LIVRE PREMIER

Première section : sens typique.

1, 1. IL Y AVAIT UN HOMME UNIQUE DE RAMATHA SOPHIM, DE LA MONTAGNE D'ÉPRAÏM. SON NOM ÉTAIT ELQANA. IL ETAIT FILS DE HIÉROBOAM, FILS D’HÉLIU, FILS DE THAU, FILS DE SUPH, ÉPHRATÉEN. Celui que représente cet «homme», n'est-ce pas notre Seigneur et notre Rédempteur ? Il est apparu dans l'infirmité de notre chair mais cette infirmité de la nature qu'il avait prise, il ne l’a pu laissé dominer par les séductions d'une vie facile. 2. Vir («homme»), on le sait, vient de uirtus («vertu»). Au paradis, ou il avait été créé, l'homme entra en conflit avec l'ange apostat, mais il ne sut pas lui résister avec la vertu qu’il avait reçue à sa création. Créé fort, mais tombé lâchement sous le joug de son ennemi, il ne se montra pas homme dans le combat, comme il lui avait été donné de l’être. Si fort qu'il eût été, il lui devint désormais impossible, après la condamnation de la nature humaine de l’emporter sur l’ennemi qui l'avait vaincu, à moins que cette nature ne fut assumée par celui qui est au-dessus des hommes. 3. C'est pourquoi notre Créateur s'est fait notre champion dans la lutte. S'est-il montré un homme lui ? On le voit bien, quand on considère la vertu qu'il a déployée. Il a pris notre nature, pour qu’elle devînt en lui victorieuse et retrouvât la noblesse dans laquelle elle fait été créée. Ainsi, dans le Rédempteur la faiblesse de cette nature se changerait en force, alors qu’en Adam sa force s’était changée en faiblesse. Au désert, tandis qu’il jeûnait, le tentateur s'approcha de lui. Reprenant en main les armes qu’il l'avaient rendu victorieux, il décoche contre lui les traits de la gourmandise, de l’orgueil et de la superbe, mais il se heurta chez lui à une résistance sans défaut. Cette victoire notre Rédempteur montra avec éclat qu'il était «homme» (uir) puisqu’il avait triomphé de la force de l’ange apostat, jadis vainqueur, en lui opposant, non pas la puissance de sa divinité, mais la faiblesse de son humanité. 4. Cet «homme» est celui que un homme.» C’est lui que Zacharie désigne en disant : «Voici un homme. Son nom est Orient.» C'est lui que le bienheureux apôtre Pierre prêcha aux Juifs en ces termes : «Jésus de Nazareth, cet homme accrédité par Dieu auprès de vous par des miracles et des signes, un dessein, un dessein providentiel, inspiré par la prescience divine, vous l'a livré, et vous l’avez cruellement mis à mort par la main des méchants.» De là le mot de Cléophas, parlant sur la route à notre Rédempteur : «Jésus de Nazareth, cet homme qui fut un prophète, puissant en œuvres et en paroles.» 5. Oui, il fut un homme, celui qui chassa de l'Église en ce monde, le vieil adversaire et l’enchaîna par sa mort dans les enfers. Et puisque, après avoir brisé par sa mort la puissance de l’enfer, il nous a ouvert par sa résurrection l’entrée de l'éternité, il nous a montré la grandeur de sa force, non seulement en vivant, mais encore en mourant et en ressuscitant. Sachant donc que notre Rédempteur a accompli de grandes oeuvres de force par l'humanité qu'il assumée, on comprend que celui qui en est la figure soit représenté comme un «homme». 2, 1. Mais demandons-nous pourquoi on l’appelle «homme unique». S'il s'agit d'unité numérique, le terme paraît inutile : chacun de nous, évidemment, est un, et non deux. On ne peut croire que saint Samuel, qui écrit cela, ait mis un mot pour rien dans cet exorde, contrairement à l'usage des écrivains de la sainte Église. Pour sa part, l’auteur du livre de Job, quand il donne la vie de son héros en exemple aux fidèles, débute ainsi : «Il y avait, dans la terre de Hus, un homme nommé Job.» De même l'évangéliste Luc, quand il commence son Évangile en faisant l'éloge d'un digne prêtre, dit : «Il y avait, au temps du roi Hérode, un prêtre nommé Zacharie.» L'auteur de Job ne dit pas : «Homme unique», ni l'évangéliste : «Il y avait un prêtre unique.» 2. D'où vient donc que le prophète, cet élu, commence ainsi son écrit, contre l'usage des écrivains ? Mais il n’était pas seulement écrivain. Il était aussi prophète. A ce double titre, il connaissait à la fois le personnage qu'il décrivait historiquement, et celui dont il esquissait la figure à travers cette histoire. Aussi le trait d'histoire qu'il rapporte contre l’usage de l'histoire, est chargé d'une signification allégorique, à l’intention de la foi catholique. C'est ce que confesse à présent l'Eglise entière, dans un langage nouveau qui est déjà passé en habitude : «L'unique Christ est Dieu et homme». 3. Voilà pourquoi il dit : «Il y avait un homme unique.» Parlant du Dieu-homme, il a voulu affirmer sa divinité et son humanité, en marquant sans ambiguïté qu'il n'y a pas deux personnes, l'une du Verbe qui assume et l'autre de l’homme assumé, mais une seule et même personne, à la fois Dieu et homme. 3, 1. Cependant on peut aussi rapporter cette «unicité» à sa suréminente dignité. Certes, l'Église n'a pas eu d’autre rédempteur, mais elle a eu quelques «hommes», qui ont vraiment déployé de la vertu. L'appeler «unique», c’est donc le déclarer incomparable. Et de fait, il n'a pas eu son pareil, celui qui, venant en aide au genre humain par sa vie et sa parole éminentes, a su lui procurer, avec une largesse inouïe, les dons de la rédemption. De là, le mot de Paul : «Recevant en abondance la grâce, le don gratuit et la justice, ils règneront dans la vie par le seul et unique Jésus Christ.» 2. Cette dignité suréminente, il la proclame lui-même en adressant ce reproche aux Juifs : «Si je n'avais fait parmi vous des oeuvres que nul autre n'a faites, ils n'auraient pas de péché.» De même, la vue de son incomparable beauté fait fait dire au psalmiste : «Tu es plus beau à voir qu'aucun des enfants des hommes; la grâce est répandue sur tes lèvres.» 3. Il est sans pareil, le bienfait de sa rédemption, dont témoigne Isaïe : «Vraiment, il a subi nos maladies, porté nos crimes.» Sans pareille aussi, sa dignité, que son Père éternel, enveloppé de grandeur et de gloire, proclame en prononçant ces mots : «Celui-ci est mon fils bien-aimé, l'objet de toutes mes complaisances.» 4. C'est cet homme unique que Pierre confessait ainsi : «Il n'est pas d'autre nom qui nous ait été donné sous le ciel pour nous procurer le salut.» Cette même grandeur suréminente est affirmée par Paul : «Le Seigneur l'a exalté et lui a donné le nom qui surpasse tout nom.» 5. Par sa puissance suréminente, il l'emporte non seulement sur les hommes, mais encore sur tous les bienheureux anges, ce qui fait dire à Paul, quand il le prêche aux Hébreux : «Rayonnement de la gloire et empreinte de sa substance, portant l'univers par sa parole toute-puissante, après avoir accompli la purification des péchés, il siège à la droite de la majesté dans les hauteurs, élevé au-dessus des anges à raison du nom supérieur qui lui est échu en partage. Quel est l'ange, en effet, à qui Dieu a jamais dit : Tu es mon fils, aujourd'hui je t'ai engendré ? Ou encore : Je serai pour lui un père, et il sera pour moi un fils ? C’est donc à juste titre qu'il est appelé «homme unique», puisqu'il n'a pas son pareil. 4, 1. Nous avons appris sa grandeur. Écoutons maintenant d'où il est : «De Ramatha Sophim, de la montagne d'Ephraïm.» Ramatha, Sophim et Ephraïm sont des noms hébreux. En notre langue, le premier signifie «vision consommée», le second «observatoire», et le troisième se traduit par «fructueux» ou «fructifiant». 2. Qu'est-ce donc que la «vision consommée», sinon la connaissance parfaite du Dieu tout-puissant ? C'est cette vision consommée qu'annonce le docteur des gentils quand il dit : «A présent, nous voyons à travers un miroir, de façon indirecte. Alors, nous verrons face à face. A présent, je connais partiellement. Alors, je connaîtrai comme je suis moi-même connu.» Et l’«observatoire», comment l'entendre autrement que de la haute condition des anges ? Un observatoire est, en effet, un lieu qu’on choisit pour son altitude, afin d'y voir plus clair. Et c’est bien à propos que Ramatha est joint à Sophim : de fait, la connaissance parfaite de notre Créateur est réservée aux citoyens bienheureux qui habitent ces hautes altitudes. La splendeur de la lumière éternelle ne se voit pas pleinement dans les bas-fonds où nous sommes à présent exilés, mais sur les hauteurs où ils se tiennent pour l'éternité. 3. Par suite, c'est également à propos que Ramatha Sophim se trouve, selon le texte, «dans la montagne d'Éphraïm». Cette montagne d'Éphraïm, n'est-ce pas le ciel ? Celui-ci est bien une «montagne fructueuse», puisqu’il ne cesse de produire les fleurs d'une beauté éternelle et les fruits d'une joie qui n'a pas de fin. Oui, c'est à propos que le texte présente Ramatha et Sophim comme situés l’un et l'autre dans la montagne d'Éphraïm, car cette vision éternelle du Dieu tout-puissant et cette hauteur où se tiennent les citoyens bienheureux, ne se trouvent pas sur la terre, mais au ciel. 4. Le Christ se déclare originaire de Ramatha, quand il dit : «Comme le Père me connaît, moi aussi je connais le Père.» Et il ajoute : «Personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler.» Il était bien «de l’observatoire», c'est-à-dire d'en haut, celui qui adresse ce reproche aux Juifs : «Vous êtes d'en bas, moi je suis d'en haut; vous êtes de ce monde, moi je ne suis pas de ce monde.» 5. Il était de la montagne d’Éphraïm, celui ait dit : «Je suis le pain vivant, descendu du ciel.» Qu’il soit de la montagne d’Éphraïm, Jean-Baptiste l’affirme en disant : «Celui qui vient du ciel est au-dessus de tous.» C’est ce qui fait dire au psalmiste : Du haut du ciel il sort,» et au docteur des gentils : «Le second homme est du ciel, céleste.» 6. Cet homme, que le texte déclare «unique», il le fait donc venir de Ramatha et Sophim, de la montage d'Ephraïm, car né parmi tous les hommes, il s’est affermé supérieur à tous et s'il s’est montré aussi grand sur la terre c’est qu’il venait du ciel. il était de Ramatha et Sophim, parce que, si incomparable que soit l’éclat dont il a brillé ici-bas, on ne peut comprendre jusqu’où va cette suréminente que là où les citoyens de l’éternité obtiennent de le connaître en plénitude. 7. C’est ici-bas qu'il l’avait aperçu dans sa puissance suréminente, ont touché du Verbe de vie.» Mais parce qu’il n’avait pas vu où va cette suréminence, il nous la promet pour Ramatha, en disant : «Quand il apparaîtra, nous lui serons semblables, car nous le verrons tel qu’il est.» 5, 1. Mais cette montage peut représenter aussi la bienheureuse Marie toujours vierge, génitrice de Dieu. Elle fut certes une montage, celle qui dépassa, par l'excellence de son élection, la grandeur de toute créature élue. Ne fut-elle pas une haute montagne cette Marie qui s'éleva jusqu’à jusqu’à concevoir le Verbe éternel, en poussant la cime sublime de ses mérites au-dessus de tous les choeurs des anges, jusqu'au trône de la divinité ? 2. La dignité tellement suréminente de cette montagne, un oracle d'Isaïe la célèbre : «Dans les derniers jours une montagne sera préparée au sommet des monts pour la demeure du Seigneur.» Une montagne au sommet des monts : la sublimité de Marie resplendissant par-dessus tous les saints. La montagne signifie qu'elle est sublime, la demeure signifie qu’elle sert de maison. De façon fort exacte, elle est appelée montagne et demeure, puisque, par les mérites incomparables dont elle brillait, elle a préparé son sein sacre pour que le Fils seul-engendré de Dieu s'y repose. Marie ne serait pas une montagne au sommet des monts si sa divine fécondité ne l'élevait au-dessus de la sublimité des anges. Elle ne serait pas la demeure du Seigneur, si la divinité du Verbe n'avait reposé dans ses entrailles, par l’humanité qu’il a assumée. 3. De plus, il est tout à fait correct de l’appeler «montagne fructueuse», puisqu'elle engendre le meilleur des fruits, l’homme nouveau. C'est sûrement elle, dans la gloire de sa fécondité, avec toute sa beauté et ses atours que visait le prophète quand il disait : «De la souche de Jessé sortira une verge, et de sa racine montera une fleur.» C’est le fruit de cette montagne qui faisait exulter David, quand il disait à Dieu : «Que les peuples te célèbrent ô Dieu, que les peuples te célèbrent ! La terre a donné son fruit.» Oui, la terre a donné son fruit : celui que la Vierge a enfanté, elle ne l'a pas conçu par un acte matériel, mais par l’ombre du saint Esprit étendue sur elle. 4. C'est pourquoi ce même roi-prophète s'entend dire par le Seigneur : «Du fruit de tes entrailles, je placerai sur mon trône.» C'est pourquoi aussi Isaïe déclare : «Le fruit de la terre sera sublime.» De fait, l'enfant de la Vierge ne fut pas seulement un homme saint, mais encore le Dieu puissant. Ce fruit, Élisabeth en parle à la bienheureuse Vierge Marie en la saluant : «Tu es bénie parmi les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni.» 5. C'est donc à juste titre qu'on l'appelle «montagne d’Éphraïm,» puisqu'elle s'élève à l'ineffable dignité de Mère de Dieu, et que son fruit fait reverdir les plants desséchés du genre humain. Ainsi l'homme de Ramatha Sophim a été fait de la montagne d'Éphraïm, car celui qui créa les anges par sa puissance divine, a pris forme humaine de la chair de la glorieuse Vierge. 6, 1. En cette humanité qu'il a faite sienne, il n'a pas voulu naître d'infidèles, mais de fidèles. D'où la suite : «Fils de Hiéroboam, fils d'Héliu, fils de Thau, fils de Suph.» Si l'on mentionne les noms de quatre pères, c’est qu'en prenant chair dans le peuple fidèle, le Seigneur a eu dans son humanité des pères en qui les quatre vertus cardinales brillaient de tout leur éclat. C'est pour cela que la promesse divine ne s'adresse pas à un infidèle, mais au fidèle Abraham : «En ta descendance seront bénies toutes les nations de la terre.» 1. De là aussi la généalogie tracée par l’évangéliste Matthieu : «Livret généalogique de Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham.» De là encore le mot du Christ lui-même, disant à la Samaritaine : «C'est des Juifs que vient le salut.» De là enfin ce que dit Paul : «A eux l'adoption filiale, la gloire, l'alliance, la Loi, le culte, les promesses. A eux les Pères dont le Christ est issu selon la chair, lui qui est le Dieu béni par-dessus tout pour les siècles.» 3. Ces Pères, ils eurent la prudence qui fait savoir les choses, la justice qui fait désirer de bien se conduire selon ce qu'on sait, la force qui rend capable d'accomplir le bien qu'on veut, la tempérance qui donne de tout accomplir avec discernement. Aussi convenait-il qu'on en énumère quatre. 7, 1. Le texte dit ensuite : «Ephratéen». On a déjà dit qu'il était de la montagne d'Éphraïm. Pourquoi ajouter qu'il est éphratéen ? Au sens littéral, la raison est claire : on peut être de la montagne d'Éphraïm, sans être né de la tribu d'Éphraïm. Le texte dit donc qu'il est éphratéen, pour indiquer qu'il n'est pas seulement de la région, mais qu'il descend aussi de la race. 2. Si, d'ailleurs, éphratéen signifie «fructueux», ce qualificatif s'applique bien à la personne du Rédempteur, dont un oracle prophétique a prédit : «Il sera comme un arbre planté au bord d'un cours d'eau, qui donnera son fruit en son temps.» De fait, lorsque le temps fixé d'avance fut accompli et qu'il fit son apparition, les fleurs de sa doctrine céleste fructifièrent et produisirent les élus, et tous les membres de la race humaine qu'il s'est unis sont devenus autant de fruits produits par lui pour l'éternité. 3. Tout en évoquant la vie du Rédempteur, ce passage suggère secrètement, en même temps, la perte du diable. Celui-ci était de la montagne d'Ephraïm, mais ne fut pas ephratéen. Tombé du ciel, il n'a pas pour autant en mauvais arbre qu'il était, donné de bons fruits. 8, 1. IL AVAIT DEUX ÉPOUSES, L'UNE NOMMÉE ANNE L'AUTRE PHÉNENNA. PHÉNENNA EUT DES FILS, MAIS ANNE N’AVAIT PAS D'ENFANTS. N'est-ce pas la Synagogue que désigne Phénenna ? N'est-ce pas la sainte Eglise que représente Anne ? On nous dit que Phénenna eut des fils parce que notre Rédempteur, quand il fit son apparition dans la chair, trouva des fils que la Synagogue avait mis au monde dans la foi, tant par la Loi qu'il avait donnée que par les prophètes qu’il avait envoyés. Anne au contraire n'avait pas d’enfants, parce que l'Église, alors toute jeune et unie depuis peu à son époux céleste, n'enfantait pas encore en prêchant. De là ce que lut dit la voix de cet époux dans le Cantique : «Notre soeur est toute petite, elle n'a pas encore de seins.» 2. A moins qu'on ne dise qu'elle n'avait pas d’enfants non par défaut d'âge, mais parce qu'elle resta inféconde et stérile. Cette stérilité d'Anne, n'est-ce pas l’endurcissement de la nation juive ? Faute de pouvoir convertir les coeurs durs des Juifs à la foi au Rédempteur, l'Église resta bel et bien stérile. 3. Notons cependant que, tout en présentant Phénenna comme la première qui eut des enfants, on la nomme comme épouse en second lieu. C'est que la Synagogue fut la première à mettre au monde des fils dans la foi mais resta inférieure en dignité à la sainte Église. Si donc elle occupe la seconde place comme épouse, ce n'est pas qu’elle se soit unie à l’époux plus tard, mais qu'elle n'a pas eu le même privilège. 9, 1. Suite du texte : CET HOMME MONTAIT DE SA CITÉ AUX JOURS FIXÉS, POUR ADORER ET IMMOLER AU SEIGNEUR DIEU DES ARMÉES À SILO. La cité spirituelle du Rédempteur, n'est-ce pas l'Ecriture sainte ? A ses citoyens, cette cité offre une foule de remparts pour leur défense : ses préceptes. Elle leur procure des armes à profusion : ses conseils salutaires. Quant à la montée de notre Rédempteur, n'a-t-elle pas consisté à révéler sa sublime divinité en prenant forme humaine ? Et puisque c'est dans l’Écriture sainte qu’il se fait connaître, on nous dit fort pertinemment qu’il montait de sa cité. 2. Les «jours fixés» sont les promesses à son sujet que renferment les saintes Écritures. Elles sont des jours, puisqu’elles éclairent les élus en le faisant connaître. Elles sont des jours fixés, puisque nous savons bien que les anciens Peres les ont consignées dans ces saints livres. Le jour de sa montée, Moïse le déterminait à l'avance, quand il disait : «Le Seigneur vous suscitera un prophète comme moi, pris parmi vos fils. Vous l'écouterez.» Il fixait aussi le jour, celui qui disait : «Le sceptre ne fera pas défaut à Juda, ni un chef à sa postérité, jusqu'à ce que vienne celui qui sera envoyé, et celui-ci sera l'attente des nations.» 3. Michée fixe le jour de sa montée en disant : «Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es pas la plus petite des princesses de Juda, car de toi sortira le chef qui régira mon peuple, Israël.» Et Isaïe dit de même : «Voici qu’une vierge va concevoir en son sein et enfanter un fils. On lui donnera le nom d'Emmanuel.» En effet, autant il y a de promesses de la Loi et des prophètes à son sujet, autant de jours fixés s'offrent à nos regards. 4. Oui, il montait en quelque sorte aux jours fixés, quand il disait aux Juifs : «Scrutez les Écritures, où vous pensez que vous avez la vie éternelle. Ce sont elles qui rendent témoignage à mon sujet.» De même, il dit encore : «Si vous croyiez en Moïse, peut-être croiriez vous aussi en moi, car il a écrit à mon sujet.» Il est donc monté aux jours fixés, puisqu'il a fait voir, en apparaissant, les traits caractéristiques qu’annonçaient ses promesses, inscrites dans les saintes Ecritures. 10, 1. On peut encore entendre ces «jours fixés» des miracles éclatants qui étaient promis pour le temps de sa venue. Ce sont ces jours qu'avait en vue le prophète Isaïe, quand il a dit : «Vous qui êtes abattus, prenez courage et ne craignez pas. Voici que notre Dieu apporte la vengeance bien méritée. Dieu lui-même va venir et nous sauver. Alors les yeux des aveugles s'ouvriront, et les oreilles des sourds entendront. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la langue des muets se déliera.» 2. Mais après avoir reconnu ces jours fixés pour la montée du Rédempteur, voyons s'il est effectivement monté ces jours-là. De fait, quand Jean lui demanda si c'était lui ou un autre qu'ils attendaient, il répondit en disant aux disciples qui lui avaient été envoyés : «Allez dire à Jean ce que vous avez vu et entend : les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les pauvres évangélisés. Et heureux pour qui je n’aurai pas été une occasion de chute !» Il est donc monté aux jours fixés, quand, pour chasser du coeur de ses élus les ténèbres de leurs vieilles erreurs, il a fait resplendir tant de miracles éclatants qu’il avait promis. 3. Cependant il est monté «pour adorer et immoler» : s'il a voulu se faire connaître, c'est pour racheter par sa mort ceux qu'il avait instruits par sa vie. Il a adoré : pour servir exemple aux élus, il s’est fait totalement humble et effacé en obéissant à Dieu son Père. Il s'est immolé : après nous avoir donné l'exemple de l'humilité dans sa vie, il s'est livré en offrande et en victime à Dieu le Père sur l’autel de la croix; après nous avoir instruits par sa vie, il nous a rachetés par sa mort. 4. Il savait en effet que l'un et l’autre nous était tout à fait nécessaire, et c’est pourquoi il ne nous a pas procuré l’un sans l'autre. Quand il quand il naquit à Bethléem de Juda, Hérode le rechercha traîtreusement pour le faire mourir. Mais si le Rédempteur à ce moment, il aurait immolé sans adorer : il se serait fait victime en mourant, mais sans avoir instruit par sa vie ceux qu’il devrait délivrer par sa mort. Et si, après nous avoir instruits en vivant, il avait dédaigné de mourir, il aurait adoré sans immoler. Pour adorer, il a donc fuit en Égypte le roi qui le persécutait, et pour immoler, il a repris Pierre qui l’en dissuadait : «Arrière, Satan, tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais des hommes. 5. Il se présente comme adorant quand il dit : «Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais celle de celui qui m’a envoyé», et encore : «Ce qu'il veut : voilà ce que je fais ~sans cesse.» 6. Il se présente comme immolant quand il dit : «Si mon Père m'aime, c'est que je donne ma vie, et de nouveau je la reprendrai. Personne ne me la prend, c'est moi qui la donne de moi-même. J'ai le pouvoir de la donner et de la reprendre. » Et un peu plus loin : «Je suis le bon pasteur : je donne ma vie pour mes brebis.» Paul avait en vue son immolation, quand il disait : «Il s'est livré à Dieu pour nous, en offrande et sacrifice d'agréable odeur.» 7. Il est donc monté pour adorer et immoler, car s’il s’est manifesté par tant de miracles, c'était pour nous instruire par la parole et par l'exemple, et pour triompher de notre mort en mourant. 11, 1. Notons-le cependant : quand on nous dit que l’Ephratéen montait pour immoler, le Dieu tout-puissant auquel il immolait reçoit le nom de «Dieu des armées». De ce langage, la raison n'est-elle pas que la mort du Rédempteur n'a pas racheté seulement le peuple juif, mais toutes les nations ? Les foules croyantes de toutes les races ne sont-elles pas, en effet, les armées du Dieu tout-puissant ? 2. Ce sont ces armées que le psalmiste invite à exulter du triomphe de leur roi, quand il dit : «Toutes les nations, battez des mains, faites monter votre jubilation vers Dieu dans un cri d'exultation.» De même, c'est leur rassemblement qu'il a en vue quand il dit : «Toutes les nations que tu as faites viendront t'adorer, Seigneur, et honorer ton nom.» 3. Voilà pourquoi on l'appelle «Seigneur des armées». C'est que la mort du Christ n'opère pas seulement la réunion des élus du judaïsme. Elle amène en outre toutes les nations à servir le Dieu tout-puissant. Et en formant des lignes de bataille puissantes contre leurs invisibles ennemis, ces nations croyantes parviennent, par de glorieux triomphes, au royaume des cieux. 12, 1. Le lieu de l'immolation est également indiqué par le texte : «A Silo». Silo signifie en effet «envoyé» ou «envoi en mission». Cette mission ne représente-elle pas l'ordre d'obéir que le Père céleste a donné au Fils unique ? Dès lors, dire qu'il immolait à Silo, n'est-ce pas faire entendre qu'il s'est livré à la mort exactement comme le Père le lui avait commandé ? Ce n'est pas à Silo qu'il aurait immolé, s'il était mort autrement qu'il en avait reçu l’ordre du Père. 2. C'est ce qui lui fait dire lui-même : «Comme mon Père m'en a donné l'ordre, c'est ainsi que j’agis.» Et Paul dit à son tour : «Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort de la croix.» Il a donc adoré et immolé à Silo, puisque, tant par sa vie que par sa mort, il a fait la volonté de son Père. 13, 1. Suite du texte : IL Y AVAIT LA LES DEUX FILS D'HÉLI, OPHNI ET PHINÉES, PRÊTRES DU SEIGNEUR. On peut à bon droit se demander pourquoi ils reçoivent le titre de prêtres du Seigneur, alors qu'ils seront présentés un peu plus loin comme des fils de Bélial. 