur coeur.
142. Mais on annonce à bon droit que seules les oreilles de ceux qui entendent bourdonnent. Car ceux-là, il les en avertit dans l'Évangile, en disant : «Celui qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende !» En effet, ceux dont toute l'application se porte sur les réalités extérieures, ne connaissent pas ce bourdonnement de la crainte intérieure, car ils ne considèrent aucunement les insondables jugements divins qui planent sur leur tête.
143, 1. Mais celui qui refusa de considérer les jugements pénétrants de Dieu qui planent au-dessus de sa tête, voici avec quelle netteté il s'entend répéter ce que la sentence de ces jugements lui réserve. En effet, le texte poursuit : JE LUI AI ANNONCÉ QUE JE JUGERAIS SA MAISON POUR TOUJOURS À CAUSE DE SON INIQUITÉ, PARCE QU'IL CONNAISSAIT L’INDIGNE CONDUITE DE SES FILS ET QU'IL NE LES A PAS CORRIGÉS. C'EST POURQUOI, JE L'AI JURÉ À LA MAISON D'HÉLI, NI SACRIFICE, NI OFFRANDE N’EFFACERA JAMAIS L'INIQUITÉ DE SA MAISON.
2. Habituellement, la clémence tempère la sentence qu'édicte une juste sévérité; c'est dire que ce jugement-là est d'une grande rigueur, puisqu'il prononce, en la répétant, une sentence de condamnation. Il l'a, de fait, annoncé quand, auparavant, il signifia à Héli par l'intermédiaire d'un homme, dont on tait le nom, qu'il serait destitué. Mais, puisqu'il jure maintenant qu'il agira ainsi, il répète sa sentence de condamnation. À ce propos, il faut aussi remarquer que celui qui n'a pas repris ses fils pour leur conduite inique est blâmé d'avoir commis une iniquité qu'aucun sacrifice ni offrande n'effacera jamais.
3. Avec quelle rigueur sera donc traitée l’iniquité qu'on a commise soi-même, si c'est une faute sans remède d'avoir traité celle d'autrui avec négligence ? Car si les fautes des sujets qu'on n'a pas corrigées nous sont imputées comme une faute éternelle, à quels châtiments nous lie l'audace avec laquelle nous commettons nous-mêmes l'iniquité ! Il est donc juste que les oreilles de qui entend bourdonnent, car les âmes des élus qui considèrent ces choses avec attention, tremblent devant une telle rigueur. Il est juste que les oreilles de qui entend une telle chose bourdonnent, car elle est comme un bruit énorme que le coeur des élus peut à peine supporter.
4. L'oreille droite de qui entend bourdonne car, même si, en raison de sa perfection, quelqu'un s’élève à la contemplation des réalités célestes, il ne place pas toutefois sa confiance dans l'élévation de sa vie. Son oreille gauche bourdonne aussi car, même si, grâce au don de la connaissance, quelqu'un est à même de disposer parfaitement des choses de ce siècle, il n’a aucune confiance en la perfection de son service. Au milieu de leurs dons sublimes, elles entendent la parole dont le bruit provoque une bourdonnement douloureux dans l'une et l'autre oreille. Maintenu dans ce bruit jusqu'à ce que cette vie d'incertitude soit achevée, il ne cesse de craindre.
144. D'où la suite bien à propos : SAMUEL DORMIT JUSQU'AU MATIN. Il dort jusqu'au matin celui qui, jusqu'à ce que se lève la splendeur du Rédempteur qui doit venir, se repose sur les oeuvres de la bonne conduite qu'il a commencé de suivre. Il dort jusqu’au matin celui qui, durant toute la nuit de la vie présente, attend, dans son propos de poursuivre la vie juste qu'il a commencée, que l'éclat du Rédempteur promis resplendisse sur lui, afin de goûter la joie de la rétribution qu'il a méritée. Il a entendu la parole promise à Israël dont ses oreilles ne cessent de bourdonner car, en voyant la rigueur de la justice divine, il a conçu un sentiment de crainte dont le poids l'empêche de s'éveiller à l'amour du siècle.
