HOMÉLIE 14

 

Prononcée devant le peuple dans la basilique de saint Pierre Apôtre, le second dimanche après Pâques.

 

Lecture du saint Évangile selon saint Jean : (10,11-16)

En ce temps là, Jésus dit aux Pharisiens : «Je suis le bon pasteur. Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. Le salarié au contraire, qui n'est pas le pasteur, à qui les brebis n'appartiennent pas, laisse là ses brebis et s'enfuit dès qu'il voit le loup venir. Et le loup se saisit des brebis et les disperse. Le salarié s'enfuit parce qu'il est un salarié et qu'il ne se soucie pas des brebis. Moi je suis le bon pasteur, Je connais mes brebis et mes brebis Me connaissent, comme le Père Me connaît Moi aussi Je connais le Père, et J'expose ma Vie pour mes brebis. J'ai aussi d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie et Je dois les conduire et elles écouteront ma voix et il n'aura plus qu'une seule bergerie et qu'un seul pasteur.»

1. Très chers frères, vous venez d'entendre une lecture d'évangile bien instructive pour vous, mais vous avez aussi entendu parler du péril dans lequel nous sommes. Voici, en effet que celui qui est bon, non par don surajouté mais par nature, dit - «Je suis le bon pasteur.» Et pour que nous l'imitions Il ajoute la forme de sa Bonté en disant - «Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis.» Il a fait ce qu'Il a recommandé, Il a montré ce qu'Il a ordonné. Le bon pasteur a donné sa vie pour ses brebis au point de changer son Corps et son Sang en sacrement pour nous et de rassasier par l'aliment de sa Chair les brebis qu'Il a rachetées. La voie du mépris de la mort nous est montrée, voie que nous devons suivre; l'image du bon pasteur est donnée pour que nous la fixions dans notre coeur. D'abord nous devons nous dépenser miséricordieusement en oeuvres extérieures pour les brebis; et à la fin si c'est nécessaire, nous devons donner notre vie pour ces mêmes brebis. De ce «d'abord» tout petit on parvient à cet «à la fin» très grand . Mais puisque l'âme par laquelle nous vivons a une valeur incomparablement plus grande que la fortune matérielle que nous possédons extérieurement, celui qui ne donne pas sa fortune pour les brebis, quand sera-t-il disposé à donner sa vie pour elles ? Il y en a plus d'un qui en aimant plus leur fortune que les brebis perdent par leur faute leur titre de pasteur. À propos de ceux-là il est ajouté ceci : «Le salarié au contraire qui n'est pas le pasteur, à qui les brebis n'appartiennent pas, laisse là les brebis et s'enfuit dès qu'il voit le loup venir.»

2. Il n'est pas appelé pasteur mais salarié, celui qui fait paître les brebis du Seigneur, non avec un amour profond mais pour des récompenses terrestres. Le salarié est celui qui remplace le pasteur mais ne cherche pas les intérêts des âmes. Il vise avidement des avantages terrestres, il se réjouit dans l'honneur de sa charge, il se repaît de gains matériels, il se complaît dans le respect que lui accordent les hommes. Telles sont les récompenses du salarié; en sorte qu'en retour de son labeur pastoral, il trouve ici-bas ce qu'il a cherché et se rend étranger à ce qui sera plus tard I'héritage du troupeau. Tant que l'occasion ne se présente pas, on ne peut pas discerner exactement s'il est pasteur ou salarié. Dans une époque calme, la plupart du temps le salarié garde le troupeau tout comme le vrai pasteur. Mais l'arrivée du loup montre avec quelles dispositions chacun gardait le troupeau. Le loup qui vient pour dominer les brebis c'est un homme injuste ou ravisseur qui opprime les fidèles et les humbles. Alors celui qui semblait être le pasteur mais ne l'était pas, abandonne les brebis et s'enfuit, car craignant le danger du loup pour lui-même il n'ose pas résister à son entreprise injuste. Il fuit non pas en s'éloignant mais par non assistance. Il fuit parce qu'il voit l'injustice, et ne l'a dénonce pas. Il fuit parce qu'il se terre dans le silence. Le prophète a bien dit de ces salariés : «Vous ne vous êtes pas élevés contre l'ennemi, vous n'avez pas construit un mur pour défendre la maison d'Israël de manière à tenir bon dans le combat, au jour du Seigneur.» (Ez 13,5). S'élever contre l'ennemi, c'est s'opposer par la voix libre de la raison à n'importe quelle domination mauvaise. Le jour du Seigneur nous tenons bon dans le combat pour la maison d'Israël et nous construisons un mur lorsque nous vengeons par l'autorité de la justice les fidèles innocents victimes de l'injustice des méchants. Parce que le salarié ne le fait pas, il s'enfuit lorsqu'il voit le loup venir.