1. Si l'on pose simplement au sens littéral cette question concernant les fils d'Héli, la réponse est aisée : on les appelait prêtres du Seigneur, en un temps où les prêtres des idoles recevaient leurs noms des faux dieux. En les appelant prêtres du Seigneur, on les distingue donc des ministres du culte idolâtre, en considération de la foi qu’ils professaient. L'expression se réfère en effet à leur foi, non à leur vie. Tout en agissant mal, ils ne s'écartaient pas de la foi en leur Créateur. 3. Cependant cela s'applique bien aussi aux autorités suprêmes de la nation juive, à l'époque où Dieu s’est incarné. L'histoire rapporte en effet qu'il y avait deux grands prêtres, et cela n'insinue pas qu'ils étaient vertueux et dignes d'éloge, mais qu'ils étaient fourbes et répréhensibles. De là les menaces que leur lance le Seigneur lui-même : «Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, car vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui sont beaux à voir au-dehors, mais au-dedans pleins d’ossements morts.» 14, 1. Mais pourquoi dire qu'ils sont en ce lieu ? Si, en effet, Silo, c'est-à-dire «la mission», signifie l'ordre du Père céleste, comment les chefs de la nation juive étaient-ils en ce lieu, eux qui, loin de recevoir et de vénérer l'envoyé en mission, le chassèrent et le firent périr ? 2. Et pourtant, ils y étaient, car en déchaînant leur cruauté et en faisant mourir le Seigneur, ils ne sont pas arrivés par cette cruauté à la fin qu'ils se proposaient en la déchaînant, mais ont exécuté le dessein du Père éternel au sujet de la mort de son Fils seul-engendré. Leur dessein à eux était de le mettre à mort, pour empêcher le peuple de croire en lui. Mais lui, qui trouvait en ses persécuteurs des auxiliaires pour exécuter l'ordre de son Père, il est ressuscité des morts, et le monde entier a cru en lui. 3. Oui, les fils d'Héli, Ophni et Phinées, étaient bien là dans la mission, puisque notre Rédempteur a trouvé dans les chefs des Juifs une aide pour accomplir la volonté de son Père, bien, qu'ils fussent à cent lieues de croire qu’ils l’aidaient en n’hésitant pas à le tuer. 15, 1. Aussi le texte poursuit-il : VINT UN JOUR OÙ ELQANA IMMOLA ET DONNA DES PARTS À PHÉNENNA ET À SES FlLS ET FILLES. Quel est ce jour, pour nous qui croyons, sinon celui qu’en un passage de l'Écriture sainte Isaïe a fixé par ces mots : «Comme une brebis on le conduira à la mort, et comme un agneau qui reste muet devant le tondeur, il n'ouvrira pas la bouche ?» Le jour vint, quand se découvrit le temps de la passion du Seigneur, clairement promise par l'oracle. C'est alors qu'Elqana immola : notre Rédempteur s'offrit à son Père éternel en sacrifice pour notre pardon, par sa mort sur la croix. 2. Alors aussi, il donna des parts à Phénenna et à ses fils a filles : les élus de la nation juive, qu'il trouva aux enfers il les amena aux joies du paradis. Leurs parts, ce sont en effet les joies sans fin qui leur sont données. C'est ce qui faisait dire au psalmiste, quand il choisissait le lieu qui serait son lot : «Ma part, Seigneur, qu'elle soit dans la terre des vivants !» 3. Et il convenait que Phénenna, ses fils et ses filles soient mentionnés séparément dans cette distribution des parts. Phénenna représente en effet les maîtres de la nation juive; les fils, ses auditeurs les plus forts; les filles, ses sujets plus faibles. La mère les fils et les filles, sont donc nommés séparément, parce que les élus du temps passé n’avaient pas tous les mêmes mérites et ne reçurent pas tous la même récompense. 16, 1. Le texte poursuit : MAIS À ANNE IL DONNA UNE SEULE PART, ET IL EN FUT TRISTE CAR IL AIMAIT ANNE. Pourquoi, quand il donnait des parts à Phénenna et à ses fis et filles, ne dit-on pas qu'il était triste, et quand il remit une seule part à Anne, note-t-on qu'il en fut attristé ? 2. Cette part unique d’Anne, v’est-ce pas l’affliction temporelle de la sainte Église ? C’est cette part qu’il lui donnait, quand il disait : «Amen, amen, je vous le dis, vous pleurerez et vous vous lamenterez. Le monde se réjouira, mais vous serez dans la tristesse.» C'est cette part qu’il lui donnait, quand il recommandait Paul à Ananie en disant : «Va, car cet homme est pour moi un instrument de choix. Il portera mon Nom devant les nations et les rois et les fils d’Israël. Car je lui ferai voir tout ce qu’il devra endurer pour mon Nom.» 3. De là, les fières paroles de ce maître éminent, quand il recevait sa part : «Je complète en mon corps ce qui manque à la passion du Christ.» Et il disait encore : «Ce sont les stigmates du Christ que je porte sur mon corps.» Et de même : «Quant à moi, je ne veux mettre ma fierté en rien d'autre que la croix de mon Seigneur Jésus Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde.» Il avait reçu de l'Époux une seule part, cet homme qui décidait de n'avoir d'autre fierté que la croix. 4· En donnant des partS à Phénenna, Elqana n’était donc pas triste, car notre Rédempteur fut heureux, après sa mort triomphale, de ramener les élus de la Synagogue aux joies du paradis. Mais à Anne il donna une part avec tristesse, car il lui était impossible de ne pas éprouver de compassion pour celui qu'il laissait marié à la mort et héritier de la croix. Voilà pourquoi, quand Étienne souffre son martyre, on nous dit que les cieux s'ouvrent et que Jésus apparaît debout. En se tenant debout, il montre qu’il compatit. 17, 1. La proposition suivante : «Car il aimait Anne» peut s'entendre de façon satisfaisante comme énonçant la cause d'un fait ou de l'autre. Que l'on comprenne, en effet, qu'il était triste parce qu'il aimait Anne, ou qu'il lui donna une seule part pour cette raison, on obtient un sens acceptable. Car s'il ne l'aimait pas, il ne voudrait pas compatir à ses souffrances. 2. Pourquoi, d'autre part, la tirer d'Égypte, sinon pour l’inviter à souffrir ? Mais il lui promet une terre où ruissellent le lait et le miel. Il est donc bien à propos, au moment où l'on dit qu'il lui donna une seule part, de noter qu'il l'aimait. De toute évidence, notre Rédempteur, en remmenant à la sainte Eglise sa croix douloureuse, lui réservait au ciel des dons et des récompenses bien plus précieux. 18, 1. De cette passion le texte dévoile les circonstances aggravantes en ajoutant : LE SEIGNEUR AVAIT FERMÉ SON SEIN. EN OUTRE, SA RIVALE L’AFFLIGEAIT ET LA TOURMENTAIT CRUELLEMENT, TANT ET SI BIEN QU’ELLE LUI FAISAIT HONTE DE CE QUE LE SEIGNEUR AVAIT FERMÉ SON SEIN. Oui le Seigneur ferma le sein de la sainte Église : rejeté par un jugement suprême du seigneur, le peuple juif ne put être engendré par elle à la foi en notre Rédempteur. 2. Sa rivale l'affligea : la Synagogue se déchaîna contre elle, la menaçant et lui faisant honte. Bien plus, ne pouvant la briser par les menaces et les outrages, elle lui infligeait peines et tortures. Le texte a raison de dire que non seulement elle l’affligeait, maie elle la tourmentait cruellement, car la nation Juive rejetée dans son action contre la sainte Église, joignit aux menaces qui épouvantent les sévices qui meurtrissent. 3. Témoin ce que les Actes des Apôtres disent de Saul, qui était alors parmi les persécuteurs : «Saül, ne respirant encore que menaces et sévices contre les disciples du Seigneur, alla trouver les grands prêtres et leur demanda une lettre l’accréditant à Damas : tout, ce qu'il y trouverait d’hommes et de femmes appartenant à cette secte, il devait les mettre aux fers et les amener à Jérusalem.» Il ne respirait que menaces et sévices : autant dire que, dans sa mauvais jalousie envers l’Église, il ne se contentait pas de l’affliger, mais lui infligeait encore des tourments. Qu'il en ait été jaloux, il l’avoue lui-même : «Vous avez entendu parler de ma conduite passée dans le judaïsme : je persécutais et combattais à outrance l'Église de Dieu et j'étais plus engagé dans le judaïsme que beaucoup d'hommes de ma génération, tant je gardais jalousement les traditions de mes pères.» 4. Si profond est l'abîme de damnation où la nation juive est tombée, qu'il lui vient de la joie de l’éternelle réprobation par laquelle Dieu la rejette. Aussi le texte aoute-t-il : «Tant et si bien qu'elle lui faisait honte de ce que le Seigneur avait fermé son sein.» Pour comble, elle se félicite de ne pouvoir se convertir à la foi. Comme si, étonné d’un aveuglement aussi monstrueux, le prophète disait : «Si épaisses sont les ténèbres et l'aberration où elle est enfoncée, qu’elle tourne en insulte contre les gens de bien l’incapacité où elle se trouve elle-même de devenir bonne.» 19, 1. Sa perte émeut de compassion la sainte Église Aussi le texte poursuit-il : ANNE EN PLEURAIT. De fait, elle fait entendre sa lamentation douloureuse dans ce mot : «Grande est ma tristesse, continuelle la douleur que j’ai au cœur. Je voudrais être anathème séparé du Christ, à la place de mes frères, qui sont mes parents selon la chair.» 20, 1. Elle n'a pas eu la joie de les voir se convertir. D’où la suite : ET ELLE NE PRENAIT PAS DE NOURRITURE. Prendre de la nourriture, c'est ce qu'elle aurait fait si la conversion de toute la nation juive lui avait procuré un joyeux repas. Elle pleura donc et ne prit pas de nourriture : douleur de voir périr la nation juive, privation du bonheur le la voir sauvée. 2. Mais cet aliment de sa joie, que la sainte Église ne reçoit, pas de la conversion des Juifs, lui est donné par l’exhortation que lui adresse son époux. Car, si le message qu'elle proclame n'est pas reçu par des auditeurs réprouvés, il ne lui en vaut pas moins une récompense bien méritée. En effet, le Dieu tout-puissant lui revaut la peine prise par elle pour des réprouvés qui n'en profitent pas et les balances de sa justice pèsent exactement ce que les élus qui leur prêchent méritent de recevoir en récompense pour les mauvais traitements qu'ils leur infligent. 21, 1. En conséquence, le texte poursuit très naturellement : ELQANA, SON MARI, LUI DIT DONC : ANNE, POURQUOI PLEURES-TU ? POUR QUELLE RAISON NE MANGES-TU PAS? DE QUOI TON COEUR S’AFFLIGE-T-IL ? EST-CE QUE, POUR TOI, JE NE VAUX PAS MIEUX QUE DIX FILS ? C'est comme si, entrant dans son âme par une inspiration consolante le Rédempteur disait à celui qui enseigne : «Tu as tort de te plaindre, comme si tu avais perdu ta peine en prêchant. La récompense que tu en reçois est d'autant plus grande que tu témoignes des sentiments de charité même à tes ennemis. Au lieu d'en éprouver de la tristesse, c'est de la joie que tu devrais en ressentir.» 2. La récompense de ses élus, c'est lui-même. Aussi pose-t-il cette question : «Est-ce que, pour toi, je ne vaux pas mieux que dix fils ?» Anne aurait mis au monde dix fils si l'Eglise primitive avait enfanté à la foi le peuple juif, soumis aux dix commandements de la loi. Il arrive d’ailleurs qu'on fasse du bien aux autres en leur prêchant, tout en déplaisant fort au Créateur à d'autres égards. Aussi le texte note-t-il très justement que le mari d'Anne vaut pour elle plus que dix fils. 3. Quand son mari lui demande pourquoi elle pleure, on peut encore voir la la perte de la nation juive. Comme si on disait : «C'est en vain que tu la pleures, puisque la prière des justes ne lui obtient pas le pardon.» Et quand son homme lui demande ensuite : «Pourquoi ne manges-tu pas ?», elle est invitée à mettre sa joie dans la conversion des païens. Comme si on disait : «Tu vas donner naissance à l'univers entier. Tu as donc tort de n'avoir point de joie, parce que la nation rejetée n abandonne pas les ténèbres de son égarement.». 22, 1. Le texte continue : ANNE SE LEVA DONC, APRÈS AVOIR MANGÉ ET BU À SILO. LE PRÊTRE HÉLI ÉTAlT ASSIS SUR SON SIÈGE DEVANT LES JAMBAGES DE LA PORTE DU TEMPLE DU SEIGNEUR. L'ÂME PLEINE D'AMERTUME, ELLE PRIA LE SEIGNEUR EN PLEURANT ABONDAMMENT, ET ELLE FIT UN VOEU. 2. Manger : de quoi s'agissait-il alors pour la sainte Église, sinon de prendre la nourriture du réconfort comme Dieu l'y exhortait ? Et boire, n'était-ce pas se réjouir de la douce consolation intérieure qui coulait en elle ? La nourriture donne des forces, mais la boisson rend gai. Nous prenons donc de la nourriture, quand la vue des récompenses éternelles nous fortifie au milieu des adversités. Et nous buvons, en quelque sorte, après avoir mangé : quand l'âme de l'élu s'affermit dans l'espérance des biens éternels, la joie qu'elle éprouve au milieu de grandes adversités est d’autant, plus intense qu'elle voit de plus belles récompenses préparées au ciel pour ses grandes adversités. Alors, rendue audacieuse par le repas qui lui vient d’en haut, elle prend de nouvelles forces, et celles-ci lui fait mépriser les choses de la terre avec d'autant plus de vigueur que l'amour des biens du ciel l'emporte plus haut. 3. Il convenait donc qu'Anne, après avoir mangé et bu, se levât, comme on nous le dit. Car elle se leva, de fait, en renouvelant son propos de prêcher sans relâche. 23, 1. En ce temps-là, le peuple juif avait encore ses rires sacrificiels, l'honneur du magistère de la Loi et la sublime dignité du pontificat. Aussi nous dit-on que le prêtre Héli était assis sur son siège. Mais il ne pouvait exercer ce magistère de la Loi que charnellement, non spirituellement. Aussi siégeait-il devant les jambages de la porte du temple, non à l'intérieur. 2. Le temple du Seigneur, n'est-ce pas, en effet, l’intelligence spirituelle des saintes Écritures ? Quant aux jambages de la porte du temple, ce sont la Loi et les prophètes. C'est pourquoi le Seigneur transfiguré sur la montagne apparut entre Moïse et Élie : pour voir resplendir sa divinité, il faut chercher son mystère, non dans la lettre qui tue, mais dans la Loi et les prophètes pris au sens spirituel. 3. Héli siégeait donc devant les jambages de la porte du temple, c'est-à-dire au-dehors, parce que les maîtres de la Synagogue étaient exclus de l'intelligence spirituelle des Écritures, tout en ayant, au bénéfice du peuple qui leur était soumis, le pouvoir d'enseigner et les honneurs de l'autorité. 24, 1. Quant à Anne, on la représente pleurant dans l'amertume de son âme. Lorsque Anne buvait, nous avons rapporté ce trait à la joie de la sainte Église. Mais alors, comment cette femme, qu'on nous montrait joyeuse, pleure-t-elle, selon le récit, dans l'amertume de son âme ? 2. Une explication raisonnable : en contemplant les récompenses célestes, elle avait été transportée de joie; en compatissant au rejet de la nation juive, elle fut accablée au point d'en avoir l'âme amère. Prise dans le tourbillon d’une grande persécution, elle connut par révélation sa céleste récompense et en exulta. Mais elle tomba dans l’amertume, en voyant périr le peuple jadis élu. 3. C'est pourquoi on nous la montre pleurant abondamment au cours de sa prière : en se montrant si affectée, elle pourrait obtenir du Seigneur le salut de son peuple. 25, 1. Mais tout cela peut être compris autrement. Elle mangea à Silo, c'est-à-dire en accomplissant le service pour lequel elle était envoyée, car, si elle ne put gagner le peuple des Juifs en son entier, elle en convertit tout de même un certain nombre, par sa prédication, à la foi au Rédempteur. Un jour, la prédication de Pierre obtint l'adhésion de cinq mille croyants, une autre fois, celle de trois mille. 2. Et comme il est plus facile d'avaler la boisson que la nourriture, Anne, mangea et but : sous l'effet de sa prédication, la conversion des uns fut difficile, celle des autres facile. Pierre, nous venons de le dire, n'eut qu'à prêcher, et des milliers se convertirent sur le champ, mais Paul ne se convertit qu'après avoir opposé aux prêcheurs une vive résistance, assortie de menaces et de violences. 5. Enfin, après avoir mangé et bu à Silo, Anne se leva : quand elle eut arraché à la nation juive ceux qui étaient prédestinés à la vie éternelle, elle se prépara à prêcher aux païens. 26, 1. Qui voulait-elle donc mettre au monde ? On le voit dans la phrase qui suit : ELLE FIT UN VOEU : SEIGNEUR DES ARMÉES, SI TON REGARD SE POSE SUR L'AFFLICTION DE TA SERVANTE, SI TU TE SOUVIENS DE MOI, SI TU NE M'OUBLIES PAS, SI TU DONNES À TON ESCLAVE UN ENFANT MÂLE, JE LE DONNERAI AU SEIGNEUR TOUS LES JOURS DE SA VIE, ET LE RASOIR NE PASSERA PAS SUR SA TÊTE. Anne demande au Seigneur un enfant mâle : qu'est-ce à dire ? Les enfants que la sainte Église désire mettre au monde en prêchant, elle voudrait que la perfection évangélique les rende forts. 2. Comparées à la perfection évangélique, les oeuvres de la Loi, qui passaient pour fortes, n'étaient pas fortes mais faibles. ll y était prescrit, en effet : «Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi»; dans l'Évangile, le Seigneur nous donne ce commandement : «Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent.» La Loi retire du corps l'impureté de la luxure; produisant, à la façon d'un enfant mâle, une vertu plus forte, l’Évangile retranche du coeur lui-même la pensée impure : «Celui qui regarde une femme pour satisfaire son désir, il commet déjà l'adultère avec elle en son coeur.» 3. En donnant naissance au peuple juif, soumis à des commandements sans force, la Synagogue n'a donc pas mis au monde un enfant mâle, mais une fille. Quand Anne, au contraire, demande au Seigneur de lui donner un enfant mâle, que la voyons-nous souhaiter, sinon de donner le jour à des hommes qui, grâce à l'Évangile, se montreront forts, aussi bien au dehors, par la pureté de leur corps, qu'au dedans, par la charité ? 27, 1. En outre, pour marquer que la classe des prêcheurs ne cherchait aucune gloire humaine en convertissant les païens, le texte ajoute : «Je le donnerai au Seigneur tous les jours de sa vie.» Donner son fils au Seigneur, c’est ne tirer pour soi aucun honneur de celui qu'on engendre en prêchant. 2. Et le donner au Seigneur tous les jours de sa vie, c’est ne s’attribuer aucun mérite des progrès que le sujet accomplit dans les vertus en devenant meilleur. Les jours de la vie de ce sujet élu, ce sont en effet les saintes vertus dont l'éclat fait resplendir son âme, en l'empêchant de s'enfoncer, sur la voie de la patrie céleste, dans la nuit des vices. 28, 1. Mais la classe irréprochable. des prêcheurs, méprisant l’estime que pourraient lui valoir les succès de sa prédication, ne convoite ni n'enlève les biens temporels des sujets. D'où la phrase qui suit fort à propos : «Et le rasoir ne passera pas sur sa tête.» En passant sur la tête, le rasoir rase les cheveux. Les cheveux, superfétation du corps, ne signifient-ils pas l'opulence des biens terrestres ? Et le rasoir ne représente-t-il pas l'avarice des mauvais pasteurs ? Ce rasoir rase la tête du fils qu'on a mis au monde quand les prêcheurs s’emparent avidement des biens de leurs sujets. 2. De là, le mot du prophète à la nation juive pécheresse : «Tes pasteurs sont des loups le soir; ils ne laissent rien le matin.» Oui, les pasteurs deviennent des loups le soir : tandis que ce monde s’obscurcit et va vers sa fin., ils ne craignent pas de faire main basse sur les biens de leurs sujets. Au matin, ils ne laissent rien : tournant tout leur appétit vers les biens qui passent, ils ne se réservent aucune récompense, à l’heure où commence à poindre l’avènement de celui qui va les juger. 3. Ce sont bien ceux-là que Michée stigmatise en disant : «Prophètes qui trompent mon peuple, qui mordent à belles dents et annoncent la paix. Si quelqu’un ne leur met rien dans la bouche, ils proclament contre lui la guerre sainte.» Les prophètes trompent le peuple du Seigneur, quand les prêcheurs réprouvés jugent leurs auditeurs au rebours de leur vrai mérite. Tout en mordant à belles dents, ils annoncent la paix : avides et rapaces comme ils sont, ils acceptent les dons matériels que leur font les plus grands pécheurs, et ils les rassurent en leur promettant le pardon de Dieu. Au contraire, ils proclament la guerre sainte contre ceux qui ne leur mettent rien dans la bouche : aux justes qui ne leur fournissent pas les biens matériels qu’ils désirent, ils font peur en fulminant des sentences sévères. 4. Oui, ces gens-là font passer le rasoir sur al tête de leur fils, en prêchant sous une apparence de charité les biens du ciel, pour soutirer aux auditeurs ceux de la terre, qui satisferont leur convoitise. Ce rasoir, la sainte Église n’en use pas pour dépouiller ses sujets, comme le docteur incomparable le montre en sa propre personne, quand il dit : «Je ne cherche pas un don; je cherche le fruit.» Et il dit encore : «Qui annonce l'Evangile doit vivre de l’Évangile. Mais moi, je n’ai pas usé de ce droit.» En s’abstenant des de se faire donner par ses sujets la nourriture dont il avait besoin, il a montré clairement combien son mépris du monde le mettait au-dessus de ces profits honteux et du dons de mauvais aloi. 5. En promettant par voeu que le rasoir ne passerait pas sur la tête de son fils, Anne met en lumière le comportement de la sainte Église : par sa parole, celle-ci enfante les élus à la vie éternelle, mais jamais l'avarice ne lui fait prendre leurs biens temporels. 29, 1. Cependant Anne en est encore à faire son voeu, bien avant d’enfanter. Aussi le texte continue-t-il, de façon fort appropriée : IL ADVINT DONC, TANDIS QU'ELLE MULTIPLIAIT SES PRIÈRES DEVANT LE SEIGNEUR, QU'HÉLI OBSERVAIT SA BOUCHE. La sainte Eglise multipliant ses prières devant le Seigneur pour avoir un enfant : qu'est-ce à dire, sinon qu’elle s’adonnait à de continuelles oraisons pour la conversation de la Synagogue ? Et le sacerdoce juif observant sa bouche, n'est-ce pas la guerre insidieuse qu'il a faite à la prédication de la sainte Eglise ? Oui, il observait sa bouche, car il s’acharnait à blâmer la prédication de la vraie foi. 2. D'autre part, il est fort juste de dire qu'il observait sa bouche au moment ou elle multipliait ses prières. En effet il mit d’autant plus d'astuce dans ses efforts pour lui faire du plus grands désirs, en voyant son ardeur à prêcher. D'ailleurs, il n’aurait pas observé» sa bouche, mais y aurait «fait attention», s’il avait voulu écouter la prédication de notre foi de manière à en tirer profit et à se sauver. 30, 1. Suite du texte : ANNE, CEPENDANT, PARLAIT DANS SON COEUR, EN REMUANT SEULEMENT LES LÈVRES SANS FAIRE ENTENDRE LE MOINDRE SON DE VOIX. Le coeur de la sainte Eglise, n'est-ce pas le bonheur des croyants, plein de dévotion et de religieuse instruction, qu'elle porte en son sein ? Anne parlait dans son coeur, c'est-à-dire que la prédication de la sainte Eglise n'a profité qu'à ceux que Dieu prédestinait à être illuminés de la vraie lumière. 2. Quant au mouvement de ses lèvres, n'est-ce pas le déploiement des miracles opérés par les saints qui prêchent ? En tant que lèvres qui parlaient, ils paraissaient se tenir dehors et au bas des marches, mais quand ils rendaient la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, la vie aux morts, leurs mérites se déployaient à la façon de grands mouvements. Ainsi, celui qui fut une lèvre insigne de la sainte Église se tenait apparemment au bas des marches quand il parlait, mais à cette humilité de son langage et de sa vie se joignait le pouvoir sublime de faire des miracles, et en vertu de ce mouvement il s'élevait jusqu'au ciel, de sorte qu’il pouvait dire : «Pour nous, notre vie est dans les cieux.» 3. Héli voyait donc seulement les lèvres d'Anne qui remuaient, sans entendre aucun son de sa voix, c’est-à-dire que le sacerdoce juif admirait les oeuvres des apôtres, mais ne reçut de leur prédication aucune impulsion à faire son salut. La voix d'Anne restait inaudible, car si la sainte Église méritait d'être admirée pour les miracles qu'elle déployait, elle ne communiqua pourtant pas à ceux qui restaient en dehors d'elle, en prêchant son message, l'amour dont elle brûlait pour le Rédempteur. 