145, 1. Mais ce sommeil prolongé jusqu'au matin s'applique peut-être au bourdonnement de l’oreille droite. Elle bourdonne, en effet, l'oreille droite, car, lorsque celui qui aime à la perfection la vie intérieure doute de parvenir à la contemplation parfaite, il désire progresser de plus en plus dans cette vie sublime où il vient d'entrer. Mais, tant que nous vivons dans cette chair mortelle, les esprits malins tendent des pièges à ceux qui aspirent aux réalités célestes et, pour les soustraire à la vision de la gloire intérieure, accumulent les fantasmes des vaines pensées qu'ils exposent à leur regard intérieur.
2. C'est donc à bon droit qu'il est dit : «Samuel dormit jusqu'au matin.» De fait, la tentation que suggèrent les esprits impurs, c'est la nuit. Celui qui dort jusqu'au matin n'ouvre pas les yeux de toute la nuit. Il dort donc pendant la nuit, celui qui dédaigne de prêter attention aux fantasmes démoniaques de la tentation. Il dort aussi toute la nuit, puisqu'il n'est pas vaincu par la ténèbre de la tentation, mais tient bon vaillamment, jusqu'à ce qu'il soit visité par la lumière de la clarté d'en haut, à l'heure où vient la grâce divine. Puis, comme au matin, il s'éveille, car il se réjouit de l'agrément que lui procure la lumière se déversant sur lui après les ténèbres.
3. Il ouvre alors les yeux comme s'il s'éveillait, car il regarde avec joie la lumière qui le baigne, lui qui a dédaigné de regarder les ténèbres qui le pressaient. Il parvient, grâce au tintement de l'oreille droite, appuyé qu'il est sur les choses d'en haut, à mépriser la vue de ce qui est répréhensible et à montrer la solidité de son progrès, puisque le progrès réalisé par la paix, une guerre ouverte et violente ne l'entraîne pas à le perdre.
146, 1. Suite du texte : ET IL EUT PEUR DE RÉVÉLER SA VISION À HÉLI. Il eut peur, en effet, de révéler à Héli ce que le Seigneur lui avait montré, de sorte qu’il refréna la témérité de l'audace humaine par la force de sa règle de vie. Il en est, en effet, qui sont si téméraires qu'ils se précipitent pour blâmer sans gêne leurs supérieurs et ne craignent pas de les menacer des supplices que leur réservent, demain, leurs errements. Ceux-là n'ont nullement entendu le Seigneur leur parler, car ils ignorent le sens de la sainte Écriture. En effet, ceux à qui Dieu tout-puissant s'adresse pour leur montrer le châtiment réservé à leurs supérieurs, redoutent de leur rapporter ce qu'ils ont entendu.
2. Ainsi donc, qu'ils comprennent à quel point leur empressement est inconsidéré, ceux qui se font les censeurs de leurs supérieurs, et qu'ils craignent de tomber eux-mêmes dans l'abîme. Si, en effet, ceux à qui parle Dieu tout-puissant, ont peur de parler à leurs supérieurs, avec quelle frayeur devraient-ils se cacher sous le silence de leur langue, ceux à qui le Seigneur n'a pas parlé ! Ainsi donc, la crainte que ressent Samuel ne représente pas la peur servile, mais le respect dû à la plus haute charge pastorale. Car, même si le prédicateur négligent mérite reproche et menaces à cause de son propre péché, la supériorité de son rang exige la crainte respectueuse.
147. Suite du texte : ET IL OUVRIT LES PORTES DE LA MAISON DU SEIGNEUR. Pourquoi donc celui qui a craint de parler a-t-il ouvert les portes de la maison du Seigneur, sinon parce qu'il n'a pas rougi d'obéir, après avoir eu peur de faire connaître de mauvaises nouvelles ? En effet, il a été dit plus haut : «Samuel dormait dans le temple du Seigneur où se trouvait l'arche de Dieu.» L'enfant, dont on lit qu'il a dormi dans le temple du Seigneur et qu'il ouvre maintenant les portes de cette maison, on nous indique qu'il a reçu l'ordre d'accomplir un service : ouvrir et fermer les portes aux heures fixées. Ainsi donc, lui qui a eu peur de révéler sa vision et a ouvert les portes de la maison du Seigneur, il a présenté son respect à son maître de deux façons : en accomplissant son service et en mettant une garde à ses lèvres.
