HOMÉLIE 11

 

Prononcée devant le peuple dans la basilique de sainte Agnès, le jour de sa fête.

 

Lecture du saint Évangile selon saint Matthieu : (13,44-52)

En ce temps là Jésus dit à ses disciples cette parabole : «Le royaume des cieux est semblable à un trésor caché dans un champ; si quelqu'un vient à le trouver, il le cache, s'en va tout joyeux de l'avoir trouvé, vend tout ce qu'il a et achète le champ. Le royaume des cieux est aussi semblable à un marchand à la recherche de belles perles fines. En ayant trouvé une de grand prix il s'en va, vend tout ce qu'il a et l'achète. Le royaume des cieux est encore semblable à un filet lancé dans la mer et rempli de toutes espèces de poissons. Une fois rempli, ceux qui l'ont jeté, s'asseyant sur le rivage, mettent les bons dans des récipients et jettent les mauvais. Ainsi en sera-t-il à la fin du monde. Les anges sortiront, sépareront les mauvais du milieu des justes et les jetteront dans un feu ardent. Là il y aura des pleurs et des grincements de dents. Comprenez-vous tout cela ?» Ils lui dirent : «Oui Seigneur.» Il leur dit : «Tout scribe instruit du royaume des cieux est semblable à un père de famille tirant de ses réserves des choses nouvelles et des anciennes.»

 

1. Le royaume des cieux, frères très chers, est comparé à des choses terrestres pour que notre esprit, partant de ce qu'il connaît s'élève vers ce qu'il ne connaît pas ; ainsi il prendra l'exemple des choses visibles pour comprendre les invisibles et par ce qu'il connaît par expérience, il s'échauffera comme par une friction pour aimer ce qu'il ne connaît pas en partant de ce qu'il connaît et aime. Car voici que le royaume des cieux est comparé à un trésor caché dans un champ et «que recache celui qui l'a trouvé; puis il s'en va avec la joie de l'avoir trouvé, vend tout ce qu'il a et achète le champ.» Dans cette histoire il faut noter que le trésor trouvé est recaché pour être conservé, car l'ardeur du désir du ciel ne suffirait pas à préserver des esprits malins celui qui ne le cacherait pas à l'abri des louanges humaines. Car dans la vie présente nous sommes comme sur une route qui nous mène à la patrie céleste. Mais les esprits malins se tiennent sur notre chemin comme des voleurs. Ils désirent donc dépouiller le voyageur qui porte ostensiblement un trésor. Je ne dis pas que nos proches ne doivent pas voir nos bonnes oeuvres puisqu'il est écrit : «Qu'ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est aux cieux.» (Mt 5,16), mais que nous ne devons pas rechercher de louanges au-dehors pour ce que nous faisons. Que l'oeuvre soit ainsi publique, mais que l'intention demeure secrète. Ainsi nous donnons à nos proches l'exemple d'une bonne action et cependant l'intention de chercher à plaire à Dieu seul nous fait toujours désirer le secret. Car le trésor est le désir du ciel, mais le champ dans lequel le trésor est caché, est l'effort d'apprendre à avoir le désir céleste. Celui qui achète ce champ en vendant tout ce qu'il a est celui qui renonçant aux plaisirs de la chair, foule aux pieds tous ses désirs terrestres pour fortifier son élan vers le ciel, en sorte qu'il n'aime rien qui flatte la chair, que son esprit ne redoute pas ce qui tue la vie de la chair.

2. D'autre part le royaume des cieux est dit semblable à un marchand qui recherche de belles perles fines, qui en trouve une très précieuse et qui, l'ayant trouvée, vend tout ce qu'il a et l'achète : ceci veut dire que celui qui a bien compris la douceur de la vie céleste, autant que possible, quitte volontiers tout ce qu'il aimait sur la terre. En comparaison de la vie céleste, tout perd sa valeur, il abandonne ses biens, il distribue ce qu'il avait amassé, son âme s'enflamme pour les biens célestes, aucun des biens terrestres ne lui plaît, tout aspect des choses terrestres qui lui plaisait lui paraît laid parce que l'éclat de la perle précieuse étincelle dans son esprit. Salomon dit bien de cet amour : «L'amour est fort comme la mort.»(Can 8,6). Car évidemment, comme la mort met un terme à la vie du corps, l'amour de la vie éternelle met fin à l'affection pour les choses corporelles. En fait celui qu'il a complètement pénétré, devient insensible aux désirs terrestres extérieurs.