31, 1. Mais que pensa d'elle Héli, tout en ne la comprenant pas ? Voyons la suite : HÉLI CRUT DONC QU’ELLE ÉTAIT IVRE. C'est ce qui est arrivé même au plan historique, nous le savons par les Actes : le jour de la Pentecôte, les saints Apôtres passèrent pour s'être enivrés, quand ils reçurent l'Esprit saint en plénitude et se mirent à magnifier le Christ dans toutes les langues. Mais au plan spirituel, la sainte Église passe aussi pour ivre auprès du peuple juif, aux yeux duquel ce qu'elle affirme n'est pas vrai, ce qu’elle prêche n'est qu'hérésie et fausseté. Cependant son ivresse ne venait pas d'erreurs qu'elle eût avalées, mais de l’Esprit saint qui l'avait remplie. 2. L'ivresse a pour effet de changer le coeur et d’égarer l’esprit. Il avait l'esprit égaré, celui qui, peu après avoir pénétré dans les maisons, effrayé les fidèles de ses menaces, exercé contre eux de cruels sévices, s'en allait proclamant que ce Jésus qu'il avait persécuté était le vrai fils du Dieu tout-puissant. Il se vantait d'avoir perdu ses folles pensées d'antan, et il disait : «J'ai été jadis un blasphémateur et un persécuteur. Mais j'ai obtenu miséricorde, parce que j’avais agi sans savoir ce que je faisais.» Il témoigne encore d’avoir reçu un coeur nouveau, quand il dit : «Mais nous, nous avons la pensée du Christ.» De là, l'intensité de sa prédication : elle était en proportion du grand amour qu’il puisait dans la pensée du Christ. 32, 1. Mais l'ardent amour de la sainte Eglise, sa prédication intrépide de ce qu'elle aimait, lui valut de la part du sacerdoce juif le contraire d'un accueil suave et dévôt : il prit mal ses propos et s'en impatienta. D'où la suite : IL LUI DIT : JUSQUES A QUAND SERAS-TU IVRE ? 2. Et pour essayer de lui imposer silence, il ajouta : CUVE UN PEU TON VIN. TU EN AS TROP BU. Le vin dont elle avait trop bu, Anne l'aurait cuvé, si la sainte Église, cédant aux menaces des Juifs, avait refroidi son zèle et mis moins de ferveur à prêcher. Et comme ils cherchaient à lui retirer peu à peu le message qu'elle prêchait, Anne reçoit l’ordre de cuver «un peu» son vin. 3. N'était-ce pas Héli qui ordonnait à Anne de cuver son vin, quand les chefs des Juifs firent fouetter, les apôtres et leur intimèrent l'ordre de ne plus parler au nom de Jésus ? Mais eux, refusant de cuver le vin dont ils avaient trop bu, firent cette réponse : «Il nous faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes», et encore : «Ce que nous avons vu et entendu, il nous est impossible de ne pas le dire.» 33, 1. Mais tout en parlant librement, la sainte Église gardait la vertu de douceur. Aussi le texte poursuit-il : NON, MON SEIGNEUR, DIT-ELLE. Elle appela «seigneur» celui dont elle se faisait la servante en prêchant. Mais tout am l'appelant «seigneur», elle nie qu'elle soit ivre. Ainsi se soumet-elle à la hiérarchie par humilité, et rejette-t-elle le reproche non fondé par souci de vérité. En l’appelant «seigneur», elle lui rendit hommage, et en niant qu'elle fût ivre, elle montra avec beaucoup d'humilité qu'elle ne l’était pas. 2. Cependant le reproche d'ivresse adressé à la sainte Eglise peut s'entendre autrement. Comme elle s’adonnait au ministère de la prédication évangélique, comme elle gagnait des adeptes et s'attirait une grande gloire parmi les peuples, les prêtres juifs ne pensaient pas qu'elle désirât les biens suprêmes, ceux de l'éternité, mais seulement la gloire d’être grande ici-bas. Dire qu'elle est ivre, c'est donc lui reprocher l'égarement d'esprit qui consiste à négliger les biens du ciel pour rechercher ceux de la terre. 34, 1. Mais elle n'avait que mépris pour les biens passagers du monde, et elle dit : NON, MON SEIGNEUR, CE QUE JE SUIS, C'EST UNE FEMME TRÈS MALHEUREUSE. Comme pour dire : «Tu crois que je cherche le bonheur de ce monde qui passe, mais en réalité, je me vois d’autant plus malheureuse que les joies qui font mon bonheur m'apparaissent plus éloignées d'ici-bas. C'est dans l’au-delà que je serai heureuse, je le crois, de sorte que je me tiens pour fort malheureuse ici-bas, car je n'y désire rien pour sa gloire.» 2. La sainte Église est appelée «femme» à cause de sa fécondité, «très malheureuse» à cause de sa force. En effet, elle allait enfanter le monde par sa parole, et elle n'aurait pu mépriser si parfaitement la gloire du monde, si un amour tendu vers le ciel ne lui avait donné une force étonnante. Ou bien elle fut très malheureuse, parce que la perte de son peuple la fit beaucoup souffrir. Le sage Salomon a dit sa grande admiration pour elle : «Une femme forte où la trouver ?» Notons encore que, dans cette phrase, elle ne dit pas : «Je suis une femme malheureuse», mais : «Très malheureuse». Très malheureuse, en effet, puisqu'elle n'avait de goût pour aucun plaisir du monde. 3. Ou bien encore elle se déclare, très malheureuse parce qu’elle se souvient d'avoir été exclue des vies de la vie éternelle à cause de la faute originelle, et qu’elle ne peut y revenir que par les multiples tribulations de la vie présente. Car elle ne serait pas très malheureuse, si elle pouvait revenir aux joies du paradis perdu sans subir de tribulations ici-bas. Ce grand malheur qui la fait souffrir, Paul en montre le caractère inévitable quand il dit : «C'est par des multiples tribulations qu’il nous f aut entrer dans royaume de Dieu.» 4. Aux critiques du sacerdoce juif, la sainte Eglise paraît donc répondre ainsi : «Tu imagines que mon règne consiste dans un bonheur temporel. Ên réalité, il est ailleurs, et l’on n’y parvient que par les souffrances d’une grande tribulation.» 35, 1. Le texte poursuit : JE N'AI, PAS BU DE VIN, NI D’AUCUNE BOISSON ENIVRANTE. Elle n’a pas bu de vin, car elle n'a attendu de son office de prédication aucun avantage temporel. Elle n'a bu d'aucune autre boisson enivrante : aucune convoitise de la chair ne l’a renversée et précipitée dans le vice. 2. Dans la ligne de la phrase précédente, d'autre part, elle n’a pas du du vin, du fait qu’elle n'a rien absorbé qui sentit l’erreur et l’hérésie. Quant à boire un autre breuvage enivrant, elle l’aurait fait si elle s’était laissé griser par ses beaux discours et en avait conçu de l’orgueil. 36, 1. Au contraire, c’est avec une intention droite qu'elle a enseigné la vérité. D'où ces mots qu'elle ajoute : MAIS J'Al RÉPANDU MON ÂME EN PRÉSENCE DU SEIGNEUR. Répandre son âme en présence du Seigneur, c'est, après avoir conçu en son esprit la connaissance de la parole de Dieu, la prêcher pour l'amour du Créateur et de lui seul. L'âme se répand, quand l'intelligence de la parole de Dieu qui l'habite se communique pour le bien des auditeurs. Quiconque, en effet, prêche la parole de Dieu pour gagner la faveur des hommes ou obtenir un avantage terrestre, attend de la prédication quelque chose qui lui est étranger : il ne profère pas cette parole de l'âme en présence du Seigneur. 2. De là, la protestation du docteur des gentils : «Nous ne sommes pas comme beaucoup, qui corrompent la parole de Dieu. Nous parlons d'un coeur sincère, nous disons ce qui vient de Dieu, et nous le disons devant Dieu, dans le Christ.» Anne a donc répandu son âme en présence du Seigneur : la sainte Église, qui possède en perfection toutes les vertus, a proféré de grands discours pour instruire les fidèles, mais en prononçant ces paroles de vie, elle n'a rien désiré d'autre que de plaire à Dieu. 37, 1 . Ce ministère de prédication, elle le fait encore vouloir en disant : NE CONSIDÈRE PAS TA SERVANTE COMME UNE FLLE DE BÉLIAL, CAR C'EST MA GRANDE DOULEUR ET LA GRANDE PEINE QUI M'ONT FAIT PARLER JUSQU'A PRÉSENT. En d'autres termes : «Celle qui te parle des biens de la vie éternelle ne mérite pas que tu la méprises comme une idolâtre.» Elle se déclare aussi sa servante, pour que ce qui suggère un ministère, lui fasse entendre qu’elle veut se mettre à son service pour lui obtenir le salut éternel. 2. Le texte continue . «Car c’est douleur et ma grande peine qui m’ont fait payer jusqu’à présent.» En clair, cela veut dire : «Je n’ai rien de l’esprit du mal. Reconnais-le à ceci : c’est sous les coups redoublés de la persécution que je viens de parler. Aucun de ces coups ne me fait céder et renoncer à ma prédication inlassable.» 3. La douleur d’Anne, nous pouvons aussi la mettre en rapport avec les sentiments de la sainte Église, et sa peine avec les souffrances de celle-ci. C’est sa grande douleur qui fit parler l'Église quand, mue par un sentiment de compassion, elle adressa la parole de sa prédication au peuple juif qui allait se perdre. Paul le donne à entendre en disant : «Je dis la vérité en Christ je ne mens pas, ma conscience m’en rend témoignage dans l’esprit saint : une grande tristesse m’étreint, une douleur incessante me serre le cœur. Je voudrais être anathème, séparé du Christ, pour mes frères qui sont mes parents selon la chair, pour les Israélites.» 4. Il laisse donc voir qu’une grande douleur le fait parler. Et qu’une grande peine aussi le fasse parler, il le dit ailleurs : «Cinq fois j’ai reçu des Juifs les trente-neuf coups, trois fois j’ai été battu de verges, une fois j’ai subi la lapidation.» 38, 1. Cependant la sainte Église, par sa patience à supporter les adversités, par l’humilité avec laquelle elle faisait voir son innocence et sa véracité, a convaincu certains prêtres juifs que la parole qu’elle prêchait était bonne. D’où la suite : ALORS HËLI LUI DIT : VA EN PAIX. QUE LE DIEU D'lSRAÊL T’ACCORDE CE QUE TU LUI AS DEMANDÉ. 2. Héli a donc commencé par s’opposer à Anne en prière, en lui lançant des injures, mais ensuite il a approuvé sa dévotion. Qu'est-ce à dire ? En certains de ses ministres, le sacerdoce juif s’est dressé contra la prédication de l'Eglise, en d'autres il a fini par reconnaître la vérité de notre foi et lui donner son adhésion. Ceux qui se sont dressés contre elle, on nous les montre intimant aux apôtres, après les avoir fait battre, l’ordre de ne plus parler au nom de Jésus. Ceux qui ont donné leur adhésion, le même Luc les mentionne ains : «Des prêtres en nombre considérable obéissaient à la foi.» 3. Héli a donc prié pour qu'Anne obtienne d’être féconde, lorsque ce grand nombre de prêtres croyants obéit à la foi et désira que la prédication de la sainte Église multipliât le nombre des élus. Il lui souhaita d’aller en paix, car il désira qu’elle cueillît les fruits de sa prédication sans passer par les douleurs de la passion. 39, 1. La sainte Église approuva leur prière. Aussi lisons-nous ensuite : ELLE DIT : QUE TA SERVANTE TROUVE GRÂCE À TES YEUX. Ce qui revient à dire : «Que l'action de la grâce divine, selon les prévisions de ton désir, accompagne les travaux de mon ministère.» 40, 1. Le texte poursuit : LA FEMME ALLA SON CHEMIN. ELLE MANGEA ET ELLE BUT, ET SON VISAGE NE CHANGEA PLUS D’ASPECT. La femme alla son chemin, car la sainte Église prêcha la parole de la foi aux païens. C’est ce que les apôtres disent aux Juifs en les menaçant : «Puisque vous vous êtes rendus indignes de la vie éternelle, désormais nous passons aux païens.» Il convient de l’appeler «femme» au moment où elle se retire, car sa prédication du Rédempteur allait être féconde parmi les païens. 2. Elle mangea et elle but, et pourtant son visage ne changea plus d'aspect, car elle obtint de grands résultats en convertissant les païens, mais elle retrouva parmi eux la persécution que lui avaient fait subir les Juifs. 41, 1. On nous dit aussi de quelle manière elle s'en alla : LE MATIN, ILS SE LEVÈRENT ET SE PROSTERNÈRENT EN ADORATION DEVANT LE SEIGNEUR. PUIS ILS PRIRENT LA VOIE DU RETOUR ET RENTRÈRENT DANS LEUR MAISON À RAMATHA. Pourquoi, après avoir dit d'Anne seule, au singulier : «La femme alla son chemin», emploie-t-on à présent le pluriel : «Le matin, ils se levèrent ?» Évidemment pour indiquer qu'elle partit avec son époux. 2. Mais l'époux de la sainte Église, c'est le Rédempteur du genre humain, et celui-ci est monté aux cieux, en abandonnant la nation juive aux ténèbres de son incrédulité. Alors, comment pouvons-nous voir une figure du Christ et de l'Eglise dans Anne et son époux Elqana, quand ils se lèvent tous deux le matin et retournent ensemble dans leur cité ? De plus, nous l'avons dit, la cité de Ramatha désigne la patrie céleste. Alors, comment ce récit s'applique-t-il à la sainte Église ? Quand elle a cessé de prêcher aux Juifs, elle n'est pas aussitôt montée au ciel ! 3. Cependant, quand le Seigneur est ressuscité des morts, il a dit à ceux qu'il envoyait prêcher et enseigner : «Voici que je suis avec vous jusqu'à la fin du monde.» Il s'est donc pas déplacé d'entendre que la sainte Église se lève et retourne avec lui. En effet, puisqu'il ne retire jamais à ses élus sa présence spirituelle, il demeure avec ceux qui restent et s'en va avec ceux qui partent. 4. Quant à Ramatha, nous avons dit que ce lieu représente la patrie céleste, mais nous n'avons pas dit qu'il ne puisse designer autre chose. Cette autre chose qu'il désigne ici, n’est-ce pas l’-accomplissement des prophéties par la vocation des païens ? Ramatha signifie en effet nous l'avons dit, «vision consommée». Or la vocation des païens, qui est désormais chose faite, n'est-ce pas la vision des prophètes consommée ? 5.· L’un de ceux-ci énonçait sa vision avant qu'elle ne fût consommée, lorsqu'il prédisait ce qu'il avait vu comme un événement encore à venir, disant : «Tous les peuples que tu as faits viendront se prosterner devant toi, Seigneur.» Et de nouveau il fait cette promesse : «Tous les rois de la terre l'adoreront, tous les peuples le serviront.» Il est donc correct d'appeler «vision consommée» ce qu’ont promis les prophètes, car Dieu a réalisé leurs oracles : tous les peuples ont embrassé la foi au Rédempteur du genre humain. 6. C'est le matin, nous dit-on, qu'Anne se lève avec son mari, car c'est à l'heure où la lumière s'est mise à l’éclairer au-dedans que la sainte Église est passée aux peuples païens en leur prêchant la parole. Ou bien : elle se lève le matin, parce qu'elle laisse la nation juive dans la nuit de l'incroyance. Elle se lève le matin encore en un autre sens : elle trouve une bonne voie pour convertir les païens. 7. Elle se prosterna en adoration devant le Seigneur : en voyant le rejet de la Synagogue, elle vénéra le jugement impénétrable du Dieu tout-puissant. Elle adora et s’en alla : en abandonnant, uniquement parce que Dieu tout-puissant le lui ordonnait, la tâche de prêcher à son propre peuple, elle se conforma par obéissance au jugement divin sans pouvoir le pénétrer avec son intelligence. 8. C'est en adorant qu'elle revint, car elle se proposait d'accomplir son ministère de prédication en appelant les nations païennes, mais c'est dans la contemplation qu’elle chercha comment elle allait prêcher. Pour ceux qui prêchent, en effet, «revenir» c'est recourir à la lumière de la contemplation. C'est là qu'ils puisent cette lumière dont le rayonnement leur vaut la vénération des fidèles et que leur parole déverse chaque jour dans l'âme de ceux qui les écoutent. Voilà pourquoi le prêcheur incomparable est d'abord ravi en extase jusqu'aux sommets inaccessibles du troisième ciel, er ensuite on le voit résoudre les problèmes terrestres. Pénétrant dans les régions inaccessibles du paradis, il y entend des paroles qu'il n'est pas permis à l'homme de prononcer, mais c'est pour être à même une fois sorti, d'exercer le discernement et de parler de façon utile. 9. On nous dit donc qu'Anne «revint», car la sainte Eglise, quand elle résout les problèmes de la terre, apprend à les résoudre dans la contemplation de Dieu, à laquelle elle revient souvent. Et c'est seulement alors qu'elle rentre dans sa demeure, car elle a su se loger dans la dévotion de ses auditeurs, pour avoir appris, par son retour aux choses d'en haut, la manière de les approcher. La maison de la sainte Église primitive, c'est en effet la dévotion des peuples païens. Après avoir établi chez eux sa demeure, l'Église y habite en faisant bonne garde. Et cette demeure, dit le texte, se situe dans la «vision consommée». De fait, l'Église n'a pu l'établir que quand le temps de sa vocation, prédit par les prophètes, est venu. 42, 1. Le texte poursuit: ELQANA CONNUT ANNE, SON ÉPOUSE, ET LE SEIGNEUR SE SOUVINT D'ELLE. Elqana a connu Anne, son épouse, quand notre Rédempteur a vu venir le temps fixé à l'avance pour la vocation des païens, temps où il devait répandre la grâce de l'amour céleste dans le sein de sa nouvelle fiancée, la sainte Église, et obtenir d'elle une nouvelle descendance de croyants. 2. Il ne la connaissait pas encore, en quelque sorte, quand les prêcheurs voulurent passer en Asie et en furent empêchés par l'Esprit saint. C'est aussi pour cela que celui qui est la Vérité, lorsqu'il envoyait ses disciples prêcher à la nation juive, leur fit lui-même cette défense : «N'allez pas dans la direction des païens, et n'entrez pas dans les villes des Samaritains.» 3. Mais quand Elqana connut Anne, son épouse, le Seigneur se souvint d'elle : on dirait que les païens revinrent à la mémoire de Dieu, quand la sainte Église vint à visiter et les sauver, unie par la grâce de l'amour au Verbe de Dieu. 4. Le «cycle de jours» mentionné ici, n'est-ce pas la manifestation de la volonté divine, rendue visible par les innombrables rayons de l'Esprit saint ? Quand l'esprit des prêcheurs est en contemplation, tourné vers le ciel, cette manifestation leur fait voir les innombrables lumières du dessein de Dieu, tout comme le cycle du temps renferme la multitude des jours. Oui, un cycle de jours a précédé la conception d'Anne, car la sainte Église ne reçoit pas la parole de Dieu, qu'elle doit enseigner, avant d’avoir pleinement reconnu les rayons du dessein divin. 5. Et c'est un fils qu'elle a conçu et mis au monde, car ceux qu'elle enfante dans la foi au Rédempteur sont remplis de la force d'une façon de vivre toute nouvelle. 43, 1. ET ELLE LUI DONNA LE NOM DE SAMUEL, PARCE QU'ELLE L'AVAIT DEMANDÉ AU SEIGNEUR. Samuel veut dire «son nom est dieu». Ce que Samuel représente le mieux pour nous, c'est donc l'ordre des prêcheurs appelé du paganisme à la foi. 2. Fort dans sa façon de vivre, sublime par sa puissance, on aperçoit en lui un signe spécial de la grâce divine, qui mire des foules d'auditeurs à vénérer avec dévotion la ?Uole qu'il prêche : le nom que le texte lui donne lui est donc bien approprié. De même, le Seigneur dit à Moïse : «Je fais de toi un dieu pour Pharaon.» Et de même encore dans la Loi, il prononce cet interdit : «Tu ne médiras pas des dieux.» 3. Notons d'ailleurs que cet être nommé «dieu» était fils, et non fille. C'est que la dignité de pasteur ne peut se parer d'un nom si splendide et sublime, quand elle se traîne dans une façon de vivre dépourvue de force. Parce que l'ordre des maîtres de doctrine issus du paganisme et promus ministres de l'Évangile n'a pas été inférieur, par la grâce de ses mérites, à son éminente dignité, c'est avec raison qu'on dit de lui à présent : «Elle lui donna le nom de Samuel, parce qu'elle l'avait demandé au Seigneur.» Notons qu'elle «demanda», dit-on ici, ce qu’elle obtint en le demandant. 4. Le texte indique donc clairement la raison pour laquelle le premier-né d'Anne reçoit un si beau nom. C’est comme s'il disait : «Elle lui donna ce beau nom, parce que cet enfant, qui naissait par un don de Dieu, fut grand par la grâce de ses mérites.» 44, 1. Mais il fallait montrer les soins dont l'entoura la sollicitude maternelle. Aussi le texte poursuit-il : ELQANA, SON MARI, MONTA AVEC TOUTE SA MAISONNÉE POUR IMMOLER LA VICTIME SOLENNELLE ET ACCOMPLIR SON VOEU. MAIS ANNE NE MONTA PAS. ELLE DIT EN EFFET A SON MARI : JE N'IRAI PAS AVANT D'AVOIR SEVRÉ L’ENFANT. L'immolation de la victime solennelle, n'est-ce pas l’offrande aimante de la sainte Église, par laquelle elle s’unit au Créateur dans la contemplation éternelle ? 2. Elqana est monté pour cela, quand notre Rédempteur, triomphant de la mort, surmontant les ténèbres de notre passibilité, a élevé jusqu'au ciel la chair qu'il avait prise pour nous sauver. Avec lui est montée toute sa maisonnée, car il a entraîné les élus des temps passés, ceux de la Synagogue, sur les hautes altitudes de l’immortalité. L'immolation de la victime solennelle, il l'a faite quand il s'est présenté au ciel devant son Père éternel dans la matérialité de sa chair glorifiée, et quand il a donné aux natures angéliques la joie de voir à la fois notre rachat et leur propre réintégration. 3. À cette victime solennelle, Anne est invitée, car la sainte Eglise reçoit de son époux céleste des incitations spirituelles qui allument chaque jour en elle le désir aimant de contempler sans fin la divine clarté. Cependant elle s'abstient de monter, afin d'allaiter son fils : pour faire du bien ici-bas aux petits du Christ, elle supporte patiemment que sa gloire soit différée. 4. N’avait-elle pas été invitée à l'immolation de cette victime solennelle, cette mère qui disait : «Je désire me «défaire et être avec le Christ ?» 45, 1. Mais tout en se sentant attirée par son désir aimant vers la beauté de l'époux, n'aime-t-elle pas aussi allaiter son fils ? Entendons-la dire : «Rester en cette chair, cela m'est nécessaire à cause de vous.» 2. Cet aliment, elle en nourrissait aussi les Corinthiens, ainsi qu'elle le déclare : «C'est du lait que je vous ai donné à boire, non du solide.» Allaiter les tout petits, c'est ce que font les pasteurs de la sainte Eglise en donnant aux plus faibles, aux plus simples de leurs auditeurs l’aliment scripturaire élémentaire qui nourrit leurs coeurs. C’est encore cet incomparable maître qui le leur dit : «Parmi vous, je ne voulais rien savoir d'autre que le Christ Jésus, le Christ crucifié.» Quant au sevrage des enfants, il a lieu quand les nourrissons de la sainte Eglise grandissent, tant du point de vue de l'instruction religieuse que de celui de la bonne conduite, et se mettent à demander, non plus les rudiments de la parole sacrée, mais ses mystères sublimes. 3· Et on «amène» l'enfant sevré «pour qu'il se montre aux regards du Seigneur», quand, grâce aux avis des prêcheurs, un sujet fait des progrès et accomplit de bonnes œuvres qui lui font une parure. On «l'amène pour qu'il se montre.» Il n'est donc pas apporté seulement pour voir, mais aussi pour être vu. Beaucoup, en effet, à la fin des temps, entendront le Seigneur leur dire : «Je ne vous connais pas.» C'est pourquoi le texte dit que Samuel se montra aux regards du Seigneur : l'élu, le sujet humble, qui méprise complètement les réalités présentes, ne subira pas la réprobation du juge, quand celui-ci viendra au dernier jour. 4. Au contraire, ceux que le siècle présent tient prisonniers de son amour, ceux-là ne se montrent pas aux regards du Seigneur. Aspirant à se faire voir au faîte des honneurs passagers de ce monde, leur orgueil leur vaut de n’être jamais vus de celui au seul regard duquel ils devraient se montrer dignes d'honneur. Aussi le roi, l'élu, arrivé au comble de la fortune et craignant d'être séduit par le printemps de ce monde, fait-il cette prière : «Ne me rejette pas», Seigneur, «loin de ta face.» 5. Anne promet donc de sevrer son fils et de l’amener pour qu'il se montre aux regards du Seigneur, car la sainte Eglise apprend à mépriser complètement les réalités présentes, mais elle enseigne aussi à bien agir et à tendre d’un pas rapide, par l'humilité, vers les biens éternels. Et notons-le, le texte dit qu'on amènera l'enfant du lieu où il sera sevré, quand il devra se montrer aux regards du Seigneur : de fait, c'est un point important de l’itinéraire spirituel que les enseignements reçus du magistère céleste soient pour nous le point de départ d'un effort pour progresser dans une bonne conduite. 46, 1. Mais cet effort pour bien agir ne doit jamais cesser. Aussi le texte ajoute-t-il : ET QU'IL SE MONTRE LA CONTINUELLEMENT. On se montre continuellement en un lieu, quand on ne le quitte jamais. Se montrer continuellement aux regards du Seigneur, c'est donc garder une bonne conduite, sans en ternir la beauté par des comportements ténébreux. Celui qui ne se laisse aller à aucun acte défendu ne sort jamais de la retraite où Dieu le regarde. Comme s’il demeurait en pleine lumière, la bonté divine l’observe sans cesse, car il ne se tourne pas, dans ses décisions délibérées, vers les ténèbres du péché qu’elle condamne. 