148, 1. On voit avec quelle rigueur il a gardé ses lèvres, si l'on fait bien attention à ce qui suit. En effet, le texte ajoute aussitôt : HÉLI S'APPROCHA DONC DE SAMUEL ET LUI DIT : SAMUEL, MON FILS. CELUI-CI RÉPONDIT : ME VOICI. PUIS IL L'INTERROGEA : QUELLE PAROLE LE SEIGNEUR T'A-T-IL ADRESSÉE ? JE T'EN PRIE, NE ME LA CACHE PAS. QUE DIEU TE FASSE CECI ET QU'IL AJOUTE CELA SI TU ME CACHES UNE SEULE DE TOUTES LES PAROLES QUI T'ONT ÉTÉ DITES. SAMUEL LUI RÉVÉLA DONC TOUTES LES PAROLES ET NE LUI EN CACHA POINT.
2. Celui dont on rapporte qu'il est contraint de parler sous les instances d'une telle imprécation, on nous montre qu'il s'astreignait à un silence d’une grande rigueur. Et parce que, habituellement, ce n’est pas tant par souci de pureté que par une effronterie tenace que des inférieurs se taisent, Samuel est donné comme exemple de l'inférieur élu, lui qui a gardé le silence par respect, mais a craint de le garder quand on lui ordonnait de parler. Ainsi a-t-il brillé par les deux flambeaux de sa discipline de vie : après s'être tu par crainte filiale, il se rendit, par obéissance, utile en parlant.
149, 1. Le texte poursuit : ET CELUI-LÀ DE RÉPONDRE : C'EST LUI LE SEIGNEUR. QU'IL FASSE COMME BON LUI SEMBLE. Celui qui considère cette réponse d'Héli trop simplement, pense qu'il a répondu avec autant de justesse que d'humilité. En effet, à s’en tenir aux apparences, quelle réponse plus humble pouvait donner celui qui venait d'entendre l’annonce de sa réprobation et, Dieu le menaçant, mieux, promulguant la sentence de sa réprobation, s'offrait à tout traitement que Dieu voudrait lui infliger ? Mais, à y regarder de près, l'humilité de cette réponse n’est pas humilité véritable.
2. On reconnaît, en effet, la véritable humilité à ce bien de l'obéissance qui l'accompagne et dont fait preuve celui qui exécute les ordres du supérieur. Il aurait été vraiment humble si, lorsqu'on lui reprochait sa faute, il avait répondu en offrant de corriger sa faute. En outre, son humilité serait peut-être encore plus vraie si, accusé, il ne répondait rien, mais appliquait la correction qu'il avait négligée à ses scélérats de fils; si, rempli au moins alors d'un zèle pastoral, il s'appliquait à châtier, par une juste vindicte, les crimes de ces prêtres vicieux.
3. Ainsi donc, quand il dit : «C'est lui le Seigneur. Qu'il fasse ce que bon lui semble», la parole qu'il a prononcée exprime plus manifestement un choix personnel qu'une humble réponse. En effet, il a choisi d'encourir les motifs des menaces divines plutôt que de condamner ses fils pour les fautes qu'ils ont commises. Oh, qu'ils sont encore nombreux les imitateurs d'Héli qui, tout en percevant chaque jour la menace de Dieu tout-puissant dans la parole sacrée, tremblent de déplaire aux hommes et ne redoutent pas d'encourir les menaces que Dieu leur fait dans son indignation; ils craignent les inimitiés des hommes, tenues pour implacables, et tout en continuant de pécher, s'en remettent à la miséricorde de Dieu !