3. Mais il y a un autre loup qui sans cesse chaque jour déchire non les corps mais les âmes; c'est évidemment l'esprit malin qui rode tout autour des bergeries des fidèles et cherche la mort des âmes. C'est de ce loup qu'il est question tout de suite après : «Et le loup se saisit des brebis et les disperse.» Le loup est venu, le salarié a fui, car l'esprit malin déchire les âmes des fidèles par la tentation et celui qui tenait la place du pasteur n'en prend pas soin. Les âmes périssent et le mauvais pasteur se réjouit de ses avantages matériels. Le loup se saisit des brebis et les disperse, lorsqu'il entraîne l'un à la luxure, dévore un autre d'avarice, pousse un autre à l'orgueil, crée une discorde par la colère d'un autre, excite celui-ci par l'envie, renverse celui-là dans la tromperie. Comme le loup disperse le troupeau, le diable fait mourir le peuple fidèle par les tentations. Pour réagir contre cela, le salarié ne brûle d'aucun zèle, n'est animé d'aucune ferveur d'amour parce que recherchant seulement les biens extérieurs, il supporte avec négligence les dommages intérieurs du troupeau. C'est pourquoi ceci est bientôt ajouté : «Le salarié s'enfuit parce que c'est un salarié et qu'il ne se soucie pas des brebis.» En effet la seule raison pour laquelle le salarié s'enfuit c'est qu'il est un salarié. C'est comme si l'on disait clairement : demeurer au milieu des brebis en danger n'est pas possible pour celui qui n'aime pas les brebis dont il est chargé mais qui recherche un profit terrestre. Car du moment qu'il s'attache aux honneurs, et se complaît dans les avantages terrestres, le salarié craint de s'opposer au danger pour ne pas perdre ce qu'il aime. Après avoir montré les fautes du faux pasteur, notre Rédempteur revient sur le modèle auquel nous devons nous conformer quand il dit : «Je suis le bon pasteur» et ajoute : «Et Je connais mes brebis,» c'est-à-dire Je les aime. «Et elles me connaissent.» Comme s'Il disait clairement : C'est parce qu'elles M'aiment qu'elles sont de ma suite. Car celui qui n'aime pas la Vérité, ne la connaît pas du tout encore.

4. Maintenant que vous avez appris, frères très chers, le danger que nous courons, pensez aussi suivant les paroles du Seigneur à celui que vous courez. Voyez si vous êtes bien ses brebis, voyez si vous le connaissez, voyez si vous connaissez la lumière de la vérité; si vous la connaissez, dis-je, non par la foi mais par l'amour; non par une simple croyance mais par la pratique, car c'est lui-même qui dit ce que rapporte l'évangéliste saint Jean . «Celui qui dit connaître Dieu et ne garde pas ses commandements est un menteur.» (1 Jn 2,4). C'est pourquoi le Seigneur ajoute aussitôt dans l'évangile de ce jour : «Comme le Père Me connaît et que Je connais le Père, Je donne aussi ma vie pour mes brebis.» C'est comme s'Il disait clairement : il est évident que Moi Je connais le Père et que Je suis connu du Père puisque Je donne ma vie pour mes brebis; Je montre combien J'aime le Père par cette amour qui me pousse à mourir pour mes brebis. Parce qu'Il est venu racheter non seulement les Juifs mais aussi les païens, Il ajoute : «J'ai aussi d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie et Je dois les conduire. Et elles écouteront ma voix et il n'aura plus qu'une seule bergerie et un seul pasteur.» Notre rédemption, à nous qui sommes venus des peuples païens, le Seigneur l'avait en vue lorsqu'Il parlait de conduire aussi d'autres brebis. Cela vous le voyez se produire chaque jour, frères très chers, cela vous le voyez réalisé aujourd'hui dans les nations réconciliées avec Dieu. Comme s'Il avait fait une seule bergerie avec deux troupeaux en réunissant les peuples juif et païens dans la foi en Lui : saint Paul l'atteste : «Lui même est notre paix, de l'un et l'autre peuple Il a fait un seul troupeau.» (Ep 2,14). C'est en choisissant dans l'un et l'autre peuple des âmes droites pour leur donner la vie éternelle qu'Il conduit les brebis à leur bergerie.