2. Anne déclare donc qu'elle ne montera pas pour immoler la victime solennelle, tant que l'enfant ne sera pas sevré parce que la sainte Eglise tient à garder ses fils jusqu'a ce qu'elle soit sûre de leur perfection, pour qu’ils n’abandonnent plus jamais le bien qu'ils ont reçu. 47, 1. Cependant on peut rapporter la «montée pour le sacrifice solennel» à la sublimité de la sainte prédication. En effet, le prophète écrit, au sujet de la montée de l’époux d’Anne : «Il monta sur les chérubins et vola sur les ailes du vents.» Le Seigneur monte sur les chérubins car il dispose dans les esprits sublimes de ses prêcheurs ses hautes connaissances. Et il vole sur les ailes des vents, quand sous leur regard spirituel, au souffle de l'Esprit saint, il s'élève à des hauteurs intelligibles extraordinaires. 1. En outre, il «fait des ténèbres sa cachette» car il dissimule aux réprouvés sa gloire sublime. Mais «autour de lui est sa tente», car en élevant ses saines par ses dons sublimes, il leur manifeste aussi l'éclat de sa gloire. 48, 1. Et c'est fort à propos qu'on nous dit, en rapportant la montée d'Elqana, que toute sa maisonnée monta avec lui. De fait, les esprits où il domine sont maintenus par lui, comme des hommes de sa maison et des familiers sur les hauteurs de sa contemplation. 2. Quant à la victime solennelle d'Elqana – notre Rédempteur –, n'est-ce pas, dans le coeur de ses saints l’amour de son enseignement intérieur ineffable ? Oui, chacun d'eux ressent une complaisance ineffable pour la leçon si sublime que lui donne, en se montrant à lui la sublimité du Rédempteur. 3. Anne refuse donc de monter avec son mari, aussi longtemps qu'elle allaite son fils, car la sainte Église a évité de toucher dans sa prédication les plus hautes vérités, aussi temps qu'elle a vu ses auditeurs peu instruits et incapables, comme des tout petits, de comprendre ces choses trop élevées. C'est pourquoi, aux origines de la sainte Eglise, nous la voyons donner du lait au fils d’Anne, encore tout petit, par les écrits des trois évangélistes Matthieu, Luc et Marc, qui ont raconté l'histoire humaine du Seigneur en effleurant à peine sa divinité. 4. Mais quand le peuple de l'Église, sortant de l’enfance, (est mis à grandir et à progresser vers la taille de l’âge adulte du Christ, boire du lait ne lui suffisant plus, il cherchait à se rassasier de nourriture solide. Notre mère l’Église fut donc obligée de monter, de se faire chérubin à son tour, de s'approcher du Rédempteur qui volait au-dessus d'elle, de prendre les ailes des vents, de saisir celui qui se mouvait sur elles dans les hautes altitudes de ses mystères, et de prendre dans sa gloire l'aliment qui répondrait à la demande de son seul enfant. 5. Aussi voyons-nous Jean l'Évangéliste, à la demande des frères, dépasser non seulement la sphère humaine mais encore celle des anges, aller au-delà de tout le créé et proclamer celui qu'il avait obtenu de voir, le Fils unique dans le sein du Père : «Au commencement était le Verbe, dit-il, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.» La montée d'Anne a donc eu lieu quand la sainte Église s'est élevée à de telles hauteurs, en prêchant les vérités divines les plus sublimes. 6. Et c'est alors aussi qu'elle a immolé la victime solennelle, en allumant au coeur de ses auditeurs la flamme d’une dévotion admirable, qui jaillit de cette connaissance de la divinité. Oui, sa victime solennelle, ce fut l’offrande d'une dévotion hors de pair, engendrée par sa parole incomparable. 7. Quant à amener son fils en présence du Seigneur, elle l'a fait en versant au coeur de ses auditeurs la connaissance parfaite du très haut mystère de la divinité. Cette connaissance de Dieu, il faut la garder non seulement en croyant, mais aussi en confessant, et ce que nous croyons et confessons, il ne nous est plus permis de l'ignorer ou de le taire. Aussi l'enfant sevré qu'on amène à la maison du Seigneur demeurera-t-il à jamais, dit le texte, en présence du Seigneur. 49, 1. Suite du texte : ET ELQANA, SON MARI, LUI DIT : FAIS COMME TU VEUX. RESTE LÀ JUSQU'A CE QUE TU L’AIES SEVRÉ. 2. Le dessein d'Anne est confirmé par l'autorité de son mari : qu'est-ce à dire ? Ce que la sainte Église se propose ne vient pas de sa propre décision humaine, mais de celle de Dieu. Tout ce que la sainte Église a voulu établir parmi les nations qui lui étaient soumises, elle ne lui a donné force de loi qu'après avoir reconnu, à la lumière de la vérité antérieure qui éclairait son jugement, qu'il fallait l’établir. 50, 1. Et comme nous avons un avocat qui intercède pour nous auprès du Père, Elqana ajoute ces mots : JE PRIE LE SEIGNEUR D'ACCOMPLIR SA PAROLE. 2. Cette parole qui doit s'accomplir, n'est-ce pas la conversion des païens, contenue dans le plan de la prédestination ? C'est par son sang que nous sommes réconciliés avec Dieu. Aussi prie-t-il pour l'accomplissement de la parole, étant lui-même la cause efficiente de notre salut. Prier, c'est aussi pour lui se montrer chaque jour à son Père éternel pour notre salut, dans l'humanité qu'il a assumée car en s'offrant ainsi sans cesse, il nous ouvre accès à la vie où nous devons être reçus. 3. Ce dessein qu'Anne avait arrêté, elle l'a mis à exécution et mené à bien. Aussi le texte ajoute-t-il fort à propos : LA FEMME DEMEURA DONC ET ALLAITA SON FILS jUSQU'À SON SEVRAGE. 51, 1. Suite du texte : ELLE L'AMENA, APRÈS QU’ELLE l'EUT SEVRÉ, AVEC TROIS VEAUX, TROIS MESURES DE FARINE ET UNE AMPHORE DE VIN. ELLE L'AMENA À LA MAISON DU SEIGNEUR À SILO. Que signifie le veau dans ce passage ? N'est-ce pas le propos d’imiter la vie des parfaits ? «Veau» quand il naît au coeur de l'homme qui progresse, il devient boeuf quand une vertu robuste lui inspire d’embrasser une vie religieuse de grand style. 2. Ici nous devons rechercher avec soin pourquoi on nous dit que trois veaux, et non un seul furent amenés à la Tente. Si l'on nous montre l'enfant apporté avec trois veaux, c'est pour tracer un modèle à ceux qui se forment au ministère de la prédication. 3. En effet, le maître accompli veille tout ensemble à convertir les pécheurs et à sauvegarder les justes. Comme un paysan qui exploite la terre du propriétaire divin il attelle à sa charrue le couple des deux boeufs, en veillant à éviter la chute de ceux qui se tiennent debout, tout en se montrant capable de relever ceux qui sont tombés, pour qu’ils se tiennent sur leurs pieds. 4. Mais à ces deux boeufs, qui figurent la peine qu’il prend pour ses ouailles, il lui fait joindre, pour être parfait, un troisième boeuf : la contemplation des choses de Dieu. Alors, comme un attelage complet, sa parole ouvrira le coeur du prochain à la manière d'une terre qu'on laboure, et en même temps il ne cessera de tendre pour sa part à la vue de son Créateur, de toute la force d'un amour sans partage. Samuel est donc amené à la maison du Seigneur avec trois veaux, chaque fois qu'un homme qui fait des progrès dans le bien se propose tout ensemble d'être utile à son prochain en travaillant à prêcher, et de garder intérieurement la vision de son Créateur en restant solitaire et tranquille. 5. Mais sans un sérieux entraînement, aucune âme ne peur y réussir. Aussi l'enfant est-il offert, en outre, avec trois mesures de farine. Quand on fait du pain avec de la farine, la préparation du repas s'achève. Mais puisque l’enfant est offert avec des mesures de farine, non avec du pain, on nous montre quelqu'un qui a de bonnes intentions et se propose un jour d'enseigner, sans exercer encore une activité d'enseignement. La mesure de farine signifie donc qu'on se prépare à la sainte prédication. 6. Mais c'est avec trois mesures de farine que l'enfant est amené, car lorsque nous nous proposons de prêcher, nous nous munissons de parole et de science en vue de la conversion des pécheurs, de la persévérance des justes dans leur état, et de notre propre contemplation des choses d’en haut. Autre explication : une des mesures se rapporte, comme nous le disions, à la conversion des pécheurs, une autre aux bonnes moeurs des personnes mariées, la troisième à la sublime pureté de ceux qui gardent la continence. 7. Et si l'on parle de «mesures», c'est qu'il s'agit de discrétion mesurée. A quoi le bienheureux Paul pensait en recommandant «de ne pas prétendre à plus de sagesse qu’il ne faut, mais de garder une sagesse sans excès.» 52, I. Chez les anciens païens choisis pour constituer la classe des prêcheurs, ce comportement ne résulte pas d’une vaniteuse légèreté, mais de la vertu que meut une intention droite. Aussi le texte ajoute-t-il : «Et une amphore de vin». La vertu que meut une intention droite, c'est la charité de Dieu, répandue dans le coeur des élus par le don du saint Esprit. Oui, ce don de la charité est bien représenté par le mot «vin», car il s’empare de l'âme et la rend étrangère aux affections terrestres, de sorte que son intention se détourne du siècle et qu'elle s'embrase du seul désir des biens célestes. 2. Mais de nouveau, c'est seulement le début de la vertu qui est visé, non sa perfection. Aussi précise-t-on qu’il s’agissait d’une amphore de vin non d’une coupe. L’amphore nous sert à tenir en dépôt ce que nous verserons à boire, le moment venu, avec une coupe. Témoin celui qui avait goute la perfection de la divine charité et qui rendait grâce au Dieu tout-puissant en disant : «Tu as verse sur ma tête une huile onctueuse, et ta coupe enivrante, comme elle est glorieuse !» 3. Voila donc pourquoi on nous montre Samuel offert avec une amphore de vin. C’est que tout élu qui se prépare au ministère de la prédication évangélique se propose de répandre ce bienfait de la prédication, non par vaine ambition du siècle présent, mais par charité pure. On l’amène donc avec des veaux parce que son propos requiert la force, avec des mesures de farine parce qu'il a besoin de doctrine et de parole, avec une amphore de vin parce que son intention doit être dirigée par la charité. 53, 1. Ce début de vertu, on nous indique en quel lieu il va recevoir sa perfection. Le texte ajoute en effet : «Et elle l'amena à la maison du Seigneur à Silo.» La maison du Seigneur, c'est, en bonne exégèse, la sainte Église. On nous dit qu'elle se trouvait à Silo. Or Silo est le lieu où demeurait, selon le récit, l'arche de Dieu. Dans le présent passage, Silo ne signifie-t-il pas le don de l'ancienne Loi ? Celle-ci, en effet, enferme en quelque sorte l'arche de Dieu, puisqu'elle présente extérieurement une lettre charnelle, tout en recelant dans ses profondeurs la science spirituelle. 2. Cette remarque, selon laquelle la maison du Seigneur se trouvait à Silo, que veut-elle donc dire ? N'est-ce pas que la sainte Eglise a ses fondations, comme en un lieu, dans le mystère des Écritures ? C'est là que Samuel est conduit, nous dit-on, c'est là qu'il est offert, parce qu'il n'y a pas de lieu, hors de la sainte Eglise, où les vertus méritoires grandissent et parviennent à la hauteur où elles sont parfaites. 54, 1. Mais en rapportant que Samuel a été amené, on mentionne aussi la raison pour laquelle il fut apporté, en ajoutant ces mots : L'ENFANT ÉTAIT ENCORE TOUT PETIT. S'il n'avait été alors tout petit, il aurait pu venir par ~-même, et point n'était besoin qu'il fût amené par autrui. 55, 1. Suite du texte : ILS IMMOLÈRENT UN VEAU ET OFFRIRENT L'ENFANT A HÉLI. Plus haut, on ne parlait que d’Anne : «Elle l'amena avec elle, après l'avoir sevré.» A présent, on dit d'Elqana et Anne tout ensemble : «Ils immolèrent un veau et offrirent l'enfant à Héli.» Le veau fut immolé, quand Samuel fut amené et offert. Si donc Elqana était présent quand on l'amena aussi bien que quand on l'offrit, pourquoi n'a-t-on pas dit : «Ils l’amenèrent avec eux», de même qu'on dit ici : «Ils immolèrent et offrirent ?» 2. Mais nous avons rapporté ces mots à l'Église et au Christ. C'est donc à l'Église qu'il appartient d'allaiter et d'amener, tandis que c'est elle et le Christ qui offrent et immolent. Sans doute met-elle bien tous ses soins à prêcher la parole, mais cet enseignement qu'elle dispense, ce n’est pas elle qui fournit aux auditeurs la force de le mettre en pratique. En parlant, elle présente la lettre de l’Écriture, mais à ceux qui lui demandent l'Esprit bienfaisant, elle ne peut le donner qu'avec son époux. 3. L'immolation du veau a donc lieu quand la grâce se répand au coeur de celui qui se propose de bien agir, de sorte que les bonnes actions qu'il a prévu et décidé d'accomplir s'effectuent avec joie, sous l’effet d'une volonté appliquée à l'oeuvre bonne. Alors on immole le veau, car lorsque l'âme religieuse fait une offrande, le sacrifice de l'oeuvre bonne qu'elle se propose n'est agréé par le Dieu tout-puissant que si l'objet voué et présenté par l'âme est tout entier immolé à Dieu dans la joie. 4. Le Seigneur a parlé dans l'Évangile de cette immolation du veau : «Si vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus mon Père donnera-t-il l'Esprit bienfaisant à ceux qui le lui demandent !» 5. Et Paul en parle aussi : «Qui sème en abondance, récoltera abondamment. Que chacun agisse comme son cœur l'a décidé, non tristement et par contrainte, car Dieu aime celui qui donne joyeusement.» Son coeur l'a décidé : de quoi s'agit-il, sinon d'un projet bien arrêté, après mûre délibération ? En disant : «Décidé», l'Apôtre affirme donc, en quelque sorte, que le veau est amené. Mais en ajoutant : «Non tristement et par contrainte, parce que Dieu aime celui qui donne joyeusement», il indique comment ce veau une fois amené, doit être immolé. Ainsi nous amenons des veaux, quand nous nous préparons, en formant un projet pour le bien, à poser des actes courageux. Mais le veau n’est immolé qu’au moment où la délibération du projet pour le bien passe à l'acte, et qu'on offre celui-ci à Dieu dans un grand don de soi. 6. D'autre part, le texte représente l'un et l'autre le mari et la femme, immolant le veau, car la même joie est à la fois enseignée aux sujets fidèles par la voix du prêcheur, et répandue dans leurs coeurs par la grâce divine. Tous deux ensemble, ils immolent le veau, quand, au coeur du sujet qui fait des progrès, la prédication de Dieu accompagne celle de l'homme. 7· Quant au fait que trois veaux sont amenés et un seul immolé, il signifie que, quand nous voulons à la fois aider ceux qui tombent et ceux qui tiennent, et nous garder nous-mêmes, notre bonne intention se portant d'un même mouvement vers ces différents buts, on peut distinguer trois objets quant au résultat, mais il n'y en a qu'un dans l’acte d’offrir. Oui, l’objectif est triple, car il se diversifie suivant que nous considérons notre prochain et nous-mêmes, sous différents aspects et en différentes circonstances, mais tout cela ne fait qu'un veau, parce que nous l’embrassons d'un seul regard et offrons tout à Dieu avec la même générosité fervente, dans un seul et même élan de joie, où il n'y a pas lieu de distinguer. 56, 1. Suite du texte : «Et ils offrirent l'enfant à Héli.» Héli représente non seulement la personne des anciens docteurs, mais encore leur doctrine. Pourquoi donc montre-t-on le petit Samuel offert à Héli ? N'est-ce pas nous apprendre que celui qui veut faire du bien à autrui en prêchant doit connaître non seulement les textes nouveaux, mais aussi les vieux ? C'est ce que le Seigneur dit, sous forme de parabole, dans l'Évangile : «Aussi tout scribe instruit du royaume des cieux ressemble-t-il à un propriétaire qui tire de ses réserves le neuf et le vieux.» 2. Samuel est donc offert à Héli, quand l'âme d'un fidèle qui progresse apprend à connaître la Loi et les prophètes. Dans les livres des anciens, il lit la lettre qui tue, mais il la comprend selon l'Esprit qui vivifie. Ainsi il reçoit du dehors les mots tels qu'ils sonnent, et en plus de ce son des syllabes, il reconnaît les résonnances de l'Esprit au-dedans. Il adhère dans la foi aux vérités nouvelles, mais en cas de besoin, il corrobore le Nouveau Testament en recourant aux écrits de l'Ancien. Car pour défendre les vérités nouvelles, il doit connaître la signification qu'elles prennent à la lumière des anciennes. 3. Il fallait donc montrer Samuel offert à Héli, car on ne prêche convenablement les vérités nouvelles que si l’on n'ignore pas la signification à donner aux anciennes. Cependant nous ne pouvons comprendre les écrits de l’Ancien Testament sans quelqu'un qui nous guide, et cet instructeur ne réussit à nous instruire que si son langage, retentissant au-dehors, trouve le chemin de nos coeurs par la grâce de Dieu. Aussi l'enfant n'est-il pas offert seulement par sa mère, mais par celle-ci et par son mari. 57, 1. Lorsqu'elle donne son fils au prêtre, Anne se présente à lui en faisant son propre éloge : PARDON, MON SEIGNEUR, AUSSI VRAI QUE TON ÂME ET VIVANTE, JE SUIS CETTE FEMME QUI S'EST TENUE DEVANT TOI ICI. Anne a tenu devant Héli, car la sainte Église ne s'est pas laissé abattre par les persécutions des maîtres de la Synagogue. C'est comme si la sainte Église disait fièrement aux chefs de la Synagogue : «Si j'ai pu enfanter le monde à Dieu par l'Évangile, c'est que j'ai enduré sans faiblir les mauvais traitements que vous m'infligiez. Si je m'étais laissé vaincre par les tourments et soumise à vos vieilles observances, jamais je n'aurais donné au Rédempteur une nouvelle descendance : toutes ces nations auxquelles j'ai donné naissance.» z. Dans un langage empreint d'humilité, elle lui dit : «Pardon» et «seigneur», tandis que son désir de lui donner la foi au Rédempteur, gage de vie éternelle, met sur ses lèvres ces mots : «Ton âme est vivante.» 58, 1. Cependant, en se vantant d'avoir tenu, elle s’est attribué une grande action. Mais elle a proclamé celle-ci humblement, sans aucun orgueil, et pour le montrer, elle s’empresse de tout rapporter à la gloire du Dieu tout-puissant en disant : J'AI PRIÉ, ET LE SEIGNEUR M'A ACCORDÉ CE QUE JE LUI DEMANDAIS. C'EST POURQUOI JE CONFIE l'ENFANT AU SEIGNEUR TOUS LES JOURS OÙ IL SERA CONFIÉ AU SEIGNEUR. 2. Si la grâce divine donne des fils à la sainte Église, c’est pour qu'elle les instruise de la doctrine de vérité, les forme aux bonnes moeurs, les garde avec un amour vigilant, leur fasse complètement éviter le mal et faire provision de bonnes oeuvres en quantité suffisante pour la vie éternelle. Tout cela ressortit au ministère pastoral, mais le prêcheur que Dieu a choisi ne se sent pas capable de le faire par ses propres forces. 3. Ne pouvant donc, par ses propres moyens, ni engendrer par l'Évangile, ni garder ceux qu'elle engendre, c’est avec raison que l'Église, figurée par Anne, dit à présent : «J'ai prié, et le Seigneur m'a accordé ce que je lui demandais. C'est pourquoi je confie l'enfant au Seigneur tous les jours où il sera confié au Seigneur.» Pour être en mesure d'engendrer, elle supplie. Et pour que ceux qu’elle obtient en priant persévèrent dans une vie sainte, elle les confie au Seigneur de nouveau par ses prières. 4. Celles-ci ne cessant à aucun moment, elle dit qu’elle confie son fils au Seigneur tous les jours. Confier son fils au Seigneur tous les jours, c'est intercéder perpétuellement, tant que dure leur vie ici-bas, pour le salut de ceux qu’elle engendre. Car les jours où nous sommes confiés au Seigneur, cela signifie la durée de notre vie en ce monde. Durant ces jours, nous avons besoin d'être puissamment aidés par Dieu, d'autant que les esprits mauvais nous assaillent de graves tentations. 5. Cependant beaucoup de manuscrits ne portent pas «confié», mais «prêté», leçon qui a aussi un sens intéressant. De fait, l'Eglise, notre mère, prête ses fils à Dieu ici-bas. Quand nous prêtons quelque chose, nous comptons sur l'emprunteur pour nous le rendre. Les jours, ce sont les vertus spirituelles qui nous illuminent. C'est pour la durée de ces jours que le fils d'Anne est prêté au Seigneur, car la sainte Église lui offre les élus illuminés de leurs vertus, afin que le Dieu tout-puissant les lui donne par la suite, resplendissants de la gloire qui les récompensera, pour accroître son éternel bonheur. 6. Et d'après le texte, notons-le, c'est «tous les jours» qu’il est prêté, de sorte qu'aucune des composantes du comportement spirituel que Dieu est en droit d'attendre de lui ne lui fasse défaut. Le prêcheur choisi par Dieu ne pourra en effet le recevoir dans la vie éternelle, si quoi que ce soit, en sa personne, reste couvert de ténèbres. 59, 1, Le texte poursuit : ET ILS ADORÈRENT LÀ LE SEIGNEUR. Nous aussi, membres de la sainte Église, quand nous mettons à profit les livres de l'Ancien Testament pour nous soumettre à notre Créateur avec vénération et obéissance, nous adorons là le Seigneur, car nous restons fidèles a la foi des anciens Pères et nous mettons cette foi en pratique en agissant bien par amour. 60, 1. Jusqu'ici nous avons commenté le début de cette histoire. sacrée au niveau de la typologie. À présent, nous allons tirer de ce même récit historique un enseignement qui s’applique à nous au sens moral. Sens moral 61, 1. IL ÉTAIT UN HOMME, dit le texte, DE RAMATHAIM SOPHIM. Cet homme «un» ne figure-t-il pas très exactement tout renonçant qui se met à mépriser le monde ? Le texte l’appelle «homme», parce que son dessein est plein de courage, et «un», parce que son amour est unique. Oui, c’est un «homme», parce que, avec une grande force virile il dédaigne tout ce qu’il voit ici-bas; mais il est «un», parce qu’il n’a pas d’autre aspiration que de jouir de la vision du Dieu tout-puissant. 2. En effet, quiconque dédaigne complètement ce qui est sur terre, celui-là est «homme» par son courage; mais s’il n’a pas un ardent désir de voir son Créateur, il n'est pas «un» par son intention. Ainsi, la perfection de l’«homme» consiste à mériter l'éloge d'être «un». Celui qui dédaigne le monde puissamment ne doit pas diviser son esprit, mais rechercher uniquement les biens célestes et n’aspirer qu’aux joies éternelles de la vision de son Créateur. 3. Tel était celui qui, s'adressant à Dieu, déclare : «Que me reste-t-il au ciel, et qu'est-ce que je veux sur terre, sinon toi ?» Et il dit encore : «C'est ta face, Seigneur, c'est ta face que je cherche.» Puisqu'il ne voulait rien sur terre, il était «homme», certes. Mais ne voulant rien d'autre que lui au ciel et sur la terre, méprisant toute chose et ne cherchant que sa face, il était non seulement «homme», mais encore «un». 4. C’est de cette unité que le Seigneur, dans l’Évangile, parle à Marthe, en disant : «Marthe, Marthe, tu te fais du souci et et tu t’agites pour quantité de choses, mais une seule est nécessaire.» Et de nouveau, Luc, parlant de la perfection du groupe des croyants, dit : «Ils n'avaient qu’un coeur et qu'une âme.» Oui, ils n'avaient qu'un coeur, car le regard de leur intelligence était tendu vers un unique objet : le Créateur. Ils n'avaient qu'une âme, car l'élan de leur amour leur faisait désirer un unique bien : voir son visage. 5. De là vient que, dans son zèle, le prophète se parle à lui-même en ces termes : «Mon âme a soif du Dieu vivant. Quand irai-je me présenter devant la face de Dieu ?» C’est en vue d'obtenir cette unité que la Vérité enseigne : «Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il possède, il ne peut être mon disciple.» 6. Nous aussi, nous sommes visés par ces mots. Renonçant au monde, nous avons gagné un lieu retiré pour y vivre à l’écart, et c’est pourquoi on nous appelle «moines». Le grec monos signifie «un». Tel est le nom, le titre inscrit sur notre personne, afin que le vocable qui nous désigne nous rappelle notre haute dignité et que notre esprit tende d'autant plus ardemment à la vision de son Créateur qu’il porte ostensiblement sur son front, pour ainsi dire, la splendeur sublime où il doit toujours se tenir. 62, 1. Mais cet amour divin si sublime, c'est seulement au sein de l’Église catholique que les élus authentiques le reçoivent. Très normalement, par suite, l'homme qui est qualifie de «un» était, d'après le texte, de Ramatha Sophim de la montagne d'Ephraïm. 2. Ramatha, je l'ai dit, est un nom hébreu, mais en latin il signifie «vision consommée». Cette appellation convient sûrement, à la sainte Eglise, que les prophètes d’autrefois voyaient à l'avance, mais qui était réservée pour la fin des siècles, quand viendrait la foi au Rédempteur. La sainte Église est donc appelée «vision consommée», parce que, grâce au Rédempteur du genre humain, elle se dresse à présent dans toute sa grandeur religieuse, alors qu'elle était seulement, autrefois, vue dans l'avenir par l'esprit des prophètes. 