150, 1. Cependant, si une confiance désordonnée peut donner lieu au châtiment de Dieu tout-puissant, elle ne peut certes pas gagner son indulgence. Car pour un pécheur impénitent qui persévère dans son intention de pécher, dire à propos de Dieu qui le menace : «C'est lui le Seigneur. Qu'il fasse ce que bon lui semble», n'est-ce pas s'en remettre de façon désordonnée à la miséricorde parfaitement ordonnée de Dieu ? Il s'en remet, en effet, comme il se doit à la miséricorde de Dieu tout-puissant, celui qui corrige par la pénitence le mal qu'il a commis en péchant, qui l'efface par ses larmes.
2. Ainsi, pécher et présumer de la clémence de Dieu créateur, c'est s'exposer à l'océan de sa justice. Ne pas effacer le mal commis en faisant pénitence et présumer de la bonté de Dieu, c'est se heurter à la rigueur de son jugement. Donc, quand on présente la vie d’Héli comme l'exemple de celle que mènent les prédicateurs réprouvés, on ne nous montre pas seulement qu'il est tombé en péchant, mais aussi qu'il a couru à sa ruine sans s'en soucier. Car celui qui pouvait apaiser, par la pénitence qu'inspire la crainte, la violence de l'indignation divine, a reçu ce qu'il avait mérité pour n'avoir pas tenu compte de ce qu'il entendait.
3. Car, si Dieu tout-puissant est juste en son équité, nous croyons pourtant qu'il est bon en sa pitié plus grande encore. C'est pourquoi un prophète dit : «Ses actes de pitié dépassent toutes ses oeuvres.» De là les menaces de destruction qu'il proféra par la bouche du prophète Jonas contre les Ninivites, et néanmoins la levée du châtiment de destruction de la ville qu’il accorda aux pénitents. De là encore la peine de mort qui fut promise au roi Ézékias par l'oracle du prophète; mais, le roi s'affligeant devant le Seigneur, dans les larmes de la pénitence, par crainte de mourir, cette mort dont il serait mort, il ne la reçut pas de celui qu'il craignit.
151, 1. Plus haut, le Seigneur a déclaré avoir dit auparavant une parole selon laquelle la maison d’Héli et de son père servirait en sa présence pour toujours. Mais, lui qui avait parlé en bien de celui qui agissait bien, a complètement changé son jugement sur la maison désormais réprouvée, en disant : «Mais désormais, qu'il n'en soit plus question pour moi.» Or, si Dieu tout-puissant annule ses promesses de bonheur parce que ceux à qui elles ont été faites sont transformés par le mal, combien plus suspend-il l'exécution de ses menaces quand il voit se convertir au bien ceux à qui il a annoncé la peine du châtiment due aux mauvaises actions auxquelles ils se sont laissés aller !
2. Que dire donc de cela, nous qui commettons chaque jour des fautes et qui sommes sans inquiétude alors que nous sommes coupables à cause de notre péché ? Que nous ne craignions pas la sévérité de la justice divine, voilà justement ce qu'il nous faut grandement craindre; car, on le voit, celui que Dieu rejette avec indignation, le texte rapporte qu'il n'a pas éprouvé la moindre crainte au vu du péché de négligence qu'il avait commis.
152, 1. Toutefois, nous qui connaissons, afin de le redouter, le rejet du prédicateur réprouvé, écoutons le progrès de l'élu. Le texte poursuit : OR, SAMUEL GRANDIT ET LE SEIGNEUR ÉTAIT AVEC LUI. Si l’on prend cela au sens littéral, la croissance du jeune Samuel se rapporte à l'âge du corps; mais si l'on en cherche le sens spirituel comme pour le reste, on remarque qu'il est dit de celui qui a grandi que le Seigneur est avec lui. Il grandit cependant, celui qui, par l'âge de son âme, tend à devenir un homme parfait.
2. C'est pourquoi le prophète dit des élus qui progressent : «Ils marcheront de vertu en vertu, on verra dans Sion le Dieu des dieux.» D'où cette parole de Paul : «Jusqu'à ce que nous parvenions à lui, à l'homme parfait, à la mesure de l'âge de la plénitude du Christ.» Pourtant, il en est qui, grandissant en vertus, tombent par relèvement. Ceux-là semblent grandir, et pourtant le Seigneur n'est pas avec eux; car ceux qui se font une haute idée d’eux-mêmes rejettent loin d'eux celui que, grâce à l'humilité, ils pouvaient avoir avec eux en progressant dans les vertus.
