HOMÉLIE 13

 

Prononcée devant le peuple dans la basilique de saint Félix confesseur, le jour de sa fête.

 

Lecture du saint Évangile selon saint Luc : (12,35-40)

En ce temps là Jésus dit à ses disciples : «Que vos reins soient ceints et ayez dans vos mains des lumières étincelantes. Soyez comme des hommes qui attendent leur maître à son retour de noces et qui lorsqu'il arrive et frappe, lui ouvrent aussitôt. Bienheureux ces serviteurs qu'à son retour leur maître trouvera éveillés. En vérité je vous le dis : il se ceindra et les faisant prendre place, passera au milieu d'eux pour les servir. Et s'il vient à la seconde veille, et s'il vient à la troisième veille et les trouve éveillés, bienheureux seront ces serviteurs. Sachez donc que si le père de famille savait à quelle heure le voleur viendra, assurément il veillerait et ne le laisserait pas percer sa maison. Vous donc soyez prêts car vous ne savez pas à quelle heure le Fils de l'homme viendra.»

 

1. Cette lecture du saint évangile, frères très chers, est claire pour vous. Cependant pour que sa clarté ne paraisse pas obscure à certains, nous la parcourrons brièvement de sorte que son exposé se fasse comprendre à ceux qui ne la saisissent pas bien, sans être pénible à ceux qui ont déjà compris. La luxure de l'homme se situe dans les reins et celle de la femme dans le ventre. Le Seigneur l'atteste lui qui dit au bienheureux Job au sujet du diable : «Sa force est dans ses reins et sa vigueur dans son ventre.» (Job 40,11) Donc pour le sexe fort la luxure est désignée sous le nom de reins, lorsque le Seigneur dit : «Que vos reins soient ceints.» Nous ceignons donc nos reins en resserrant l'instinct sexuel par la continence mais c'est peu de ne pas faire le mal, si chacun ne s'applique aussi aux bonnes oeuvres; aussi ajoute-t-il : «Que vos lumières soient étincelantes dans vos mains.» Nous tenons des lumières étincelantes dans nos mains lorsque nous montrons à notre entourage par des bonnes oeuvres, des exemples de lumière. De ces oeuvres le Seigneur dit : «Que votre lumière brille devant les hommes pour qu'ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux.» (Mt 5,16). Ainsi deux choses sont ordonnées : resserrer nos reins et tenir nos lumières, c'est-à-dire que la pureté de la chasteté soient dans nos corps et la lumière de la Vérité dans nos actions. Car l'un sans l'autre ne peut absolument pas plaire à notre Rédempteur, si celui qui fait le bien ne quitte pas aussi les fautes de la luxure ou si celui qui excelle en chasteté ne travaille pas sans relâche aux bonnes oeuvres. En effet la chasteté n'est pas grande sans bonnes oeuvres et les bonnes oeuvres ne sont rien sans la chasteté.

2. Mais même si l'un et l'autre sont réalisés, il n'en reste pas moins que celui qui par l'espérance tend vers la patrie céleste ne doit pas se maintenir loin des vices dans le but d'obtenir la considération de ce monde. Même s'il commence certaines bonnes actions un peu en vue de cette considération il ne doit pas demeurer dans cette intention ni rechercher par ses bonnes oeuvres la gloire dans ce monde présent, mais placer toute son espérance dans la venue de notre Rédempteur. C'est pourquoi il est ajouté plus loin : «Et vous soyez semblable à des hommes attendant leur maître au retour des noces.» Le Seigneur est parti aux noces, car ressuscitant des morts, montant au ciel, l'homme nouveau qu'Il est, S'est uni à la multitude des anges célestes. Il reviendra lorsqu'Il Se manifestera à nous au moment du jugement.