3. Quant à Sophim, où l'on nous dit qu'elle se trouve et à la montagne d'Ephraïm où elle est bâtie, ces noms signifient qu'elle est très élevée dans la contemplation de Dieu et féconde en vertus spirituelles. En effet, Sophim veut dire «observatoire», et Ephraïm «fructueux». Ces toponymes indiquent exactement le site de la sainte Église, dont l’élévation tient non seulement à l'objet sur lequel elle fixe regard, mais encore à son insurpassable manière de vivre. 4. En même temps, ces noms reprochent aux hérétiques leur folie, et aux autres réprouvés leur stérilité. En s’écartant de la foi orthodoxe, les premiers perdent la sublime contemplation. Quant aux seconds, tout en voyant bien ce qui est à faire pour agir correctement, ils se dispensent indéfiniment de le faire : ils ont donc l’«observatoire», mais sans la «montagne» de vertus que donne une vie irréprochable. 5. Au contraire, la sainte Église, du fait qu'elle se tient à Sophim, c’est-à-dire dans l'observatoire très élevé de la contemplation, peut s'écrier fièrement : «Pour nous, notre vie est dans les cieux.» Et du fait qu'elle demeure sur une montagne de vertus, où elle produit du fruit en agissant bien, elle peut reprocher aux réprouvés leur foi qui se traîne à terre, et leur dire : «La foi qui n'agit pas est morte.» Sur le mode de la prédication, elle leur dit encore : «Tandis, qu’il est encore temps, faisons du bien à tous, et surtout à nos frères dans la foi.» 6. Ainsi donc, l'homme qualifié de «un» est représenté comme étant «de la montagne d'Éphraïm», parce que le mépris des biens terrestres et le désir des biens célestes ne valent que si l’on reste, par la foi catholique, à l'intérieur de la sainte Eglise. 63, 1. Suite du texte : SON NOM ÉTAIT ELQANA, FILS DE HIÉROBOM, FILS D'HÉLIU, FILS DE THAU, FILS DE SUPH. Ce nom hébreu, nous l'avons expliqué plus haut, se traduit en notre langue «ferveur de Dieu.» 2. Un pareil nom porté par l'homme se prête fort bien à l’interprétation spirituelle. De fait, celui qu'on qualifie d’homme «Un» doit nécessairement se dénommer d’un mot qui signifie la ferveur de Dieu. Qui pourrait, en effet, mépriser les biens temporels et aimer les biens célestes sans la grâce de Dieu ? Car on a besoin pour cela d'être prévenu par la grâce divine : alors le feu du saint Esprit, embrasant l’homme, lui fait aimer si ardemment les biens supérieurs qu’il méprise avec un égal courage les objets inférieurs. 3. La généalogie qui suit cite les noms de quatre pères qui l’ont précédé, parce que sa naissance à la foi au Rédempteur est du à la prédication de ceux qui ont cru, dans toutes les parues du monde, à ce même Rédempteur du genre humain, grâce aux écrits des quatre évangélistes. 4. On l'appelle aussi «éphratéen». Il est à la fois «de la montagne d’Ephraïm» et «éphratéen», parce que, planté en terre fertile, il n'est pas resté stérile. Beaucoup, dans la sainte Eglise, ne sont croyants que de nom, sans produire aucun fruit au plan des actes. En tant que rejetons de l’Église, ils sont censés appartenir à la «montagne fructueuse», mais, puisqu’ils ne portent pas eux-mêmes le fruit des bonnes oeuvres, ils ne sont pas «éphratéens». Est donc «de la montagne d'Éphraïm» sans être «éphratéen», celui qui a reçu dans l'Eglise la foi catholique, mais ne se comporte pas d'une façon qui fasse honneur à la foi. 5. A ces gens-là, dans l'Évangile, la Vérité lance cette menace : «Le royaume des cieux vous sera enlevé et il sera donné à un peuple qui en produira les fruits.» De même, sous l'image du figuier, ordre est donné au cultivateur de la sainte Église de rejeter l'âme qui ne porte pas de fruits : «Abats-le ! Pourquoi encombre-t-il le terrain ?» 6. De même encore, Jean-Baptiste lance cette menace : «Voici que la hache est à la racine de l'arbre. Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits sera abattu et mis au feu.» Manifestement, ils étaient aussi de la montagne d’Éphraïm sans être éphratéens, ceux dont la Vérité dit, dans la parabole évangélique : «Il les mettra à mal, ces méchants, et il louera sa vigne à d'autres vignerons, pour qu'ils lui en remettent le fruit quand le moment sera venu.» 7. Cet homme de la montagne d'Éphraïm est donc appelé «éphratéen», parce que, si nous professons la foi catholique au sein de la sainte Église, l'ardent désir qui nous porte à mettre de côté les biens terrestres et à aimer les biens célestes, exige que nous nous séparions des premiers, objets de notre dédain, en nous efforçant de bien agir, et que nous nous préparions aux seconds, objets de notre amour. Etre dans l'Eglise et ne pas agir bien, cela ne sert de rien si l'on veut obtenir le bien de son salut éternel. C’est pourquoi, après avoir dit que l'homme était de la montagne d'Ephraïm, l'Ecriture ajoute-t-elle qu'il était éphratéen. 64, 1. Pour la même raison, on nous dit encore qu'il avait deux femmes. En effet, il embrasse la vie active pour être fécond en bonnes oeuvres, et il s'adonne à la vie contemplative par amour des satisfactions intérieures. 2. De là vient que Phénenna avait des enfants, nous dit-on, tandis qu'Anne n'en avait pas. Les enfants de la vie active, n'est-ce pas les fruits des bonnes oeuvres ? Et si Anne n'a pas d'enfants, n'est-ce pas parce que la contemplation du débutant n'obtient pas si vite les joies de la contemplation intérieure, dont il s'est épris ? 3· Les enfants de la vie contemplative, ce sont les joies de la vision intérieure. Mais l'âme qui commence à contempler les réalités éternelles ne parvient que difficilement à expérimenter la joie qu'elles procurent, d’autant qu'il ne lui est pas facile de fixer son attention sur leur beauté. Comment peut-on éprouver de la joie pour le resplendissement de cette beauté, si on ne la voit pas ? L’âme pour laquelle c'est chose nouvelle que de s'élever à la contemplation des biens éternels, ne fait ce mouvement d'ascension que très lentement, d'autant qu'elle ne se défait pas vite des ténèbres humaines auxquelles elle est habituée. Incapable de rejeter loin d'elle les soucis du monde, c’est comme si elle avait dans les yeux une poussière qui l’empêche de voir l'objet désiré. 4. Il faut donc commencer par ôter la poussière de l’oeil, puis soigner l'oeil. Oter la poussière, c'est écarter du regard de l'âme toute image des choses corporelles. Soigner l’oeil, c’est élever le regard de l'âme vers les réalités éternelles en se livrant à une incessante méditation. Quand une habitude prolongée lui a enseigné à se tenir à ce niveau supérieur, cette longue habitude lui procure la pureté, et grâce à celle-ci, apercevant plus clairement les réalités éternelles, elle peut exulter sans réserve à la vue de leur resplendissement. 5. Quand le texte dit qu'Anne n'avait pas d'enfants, cela signifie donc non seulement que tout débutant est imparfait, mais encore que la vie contemplative est très élevée. Elle se dresse en effet sur un haut sommet de mérites et elle n'est pas facile à posséder dans la joie de sa fécondité. 6. De là vient que Jacob désire épouser Rachel, mais c’estLia qui lui est d'abord donnée pour femme, afin que la possession de sa beauté lui coûte un second service de sept ans chez son beau-père. C’est que l'amant de la vie contemplative désire l’obtenir dans la plénitude de sa joie intérieure, mais l’esprit qui dépense tous les dons ne se hâte pas de la lui accorder, car une fois possédée il pourrait la mépriser, s’il l’avait sans peine comme il le souhaitait. Au contraire, sa jouissance lui procurera d'autant plus de douceur, et il la gardera avec d'autant plus de soin qu’il aura eu plus de difficulté à l’obtenir. 65, 1. C'est pourquoi le texte dit ensuite : ET CET HOMME MONTAIT AUX JOURS FIXÉS, POUR ADORER ET IMMOLER AU SEIGNEUR DES ARMÉES À SILO. Il monte aux jours fixés, parce qu’il progresse peu à peu dans les illuminations de la vision intérieure. En effet, ces manifestations de la lumière intérieure ne sont-elles pas les «jours» de l’âme élue ? Ces jours sont «fixés,» car Dieu les dispose en un certain ordre pour ceux qui progressent dans la vie spirituelle. 2. pFixés,, ces jours le sont encore, parce que ce n'est pas quand nous voulons que nous pouvons être admis à leur clarté, mais quand Dieu veut bien nous y élever. Parfois, de fait, il nous introduit dans a contemplation de la lumière intérieure, et parfois il nous laisse choir dans les ténèbres humaines dont nous souffrons. Oui, c'est aux jours fixés par lui qu'il nous élève, puisqu'il ne nous fait pas voir continuellement la lumière intérieure qui nous charme, mais nous la montre seulement aux moments où il veut. 3. Ce sont donc là nos «jours», car nous sommes admis à de grandes illuminations quand se révèle à nous la beauté qui resplendit au-dedans. Mais ces jours sont «fixés», dit le texte, parce que jouir de la lumière à l'intime de nous-mêmes, cela ne dépend pas de nos efforts mais du bon vouloir divin. 4· Souvent, au travers d'un long silence, de supplications instantes, de gémissements répétés, nous implorons d'entrer dans le resplendissement de la lumière intérieure, et nous n'obtenons pas d'être admis à ses délices. Souvent nous ne faisons rien de tout cela pour l'obtenir, et tout à coup la grâce divine vient au-devant de nous, elle nous prend au plus profond de notre faiblesse et nous relève, elle nous emporte très haut et, au moment où nous l’attendions le moins, nous fait voir le resplendissement de sa lumière. C’est donc aux jours fixés que nous montons, car ce n’est pas par nos propres efforts que nous pouvons accéder à la contemplation des réalités célestes, mais au gré de Dieu, selon qu'il en a disposé pour nous. 5· Ces jours sont aussi des montées, car lorsque nous ne jouissons pas de cette lumière d'en haut, nous restons dans le bas-fonds, et quand nous sommes élevés à la haute vision qu'elle procure, nous connaissons à quel point nous gisions dans les bas-fonds avant d'y être élevés. Alors nous n’aimons pas notre état antérieur, et nous aimons celui où nous nous trouvons. Comme absorbée par l'amour des biens célestes, enchantée de la lumière dont elle jouit, l’âme prend en dégoût tout ce qui est de la terre et en éprouve une horreur extrême. 6. De là le mot du bienheureux Pierre, lorsqu'il est mené au sommet de la montagne, que la nuée lumineuse le couvre de son ombre et que la gloire du Sauveur transfigure lui est montrée : «Seigneur, il nous est bon d'être ici.» Admis, par un don du Dieu tout-puissant, à assister à ce spectacle sublime, il aime ineffablement le bien incomparable qu’il rencontre là, et sa beauté lui fait trouver de la laideur à tout ce qui passe. 66, 1. Mais poursuivons. Pourquoi dit-on que cet homme montait «de sa cité ?» Une cité, est-ce autre chose qu’une enceinte assurant la défense d'un ensemble d’habitants ? Et qu'est-ce que cette cité, sinon la garde parfaite qu’un coeur circonspect monte pour sa propre défense ? C’est comme si, de ses hautes murailles, elle protégeait les citoyens qui habitent ensemble : quand elle veille soigneusement à garder les vertus, l'ennemi, si malin soit-il ne trouble pas la paix intérieure de ce peuple. 2. C'est dans cette cité que le sage nous enjoint de nous tenir, quand il dit : «Surveille ton coeur, garde-le sans relâche, car de là procède la vie.» D'où encore l’injonction du Seigneur à ses disciples : «Restez sans bouger dans la cité, jusqu’à ce que vous ayez reçu la force d'en haut.» Nous restons sans bouger dans la cité, quand une préoccupation chaque jour renouvelée nous tient en repos dans la garde que nous montons au-dedans pour notre défense. Demeurant là sans bouger, nous recevons la force d’en haut, car nous sommes prêts désormais à devenir l’habitacle du saint Esprit, et sa grâce vient nous élever à la contemplation de la gloire céleste. 3. En disant que l'homme éphratéen monte de sa cité, n'est-ce pas notre négligence coupable que l'on dénonce ? Nous voulons, dans la contemplation, percer les secrets des cieux, alors que nous n'assurons pas la garde de notre coeur, ni même celle de notre corps. Souvent nous regardons ce qu'il ne faut pas voir, nous écoutons des propos oiseux, nous disons des paroles inutiles, nous prenons sommeil et nourriture non pour refaire notre corps mais pour le plaisir que nous y trouvons. Et quand nous voulons résoudre quelque problème, poser notre regard sur quelque réalité supérieure, quitter nos ténèbres, goûter la savoureuse douceur au-dedans, nous en sommes tenus éloignés, et c'est bien notre faute, puisque nous ruinons par notre négligence les fortifications qui assurent notre défense. Dès lors, nous avons d'autant plus de peine à monter que, en retombant sur nous-mêmes, nous n’avons pas pris soin d'élever les murs de notre coeur assez haut pour qu'ils le gardent. 4. Qu'il monte donc, cet homme, mais de sa cité. Celui qui désire progresser dans la contemplation au-dedans, qu'il mette bon ordre à son activité sensorielle au-dehors, qu'il gouverne son âme et, comme retranché derrière de hautes murailles, qu'il attende en ce lieu la visite de la lumière d'en haut. Alors les jours fixés le trouveront éveillé et prêt à monter, car en se gardant pur il se rend digne d'être plus souvent visité par la grâce divine. 67, 1. Mais après avoir dit qu'il montait, le texte indique aussi la raison de cette montée en ajoutant : «Pour adorer et immoler au Seigneur des armées à Silo.» 2. Celui que la contemplation divine fait monter sur son haut lieu, aperçoit, dans cette clarté qui illumine tout, un spectacle qui lui cause à la fois une étrange terreur et une indicible jouissance. En effet, quand cette vision suprême se découvre à l'âme, elle lui montre tout ensemble, par un dessein miséricordieux, l'insondable abîme des jugements de Dieu et la profusion de sa bonté. Le voyant est à la fois accablé d'une immense frayeur et soulevé d'une énorme joie. La terreur qui l'abat lui fait perdre son attachement à ce monde, la joie qui l'inonde lui fait désirer plus ardemment la bonté du Créateur dont il commence à avoir l'avant-goût. 3. Alors il adore : considérant l'immensité de la toute-puissance, il se soumet si entièrement au Créateur que les pulsions de la convoitise charnelle ne s'élèveront plus en lui contre le comportement spirituel. En adorant, il immole : plus il se prosterne humblement pour rendre hommage à Dieu, plus il est suavement réconforté par la lumière caressante qui rayonne de là-haut. 4. «Adorer», après être «monté», c'est donc se soumettre à la toute-puissance divine dans un grand acte d'hommage inspiré par la crainte désintéressée. «Immoler», c'est savourer l'ineffable suavité de la lumière divine. En effet, l'âme élue se consacre à Dieu par une sorte d'immolation spirituelle, à l'heure où, exaltée et remplie d'une allégresse ineffable, elle reçoit du feu de l’amour divin une brûlante ardeur qui l'embrase. 5. Ainsi donc, c'est la quête de tout élu qui nous est décrite sous la figure de l'homme éphratéen quand on nous dit qu'il adore et qu'il immole. L'âme élue cherche à voir les réalités supérieures, de sorte qu'en progressant dans la vision spirituelle, elle en vienne à dépasser toute manière de vivre charnelle et à recevoir en plénitude l’allégresse éternelle. Et sans doute n'est-il pas donné à un homme charnel de s'élever sur ces sommets suprêmes de la contemplation; mais, comparé au progrès qu'il fait dans la vie spirituelle en accédant à la contemplation, son état antérieur, avant qu'il ne se soit mis à progresser, a bien quelque chose de charnel. Il y a quelque chose de charnel en effet, dans le simple fait de ne pouvoir s'arracher, par l’essor de la vision intérieure, à la vue des choses corporelles. 68, 1. Mais il faut réfréner l'audace téméraire de l’homme; aussi est-il question d'adorer d'abord, puis d’immoler. Pour qui s'élève à la contemplation, en effet, l’ordre normal est de commencer par la crainte. De quelle crainte s’agit-il ? De cette purification qui s'impose à l’âme élue quand elle se met à contempler la gloire de Dieu. Ces rayons de la lumière divine, il lui sera donné de les apercevoir d'autant plus nettement qu'elle aura été nettoyée plus à fond, terrassée par une crainte plus puissante, et d'accéder à la vision glorieuse au-dedans d’elle-même. 2. Si l'on nous décrit le comportement extérieur de cet Ephratéen, c'est pour nous indiquer ce que nous avons à faire spirituellement en notre intérieur, nous qui tendons à la perfection. Si donc nous aspirons à être inondés de la suprême lumière de gloire, commençons par engager notre quête audacieuse, présomptueuse, dans ce sombre couloir de la crainte : plus le Dieu tout-puissant nous aura inspiré de vénération et de frayeur sacrée, plus pénétrante sera notre vision de sa gloire et de sa bonté. 3. Cette grande crainte, il arrive aussi parfois qu’elle s’abat sur l’âme élue après que lui a été montrée la vision qui la remplit de joie. Alors la crainte n'a pas pour but de préparer l'âme à la vision de gloire en la purifiant, mais de préserver de l’orgueil. C'est ainsi que Pierre Jacques et Jean ont commencé par voir la gloire du Seigneur transfiguré, et ensuite la crainte s'est abattue sur eux et ils sont tombés. C’était pour les empêcher de perdre par orgueil ce qu’il leur avait été donné de voir en toute humilité quand ils furent emmenés sur la hauteur. Parfois donc l’adoration précède l’immolation, et parfois elle la suit, mais toujours en vertu une disposition divine, non de nos propres efforts. 4. Quant à l'homme éphratéen, on raconte qu'il monta pour adorer d'abord et immoler ensuite, parce le progrès consiste normalement à éprouver d'abord la révérence qu’inspire la crainte de la sévérité de Dieu et à être emporté de là vers la contemplation de sa gloire qui nous remplit de bonheur. 69, 1. Cependant, il arrive que la clémence divine réjouisse tellement l'âme des élus, en y versant sa douceur, qu’elle leur épargne cette grande crainte. D'où a suite du texte : UN JOUR VINT, ET ELQANA IMMOLA. 1. Pourquoi dit-il : «Un jour vint et il immola,» et non pas : «Il adora et immola ?» Parce que, comme je l'ai dit plus haut, il arrive souvent que Dieu, dans sa condescendance, nous élève à la vision lumineuse de sa gloire au-dedans de nous, sans qu'aucune considération de ses jugements ne vienne s'y mêler et nous troubler. Et sans doute, n’est-ce jamais sans une profonde vénération que l’âme élue se tient devant le Dieu tout-puissant. Mais on peut dire qu'elle immole sans adorer, quand elle goûte ce bonheur de la joie suprême sans ressentir aucune crainte déprimante. 3. C'est à cet état d'âme qu'était parvenue celle qui disait : «Qu’il me baise d'un baiser de sa bouche.» Quel sentiment de crainte laisse-t-elle paraître ? Elle ne désire qu’un baiser. De même, il est écrit de Moïse qu'il parlait à Dieu comme un homme parle avec son ami, comme si la sainte Écriture voulait nous le montrer «immolant le jour venu,» sans s'être prosterné auparavant dans une adoration craintive. 70, 1. Dans ce passage, un autre trait me semble encore à noter : le texte dit que l'homme monta pour adorer et immoler, mais non pas qu'il adora et immola; au lieu de cela, nous dit-on, «le jour venu, il immola.» Ainsi, autres sont les jours où nous montons pour adorer et immoler, autre le jour qui vient et où nous immolons. 2. Quand, en effet, par nos propres efforts, nous tenons très haut notre pensée et réfléchissons aux vérités divines ce sont en quelque sorte les «jours fixés» où nous «montons» : nous prenons pour objet de nos regards certains rayons de lumière spirituelle, nous les disposons nous-mêmes à notre convenance, et ainsi nous nous élevons à une certaine hauteur au-dessus de la bassesse naturelle de l'homme. Mais ces efforts de réflexion n’aboutissent à rien sans la grâce divine : nous n'arrivons ni à concevoir de la crainte, ni à savourer les délices de la douceur divine. Ce sont là les jours de montée, où nous nous proposons d'adorer et d'immoler, mais sans adorer ni immoler en fait. 3. Vient un autre jour, et alors nous immolons : soudain, la lumière de la grâce divine nous inonde, et sa glorieuse majesté nous fait goûter un flot de jouissances inexprimables. Ce jour-là ne fait pas partie des autres jours dont nous parlions. C'est après eux qu'il vient, car, s'il est vrai que nous ne pouvons nous procurer par nous-mêmes : ces largesses de la grâce divine, il reste que nous ne les obtenons jamais sans un grand effort quotidien de réflexion, de lecture et d'oraison, qui nous fasse demeurer dans la clarté spirituelle dont nous sommes capables. Quant à la phrase : «Le jour vint», elle indique la condescendance du Très-Haut : quand il visite les âmes élues, nous n'y sommes pour rien, tout relève de sa seule bonté, 71, 1. Suite du texte : ET IL DONNA DES PARTS A PHÉNENNA ET À SES FILS ET FILLES, MAIS À ANNE IL DONNA UNE SEULE PART, NON SANS TRISTESSE CAR IL AIMAIT ANNE. 2. Les fils de Phénenna sont les projets de l’âme consacrée, engendrés par les préoccupations de la vie active. Ces fils reçoivent des parts avec leur mère, quand, sous l'effet d'une grâce qui resplendit du ciel, les projets charitables s'épanouissent en bonnes oeuvres nourries de dévotion. En effet, plus l'âme charitable s'élève sur les hauteurs de la divine contemplation, plus, sous l'effet de la dévotion, elle étend saintement son activité. Oui, ces parts de la mère et des fils, ce sont les préparatifs des oeuvres saintes. 3. A Anne, en revanche, l'homme ne présente qu’une part, et non sans tristesse. C'est que la contemplation, qui lui fait désirer le ciel, ne peut lui obtenir ce ciel bien-aimé, aussi longtemps qu'elle en est empêchée par les afflictions du temps présent, et tant que dure cette privation, elle n’a autre nourriture que les pleurs. Et de fait, elle reste à jeun, chaque fois qu’elle se souvient d'avoir été exilée des joies éternelles et qu'il ne lui est pas possible de pleurer. Elle reçoit donc, de son mari attristé, une seule part car jamais elle ne mange à sa faim si elle ne se rassasie de peurs. 4. Cette part, l'homme éphratéen la lui donne avec tristesse, alors qu'il n'était pas triste en donnant sa part à Phénenna. C’est, en effet, une satisfaction que de préparer de bonnes œuvres, quand on n'a pas la satisfaction des joies célestes qu’on aime et qu'il faut attendre. Telle est pour sûr, la part qu'avait donnée à Anne celui qui se voyait exclu des biens éternels et parlait ainsi : «J'ai eu pour pain mes larmes jour et nuit, quand on me disait chaque jour : Où est ton Dieu ?» 72, 1. Mais c'est l'imperfection du débutant que le récit représente en rapportant qu’une des épouses de l’Éphratéen affligeait l’autre et la pressait cruellement. Quand on arrive à la perfection, on n’est plus déchiré par ce conflit d’épouses, car une robuste expérience enseigne à équilibrer avec discernement le besoin d'action et l'effort de contemplation. C'est, en quelque sorte, posséder en paix l'une et l’autre épouse, que de ne jamais accorder à la contemplation le temps où il faut agir, ni troubler par l'effort de l’action le loisir nécessaire à la contemplation. 73, 1. EN OUTRE, SA RIVALE L'AFFLIGEAIT ET LA PRESSAIT CRUELLEMENT, ALLANT JUSQU'A LUI FAIRE HONTE DE CE QUE LE SEIGNEUR LUI AVAIT FERMÉ LE SEIN. Anne est affligée par sa rivale, quand, en voulant bien agir, on fait des efforts exagérés, qui troublent au-dedans la paix du regard. Elle est affligée quand on lui préfère une autre qu'elle sait être moins noble qu'elle-même. 2. Et elle est cruellement pressée, car la contemplation de l’âme élue est oppressée, quand celui qui désire de sublimes contemplations accorde une place trop large aux oeuvres de la vie active. Presser, c'est resserrer. Le regard de l'âme se resserre, quand les oeuvres l'occupent au point d'empêcher qu'elle prenne un large essor dans l’immensité de la lumière intérieure. Et puisque, selon le récit, l'autre la presse cruellement, notons que tout souci excessif même s'il s'agit d'oeuvres bonnes, porte un sérieux préjudice à la contemplation. Oui, Phénenna presse cruellement Anne : quand l’âme s'abandonne avec excès à son goût pour la vie active, il lui est très difficile, tout occupée qu'elle est à l’organisation de choses terrestres, de s'élever d'un élan vigoureux à la vision d'objets célestes. 3. En outre, Phénenna fait honte à Anne de sa stérilité : c'est que, dans la vie active, nous avons vite fait de produire des fruits – les bonnes oeuvres –, tandis que nous n pouvons arriver facilement aux joies de la contemplation intérieure; celle-ci paraît donc stérile, notre inexpérience nous faisant désespérer de sa fécondité. 