3. Ou bien, si l'on interprète cette croissance en termes de dignité extérieure, on mentionne que le Seigneur est avec lui, car beaucoup sont des hommes religieux tant qu'ils appartiennent à un rang inférieur, mais dès qu'ils sont parvenus à la plus haute dignité, ils abandonnent et leurs oeuvres premières et l'humilité. C'est pourquoi Samuel progressa et, tout en progressant, il eut le Seigneur avec lui; afin de montrer quelle est la conduite des prédicateurs élus, eux qui, gratifiés de dons et d'honneurs pour le profit des autres, ne négligent pas de plaire eux-mêmes à Dieu et multiplient ces dons qu'ils ont reçus de lui pour les autres, en manifestant dans leur propre existence le bien qu'ils cherchent à propager en eux par leur parole.
153, 1. C'est pourquoi le texte poursuit : ET AUCUNE DE TOUTES SES PAROLES NE TOMBA À TERRE. La parole du prédicateur tombe à terre quand, en raison de la conduite indigne de celui qui la prononce, elle perd sa valeur. D'où ce que dit la voix de la Vérité : «Il n'est plus bon qu'à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens.» Remarquons-le, on nous dit qu'aucune de toutes ces paroles n'est tombée à terre, pour que le prédicateur ne puisse rien faire qui pourrait lui être reproché.
2. En effet, s'il interdit quoi que ce soit et que lui-même le fasse, sa parole tombe à terre, car ce que méprise celui qui parle, les auditeurs ne le respectent nullement. Le Seigneur interdisait à toute parole de tomber à terre quand il montrait aux prédicateurs négligents en quoi ils le seraient, en disant : «Quiconque violera l'un de ces moindres commandements sera tenu pour le moindre dans le Royaume des cieux; et celui qui les accomplira et les enseignera sera tenu pour grand dans le Royaume des cieux.» Il ne viole pas le moindre commandement, le prédicateur dont ne tombe à terre aucune de toutes les paroles qu'il prononce.
3. Donc, quand on dit de Samuel qu'aucune de toutes ses paroles n'est tombée à terre, de qui la conduite de Samuel est-elle l'exemple, sinon de ceux qui sont grands dans le Royaume des cieux tant en raison de leur prédication que de leurs oeuvres ? Ainsi donc, aucune de toutes ses paroles ne tombe à terre, car toute parole élevée que prononce le parfait prédicateur de la sainte Église, il la prêche aussi par sa conduite sublime. Comme à partir d'un point d'observation élevé, il enseigne aux savants par sa parole et montre en même temps aux gens simples, par ses oeuvres, le chemin qu'ils doivent prendre pour entrer dans la patrie éternelle.
154, 1. D'où la suite : ET TOUT ISRAËL SUT, DE DAN À BERSABÉE, QUE SAMUEL ÉTAIT UN FIDÈLE PROPHÈTE DU SEIGNEUR. Que représente Dan, sinon les simples, et Bersabée, sinon les savants ? Samuel est donc reconnu de Dan à Bersabée comme fidèle prophète du Seigneur, quand la vie du prédicateur élu est donnée en exemple aux gens simples pour leur salut, et que, par son enseignement, les secrets de la sainte Écriture sont révélés aux savants.
2. Mais puisque Bersabée signifie le septième puits, Bersabée peut représenter non seulement les savants, mais aussi les justes. Qu'est-ce, en effet, que ce septième puits, sinon la grâce de l'Esprit septiforme ? Dan désigne la vie des pécheurs, car il est dit par une prophétie ancienne : «Que Dan soit un serpent sur le chemin, un céraste sur le sentier, qui mord le cheval au sabot, et son cavalier tombe à la renverse.»