3. Sainte Agnès, dont nous célébrons aujourd'hui la naissance au ciel, n'aurait pas pu mourir pour Dieu en son corps si auparavant elle n'était pas morte aux désirs terrestres en esprit. Parvenue au sommet de la vertu, son âme méprisa les souffrances, foula aux pieds les avantages de la vie. Conduite devant les chefs des soldats et les gouverneurs, elle se tint droite, plus robuste que celui qui la frappait, plus sublime que celui qui la jugeait. Et nous vieux et débiles, que disons-nous de cela, lorsque nous voyons des jeunes filles aller au royaume céleste par le supplice, nous que la colère met en fuite, que l'orgueil enfle, que l'ambition trouble, que la luxure souille ? Si nous ne pouvons pas atteindre le royaume des cieux dans la guerre, les persécutions, qu'elle honte de ne pas vouloir au moins suivre Dieu dans la paix ! Voici qu'en ce temps, Dieu ne dit à personne d'entre nous : meurs pour Moi. Mais à la place Il dit : tue seulement en toi les désirs défendus. Nous donc, qui ne voulons pas dans la paix dominer les désirs de la chair, est-ce que nous donnerions cette chair elle-même dans une guerre à soutenir pour le Seigneur ?

4. D'autre part le royaume des cieux est dit semblable à un filet lancé dans la mer, rassemblant des poissons de toutes espèces et ramené plein à la côte; les bons poissons sont mis dans des récipients mais les mauvais rejetés. La sainte Église est comparée à un filet parce qu'elle est aussi remplie de pécheurs et chacun est tiré par elle des flots du siècle présent vers le royaume éternel pour ne pas se noyer dans les profondeurs de la mort éternelle; elle rassemble des poissons de toutes espèces, puisqu'elle appelle à la rémission des péchés les sages et les insensés, les hommes libres et les esclaves, les riches et les pauvres, les bien portants et les malades. C'est pourquoi le psalmiste dit à Dieu : «À Toi viendra toute chair.» (Ps 64,3). Évidemment le filet sera complètement rempli lorsque à la fin du monde, le nombre des humains sera complet. Ils ramènent le filet et s'assoient sur le rivage, car comme la mer représente le monde, ainsi le rivage de la mer signifie la fin du monde. Lors de cette fin les bons poissons seront mis dans les récipients mais les mauvais jetés dehors; en effet pendant que chaque élu sera reçu dans les demeures éternelles, les réprouvés, ayant perdu la lumière du royaume intérieur, seront rejetés dans les ténèbres extérieures. Car maintenant le filet de la foi nous contient bons et mauvais ensemble comme des poissons mêlés ensemble. Mais le rivage révèle le filet, c'est à dire la sainte Église, qui les tire. Et ces poissons qui auront été pris ne peuvent plus changer. Mais nous, nous sommes pris mauvais, mais nous sommes complètement changés par la Bonté de Dieu. Pensons donc à la capture pour n'être pas rejetés en arrivant au rivage. Voici que la solennité de ce jour mérite votre reconnaissance car il se condamne beaucoup celui qui manque à cette assemblée. Que fera donc en ce jour du jugement celui qui sera entraîné loin des yeux du Juge, séparé de la société des élus, plongé dans les ténèbres loin de la lumière, torturé par le feu éternel ? C'est pourquoi le Seigneur fait cette même comparaison, brièvement en ajoutant : «Il en sera ainsi à la fin des siècles. Les anges sortiront et sépareront les mauvais du milieu des justes et les enverront dans un feu ardent. Là il y aura des pleurs et des grincements de dents.» Dès maintenant, frères très chers, cela est à craindre plutôt qu'à expliquer. Les tourments des pécheurs ont été annoncés ouvertement pour que personne ne recoure à l'excuse de son ignorance comme si les supplices éternels étaient dits de façon obscure. C'est pourquoi il est ajouté : «Avez-vous compris tout cela.» Un disciples lui dirent : «Oui Seigneur.»