4. Aussi aimons-nous Phénenna pour sa fécondité, et Anne est affligée, oppressée, taxée de stérilité infamante, or, si nous ne modérons pas, avec le discernement requis, notre souci de bien agir, il nous devient très difficile de contempler avec pureté, d'autant que nous ne fournissons pas l'effort préférentiel que requiert le maintien de la plus noble des deux vies. 74, 1. Mais quand on s'est mis à monter vers ce but sublime, si l’on apporte de l'énergie à l'entreprise, on supporte ces épreuves sans se décourager. Persévérant, au-delà des débuts, dans l'effort pour atteindre les cimes de la contemplation, on dédaigne la nourriture consolante de l’action, parce qu'on ne désire pas d'autre plaisir que de jouir de la vue de son Créateur. Aussi le texte ajoute-t-il pertinemment : PAR SUITE, ANNE PLEURAIT ET NE PRENAlT PAS DE NOURRITURE. 2. Ces pleurs signifient l'ardent désir de contempler ~Dieu; le dédain pour la nourriture, le mépris de toute jouissance passagère. En effet, l'âme aux fervents désirs tournés vers le dedans, insensible aux séductions des jouissances terrestres, gémissant et réclamant instamment l’effusion délicieuse de la lumière d'en haut, cette âme-là, c’est chair, verse des pleurs et ne prend pas de nourriture. C’est de cette nourriture qu'était dégoûté celui qui disait : «Mon âme n’a pas voulu être consolée.» 75, 1. Mais l'homme qui dédaigne de prendre une nourriture consolante en savourant les choses créées, trouve un festin délicieux en son Créateur et en nul autre, ce qui lui fait dire : «Je me souvins de Dieu, et ce me fut un délice.» C'est à ce festin qu'il invitait son épouse en pleurs, quand il disait : «Pourquoi es-tu triste, ô mon âme, et pourquoi me troubles-tu ? Espère en Dieu, car je le louerai encore, lui le salut de ma face et mon Dieu.» 2. Cette invitation, on la retrouve ici : le mari d’Anne lui demande pourquoi elle pleure, pour quelle raison elle ne mange pas et a le coeur endolori. C'est comme s'il disait : «Pourquoi t'attrister de ne pas avoir la contemplation parfaite ? Étant à tes débuts, tu n'y arrives pas, mais en progressant tu y arriveras.» 3. Affligée par sa rivale, elle refusait de manger. Invitée par son mari, elle mangea. En effet, l'âme bien avisée, qui méprise à juste titre les réalités inférieures, possède la contemplation parfaite en espérance, sans en avoir encore l'acte et l'expérience. Quand la contemplation en vient presque à défaillir et à s'effondrer, elle trouve un aliment dans la joie de l'espoir qui renaît. A la voix de son époux, Anne se remet donc à manger, quand l'application à contempler, ébranlée par la tentation, reçoit de celui qui commençait à l'aimer une incitation à espérer des progrès. 76, 1. Après avoir donc pris de la nourriture, elle se leva, adressa une prière au Seigneur tout-puissant et fit vœu, au cas où elle obtiendrait de lui un enfant mâle, de le lui donner. Il voue au Dieu tout-puissant son fils nouveau-né, celui qui cherche la joie de la contemplation pour le bien de son âme, non pour en tirer vanité. 2. Mais à ces demandes correctes, inspirées par le désir de la contemplation, les supérieurs qui ont une mentalité charnelle ne manquent pas de s'opposer avec force. Ceux qui aspirent à vivre dans la retraite leur semblent agir d'autant plus follement qu'ils ignorent eux-mêmes le puissant attrait de la douceur au-dedans de soi. Si jamais ils s'emportent contre leurs sujets spirituels en leur lançant des réprimandes pleines d'aigreur, ceux-ci doivent les apaiser en donnant leurs raisons avec la plus grande humilité. Même si, en effet, l'opposition qu'ils font à des gens qui agissent bien est déraisonnable, le respect dû à la hiérarchie n'exige pas moins qu'on les honore, alors même qu'ils passent les limites de la raison. 3. Ces deux sortes de personnes – hiérarques à la mentalité charnelle et sujets spirituels – sont bien représentées par Héli et Anne. Le premier était assis devant la porte du Temple et Anne priait. Héli observa sa bouche et la traita de femme ivre. Elle, supportant l'injure avec patience, lui répondit humblement en donnant la raison véritable : elle se déclara sa servante et expliqua que c'était sa profonde douleur, son grand chagrin qui la faisait parler. Elle apaisa ainsi son esprit fâché contre elle. Bien plus, elle le convertit à prier pour qu'elle obtînt ce qu'elle désirait. 77, 1. Nous venons de dire ce que contient le récit, au niveau de l'histoire. Mais il n'est pas hors de propos d'examiner d'un peu plus près les termes de cette histoire sacrée pour y découvrir un enseignement qui nous concerne. Examinons donc l'ordre des événements : d’abord elle mange et elle boit, ensuite son âme se remplit d'amertume, elle prie le Seigneur en versant des larmes à profusion, elle prononce un voeu et multiplie ses prières. 2. Quand Anne multiplie ses prières, que représente-t-elle sinon cette perfection des élus à laquelle nous convie le docteur incomparable quand il dit : «Priez sans cesse ?» Seul, en effet, l’homme parfait est capable de prière incessante, car prier sans cesse revient à toujours rester en présence du Créateur dans une attitude intérieure de supplication; or, quand on est encore affaibli et déprimé par quelque imperfection, on ne peut implorer Dieu sans cesse, d'autant que, même au moment où on le prie, l’âme s’échappe et divague loin de son regard. 3· Avant de multiplier ses prières, la sainte femme, nous dit-on, prononça un voeu, et cela fort à propos. Si, en effet, on ne se rend pas entièrement céleste, en restant rigoureusement fidèle aux engagements qu'on a pris, on est souvent tiré de ses sentiments suppliants, d'autant que la mobilité de l’âme la jette dans le tourbillon des préoccupations mondaines et l'empêche de rester sous le regard du Seigneur en se surveillant avec énergie. 4. Mais il y a plus. Pour pouvoir se consacrer aux joies célestes en assumant un engagement spirituel, l'âme élue doit savoir verser des larmes à profusion; elle doit avoir appris, par cette profusion de larmes, à savourer le goût de bla douceur d'en haut, si bien que, tout absorbée par la joie que lui procure ce repas au-dedans d'elle-même elle n’ai que dégoût pour les choses de la terre. On comprend donc que, avant de prononcer son voeu, Anne nous soit montrée versant des larmes à profusion. Impossible en effet d'oublier ainsi tout ce qui est terrestre et de se rendre entièrement céleste, si, à force de pleurer, l'âme n'est point désormais morte au monde et n'a pas appris à recevoir, pour sa consolation, le gout suave qui la délecte à l’intime d'elle-même. 5. En outre, pour recevoir cette consolation des larmes qui fait la joie de l'âme, il faut d'abord s'être imprégné d’une amère componction et avoir planté le poignard de la tristesse salutaire dans ce qui respire encore en nous l'euphorie du moment présent. Aussi nous dit-on qu’Anne avait auparavant l'âme pleine d'amertume, et qu'elle fut capable, en conséquence, de pleurer à profusion. Salomon la bien dit : «Quand le coeur connaît l'amertume de l’âme, aucun étranger ne se mêle à sa joie.» L'étranger, c'est celui qui cherche encore son plaisir dans les biens extérieurs. Il n’est évidemment pas admis à la joie du coeur plein d’amertume, car seul peut expérimenter l'allégresse intérieure, celui qui a soin de mépriser parfaitement celle du dehors. 78, 1. Notons encore qu'avant tout cela Anne se leva dit le récit, et avant de se lever, elle mangea et but. La nourriture de l'âme élue, n'est-ce pas, comme dit la Vérité, «toute parole qui sort de la bouche de Dieu ?» Et comment se lève-t-elle, sinon en se mettant debout, tournée vers le ciel ? 2. On nous dit donc qu'avant d'avoir l'amertume dans l’âme, elle se leva, et avant de se lever, elle mangea et but, car l'âme élue ne peut ressentir la douleur de la vie présente, si elle n'est tendue vers les biens qu'elle a perdus dans les cieux, et elle ne s'élève pas vers ces sommets si l'aliment de l'Écriture sainte lui fait défaut. Ainsi, pour nous lever, nous mangeons et nous buvons car l’amour céleste ne nous met debout, tendus vers ses sommets, qu’à l’heure ou nous prenons une nourriture fortifiante dans les sens latents et patents de l'Écriture sainte. 3. Alors, en nous levant, nous acquérons l'amertume du coeur, car blessés d'amour pour les biens supérieurs, nous ne trouvons plus, dans les choses d'ici-bas, l'agrément et la joie, mats le déplaisir et la peine. 4. Mais bientôt nous montons de l'amertume qui remplit l’âme aux pleurs qui coulent a flots : continuellement pénétrés d'une vive componction, nous sommes capables de pleurer abondamment sur les maux que nous endurons dans cette vallée de larmes et sur ceux que nous redoutons dans l'au-delà, ainsi que sur les biens que nous avons perdus. 5· De là, nous passons aux voeux que nous prononçons loin des regards, car les pleurs à profusion en nous séparant, à la façon de morts qu'on a déjà enterrés, de tout plaisir extérieur, nous présentent aux regards d'en haut comme des êtres devenus tout entiers célestes. Et ces vœux, nous les prononçons, parce que nous sommes tellement épris des biens célestes que notre âme ne se salit plus avec rien de terrestre ni de charnel. 6. Alors, les progrès que nous avons faits sont suivis de prières multipliées : nous cherchons dans l'oraison les biens éternels avec complaisance, fréquence et instance, d'autant que la consolation de ces biens à venir est la seule chose qui nous permette de reprendre haleine. 79, 1. Le matin, ils adorent et reviennent à leur cité. Adorer, après avoir multiplié les prières, en compagnie d'Anne son épouse, c'est garder, au milieu des plus grands dons de vertus, la vertu d'humilité. 2. Encore lourde du poids de la corruption, l'âme ne peut rester longtemps à regarder si haut. C'est donc très justement qu'on nous les montre revenant à leur cité. En effet, quand elle est écartée de la contemplation de Dieu par le poids de son infirmité, l'âme élue doit avoir une citadelle bien bâtie, qui lui permette de remonter à la hauteur de ses visions. Ainsi, après qu'elle sera retombée sur elle-même elle se tiendra encore sur une hauteur, et de là elle s’élèvera de nouveau aux mêmes altitudes où resplendit la lumière intérieure. 3· C'est ce que dit le prophète, s'adressant à l'âme élue sous la figure de Jérusalem : «Tiens-toi sur la hauteur et regarde la joie qui te viendra du Seigneur ton Dieu.» En d'autres termes : «Si tu n'es pas capable de rester continuellement là-haut à contempler Dieu, au moins ne descends pas au plus bas. Monte la garde sur tes hautes tours : de là, tu pourras t'élever sans peine et contempler celui que tu désires.» 80, 1. L'esprit revient à sa cité de Ramatha, quand, «écarté de la vision de la divine majesté, il reste à contempler les saints anges. Si même, incapable de penser à la nature subtile des anges, il prend pour objet de sa méditation les bienheureux martyrs et les autres élus qui sont déjà entrés dans l'éternité, cette pensée de leur gloire parfaite le fait aussi, sans nul doute, rentrer dans sa cité, empêché qu'il est de s'attarder sur les sommets. 2. Ramatha, dit le texte, est sa cité. C'est tout à fait exact, car elle lui est familière et il l'aime, donc il la tient pour sienne sans hésiter. Il avait compris que cette cité était la sienne, celui qui disait :«Nous savons que, si la demeure terrestre où nous habitons vient à s'effondrer, nous avons un édifice qui nous vient de Dieu, une demeure non faite de main d'homme, éternelle, dans les cieux.» Et il dit encore : «La Jérusalem d'en haut est notre mère.» 3. Mais si notre homme ne peut revenir à cette cité d’en haut, qu'il retourne tout de même à sa cité de Ramatha. S’il doit descendre des hauteurs suprêmes de la première, qu’il se tienne dans la vision de l'Eglise qui pérégrine encore ici-bas mais rayonne de tout l'éclat d'une vie sublime. De là, il pourra revenir et voir resplendir à nouveau la vraie lumière qui brille sur les hauteurs, d'autant que son intelligence, arrachée par le poids de la chair à la retraite où se voit la lumière intérieure, ne sera pas pour cela descendue jusqu'aux bas-fonds de la terre. 81, 1. Après un cycle de jours, Anne conçoit et enfante : qu'est-ce à dire, sinon que la contemplation ne goûte pas d'emblée la joie de la parfaite dévotion, dès la première ascension qu'il lui est donné de faire vers la beauté de son Créateur ? C'est après un cycle de jours, nous dit-on, qu'elle conçut et enfanta, car c'est seulement quand la contemplation a pris l'habitude d'être ravie au ciel qu'elle reçoit, dans la vision de la lumière céleste, le don tant désiré de la fécondité. Le cycle de jours, en effet, c’est l’infusion de la lumière divine. Celle-ci a autour d'elle une couronne de jours multiples, puisque, tout en éclairant l’esprit d’une seule et même clarté, elle y introduit ses rayons lumineux un à un, en se manifestant à lui graduellement, jusqu’à ce qu'une manifestation plus ample le comble d’une joie plus parfaite. 2. Autre explication : c'est après le cycle des jours qu’Anne a conçu, car aussi longtemps que l’inexpérience du contemplatif imprime au regard de son esprit le mouvement giratoire des pensées changeantes, l'esprit ne s’élève pas à la pleine perception de la joie que la majesté de Dieu répand au-dedans de lui. Les jours passent comme en un mouvement circulaire, quand l'esprit du débutant se hausse sur un sommet où il contemple, mais la lueur splendide qu’il aperçoit un instant ne réussit pas à le retenir et à le fixer dans son aire lumineuse, parce qu'il ne cesse de rouler de tous côtés. C'est donc après le cycle des jours qu’Anne conçoit, car l'âme commence par passer du tourbillon de ses pensées changeantes à un état de force et de stabilité et quand l'habitude lui a appris à rester en contemplation sans bouger, elle obtient le fruit dont elle est féconde : la joie d'une parfaite dévotion. 3. Et ce qu'elle a conçu, elle le met au monde, en le faisant connaître à son prochain pour la gloire de la divine majesté. 82, 1. Une fois l'enfant né, on l'amène à la Tente avec trois veaux, car nous devons rendre grâce à la divine Trinité pour le don spirituel qu'elle nous a octroyé. Ce sont là les veaux dont parle le prophète quand il supplie le Seigneur : «Ote-nous toutes nos iniquités, reçois ce qui est bon, et nous rendrons les veaux de nos lèvres.» Autrement dit : «Pour les dons que tu nous a octroyés, nous rendrons des sacrifices de louange, l'hommage de nos lèvres.» 2. On amène l'enfant pour l'offrir à la maison du Seigneur, quand on révèle le progrès accompli par l’âme consacrée à ceux qui enseignent la sainte Église, afin qu’en conférant avec ces sages et en soumettant ce progrès à leur examen, on évite toute illusion de l'astucieux ennemi qui pourrait venir le souiller. La maison du Seigneur peut aussi désigner l'éternelle patrie, dont le psalmiste dit, dans sa joie exultante: «Heureux ceux qui habitent en ta maison, Seigneur. Dans les siècles des siècles ils te loueront.» On amène l'enfant à la maison du Seigneur, quand l'âme élue est emportée vers le ciel et qu'elle n'a cesse de rendre grâce au Dieu tout-puissant pour les progrès spirituels qu'elle a faits, en reconnaissant que c'est lui qui lui a donné de les accomplir. 3. Un seul veau est immolé, alors que trois, selon le récit, ont été amenés. C'est juste : en chantant les louanges de Dieu, les fidèles confessent une Trinité de personnes, mais ils n'en proclament pas moins que celles-ci sont indivisible Unité. 4. Cependant, que serait et que vaudrait la louange sans la dévotion ? Il est donc tout à fait convenable qu'aux trois veaux s'ajoutent des boisseaux de farine en nombre égal. Ainsi, ce que notre bouche dit à la louange de Dieu nous rassasie en même temps par la dévotion. Au contraire, c’est offrir le veau sans farine que de proférer des paroles à la louange de Dieu, tout en divaguant mentalement et sans faire attention à ce qu'on dit. Si, d'autre part, à prononcer les paroles de Dieu pour le louer ou le prier, nous éprouvons un joyeux contentement, en mêlant cette joie à l'intelligence de ce que nous disons, nous joignons à la farine une amphore de ce vin qui réjouit le coeur de l’homme. 5. Voilà bien ce que laisse entendre l'auteur de cette prière : «Que Dieu, notre Dieu nous bénisse, que Dieu nous bénisse; et que tous les confins de la terre le craignent.» Voyez-le qui amène trois veaux à la Tente : en louant Dieu, il répète son nom divin et manifeste ainsi la distinction des personnes. Mais en disant : «Qu'ils le craignent», et non : «Qu'ils les craignent», il immole un seul veau après en avoir amené trois. 6. Puis joignant aux veaux la farine, et à la farine le vin il s'en fait gloire en disant : «Vers lui, de ma bouche est montée une clameur, et sous ma langue, c'était l’exultation.» La clameur qu'il a poussée, c'était comme le veau du sacrifie, amené pour être immolé. Mais pour pouvoir ressentir l’exultation sous sa langue, il a dû comprendre les paroles sublimes de sa prière. Ainsi, en poussant sa clameur, il a compris ce qu'il clamait et exulté : il a mis, dans son offrande au Dieu tout-puissant, non seulement le veau, mais encore des mesures de farine et l'amphore de vin. Le veau, la farine et le vin, c'est donc la louange de Dieu, l’intelligence de cette louange et la joie de la dévotion dans l'âme. 7. Quant, au boisseau et à l'amphore, pourquoi les mentionner à propos de cette offrande faite à Dieu, sinon parce que ce sont des noms de mesure ? Ce que cela signifie spirituellement, Paul l'explique quand il dit : «Chacun tient de Dieu un don particulier, l'un tel don, l'autre tel autre.» D'où le mot de la Vérité : «On versera dans le pli de votre vêtement une bonne mesure, bien pleine, bien tassée.» C'est cette mesure que la sainte Écriture nous enjoint de garder quand elle dit : «Ne soulève pas un poids trop lourd pour toi.» 8. Mais l'âme élue doit prendre bien garde d'offrir ces trots choses au Dieu tout-puissant avec l'ardeur d’une sainte dévotion et le souci de se faire connaître telle qu’elle est. C'est pourquoi on nous dit qu'Anne offrit son enfant au prêtre. Cela, nous le faisons à notre tour, si, après avoir fait des progrès dans la sainteté, obtenu la fécondité de l'âme et produit le fruit des joies spirituelles, nous soumettons à l'examen de nos supérieurs tout ce que la contemplation céleste a engendré en nous. 83, 1. Même comblés de dons sublimes, les élus n’abandonnent pas l'humilité qui leur est si bonne. Aussi le texte ajoute-t-il : ET LA, ILS ADORÈRENT LE SEIGNEUR. Dans la maison du Seigneur on adore le Seigneur, quand l’âme s’élève très haut dans la contemplation de la patrie céleste, mais se prosterne en toute humilité devant le Dieu tout-puissant, à raison même de l'élévation si sublime qui lui a été accordée par l'Esprit. 84, 1. Nous avons donc achevé de parcourir cette section en la commentant au sens historique ou moral non de façon continue mais sommairement. Ainsi nous pourrons nous étendre un peu plus sur le texte du cantique spirituel qui vient ensuite et que nous allons chercher à expliquer du point de vue figuratif. Deuxième section : sens typique 85, 1. Suite du texte : ET ANNE FIT CETTE PRIÈRE : MON COEUR EXULTE DANS LE SEIGNEUR. Sous le personnage d'Anne, nous l'avons montré, se cache la figure de la sainte Eglise. Une fois l'enfant né, elle exulte dans le Seigneur, déclare-t-elle, parce que, pour avoir amené le peuple des païens à croire au Rédempteur, elle n’éprouve pas de vanité ni d'enflure, mais elle met sa joie en un autre, tournée vers celui qui lui a donné d'être féconde. 2. Ces mots indiquent en effet le lieu de sa joie, mais révèlent en même temps la cause de cette exultation. Stérile, elle a pleuré; accouchée, elle exulte. C'est le portrait de la sainte Eglise qu'elle trace ainsi par avance :privée des joies du paradis, reléguée en cette vallée de larmes, celle-ci gémit sur son sort, mais pour gagner les âmes elle supporte son douloureux exil avec patience. Une seule chose la fait exulter, au milieu des douleurs du temps présent qui l'assiègent : voir, grâce à sa glorieuse fécondité, les élus se multiplier, et se réparer les pertes subies par la patrie céleste. Elle dit donc : «Mon coeur exulte dans le Seigneur,» car elle a obtenu le résultat qu'elle se proposait. 3. Notons ici qu'on nous dit que ces fières paroles furent prononcées par elle dans une prière. La phrase d'introduction dit en effet : «Et Anne fit cette prière : Mon cœur exulte dans le Seigneur.» Or on ne la voit présenter à Dieu aucune demande. Pourquoi le texte dit-il donc qu’elle fit une prière ? Mais la sainte femme savait, par l'esprit de prophétie, que cela se réaliserait dans l'avenir, et elle le souhaitait passionnément. Dès lors, sa parole est bien, tout ensemble, exultation et prière. Ce qui la faisait exulter, c'était la certitude de ce qui allait s'accomplir, et elle souhaitait avec passion cet accomplissement du mystère dont elle avait eu connaissance par une révélation. 4. Il en va de même pour la sainte Église : quand, avec amour et vénération, elle fait mémoire des bienfaits de Dieu, son langage est tout ensemble une prédication et une prière. Ce que sa parole exprime au-dehors, elle éprouve au-dedans un désir étonnant de le voir se réaliser, et elle en salue la réalisation avec une dévotion débordante. 5. Elle dit donc : «Mon coeur exulte dans le Seigneur», parce que les dons qu’elle reçoit en vue d'une moisson de joie éternelle, elle se garde de les changer en satisfaction temporelle. 86, 1. Suite du texte : MA CORNE S'EST EXALTÉE EN MON DIEU : La corne d'Anne, n'est-ce pas la puissance de la sainte Eglise ? Elle a étonnamment poussé, cette corne quand le Fils de Dieu, assumant l'humanité, a pris sa part de notre nature. C'est en lui que la corne de la sainte Église s'est exaltée, car en lui, dès à présent, la nature humaine resplendit de cette dignité supérieure aux anges où il l’a élevée. 2. Mais en proclamant qu'il est son Dieu et son salut à un titre spécial, la sainte Église indique implicitement le rejet de la Synagogue. En Dieu, notre salut, notre corne s’est donc exaltée, car le pouvoir de l'Église s'est élevé pour nous à une hauteur sublime dans l'humanité du Rédempteur. D’où le mot prononce par Zacharie au sujet de ce dernier : «Il a élevé pour nous une corne de salut dans la maison de David, son serviteur, comme il l'avait dit par la bouche de ses saints prophètes.» 3. En déclarant que sa corne est exaltée elle montre implicitement qu'elle avait une corne auparavant, mais que celle-ci n’était pas exaltée. De fait, la sainte Eglise a eu sa corne dès avant la venue du Rédempteur : en la personne des patriarches et des prophètes, elle a reçu de Dieu les normes d'une vie correcte et le pouvoir de corriger les délinquants. Mais cette corne qu'elle avait n'était pas exaltée : sans doute pouvait-elle mener une vie juste, mais elle ne pouvait retourner aux joies du paradis, aussi longtemps que le Rédempteur ne se serait pas rendu présent. 4. A présent, la corne de la sainte Église s'est donc exaltée, car le Rédempteur du monde est venu, nous l'avons reçu, et sa grâce nous permet non seulement de mener une vie correcte, mais encore de passer aux joies du paradis : pour nous, il est mort et ressuscité, sa mort a fait mourir la mort, et le paradis s'est ouvert à ceux qui croient en lui. 5. Notre corne s'est donc exaltée en notre Dieu car la grâce du saint Esprit s'est répandue, et nous voyons une foule d'élus porter l'image du Rédempteur imprimée sur eux. Renonçant à tout ce qui est sur terre, s'abstenant des plaisirs de la chair, abandonnant leurs biens, la puissance dont ils brillent est d'autant plus haute que la sainte Église n'avait pas, dans ses foules d'autrefois, des marques de vertu aussi insignes. Notre corne s'est exaltée en Dieu, notre Sauveur, car il nous a donné, à nous qui l'avons reçu, le pouvoir de devenir fils de Dieu. 6. C'est cette corne que notre Sauveur voulait exalter quand il disait : «Voici que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds serpents et scorpions, ainsi que toute puissance adverse.» De là encore sa déclaration : «Tout ce que tu lieras sur terre sera lié pareillement dans les cieux.» Et aussi sa promesse : «Vous siégerez sur douze trônes, jugeant les douze tribus d'Israël.» 7. Anne peut donc dire : «Ma corne s'est exaltée en mon Dieu.» Ce qu'elle désigne ainsi, c'est la gloire de la sainte Eglise, qui doit son pouvoir sublime et sans pareil à la présence du Rédempteur. 