3. De Dan à Bersabée Samuel est donc reconnu comme prophète du Seigneur, quand la vie et l'enseignement du prédicateur élu sont vénérables aux yeux des pécheurs comme à ceux des justes, si bien qu’en lui les fautifs voient le bien par la pratique duquel, en faisant pénitence, ils se corrigeront, et les bons admirent la perfection de la vie vers laquelle ils tendront avec vigueur en progressant chaque jour.
155, 1. Suite du texte : ET LE SEIGNEUR RECOMMENÇA À SE MANIFESTER À SILO. Il a été dit auparavant : «En ces jours, il n'y avait pas de vision manifeste.» Ainsi, lorsque la parole sacrée présente le parfait prédicateur, elle rapporte que le Seigneur se manifeste de nouveau; c'est que la connaissance du décret divin, qui est cachée aux réprouvés, est révélée aux élus en raison de leur pureté. En effet, si les hommes ne font part de leurs desseins qu'à leurs proches, est-il pensable que Dieu tout-puissant fasse connaître les secrets de son plan de salut à ses ennemis ?
2. On commence donc par louer la vie du docteur qui est juste, ensuite on rapporte que le Seigneur a recommencé à se manifester; car la manifestation de la lumière divine fuit réprouvés et menteurs, tandis qu'elle se fait voir aux élus et aux coeurs purs. De là cette parole que la Lumière véritable prononce elle-même et qui nous illumine : «Bienheureux les coeurs purs, ils verront Dieu.» Le Seigneur a donc recommencé à se manifester, car il a vu que l'oeil du coeur de son prédicateur était pur.
156, 1. Mais celui dont il est dit : «Il recommença à se manifester à Silo», on nous montre qu'il est apparu dans ce lieu-là une autre fois. Cependant, ayant indiqué l'endroit de sa manifestation, pour qu'on ne croie pas qu'il s'est manifesté à Héli, le texte montre aussi dans la suite à qui il s'est manifesté, en disant : CAR LE SEIGNEUR S'ÉTAIT RÉVÉLÉ À SAMUEL À SILO, SELON LA PAROLE DU SEIGNEUR.
2. Il s'est en effet révélé à lui quand il lui a fait connaître le secret de sa décision visant le rejet du prédicateur réprouvé. Ce qui s'est réalisé, nous dit-on, selon la parole du Seigneur, afin qu'on comprenne que ce qui avait été dit par l'homme de Dieu à Héli peu auparavant, s'est aussi réalisé au sens littéral : «Et je me susciterai un prêtre fidèle qui agira selon mon coeur et mon âme; et il marchera devant mon Christ tous les jours (de sa vie).» Et encore : «Tu verras ton rival dans le temple au milieu de tous les biens d'Israël.»
3. Si nous cherchons le sens spirituel de ce texte, nous nous demandons comment le Seigneur recommence à se manifester à ses élus. N'est-ce pas que, tout en remplissant d'une étonnante crainte ses élus quand ils contemplent sa justice, il leur donne de sentir aussi l'ineffable charme de la manifestation de sa gloire ? Car celui qui terrifie le coeur des saints en leur manifestant qu'il est le Juste, recommence à se manifester à eux quand il remplit leur coeur terrifié de la douceur de sa bonté.
4. C'est pourquoi il ne s'est pas toujours manifesté à Moïse dans le feu, mais parfois dans le feu et parfois dans la nuée. Dans le feu signifie la terreur du jugement. C'est pourquoi le psalmiste dit à propos du second avènement de notre Rédempteur : «Devant lui s'avancera un feu, et autour de lui, une bourrasque violente.» Dans la nuée, se montre au contraire la protection qu'offre sa pitié, car le Seigneur promet à ses élus la tendresse de sa protection quand il dit : «Alors ils verront le Fils de l'homme venant dans la nuée.»
5. C'est donc dans le feu et dans la nuée que le Seigneur apparaît à ceux qui traversent les déserts, car si sa justice effraie parfois l'âme de ceux qui le contemplent au cours du pèlerinage de cet exil, sa bienveillante tendresse relève celle qu'accable la terreur. Le Seigneur s'est donc manifesté à Samuel et il a recommencé à se manifester, car celui qui se fait voir dans la terreur du feu à l'âme des élus se montre aussi dans la douceur de la nuée. Il voyait, en effet, au-dedans de lui une vision de feu, celui qui déclarait au-dehors : «Saint et redoutable est son nom.» Désirant le faire voir de même dans le feu, il dit : «Venez et voyez les oeuvres du Seigneur, comme il est redoutable en ses décrets envers les fils des hommes.»