 

3. Mais à propos des serviteurs qui l'attendent il est bien ajouté : «que lorsqu'il arrivera et frappera, ils lui ouvriront aussitôt.» Le Seigneur en effet lorsqu'Il se hâte pour le jugement, frappe en annonçant la mort déjà proche par les souffrances de la maladie. Nous Lui ouvrons aussitôt si nous L'accueillons avec amour. Celui qui a peur de mourir et redoute de voir le Juge qu'il se souvient d'avoir méprisé, ne veut pas ouvrir au Juge qui frappe. Au contraire, celui qui est sans crainte grâce à son espérance et à ses oeuvres ouvre aussitôt à celui qui frappe, car il accueille avec joie l'arrivée du Juge ; et lorsqu'il reconnaît l'approche de sa mort, il devient joyeux en pensant à la gloire de sa récompense. Il est donc ajouté aussitôt : «Bienheureux sont ces serviteurs que le maître à son arrivée trouvera éveillés.» Il veille celui qui tient les yeux de l'esprit ouverts à la vue de la vraie lumière, il veille celui qui s'efforce d'agir suivant sa foi, il veille celui qui repousse les ténèbres de la torpeur et de la négligence. Paul dit à ce sujet : « Veillez, justes et ne péchez pas» (1 Cor 15,34) et aussi : «L'heure est venue de nous réveiller.» (Rom 13,11).

4. Mais écoutons ce que manifeste à ses serviteurs vigilants le Maître quand Il arrive : «En vérité Je vous le dis Il se ceindra, Il les fera se mettre à table et passera au milieu d'eux pour les servir.» Il Se ceindra c'est-à-dire Il se préparera pour les récompenser. Il les fera s'étendre c'est-à-dire se réconforter dans le repos éternel; s'étendre c'est nous reposer dans le Royaume. Le Seigneur dit ailleurs : «Qu'ils viennent et se mettent à table avec Abraham, Isaac et Jacob.» (Mt 8,11). Quant à passer entre eux et les servir, cela veut dire que le Maître nous comble de l'illumination de sa lumière. Car Il passe lorsqu'Il va au Royaume en revenant du jugement. Assurément le Seigneur passe pour nous après le jugement lorsqu'Il nous élève de la contemplation de son Humanité à celle de sa Divinité. Et pour Lui passer, c'est nous conduire à la contemplation de sa lumière lorsque nous verrons après le jugement, dans sa Divinité aussi, Celui que nous aurons lors du jugement entrevu dans son Humanité. Au jugement, Il apparaît à tous sous forme de serviteur puisqu'il est écrit : «Ils verront Celui qu'ils ont transpercé.» (Za 12,10). Mais pendant que les réprouvés s'écrouleront dans le supplice, les justes seront emportés vers la gloire de sa lumière selon ce qui est écrit : «Que l'impie soit emporté pour qu'il ne voie pas la gloire de Dieu. » (Is 26,10).

 