87, 1. A présent, elle se déploie dans le monde entier, elle qui jadis était renfermée dans la Judée, pressée par les persécutions. Aussi le texte poursuit-il : MA BOUCHE S'EST OUVERTE TOUTE GRANDE AU-DESSUS DE MES ENNEMIS. Ces ennemis de l'Église ne sont-ils pas les Juifs ? Au-dessus d'eux elle tient la bouche grande ouverte, car à l’encontre de leur incrédulité, elle met en mouvement les langues de toutes les nations, désormais gagnées à la foi. La bouche de la sainte Eglise s'est donc ouverte toute grande, car elle est répandue dans tout l'univers, et en enseignant toutes les nations auxquelles elle annonce la vérité, elle jette le blâme, comme à pleine bouche, sur la sottise des Juifs. 88, 1. Mais si elle a ce pouvoir, c'est qu'elle a accueilli avec joie le Rédempteur du monde venu dans la chair. Cette raison pour laquelle elle a la bouche grande ouverte, elle l’indique donc en disant : PARCE QUE J'AI RESSENTI DE LA JOIE POUR TON SALUT. 2. Le salut de Dieu, nous savons à présent qui il est. C'est de lui qu'Isaïe a prophétisé : «Toute chair verra le salut de Dieu.» Et Jésus, en notre langue, signifie salut. De lui encore Habacuc se promet de la joie, quand il dit : «Je serai dans la joie en Jesus, mon Dieu.» Par la voix de ces Juifs d'autrefois, voilà le Seigneur Jésus proclamé Dieu. Mais les Juifs d'aujourd'hui attendent le sauveur, et ils ne croient pas qu'il soit Dieu. 3. Mais peut-être les Juifs prétendront-ils renverser, en leur propre langage, notre interprétation. En traduisant Jésus par «sauveur», ils entendent «Dieu sauveur» non de la personne du Fils unique, mais de celle du Père. Pourtant la suite du passage montre clairement qu'il s'agit du Fils unique : «Seigneur Dieu, dit le prophète, toi qui es ma force, mets mes pieds en lieu sûr et place-moi sur la hauteur, pour que je remporte la victoire dans sa clarté.» Parlant à Dieu, nous le voyons, il dit : «Place-moi sur la hauteur.» Mais quand il dit : «Que je remporte la victoire dans sa clarté», il pose une distinction évidente entre celui dont il parle et celui à qui il parle. 4. Qui est donc celui dont il parle, sinon le Fils unique de Dieu, qu’il croit être non seulement homme véritable mais encore Dieu ? En disant donc à Dieu: «Je serai dans la joie pour Jesus, mon Dieu», et : «Que je remporte la victoire dans sa clarté», il ne désigne pas un autre Dieu, mats une autre Personne divine. 89, 1. Tels sont les arguments de la sainte Église, voilà ce qu'elle affirme invinciblement contre les Juifs incrédules et qu'elle répand dans le monde entier. La sainte Église a donc la bouche grande ouverte au-dessus de ses ennemis car à présent Dieu fait connaître en tout lieu les faits qui réfutent l'incrédulité des Juifs. 2. Qu'ils entendent donc la raison qui tient cette bouche grande ouverte, eux qui dénient la salut de Dieu, et que la joie de notre salut soit un argument qui les frappe et les confonde. Mais même quand on les frappe, ils refusent d'arrêter leurs blasphèmes. Le monde a accepté le salut de Dieu, toute chair l'a vu; le Juif, lui, ne croit pas, parce que, comme je l'ai dit, il attend un sauveur qui ne soit pas Dieu. 3. Qu'ils entendent donc la malédiction que lance le prophète : «Maudit soit l'homme qui se confie en l'homme, et dont le coeur s'éloigne du Seigneur.» Les Juifs se confient en l'homme : ils refusent de croire au Rédempteur, ils attendent l'Antichrist à la fin du monde. 4· C'est pour leur confusion que le psalmiste proclame : «Tous les confins de la terre ont vu le salut de notre Dieu.» C'est comme s'il confondait l'incrédulité des Juifs en disant : «Pourquoi repousser sa vue à plus tard ? Celui que vous attendez est déjà venu; celui qui vous était promis est d'ores et déjà apparu à tous les confins de la terre. Tandis que vous fermiez les yeux, il est passé. Bien mieux, tel a été votre aveuglement que cette lumière immense était devant vous, et vous ne l'avez pas vue. Aussi Jubile en l’honneur de Dieu, terre entière, chantez, exultez, psalmodiez. Psalmodiez en l'honneur de notre Dieu sur la cithare avec la cithare et au son d'un psaume, sur les longues trompettes de métal et au son de la trompe de corne. Jubilez sous les yeux du roi, en l'honneur du Seigneur. Que la mer frémisse avec tout ce qui l'emplit, le globe terrestre avec tous ceux qui l'habitent. Les fleuves battront des mains tous ensemble, les monts ont bondi devant la face du Seigneur, car il vient, car il viendra pour juger la terre.» 5. En clair, cela revient à dire : «Puisque l’aveuglement dont ils souffrent est sans bornes, puisqu'ils n'ont pas mérité de voir, réjouissez-vous d'autant plus, vous qui avez vu.» Mais pour faire entendre jusqu'où doivent aller ces étonnants et indicibles transports d'allégresse, il accumule les signes de joie en disant : «Jubilez, chantez et psalmodiez.» Dans son empressement à évoquer la célébration exultante, il énumère ses instruments et dit : «Psalmodiez en l'honneur de notre Dieu sur la cithare avec la cithare et au son d'un psaume, sur les longues trompettes de metal et au son de la trompe de corne. Jubilez sous les yeux du roi, en l'honneur du Seigneur.» Que veut dire «sous les yeux du roi», sinon : dans la connaissance du Rédempteur ? Quant aux multitudes qui doivent célébrer cette fête dans la joie, il les évoque en disant : «Que la mer frémisse avec tout ce qui l'emplit, le globe terrestre avec tous ceux qui l'habitent.» 6. Ô malheureuse nation juive ! Les confins de la terre ont vu le salut de Dieu, toute la terre frémit et jubile, l’univers entier est en liesse, les fleuves battent des mains les montagnes exultent, mais les coeurs impies des Juifs ne croient pas; aveugles, enténébrés, la jalousie les ronge : c'est leur châtiment. 90, 1. Mais celui qu'ils ne craignent pas de blasphémer, la sainte Église redouble d'éloges à son égard en disant : NUL N'EST SAINT COMME LE SEIGNEUR. Quand elle décrit le Rédempteur, elle le présente comme incomparable à tous égards. Ainsi apparaît, en effet, qu'il est le véritable Rédempteur : dans tout ce qu'on dit en son honneur, personne ne peut lui être comparé. Il a donc racheté tous les hommes, puisqu'il est au-dessus de tous. 2. Ce langage est dirigé de façon pertinente contre la maison juive, qui méprise le Rédempteur avec d'autant plus d’audace qu'elle se souvient d'avoir eu quantité de grands hommes célèbres pour leur sainteté reconnue. C'est ainsi qu'ils injurient l'aveugle après sa guérison, en lui disant : «Toi, sois son disciple; nous, nous sommes les disciples de Moïse. Moïse, nous savons que Dieu lui a parlé. Celui-là nous ne savons d'où il est.» De même encore, ils se vantent en disant : «Nous sommes la descendance d'Abraham et jamais nous n'avons été esclaves de personne.» Pourtant, si Moïse, Abraham et le Christ furent tous trois des hommes les deux premiers furent pris pour parler de Dieu, le dernier fut pris pour entrer dans la divinité; les deux premiers ont été pris pour accomplir un service le dernier en qualité de Fils unique, a été pris pour régner. D'où la parole qu'il prononce : «Tout ce que possède le Père est à moi.» 3. «Nul, n'est saint comme le Seigneur.» Cela, la sainte Ecriture 1 atteste a son tour quand elle dit : «En lui corporellement s'est répandue toute la plénitude de la divinité. » C'est ce qui fait dire à Jean : «De sa plénitude nous avons tous reçu.» Nul n'est donc saint comme le Seigneur, car en le proclamant Seigneur, on affirme par le fait même sa sainteté hors de pair. 4. Il est vrai que les juifs se représentent le Christ qu’ils attendent comme un homme pur et simple, tout en croyant qu’il sera leur Seigneur, et saint à un titre unique. Mais le psalmiste les réprouve et nous invite à la joie de la foi par ces paroles : «Jubilez en l'honneur de Dieu, terre entière, servez le Seigneur dans l'allégresse. Entrez en sa présence en exultant. Reconnaissez que le Seigneur est Dieu.» Les Juifs l'appellent «Seigneur» sans le regarder comme Dieu. A nous donc de jubiler, à nous de servir dans l’allégresse, nous qui avons pour Seigneur celui que nous croyons Dieu en même temps – et nous sommes dans le vrai, puisque cette majesté divine qu'il a revendiquée pour lui-même, il l'a prouvée par des miracles sans pareils. Aussi ceux qui nient sa divinité invisible devraient-ils croire à ses oeuvres manifestes. 5. Mais quelle sainteté étonnante que celle-là, qui sanctifie les pécheurs ! C'est ainsi qu'il dit de la pécheresse : «Ses nombreux péchés lui sont remis, puisqu'elle a beaucoup aimé.» Cette sainteté sans pareille, l’hémorroïsse l'avait reconnue quand elle disait : «Si seulement je touche la frange de son vêtement, je serai sauvée.» Mais qui déclarerait avoir foi en lui, si l'effet de cette foi n’était manifeste ? Dès qu'elle eut touché ses vêtements, le sang cessa de couler. Nul n'est donc saint comme le Seigneur, car chaque fois qu'un homme a pu arriver à la sainteté, c'est de lui qu'il a reçu cette grâce de pouvoir être saint. 91, 1. Cette idée, la sainte Eglise l'exprime de nouveau dans la phrase qui suit, en se tournant avec un grand amour vers le Rédempteur et en lui disant : NON, EN DEHORS DE TOI, IL N'EST POINT D'AUTRE, sous-entendu : «Saint.» 2. En dehors de lui, il y aurait un saint, si quelqu’un pouvait avoir l'Esprit qui sanctifie sans en être gratifié par le Fils unique. Mais comment affirmer pareille chose à propos d'hommes, quand le contraire est manifeste en ce qui concerne les anges ? En effet, il est écrit : «Du Verbe du Seigneur, les cieux ont reçu leur force, et du souffle de sa bouche, la totalité de leur puissance.» Le Verbe du Seigneur, c'est le Fils unique de Dieu, celui que Jean l'Évangéliste mentionne en ces termes : «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.» Si donc d'après ce texte, les anges eux-mêmes ont été sanctifiés dans le Fils, les hommes, a fortiori, ne peuvent, au regard de la foi, obtenir sans lui la grâce de la sanctification. 92, 1. Mais on peut aussi comprendre sans aucun sous-entendu. «En dehors de toi, il n'est point d’autre» : que signifient ces mots, sinon l'essence divine immuable dans le Rédempteur ? C'est ce qui lui fait dire aux Juifs blasphémateurs : «Avant qu'Abraham fût, je suis.» A Moïse, dans la Genèse, il donne le même enseignement en disant : «Je suis celui qui suis.» Pour le Fils unique de Dieu, en effet, «être» c'est n'être jamais différent de ce qu'il est. Un tel état est complètement étranger à tout mortel, car il est clair qu’ils changent de mainte façon à chaque instant. 2. Cela peut s'appliquer aussi à l'état de justice : être, pour les élus, c'est demeurer en Dieu par la justice; et puisque le Fils unique de Dieu est Dieu, hors de lui il n'y a personne, car il n'est aucun des élus qui ne soit en lui. Ce que nous disons là concerne sa divinité, mais sans exclure la pensée de son humanité, car on ne saurait être juste sans croire à la divine incarnation. 3. Ainsi, pas un mot du texte qui ne frappe les Juifs. Méprisant le Rédempteur, ils attendent un Antichrist, qu'ils considèrent manifestement comme n’étant pas Dieu. D’où le mot du bienheureux Job : «Qu'ils habitent dans sa tente, les associés de celui qui n'est pas.» La tente de l Antichrist, c’est l'attachement à l’incroyance, qui le met en opposition à la foi au Rédempteur. C’est dans cette tente que les Juifs demeurent à présent : attachés à leur incroyance, ils en font leur habitacle et leur séjour, de sorte qu’ils ne cessent de lutter contre le Rédempteur.«Associés de celui qui n’est pas,» dit d’eux le texte car ils se font, dans son dessein bien arrêté, les coopérateurs du diable; celui-ci, une fois déchu de l'amour de l'essences suprême, a perdu par le fait même l'être véritable : ce non-être qui est le sien consiste à ne pouvoir partager de nouveau l’amour de cette suprême et bienheureuse essence. 93, 1. Le peuple juif a tiré un surcroît d’orgueil, non seulement de la vie ardue que menaient ses anciens Pères, mais encore des miracles qui s'y sont manifestés. Aussi l’Ecriture poursuit-elle : ET NUL N'EST FORT COMME NOTRE DIEU. C’est comme si elle remettait à sa place la vaine fierté de la nation juive, en lui disant : «Tu proclames qu’ils ont fait de grandes choses, mais ils n'étaient que des hommes. Au contraire, celui que j'annonce ne fut pas seulement un saint homme, mais aussi un Dieu puissant.» La force mentionnée ici signifie donc une supériorité incomparable : toute force humaine n'est que faiblesse en comparaison de la divinité. 2. Ici, toutefois, il ne s'agît pas d'affirmer la divinité pour prouver le caractère insurpassable de l'oeuvre, mais de montrer, par cette force sans pareille, qu’on ne se trouve en face du vrai Dieu. Comme si l’on disait : «Le signe qu'il a dit vrai, c’est que, tout en revendiquant pour lui-même la divinité, il l’a prouvée par des oeuvres sans pareilles.» D’où le mot qu'il a lui-même prononcé : «Si je n'avais fait parmi eux des oeuvres qui n'ont été faites par nul autre, ils seraient sans péché.» 3. Ces oeuvres, examinons-les à présent. Moïse divisa la mer, Elie divisa un fleuve, notre Seigneur Jésus marcha sur la mer. Quel est le plus bel exploit : ouvrir un chemin, pour la traversée du peuple, dans le fond des eaux mis à sec ou bien transformer la surface même de la mer en un chemin ? Grevés du poids de leur humanité, ces hommes cherchaient au fond des eaux un chemin de terre ferme pour y avancer. Mais lui, ayant assumé la faiblesse de l’humaine nature pour l'unir, comme on sait, à sa sublimité divine, marchait sur les eaux par sa puissance propre. 4. Après avoir conversé avec le Seigneur, Moïse eut le visage qui resplendissait; par ses prières, Josué arrêta le soleil. Mais Jésus, parce qu'il est Dieu, resplendit de l’éclat du soleil devant ses disciples. Du premier, les enfants d'Israël ne pouvaient regarder la face; du dernier, ceux qui méritèrent de contempler la gloire tombèrent à terre. Il s'agissait de nous faire voir clairement en lui le divin qui passe l'humain. 4. Sur la montagne, en leur présence, le Père éternel lui déclare : «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances, écoutez-le.» Élie ferma le ciel pour empêcher qu'il ne plût, et il le rouvrit afin qu'il plût. Mais même lui, qu'est-il donc auprès de celui qui ouvrit les cieux et obtint que son Père attestât sa divine naissance ? 6. Nul n'est donc fort comme le Seigneur, car tous les prodiges opérés par Moïse, c'est le Seigneur qui les a faits, non lui, tandis que Jésus a effectué tous ses miracles par sa puissance propre. Pour Moïse lui-même, en effet, il était le Seigneur. Ce n'est pas Moïse qui fit pleuvoir la manne sur le peuple cheminant au désert, c'est le Seigneur. Ce n’est pas Moïse mais le Seigneur qui marcha devant le peuple dans une colonne de feu pendant la nuit, dans une colonne de nuée pendant le jour. Ce n'est pas Moïse, mais la parole à lui adressée, qui fit jaillir l'eau du rocher. Ce n'est pas Moïse mais le Seigneur qui envoya les oiseaux désirés par eux. A preuve, la parole du Seigneur, quand il remet à leur place les Juifs qui se glorifiaient de la force des Pères : «Ce n'est pas Moïse mais mon Père qui vous a donné le pain du ciel.» 7. A preuve aussi, les mots du psalmiste. Au lieu d'adresser à Moïse des éloges inconsistants, il exaltait le Seigneur, en disant à sa louange : «Il fit des merveilles en terre d'Egypte, aux champs de Tanis. II fendit la mer et les y fit passer, il dressa les eaux, comme enfermées dans une outre. Il les mena le jour dans la nuée, et toute la nuit dans l'éclat du feu. Il fit jaillir l'eau du rocher, il fit jaillir les eaux comme un fleuve. Il commanda aux nuées d'en haut et il fit pleuvoir sur eux la manne pour qu'ils en mangent. Il fit pleuvoir sur eux la viande comme poussière, les volatiles ailés comme sable des mers.» 8. Le Seigneur Jésus, lui, a montré une force incomparable, qui n'était pas reçue d'autrui, mais venait de sa propre puissance. Ce pouvoir qu'il tient de lui-même il l’indique en commandant au paralytique : «Je te le dis, lève-toi.» De même, il est écrit : «Tous ceux qui le touchaient étaient guéris, quel que fût le mal dont ils souffraient.» Et encore : «Une vertu émanait de lui et les guérissait tous.» Cette force insigne, ni Moïse ni Élie n’a pu l'avoir, de sorte que les signes incomparables qui sont apparus ont démontré de façon parfaitement évidente que le Fils unique était venu. 94, 1. C'est donc à bon droit que l'Écriture condamne la Synagogue à un silence perpétuel en ajoutant : NE MULTIPLIEZ PAS LES PAROLES HAUTAINES. ÔTEZ DE VOTRE BOUCHE LES FAITS ANCIENS. Comme si elle disait : «Vous voyez des nouveautés incomparables. Vous avez donc tort de porter aux nues les prouesses des anciens.» Celles-ci en effet, ont précédé comme une ombre, mais à présent les vrais croyants vénèrent et adorent sans voiles les oeuvres de notre Rédempteur. Ce qui n'était alors qu'esquissé pour cacher le mystère, on a bien vu, quand le Rédempteur est venu, que cela tendait vers la révélation de la vérité, corps de ces ombres. 2. Si donc on rapporte ces faits anciens aux nouveaux ils ne sont pas vieux, car leur intelligence à la lumière de l'Esprit saint les débarrasse de toute vétusté. Cet Esprit qui renouvelle tout, le psalmiste l'implore en disant : «Envoie ton Esprit, ce sera la création, et tu renouvelleras la face de la terre.» Comparés aux oeuvres du Rédempteur, ils sont donc vieux. Mais quand nous les alléguons au sens spirituel pour confirmer ces oeuvres, ils se renouvellent grâce à l'Esprit. qui nous en donne l’intelligence. 3· Quand donc la sainte Église reproche aux Juifs de raconter des faits anciens, qu'est-ce qu'indique ce blâme, sinon qu'ils comprennent les actes spirituels des Pères en un sens charnel ? En effet, la Synagogue s'insurge contre la sainte Eglise de façon téméraire, la fierté que lui inspire sa connaissance de la Loi et des prophètes n'étant qu'orgueil : divinement inspiré chez ses Pères, cet enseignement n’est chez elle que matériellement. 4. C'est donc pour l'empêcher de vanter ces signes que l'Eglise lui dit : «Ne multipliez pas les paroles hautaines, dans votre orgueil.» Et pour dégonfler son enflure, elle ajoute : «Otez de votre bouche les faits anciens.» Anciens ils le sont pour la Synagogue, puisque, comme je l'ai dit : elle ne les entend pas à la lumière de l'Esprit qui renouvelle. Cela revient donc à dire : «Mieux vaut t'abstenir de ces récits, puisque tu en ignores les sens nouveaux et splendides. Et même si tu les comprends à fond, tu ne dois pas en concevoir de l'orgueil, car Dieu est le Seigneur des savoirs.» 5. Oui, le Rédempteur du genre humain, en tant que Parole du Père, est le Seigneur de tous les savoirs. Isaïe a dit de hautes et grandes choses, Jérémie a dit de grandes choses. Mais, à coup sûr, ils n'auraient rien dit, si ce Verbe, Seigneur des savoirs, ne leur avait donné leur savoir avant qu'ils ne le disent. D'où la phrase qu'on lit souvent dans les oracles de ces mêmes prophètes : «Parole (verbe) qui fut adressée au prophète Isaïe.» Souvent aussi on trouve dans le livre de Jérémie : «Parole (verbe) qui fut adressée au prophète Jérémie.» 6. Ce Verbe, Seigneur des savoirs, Jean l'aperçut au plus haut des cieux, dans le sein du Père qui est au-dessus de tout, et il déclare : «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.» Ce Seigneur des savoirs, notre Rédempteur, Paul le désigne quand il dit «qu'en lui habite toute la plénitude de la divinité corporellement». 7. Ainsi, quand notre texte dit : «Ôtez de votre bouche les faits anciens, car Dieu est le Seigneur des savoirs», qu'a-t-il en vue, sinon de montrer à la Synagogue, par un argument patent, qu'elle doit se taire d'autant plus soigneusement qu'elle ne sait pas ce qu'elle dit, puisqu'elle en ignore non seulement le sens, mais encore l’inspirateur ? C'est comme s'il disait : «Ce savoir que tu revendiques pour tes Pères, tu ne devrais pas en concevoir de l’arrogance, puisqu'il ne leur est pas venu d'eux-mêmes mais du Fils unique de Dieu, et que tu n'en possèdes pas l'intelligence.» 8. Le texte dit donc : «Ôtez de votre bouche les faits anciens», pour que les Juifs ne tiennent pas un langage qui pervertit des faits dont ils ne peuvent comprendre le sens exact. Il dit : «Dieu est le Seigneur des savoirs», pour leur faire reconnaître que toute science appartient en vérité à Dieu, et les empêcher de l'attribuer faussement à des hommes. 95, 1. Mais tout en adressant ces reproches au judaïsme pour l'orgueil qu'il tire de la parole sans en éprouver ni crainte ni componction, l'Écriture lui prédit aussi les tourments que leurs mouvements cachés vaudront à ces cœurs incroyants. Elle poursuit en effet : ET C'EST POUR lui QUE S'APPRÊTENT LES PENSÉES. Comme si elle disait : «Celui que tu ne crains pas de blasphémer, tu ne l'auras pas seulement pour juge de ta langue, mais aussi de ton coeur.» D'où cette autre menace qu'elle profère par Isaïe : «Leurs oeuvres et leurs pensées, je viens les recueillir.» De là, les paroles menaçantes du Seigneur, disant par Moïse : «Tout cela, ne l'ai-je pas recueilli auprès de moi et consigné dans mes trésors ?» 96, 1. Ces mots enjoignent à la Synagogue de se taire. Voyons à présent les louanges que la sainte Église, fière de sa fécondité, s'adresse à elle-même par la voix d'Anne. Elle ajoute en effet : L'ARC DES PUISSANTS A ÉTÉ DOMINÉ. Qu'est-ce que l'arc des puissants, sinon la violence dissimulée des Juifs ? Car c'est en cachette, comme avec un arc, qu'ils infligèrent au Rédempteur ses blessures, en le tuant par la main des païens. 97, 1. Mais l'arc des puissants a été dominé, car celui qui mourut, blessé par eux, ressuscita des morts, monta au ciel et envoya l'Esprit saint à ses disciples selon sa promesse. D'où la suite du texte : ET LES FAIBLES SE SONT CEINTS DE FORCE. Le mot «force» désigne la puissance de l'Esprit saint. De là vient que le Seigneur, quand il promet ce même Esprit à ses disciples, leur dit : «Restez dans la ville, jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la puissance d’en haut.» – «Force» est un mot qui convient à la grâce du saint Esprit, puisque les élus qui la reçoivent en sont fortifiés contre toutes les oppositions de ce monde. 2. Quant aux «faibles» dont il est question ici, ne faut-il pas voir en eux les apôtres ? Mais s'ils sont faibles, c'est au moment où l'arc des puissants se bande contre eux non à celui où ils sont revêtus de la puissance d'en haut. A l’heure ou le Seigneur fut arrêté, l'Ecriture nous dit qu'ils abandonnèrent tous le Seigneur et prirent la fuite. Faible, Pierre ne le fut-il pas à l'extrême, quand il suffit qu'une petite servante l'interrogeât pour qu'il eût peur de sa voix et reniât le Rédempteur ? Même après que l'arc des puissants eût été dominé et la violence des Juifs annihilée par la résurrection du Rédempteur, vainqueur de la mort, même alors les apôtres restaient faibles et tremblaient, toutes portes closes, devant les puissants désormais dominés. 3. Mais quand la force vient les revêtir, c'est un plaisir de voir comme elle les rend courageux. Un son se fit entendre soudain, l'Esprit Saint vint sur eux et changea leur faiblesse en un courage étonnant, inspiré par la charité. Revêtus de force, ils se mirent à prêcher le Christ ouvertement, eux qui n'avaient pas honte de fuir les menaces des persécuteurs en se cachant. Ils avaient redouté des propos de femmes, et voilà que leur liberté de propos battait en brèche l'autorité des magistrats. La force l'emporta sur la crainte, domina intimidations, menaces et mauvais traitements. En venant les revêtir, elle fit resplendir en eux les marques d'une audace admirable au service du roi des cieux : fouettés, roués de coups, accablés d'outrages, non seulement ils ne craignaient rien, mais ils exultaient. 4. Ces hommes ainsi revêtus de force, l'Écriture dit d’eux : «Les apôtres quittèrent le Sanhédrin, joyeux d'avoir mérité d'être outragés pour le nom de Jésus.» De ce moment, ils prêchent ainsi : «Réjouissez-vous sans réserve, mes frères, quand vous surviennent des épreuves de tous genres.» 