5. En conclusion il est ajouté : « Tout scribe savant sur le royaume des cieux est semblable à un père de famille tirant de ses réserves des choses nouvelles et des anciennes.» Si par le terme nouveau et ancien nous comprenons l'un et l'autre des deux Testaments, nous nions qu'Abraham ait été un sage, lui qui n'annonçât pas du tout les paroles du nouveau et de l'ancien Testament, quoiqu'il connût les faits. Nous ne pouvons pas non plus comparer Moïse à un sage père de famille, lui qui enseigna l'Ancien Testament mais n'apporta pas les paroles du nouveau. Donc, puisque cette explication est exclue, nous sommes amenés à une autre. Mais dans la parole de la Vérité : «Tout scribe savant sur le royaume des cieux est semblable à un père de famille,» il faut comprendre que Jésus parlait non pas de ceux qui avaient existé, mais de ceux qui pourraient exister dans l'Église. Ceux-là apportent du nouveau et de l'ancien lorsqu'ils disent des prédications de l'un et l'autre Testament par leurs paroles et leur conduite. On peut aussi comprendre la chose autrement. L'ancien en effet fut pour le genre humain, descendre aux prisons de l'enfer et subir les supplices éternels pour ses péchés. Le nouveau lui arriva par la venue du Médiateur à savoir que, s'il s'appliquait à vivre de façon droite, il pourrait entrer dans le royaume des cieux et que l'homme placé sur la terre, mourrait dans sa vie corruptible mais pour s'établir au ciel. Ainsi l'ancien c'est que le genre humain à cause de sa faute périsse dans les peines éternelles et le nouveau c'est que converti il vive dans le Royaume. Donc ce que le Seigneur ajoute en conclusion de son discours, c'est certainement ce qu'il a mis au début. D'abord Il a mis en comparaison du Royaume le trésor caché et la belle perle fine avant de décrire les peines de l'enfer à propos du feu dont brûlent les hommes mauvais. Et Il ajoute en conclusion : «Tout scribe savant sur le royaume des cieux est semblable à un père de famille tirant de ses réserves des choses nouvelles et des anciennes.» C'est comme s'Il disait clairement : le prédicateur savant dans la sainte Église est celui qui sait à la fois exprimer des choses nouvelles sur la douceur du Royaume et dire des choses anciennes sur la terreur des supplices afin que les peines effraient ceux que les récompenses n'attirent pas. Que chacun écoute bien ce qui est dit sur le Royaume pour qu'il l'aime, qu'il écoute bien ce qui est dit sur le supplice pour qu'il le redoute; ainsi la crainte poussera l'âme endormie et attachée fortement à la terre si l'amour ne l'entraîne pas vers le Royaume. Car il est dit de la géhenne : «Là il y aura des pleurs et des grincements de dents.» Mais puisque des lamentations perpétuelles suivent les plaisirs présents, frères très chers, fuyez la vaine joie si vous redoutez de pleurer là-bas. Personne ne peut en effet se réjouir avec le monde et régner là-haut avec le Seigneur. Donc restreignez les flots de la joie temporelle, domptez entièrement les plaisirs de la chair. Quoique ce soit qui dans la vie présente puisse sourire à l'âme, que cela devienne amer en considération du feu éternel. Quoique ce soit qui réjouisse follement l'esprit, que la critique dune formation virile le restreigne; ainsi en fuyant spontanément les choses terrestres, puisiez-vous saisir sans peine les joies éternelles avec l'aide de notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne dans les siècles des siècles, amen.