6. Mais celui qui s'est manifesté à lui dans le feu recommença à se manifester, puisque, dans la nuée, il lui a aussi versé le suave breuvage de sa gloire et de sa douceur. Voilà pourquoi celui qui avait été terrifié se réjouit, en disant : «Seigneur, qu'elle est grande la profusion de ta douceur; tu l'as cachée à ceux qui te craignent !» D'où encore cette parole, quand il admire l'apparition qui recommence : «Comme il est bon, le Dieu d'Israël, pour les coeurs droits ! Un peu plus et je trébuchais.»
157, 1. Mais considérons de près ce qui suit : «Selon la parole du Seigneur». Il faut donc connaître la parole du Seigneur avant de mériter que Dieu se manifeste; de peur que la vision mélangée et indistincte du feu et de la nuée, non seulement ne nous montre pas la direction du chemin qui mène au ciel, mais encore nous culbute dans le gouffre de l'erreur.
2. De fait, quand Origène voulut voir, sans la parole du Seigneur, la manifestation du Seigneur, il ne contempla pas comme il faut la vision de la nuée, car il redoutait l'apparition dans le feu. En effet, quand il prêcha à l'excès la clémence de Dieu en niant ou en minimisant sa justice, il affirma que non seulement il épargnerait tous les hommes damnés, mais encore qu'il libérerait un jour les anges déchus du châtiment éternel.
3 . Quant à Novat, il se plut à regarder outre mesure la vision de feu car, en disant que la justice de Dieu tout-puissant est sévère et implacable, il retira aux pécheurs l'espoir d'un pardon futur et tout remède par la pénitence. Le Seigneur ne s'est donc manifesté ni à Novat ni à l'autre, car d'après le jugement qu'établit la vérité de la parole divine, aucun d'entre eux n'a vu le Seigneur tout-puissant. Ainsi donc, le Seigneur se manifeste selon sa parole quand il se révèle à l’âme dans une vision que ne réprouve pas le témoignage de l'Écriture sainte.
158, 1. D'où la suite, bien à propos : ET LA PAROLE DE SAMUEL ARRIVA À TOUT ISRAËL. Quant à la parole des hérétiques, elle n'est pas arrivée. En effet, la parole de Novat consista à dire que le Dieu juste n’épargne pas les fidèles une fois qu'ils ont péché. La parole d'Origène consista à dire que le Dieu miséricordieux ne laisse périr aucune créature douée de raison dans la damnation éternelle. Et puisque les pécheurs qui reviennent au Seigneur ne périssent nullement, pas plus que ne sont jamais sauvés les anges une fois tombés ou les pécheurs morts dans leur péché, il est de fait que la parole des hérétiques n'est pas arrivée.
2. La parole de Samuel arriva donc à tout Israël, car la prédication du catholique s'accomplit quand on constate qu'elle est effectivement la vérité de la parole sacrée. Et remarquons que, comme on nous le dit, celui dont la parole est arrivée, est aussi celui dont on rapporte que le Seigneur a recommencé à se manifester à lui. En effet, elle est vraie la prédication de celui à qui est montrée la crainte de la justice de Dieu sans que la grâce surabondante de sa bonté lui soit cachée; c'est-à-dire que l'âme du voyant est terrorisée par la sévérité qu'elle constate, sans que la manifestation de cette bonté laisse l'âme terrifiée tomber dans le désespoir, si bien que, tout en présumant de la bonté, elle n'a pas l'audace de se précipiter dans le péché.
159. Mais tenons-nous en à ce que nous avons commenté dans le second volume de cet ouvrage. Ainsi, puisque nous avons l'intention d'aborder la suite du texte en prenant un nouveau départ, nous renouvellerons aussi dans la dévotion notre effort d'interprétation.