5. Mais que signifie que les serviteurs se montrent négligents à la première veille ? La première veille c'est l'observation de la Loi dans le premier âge. Mais il ne faut pas alors désespérer et cesser les bonnes oeuvres. Car le Seigneur faisant connaître la patience de sa Longanimité ajoute : «Et s'il vient à la seconde veille et s'il vient à la troisième veille et les trouve éveillés, bienheureux sont ces serviteurs.» La première veille est le temps du jeune âge, c'est l'enfance. La seconde veille la jeunesse ou la force de l'âge qui vont ensemble suivant la parole autorisée de Salomon : «Jeune homme, sois heureux d'être dans la force de l'âge.» (Ec 11,9). Mais la troisième veille c'est la vieillesse. Donc celui qui n'a pas voulu veiller dans la première veille a le devoir de veiller dans la seconde, ce qui signifie que celui qui a négligé dans son enfance de quitter ses passions pour aller sur les routes de la vie, doit se mettre à veiller au moins dans la force de l'âge. Et celui qui n'a pas voulu veiller à la seconde veille, ne doit pas manquer le remède de la troisième veille, ce qui signifie que celui qui ne s'est pas éveillé dans la force de l'âge pour aller sur les routes de la vie, doit se reprendre au moins dans sa vieillesse. Pensez, frères très chers, que la Miséricorde de Dieu s'oppose à notre dureté d'âme. Lhomme ne peut plus trouver d'excuse. Dieu est méprisé et Il attend; Il se voit méprisé et Il appelle à nouveau. Il subit une offense en recevant du mépris et cependant Il promet même des récompenses à ceux qui un jour reviendront à Lui. Mais que personne ne dédaigne sa Longanimité, car Il exercera une justice d'autant plus rigoureuse lors du jugement. Paul dit en effet ceci : «Ignores-tu que la Bonté de Dieu te pousse à la pénitence ? Toi cependant, suivant la dureté de ton coeur impénitent, tu amasses la colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu.» (Rom 2,4-5). Le psalmiste dit aussi : «Dieu est un juge, juste, ferme et patient.» (Ps 7,12). Avant de dire patient, il met le mot juste pour que tu saches que celui que tu vois supporter longtemps et patiemment les fautes des pécheurs, un jour aussi les jugera avec rigueur. Le sage dit aussi : «Le Très Haut est en effet un juge patient.» (Ec 5,4). Il est dit patient à punir parce qu'il supporte les péchés des hommes et punit seulement ensuite. Car ceux qu'Il tolère longtemps pour qu'ils se convertissent, Il les condamnera durement s'ils ne se convertissent pas. Car pour secouer l'indolence de notre âme, des châtiments extérieurs appropriés surviennent pour que l'âme se ressaisisse. Car il est dit : «Sachez donc que si le père de famille savait à quelle heure le voleur viendra, assurément il veillerait et ne laisserait pas percer sa maison.» A cette comparaison est ajouté l'exhortation suivante : «Vous donc, soyez prêts, car vous ne savez pas à quelle heure le Fils de lhomme viendra.» Le père de famille ne sait pas à quelle heure le voleur percera sa maison; en effet lorsque l'âme dort sans se garder du mal, une mort imprévue peut arracher de son enveloppe charnelle et tuer ce maître endormi dans sa maison, car si l'âme ne prévoit pas du tout les châtiments à venir, la mort subite l'emporte au supplice qu'elle ignore. Mais s'il avait veillé, le maître aurait résisté aux voleurs, car prévoyant la venue du Juge qui emporte une âme qui ne s'y attend pas, il serait allé à sa rencontre pour ne pas mourir impénitent.

 

6. Mais notre Seigneur a voulu que notre dernière heure nous soit inconnue, pour qu'elle soit toujours redoutée, pour que nous la préparions sans arrêt, puisque nous ne pouvons pas la connaître à l'avance. Donc frères, ayez les yeux de votre âme fixés sur votre condition mortelle, préparez-vous à la venue du Juge par des pleurs et des lamentations quotidiennes. Et puisque la mort est certaine pour tous, craignez de faire des prévisions incertaines pour la vie terrestre.

Que les soucis des choses terrestres ne vous alourdissent pas. Quels que soient les objets d'or et d'argent qui entourent la chair, quels que soient les vêtements précieux qui la revêtent, n'est ce pas toujours de la chair ? Ne faites donc pas attention à ce que vous avez, mais à ce que vous êtes ! Voulez-vous savoir ce que vous êtes ? Le Prophète le dit : «Vraiment les hommes sont du foin.» (Is 40,7). Oui les hommes sont bien du foin, car où sont maintenant ceux qui l'an passé ont célébré cette fête du bienheureux Félix que nous honorons aujourd'hui ? A combien d'importantes questions ils pensaient pour leur avenir dans la vie terrestre ! Mais la mort survenant tout à coup, ils se sont trouvé en face de questions qu'ils n'avaient pas voulu prévoir et ont abandonné toutes ces choses temporelles qu'ils paraissaient tenir fermement. Si donc la multitude passé du genre humain s'est développée avec vigueur sur la terre et se trouve maintenant réduite en poussière par la mort, il est clair qu'elle n'était que du foin. Donc puisque les heures s'enfuient, frères très chers, faites que par la récompense des bonnes oeuvres elles soient retenues. Écoutez ce que dit le sage Salomon : «Tout ce que tes mains peuvent faire, fais-le de ton mieux, car ni le travail, ni la science, ni la sagesse n'existeront plus aux enfers où tu te précipites.» (Ec 9,10). Puisque nous ignorons le moment inévitable de notre mort et que nous ne pourrons plus agir après la mort, il est très important de ne rien perdre du temps accordé avant la mort. Ainsi la mort elle-même se trouvera vaincue lorsqu'elle surviendra si elle est toujours redoutée avant sa venue.