5. C'est certainement de ces brebis que le Seigneur dit ailleurs : «Mes brebis écoutent ma Voix et Je les connais et elles Me suivent et Je leur donne la vie éternelle.» Et un peu plus haut : «Si quelqu'un entre par moi il sera sauvé, il entrera et il sortira et il trouvera des pâturages.» Il entrera en effet par la foi, il sortira de la foi pour la vision, de la croyance pour la contemplation et trouvera des pâturages dans le repos éternel. Donc les brebis trouveront ses pâturages puisque celui qui le suit d'un coeur simple, est nourri des fourrages de la vie éternelle. Mais que sont les pâturages de ces brebis, sinon les joies intérieures d'un paradis toujours verdoyant ? Car les pâturages des élus sont le Visage immuable de Dieu, qui, contemplé sans éclipse rassasie sans fin l'âme en nourriture de vie. Dans ces pâturages ils se réjouissent du rassasiement de l'éternité, ceux qui désormais ont quitté les filets de la jouissance de ce monde. Là les choeurs des anges chantent les hymnes, là se trouve la société des citoyens du ciel, là la fête solennelle est douce pour ceux qui reviennent de la triste fatigue de l'actuel voyage. Là se rencontrent les choeurs des prophètes qui voient l'avenir, la foule des apôtres, l'armée victorieuse des martyrs innombrables, d'autant plus joyeuse là-haut qu'elle a été ici-bas plus cruellement éprouvée; là les confesseurs sont consolés de leur constance par la récompense qu'ils reçoivent; là se rencontrent les hommes fidèles dont les voluptés du monde présent n'ont pas pu amollir la robuste virilité, les saintes femmes qui ont vaincu le monde et la faiblesse de leur sexe, les enfants qui ont transcendé leur âge par leurs bonnes moeurs et les vieillards que l'âge avait rendu sans force, mais dont le courage n'a pas faibli.

6. Recherchons donc, frères très chers, ces pâturages où nous partagerons la fête et la joie d'un si grand nombre de citoyens du ciel. Le bonheur même de ceux qui ont commencé les réjouissances nous y invite. Assurément si quelque part ici-bas le peuple venait à une grande foire ou accourait à la dédicace d'une église : à l'annonce d'une telle solennité, nous nous presserions de nous retrouver tous ensemble et nous ferions tout pour y être présent. Chacun se croirait victime d'un grave dommage de ne pas prendre part à cette joyeuse solennité avec les autres. Voici que dans la cité céleste la joie des élus éclate, tous se félicitent l'un l'autre de leur réunion et pendant ce temps là tièdes, loin d'aimer l'éternité, nous ne brûlons d'aucun désir du ciel, nous ne cherchons pas à participer à une fête si magnifique. Et nous étant privés de ces joies, nous sommes contents ! Enflammons donc nos âmes, mes frères, que notre foi se réchauffe en ce qu'elle a cru, que nos désirs s'enflamment pour les biens du ciel, car aimer c'est déjà aller. Que nulle adversité ne vous retienne loin de la joie intérieure de cette fête. Car si on désire se rendre à un endroit donné, la difficulté de la route, quelle qu'elle soit, ne change pas ce désir. Qu'aucune prospérité flatteuse ne nous séduise, car le voyageur qui en voyant des pâturages agréables sur sa route oublie d'aller où il voulait n'est qu'un sot. Que notre âme aspire donc d'un grand désir à la patrie céleste, qu'elle ne désire rien en ce monde puisqu'elle devra l'abandonner bien vite. De sorte que si nous sommes vraiment les brebis du céleste pasteur, en ne nous arrêtant pas dans les plaisirs de la route, nous serons rassasiés par les célestes pâturages à notre arrivée au ciel.