5. Notre texte a donc raison de dire : «L'arc des puissants a été dominé, et les faibles se sont ceints de force», car le Rédempteur est d'abord ressuscité des morts, puis il est parti pour le ciel et a envoyé à ses disciples l'Esprit saint. Il fallait que l'arc des puissants fût d’abord dominé, et qu'ensuite les faibles se ceignissent de force. L'Écriture en témoigne : «L'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié.» 98, 1. Notons ici que ces mots sont dirigés contre la nation juive, qui met d'autant plus d'orgueil à mépriser les miracles du Rédempteur qu'elle constate son supplice et sa mort. L'Écriture dit donc : «L'arc des puissants a été dominé, et les faibles se sont ceints de force», comme si, aux attaques de la Synagogue qui objecte la mort du Rédempteur, elle répondait en disant : «Ne le méprise pas parce qu'il a pu subir la mort. Admire plutôt qu’après avoir subi la mort il soit ressuscité, et qu'il ait dominé, en reprenant vie, la haine violente de sa nation.» 2. La phrase est au passé. C'est donc non seulement une déclaration ouverte, mais une insulte. Comme si, aux vaines insultes de la Synagogue, on opposait ces invectives : «A quoi vous a servi de le tuer ? Les liens de la mort a'ont pu le retenir. Vous l'avez tué pour empêcher que tout le monde ne marche derrière lui. Mais en fait tout le monde marche derrière lui, parce qu'il a démontré qu’il était le vrai Fils de Dieu et qu'il avait racheté le genre humain par sa mort. Il l'a prouvé en ressuscitant et en se montrant vivant, en montant aux cieux, en envoyant à ses disciples l’Esprit qu’il leur avait promis.» 99, 1. Rejetée à cause de son incrédulité, la Synagogue s’est vu refuser toute participation à la grâce qui avait été promise. Aussi la sainte Eglise poursuit-elle ses invectives en ajoutant : LES REPUS D'ANTAN SE SONT PLACÉS POUR DES PAINS, ET LES AFFAMÉS SE SONT RASSASIÉS. Qui sont les repus d’antan, sinon ceux qui ont eu la connaissance de Dieu avant les autres nations ? Ce «repus d'antan» on ne peut donc entendre, n'est-ce pas, que des Juifs, qui apprirent à croire au Créateur dès le commencement du monde ou peu s'en faut. 2. Ce sont eux qui se sont placés pour des pains. Que représentent ici les pains, sinon les mystères de la divine incarnation ? Quant à la place où l'on trouve les pains, c’est la sainte Ecriture. D'où le mot du Pain descendu des cieux, indiquant aux ignorants comment ils le trouveront : «Scrutez les Ecritures : ce sont elles qui me rendent témoignage.» Ils s'étaient donc placés pour des pains car ils avaient reçu toutes les Écritures pour leur permettre d’y trouver les signes sacrés de l'incarnation divine. Mais quand le Pain est venu, la Synagogue, qui s'était placée pour du pain, a quitté la place où elle devait trouver le pain qu’elle cherchait. Les Ecritures, elle les possédait bien, je l’ai dit, et elle devait y reconnaître le Rédempteur. Mais celui qui venait selon les Ecritures, elle le refusa quand il vint. 3. Ainsi les affamés se sont rassasiés, car les païens qui ont cru, en recevant avec vénération les mystères de la divine incarnation, ont un aliment céleste qui les délecte intérieurement. Affamés, dit d'eux le texte, parce qu’avant la venue du Rédempteur ils étaient au régime famélique de l’incroyance et n’avaient aucun aliment pour se refaire spirituellement. A moins qu'on ne les dise affamés en raison de l'avidité extrême avec laquelle ils goûtent la douce saveur de cet aliment spirituel. 4. Au contraire, les repus qui s'étaient placés pour du pain entendaient celui qu'ils attendaient leur dire : «Je suis le pain vivant descendu des cieux.» Mais ne méritant pas de le reconnaître, ils répondaient : «Celui-ci n'est-il pas le fils de Joseph ? Comment peut-il donc se dire descendu des cieux ?» Lui, qui savait tout, prophétisait que les affamés viendraient se délecter à sa table. Il disait : «En vérité je vous le dis, de l’Orient et de l'Occident on viendra se mettre à table avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux, tandis que les fils du royaume seront rejetés dans les ténèbres extérieures.» 5. Les repus se sont donc placés pour des pains mais les affamés se rassasient, car les fils de la Synagogue ont eu dans les saintes Ecritures de quoi nourrir leur foi dans l’incarnation future du Rédempteur; mais à présent, les voilà rejetés, tandis que les païens, qui croient en lui pour de bon, reçoivent les mystères de sa divinité et de son humanité pour s'en nourrir et s'en délecter au-dedans. 100, 1. Le docteur incomparable l'a dit : «Tous ils ont mangé le même aliment, tous ils ont bu le même breuvage spirituel; ils buvaient du rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher, c'était le Christ.» On peut en inférer raisonnablement que les uns ont mangé sans être rassasiés, les autres ont mangé et se sont rassasiés. 2. C'est bien là le langage de la sainte Église parlant contre la Synagogue et marquant la supériorité incomparable de ceux qui sont sous la grâce vis-à-vis de ceux qui restent sous la Loi. Ceux-ci s'étaient placés pour des pains : Qu'est-ce à dire, sinon qu'ils recherchaient dans la sainte Ecriture le signes mystérieux de la venue du Rédempteur ? Chacun d'eux a donc mangé sans être rassasié, car après avoir cru que l'incarnation du Fils unique de Dieu allait se produire, il ne l'a pas vue quand elle s'est produite. Il a mangé, en ce sens qu'il possédait en son âme, dans un désir plein de douceur, la divine incarnation. Il ne s'est pas rassasié, en ce sens qu'il ne l'a pas vue, malgré son désir, quand elle s'est présentée. 3. Mais les faibles, qui allaient se ceindre de force, entendaient ce pain qui les rassasiait célébrer leur rassasiement : «Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! En vérité je vous le dis : Beaucoup de rois et de prophètes ont voulu voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas entendu.» Oui, puisqu'ils voulaient voir, ils mangeaient déjà par leur désir le pain délicieux. Mais comme ils ne pouvaient voir ils avaient la joie de désirer sans avoir la jouissance d’être rassasiés. Sans doute l'Écriture dit-elle que Dieu «leur a donné le pain qui comble de toute douceur et de tout délice,» mais ils n'ont reçu ce pain que dans la mesure où ils l'ont connu, dans la mesure où, le connaissant par la foi, ils ont pu le désirer d'un désir de charité. 4. La Synagogue se glorifiait de ses premiers Pères : on lui oppose donc ces hommes ceints de force. A la vue de cette grandeur nouvelle et sublime des élus, elle ne pourra plus se complaire en sa vaine gloire. 101, 1. Mais jamais l'aliment de vie ne manque au banquet de la sainte Eglise. Aussi annonce-t-elle l’avenir comme s'il s'agissait du passé, en disant : AUSSI LONGTEMPS QUE LA FEMME STÉRILE METTAIT AU MONDE QUANTITÉ D'ENFANTS, ET QUE CELLE QUI AVAIT DE NOMBREUX FILS SOUFFRAIT DE LANGUEUR. 2. La femme stérile, n'est-ce pas la sainte Église, comme nous l'avons déjà dit plus haut à loisir, en montrant qui était représenté par Anne ? Par suite, quand on nous dit que les affamés se rassasient aussi longtemps que la femme stérile enfante, qu'est-ce à dire, sinon qu'ils possèdent le Pain de vie jusqu'à la fin du monde ? C'est ce qu'il promet lui-même quand il dit : «Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation du siècle.» En effet, ceux que la sainte Eglise enfante sont tous des affamés. Par suite, aussi longtemps qu'elle enfante, il y a des affamés qui se rassasient, car jusqu'à la fin du monde elle engendre des fils de Dieu, et ceux-ci, en croyant que le Rédempteur du monde est venu dans la chair et en mangeant le pain de vie qu’ils désirent, se remplissent de sa plénitude. 3. Mais tandis que la femme stérile met au monde ses nombreux enfants, celle qui avait beaucoup de fils demeure languissante. La langueur de la Synagogue, c'est son impuissance à enfanter dans le cadre de la loi ancienne. En effet, depuis qu'elle a perdu sa fidélité à son premier époux, c'est pour le diable qu'elle enfante, non pour Dieu. D'où la parole que la Vérité adresse à ses fils : «Vous avez pour pere le diable.» Quant aux mots «celle qui avait beaucoup de fils,» ils sont tout à fait exacts. Car la Synagogue, autrefois, en se fondant sur la vérité des Ecritures, apprenait au peuple qui lui était soumis à désirer la venue du Rédempteur qui devait venir, si bien que, de son union avec l'époux céleste, elle enfantait des fils. Mais à présent, celle qui avait des fils n'en a plus. Sans doute fait-elle entendre les Ecritures à ses auditeurs. Mais du fait qu’elle refuse le Rédempteur, elle ne procrée jamais des fils de Dieu. Le texte dit donc qu'elle languit, parce que la fécondité spirituelle lui est refusée. 102, 1. Le rejet de la Synagogue et l'élection des païens résultent l'un et l'autre d'un incompréhensible jugement de Dieu. Aussi le texte continue-t-il : LE SEIGNEUR FAIT MOURIR ET IL FAIT VIVRE, IL MÈNE AUX ENFERS ET EN RAMÈNE. LE SEIGNEUR APPAUVRIT ET ENRICHIT, IL ABAISSE ET IL ÉLÈVE. IL RÉVEILLE L'INDIGENT DE LA POUSSIÈRE ET RELÈVE LE PAUVRE DU FUMIER, POUR QU’IL SIÈGE AVEC LES PRINCES ET OCCUPE UN TRÔNE DE GLOIRE. 2. C'est comme si, à un interlocuteur stupéfait du rejet de ce peuple élu entre tous, on répondait : «Pourquoi chercher la raison des choses incompréhensibles que fait la suprême Raison ?» Cette sorte de question est également blâmée par le docteur incomparable, quand il dit : «Ô homme, qui es-tu pour répondre à Dieu ? Est-ce que la poterie dit à celui qui l'a faite : Pourquoi m'as-tu faite ainsi ? Est-ce que, de la même argile, le potier n'a pas le droit de fabriquer un objet destiné à des emplois nobles, et un autre pour des emplois ignobles ?» Le texte revient donc à dire ceci : «Puisque nous savons que le Seigneur est le maître de tout, comprenons que, quand il rejette la nation juive et choisit les nations païennes, nous n’avons qu'à vénérer son oeuvre, sans la discuter.» 3. Le Seigneur fait mourir, car, en vertu d'un jugement incompréhensible, il écarte le peuple juif, autrefois élu, de la connaissance de la vérité et le condamne à tout jamais. Il fait vivre, car il admet les païens à connaître son Fils unique par la foi dans le temps, et les fait parvenir à la contemplation de sa gloire dans l'éternité. Il mène aux enfers, car en vertu de son jugement sévère, le châtiment de la géhenne engloutit à jamais ceux qui, par leur incroyance criminelle, se refusent à la vénération due au Rédempteur. Il ramène des enfers, car il reçoit le peuple païen qui vient à son Fils avec une foi pleine de dévotion, lors que, à la façon des basses-fosses de l'abîme, l’erreur l’enveloppait de son immense obscurité. 4. Il appauvrit et il enrichit, car, en rejetant la nation juive, il la dépouille de ses vertus spirituelles, et en moisissant la masse païenne, il lui confère l’ornement précieux de la foi et les feux resplendissants des bonnes oeuvres. Il abaisse et il élève, dit-on encore. Et de fait, en s'éloignant du Rédempteur, la Synagogue est descendue des hauteurs sublimes où elle se tenait, tandis que la sainte Eglise, en vénérant le Rédempteur, a surgi des bas-fonds de l'incroyance où elle gisait à l'abandon, pour monter jusqu'au faîte de la foi orthodoxe et aux cimes de la puissance accordée aux chrétiens. Ce Fils de Dieu que la nation juive a méprisé, la masse païenne l'a obtenu pour elle-même. Dès lors, on est en droit d'estimer que l'une a été abaissée, et l'autre élevée. 103, 1. Le texte continue : «Réveillant l'indigent de la poussière et tirant le pauvre du fumier, pour qu'il siège avec les princes et occupe un trône de gloire.» L’indigent et le pauvre, c'est le peuple des païens. On dit qu'il est réveillé de la poussière et relevé du fumier, car, en accédant à la foi au Rédempteur, il obtient la rémission de tous ses péchés, petits et grands. La poussière est facile à secouer, tandis que le fumier salit et infecte horriblement. Aussi la poussière représente-t-elle les péchés véniels, le fumier les péchés graves. 2. Et c'est fort à propos qu'on nous dit que l'indigent se réveille de la poussière et que le pauvre se relève du fumier. De fait, le peuple des païens dormait en certains péchés, dont un léger attouchement de la grâce pouvait le réveiller, tandis qu'il gisait en d'autres fautes, parce que ces chutes graves requéraient le secours d'une main puissante. 104, 1. Mais cet indigent qui se réveille de la poussière, ce pauvre qui se relève du fumier, écoutons à quelle hauteur il est élevé : «Pour qu'il siège avec les princes et occupe un trône de gloire.» Que représentent les princes ici mentionnés, sinon les saints apôtres ? C'est de ces princes que le psalmiste dit à Dieu : «Tu les établiras comme princes sur toute la terre. Ils se souviendront de ton nom, Seigneur.» 2. Le pauvre siège avec les princes : qu'est-ce à dire, sinon que le corps des prêcheurs, tiré par élection du paganisme, est investi, dans la sainte Église, de l’autorité suprême des apôtres ? Il siège avec les princes, car du haut de la chaire céleste où il enseigne, il dispense la doctrine du salut. Et il occupe un trône de gloire, car il répand le parfum de sa bonne renommée sur ceux qu'il domine de sa dignité. Ou, si l'on préfère, il occupe un trône de gloire avec les princes, parce qu'il resplendit des honneurs de sa haute charge et brille en même temps par des miracles. 105, 1. Mais cette Église élevée à une si haute dignité indique elle-même la manière dont elle doit en user. Elle ajoute : Au SEIGNEUR, EN EFFET, SONT LES PÔLES DE LA TERRE, ET SUR EUX IL A POSÉ L'UNIVERS. Les pôles de la terre, ce sont ses extrémités. Par ce terme de pôles, Dieu a voulu représenter les prêcheurs tirés par élection d’entre les païens. On les appelle les extrémités de la terre, parce qu’ils sont tirés du paganisme, qu'on peut considérer comme une condition vile et abjecte. 2. Ces pôles sont au Seigneur, dit le texte en raison de la mortification de leur volonté propre. Ils sont au Seigneur, parce qu'ils ne cherchent pas leur intérêt mais celui de Jésus Christ. Mais il y a plus : en disant qu'ils sont au Seigneur, on leur attribue une éminente sainteté. 3. Puisqu'ils sont au Seigneur, il leur faut voir que l'univers est posé sur eux, et non pas sous eux. Ce terme d’univers, en effet, que représente-t-il, sinon l'ensemble des fidèles qui sont soumis à la sainte Église ? Oui, c'est sur les pôles de la terre que Dieu a posé l'univers, car les prêcheurs ne sont placés à la tête des troupeaux de la sainte Eglise que pour soutenir leur faiblesse et pour porter les infirmes comme un fardeau chargé sur leur dos, jusqu'à la patrie céleste. Ils ne doivent donc pas se regarder toujours comme des supérieurs, mais parfois comme des sujets. Quand il s’agit de réprimer les vices, qu'ils usent avec autorité de leur pouvoir disciplinaire, mais qu'ils se considèrent en même temps comme des serviteurs qui obéissent et se mettent souvent aux pieds de ceux qu'ils dominent par leur charge prélatice. 106, 1. Ces fardeaux que portent les prêcheurs sont lourds. Aussi ajoute-t-on : IL GARDERA LES PIEDS DE SES SAINTS. Comme si l'on disait : «Leurs fardeaux sont si écrasants qu'ils s'effondreraient, si le Seigneur ne gardait leurs pieds. » 2. Les pieds des saints, en effet, ce sont les sentiments de leurs âmes. Le Seigneur les garde, en y versant la grâce d’une dévotion extraordinaire, qui leur fait porter allègrement un tel fardeau. Le Seigneur, nous dit-on, garde les pieds des saints, parce qu'ils fuiraient une charge aussi pesante, si ce poids insupportable n'était allégé par la chante qu'il leur infuse d'en haut. 3· Les pieds peuvent aussi désigner la force de rester debout. Alors le Seigneur garde les pieds de ses saints en leur donnant une force extraordinaire, qui les empêche de tomber sous des fardeaux aussi écrasants. 4. Et puisqu'il garde, nous dit-on, les pieds, non le pied, que devons-nous entendre par ces deux pieds des saines sinon la force et l’humilité ? Pour ne pas tomber, en effet, il faut se tenir sur ses deux pieds. Or tous ceux qui mènent un troupeau de fidèles rencontrent, sur la voie qui les conduit à la patrie céleste, tantôt la réussite, tantôt l'adversité, et la réussite elle-même, en provoquant l'âme à l’orgueil, la pousse fortement à tomber. Mais l'âme élue, pour ne pas tomber, s'arc-boute d'un côté avec le pied de la force, et de l'autre tient bon avec le pied de l'humilité. Pour garder inébranlablement sa stabilité entre les deux tentations, il lui faudrait tenir bon avec une humilité si ferme qu'aucun succès ne l'exalte, aucune adversité ne l'abatte. 5. Ainsi donc : «Il gardera les pieds de ses saints» qu'est-ce à dire, sinon que toute vertu de l'homme est débile sans l'aide de son Créateur ? Notre fragile humilité n’a besoin que d’être flattée par le succès et les compliments pour s'effondrer sous l'impulsion d'une sotte allégresse; notre force fragile n'a besoin que de se heurter à l'adversité pour succomber presque sans combat. Mais si nous sommes abattus par l'épreuve, grisés par la réussite, c’est que le Dieu tout-puissant nous laisse à nous-mêmes. Il n'en va pas ainsi quand il nous accorde le secours de sa protection. Le texte dit donc : «Il gardera les pieds de ses saints,» parce que le Dieu tout-puissant vient en aide à notre faiblesse, qui porte le fardeau de nos subordonnés, pour que ni l'adversité ne nous accable, ni le succès ne nous tourne la tête. Oui, le Seigneur garde nos pieds, quand son secours divin nous fait mépriser les succès remportés en ce monde et considérer sans crainte toute adversité, quand nous supportons allègrement le malheur, en tenant bon avec patience, et réprimons avec une humilité inébranlable l'orgueil de notre esprit, en le détournant d'une vaine satisfaction. 6. Ces pieds des saints peuvent encore être compris comme la foi et l’amour envers le Rédempteur. Les fidèles se servent de ces pieds pour marcher, quand, croyant en lui par la foi, ils le suivent par l'amour. 7. Ce sont bien là les pieds qu'il demandait au Seigneur de garder, celui qui faisait cette prière : «Place-moi sur les hauteurs, pour que je remporte la victoire dans sa lumière.» Prendre place sur les hauteurs, c'est recevoir la révélation de la divinité du Rédempteur. Alors on remporte la victoire dans sa lumière, parce que les rayons de sa charité vous illuminent et annihilent toutes les tentatives des esprits mauvais. Il a d'ores et déjà les pieds placés sur la montagne celui qui se livre à la contemplation sublime de la vérité, et qui, croyant au Fils unique du Père céleste brûle d'amour pour lui. Oui, Pierre était placé sur les hauteurs, quand il a confessé le Seigneur en disant : «Tu es le Christ, le Fils de Dieu,» et qu'il s'est aussitôt entendu dire : «Heureux es-tu, Simon Bar Iona, car ce n'est pas la chair et le sang qui te l'ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux.» Fondé sur la foi, embrasé par la charité, il a n’aimait pas seulement le Christ : il le proclamait. 107, 1. C'est donc fort à propos que le texte ajoute, au sujet des réprouvés : ET LES IMPIES, DANS LES TÉNÈBRES, GARDERONT LE SILENCE. Qui pouvons-nous reconnaître, en effet, dans les impies mentionnés ici, sinon les Juifs, devenus étrangers au culte de la vraie foi et ensanglantés par la mort du Rédempteur ? C'est à juste titre qu'on dit d'eux : «Dans les ténèbres, ils garderont le silence,» car les saints qui sont placés sur les hauteurs, voyant le Rédempteur du monde dans la lumière de sa gloire divine, le confessent en d'éternelles louanges; mais les impies, dans les ténèbres, restent en silence, puisque les Juifs ne proclament pas le Rédempteur, faute d'être éclairés par cette indicible lumière de la divinité. 2. En effet, il est écrie : «Ôte l'impie, pour qu'il ne voie pas la gloire de Dieu.» Et de fait, Jean les voyait condamnés à ces ténèbres, quand il disait : «La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas saisie.» D'où la parole de David, qui n'est pas un souhait mais une prophétie : «Que leurs yeux s'obscurcissent et qu'ils ne votent pas; courbe leur échine à jamais.» 3. Dans les ténèbres, les impies restent donc en silence, car si les Juifs prononcent les mots des divines Écritures pour louer Dieu, leur négation du Fils fait qu'ils n'offrent à Dieu le Père l'hommage d'aucune parole sacrée. C’est rester muet devant Dieu, en effet, que de louer le Père sans un mot à la louange de son Fils unique. 108, 1. Mais après l'avoir méprisé sur la croix, ils auront peur de lui quand il viendra juger. D'où ce qui suit : CAR L'HOMME, SI FORT SOIT-IL, MANQUERA DE SOLIDITÉ. LE SEIGNEUR SERA REDOUTÉ DE SES ADVERSAIRES. A présent, le Juif endurci dans son incroyance est fortement ancré dans son erreur. Il refuse de croire qu'un être aussi méprisable puisse être Dieu, et, dans son audace, il ne craint pas de le blasphémer. Oui, comme un homme il est invincible à présent, mais il perdra toute sa solidité d’homme, quand celui dont ils ont machiné la crucifixion montrera dans sa gloire. Alors il sera redouté de ses adversaires, lorsque ceux-ci verront la puissance du crucifié ébranler l'univers, lorsqu'ils entendront que tout est soumis à son jugement et qu'éclatera comme un tonnerre, au plus haut des cieux, la sentence de leur éternelle damnation. 109, 1. De là ce qui suit : ET IL TONNERA SUR EUX DANS LES CIEUX. En effet, que désigne ici le mot «cieux», sinon les saints apôtres ? C'est à ces cieux que le Seigneur promet de les élever à sa propre gloire, en leur disant : «Vous trônerez sur douze trônes, jugeant les douze tribus d'Israël.» Ce sont les tonnerres de ces deux que le Seigneur annonce aux Juifs, quand il leur dit: «Ils seront vos juges.» Il tonnera donc alors dans les cieux sur les Juifs impies, car de la bouche des saints apôtres ils entendront alors la terrible sentence de leur damnation. Ainsi c'est par leur jugement qu'ils se verront condamnés à la mort éternelle, eux qui les avaient persécutés et tourmentés quand ils prêchaient humblement les biens de l’éternelle vie. 110, 1. Mais tout cela doit s'entendre du jugement dernier. Aussi le texte ajoute-t-il : LE SEIGNEUR JUGERA LES CONFINS DE LA TERRE. Que sont les confins de la terre, sinon la fin de ce monde ? Le Seigneur juge les confins de la terre, de sorte que sa sentence parfaitement juste ne laisse rien sans châtiment ou sans récompense. En étendant son jugement jusqu'aux extrémités, il ne laisse rien passer sans examen. 111, 1. C'est alors qu'IL EXALTERA LA CORNE DE SON CHRIST, quand il admettra tous les élus à l'éternelle contemplation de son Fils unique, pour que celui-ci fasse rayonner son éternelle et ineffable splendeur sur ceux qui, au cours de leur pérégrination dans la vie présente n'étaient pas dans la gloire à ses côtés. C'est alors qu’«il exaltera la corne de son Christ», quand le Rédempteur exalte se montrera dans sa sublimité. 2. Cet état exalté est celui dont parle Jean : «Nous le verrons comme il est.» Car la puissance – ou le règne – de notre Seigneur Jésus Christ est toujours la même mais on dit qu'elle sera «exaltée,» quand nous serons devenus capables de la contempler dans son exaltation. A présent, tout ce que l'esprit humain peut imaginer pour se représenter cette exaltation, tout cela n'est rien en comparaison de la gloire dont il s'agit. L'Écriture dit d'elle, en effet : «Ce que nul oeil n'a vu, nulle oreille entendu, nul coeur conçu, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment.» 3. Le Christ «reçoit» donc d'abord «le pouvoir», puis «sa corne sera exaltée», car son exaltation se montrera dans toute sa sublimité quand notre nature sera élevée au-dessus de la corruption où elle gît, et qu'elle retrouvera en ressuscitant son intégrité rénovée, qui lui permettra de contempler la sublime et admirable lumière du Rédempteur. 4. Cependant, si l'on veut entendre «corne» au sens de «règne», le «règne du Christ» désigne la sainte Église. Cette corne sera exaltée, car notre bassesse sera amenée au niveau des anges. Le Seigneur le dit des élus dans l'Evangile : «Ils seront comme les anges de Dieu au ciel.» De cette exaltation de sa propre corne, il dit encore : «Les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père.» La corne du Christ sera donc exaltée car la sainte Eglise s'élèvera à la contemplation éternelle de son Rédempteur. Enfoncée à présent dans ce val de détresse où son châtiment la tient abaissée, elle surgira alors, rénovée par l’engloutissement de la mort, sur les cimes de la joie éternelle. 112, 1. Mais à présent, tout ce que nous venons d’expliquer au sens typique, il nous reste à l'interpréter dans le volume suivant, au sens moral.