HOMÉLIE 5

 

Prononcée devant le peuple dans la basilique de saint André, apôtre, le jour de sa fête.

 

Lecture du saint Évangile selon saint Matthieu : (4,18-22)

En ce temps-là, Jésus, marchant au bord de la mer de Galilée, vit deux frères : Simon, qui fut ensuite appelé Pierre et André son frère; ils étaient en train de jeter leurs filets dans la mer car ils étaient pêcheurs; il leur dit : «Venez avec Moi et Je vous ferai pêcheurs d'hommes.» Abandonnant aussitôt leurs filets, ils le suivirent. Continuant à marcher, Jésus vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée et Jean son frère; ils étaient dans un bateau avec Zébédée leur père, réparant leurs filets. Il les appela. Aussitôt, quittant leurs filets et leur père, ils le suivirent.

 

1. Vous avez entendu, frères très chers, que sur un ordre unique, Pierre et André abandonnèrent leurs filets et suivirent le Rédempteur. Mais jusqu'alors, ils ne l'avaient vu faire aucun miracle, ils n'avaient rien entendu de lui sur une récompense éternelle; et cependant sur un seul ordre du Seigneur, ils oublièrent tout ce qu'ils semblaient posséder. Et nous, quels grands prodiges nous voyons ! Par combien de châtiments nous sommes frappés ! Par combien de menaces rigoureuses nous sommes effrayés ! Et cependant, nous refusons de suivre celui qui nous appelle. Il siège déjà au ciel celui qui nous exhorte à la conversion, Il a déjà fait plier sous le joug de la foi les cous des nations, Il a déjà renversé la gloire de ce monde; déjà, par l'accumulation des ruines, Il annonce la proximité du jour de son jugement rigoureux. Et cependant, notre esprit orgueilleux ne veut pas abandonner spontanément ce que chaque jour il perd à contre coeur. Que dirons-nous donc, très chers, le jour de son jugement, nous qui continuons à aimer le siècle présent, sans nous laisser fléchir par les préceptes du Maître, ni corriger par ses verges ?

2. Mais peut-être quelqu'un se dira en son for intérieur : à la Voix du Seigneur, lequel de ces pêcheurs n'abandonnerait pas tout ce qu'il a, lui qui n'a presque rien ? Mais dans ce cas, frères très chers, nous devons plutôt peser l'affection que la richesse. Il abandonne beaucoup celui qui ne garde rien, il abandonne beaucoup celui qui a tout quitté, aussi peu qu'il ait possédé. Nous certainement, nous gardons avec amour ce qui nous appartient et nous recherchons avec avidité ce que nous n'avons à aucun titre. Donc Pierre et André ont beaucoup abandonné lorsque l'un et l'autre ont renoncé même au désir de posséder. Car il abandonne beaucoup celui qui renonce avec la chose possédée même au désir de posséder. Donc, pour ceux qui suivent Jésus, les choses abandonnées sont aussi importantes que ne sont pour ceux qui ne le suivent pas les choses qu'ils ont pu désirer. Donc, que personne, même lorsqu'il voit certains abandonner beaucoup de choses, que personne ne dise en lui-même : je veux imiter ceux qui méprisent le monde, mais je n'ai rien à abandonner. Vous abandonnez beaucoup, frères, si vous renoncez aux désirs terrestres. Nos biens extérieurs en effet, si petits qu'ils soient, suffisent au Seigneur, car il pèse soigneusement non la quantité mais la qualité de l'affection. Si nous pesions soigneusement les biens extérieurs, nous verrions que nos saints commerçants ont acheté la vie éternelle des anges en donnant filets et bateaux. Car il n'existe pas d'estimation du prix du royaume de Dieu, et cependant il a la valeur de tout ton bien. Ainsi pour Zachée, sa valeur fut la moitié de ses biens, car il a gardé la moitié de ce qui restait, après avoir remboursé le quadruple de ce qu'il avait pris injustement. Pour Pierre et André, sa valeur fut celle des filets et du bateau abandonnés. Pour la veuve, sa valeur fut de deux piécettes, pour un autre, un verre d'eau fraîche. C'est pourquoi, comme nous l'avons dit, le royaume de Dieu a la valeur de ce que l'on possède.

3. Réfléchissez donc frères : qu'y a-t-il de meilleur marché quand on l'achète, qu'est-ce qui a moins de valeur et quoi de plus précieux une fois qu'on le possède ? Mais peut-être n'avons-nous pas sous la main un verre d'eau fraîche à offrir à un indigent; et bien même dans ce cas la parole divine nous promet la tranquillité de la conscience. En effet, à la naissance du Rédempteur, les habitants du ciel apparurent en chantant : «Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.» (Luc 2,14). En effet, aux Yeux de Dieu, jamais les mains ne sont vides de bienfaits, si le trésor du coeur est rempli de bonne volonté. De là vient ce que dit le psalmiste : «C'est en moi que sont, ô Dieu, les offrandes que je T'offrirai, des louanges pour Toi.» ((Ps 55,12). Comme s'il disait clairement : même si extérieurement je n'ai pas de bienfaits à T'offrir, à l'intérieur de moi-même je trouve cependant quelque chose à mettre sur l'autel de ta louange; car Toi qui ne vis pas de nos dons, Tu es mieux satisfait par l'offrande du coeur. Rien, en effet, ne peut être offert à Dieu de plus précieux que la bonne volonté. Mais la bonne volonté, c'est redouter aussi bien les adversités du prochain que les nôtres, se réjouir aussi bien de la prospérité du prochain que de notre bonheur, croire que les dommages subis par les autres sont les nôtres, estimer comme nôtres les profits des autres, aimer son ami non à cause du monde mais à cause de Dieu, même supporter un ennemi en allant jusqu'à l'aimer, ne faire à personne ce que l'on ne veut pas subir, ne refuser à personne ce que l'on est en droit de réclamer pour soi, non seulement parer à la nécessité du prochain mais vouloir lui être utile même au-delà de ses forces. Quelle offrande plus riche que cet holocauste où l'âme s'immole elle-même, parce qu'elle sacrifie à Dieu sur l'autel du coeur.

4. Mais ce sacrifice de bonne volonté n'est jamais totalement accompli, sauf lorsque l'amour du monde est parfaitement abandonné. Ainsi quoi que nous désirions avidement en ce monde, ce bien, sans aucun doute nous le voyons avec envie aux mains du prochain. Il nous semble en effet que nous manque ce qu'un autre acquiert. Et comme l'envie est toujours en désaccord avec la bonne volonté, aussitôt qu'elle s'est emparée de l'âme, la bonne volonté s'en éloigne. Ainsi les saints prédicateurs, pour pouvoir aimer parfaitement leurs proches, s'efforcent de n'avoir d'attachement à rien dans ce monde, de ne rien désirer, de ne rien posséder ou de posséder sans attachement. Isaïe, les observant bien, dit : «Qui sont-ils, ceux qui volent comme des nuages et sont comme des colombes à leurs fenêtres ?»(Is 60,8). Car il les a vus mépriser les choses terrestres, s'approcher par l'esprit des choses célestes, faire tomber une pluie bienfaisante de paroles, briller par leurs miracles. Et ceux qu'une sainte prédication et une vie sublime ont élevés loin des influences terrestres, ceux-là il les décrit volant comme des nuages. Nos yeux sont des fenêtres car l'âme voit par eux ce qu'elle désire vivement au-dehors. La colombe est un animal sans détour; ils sont à leurs fenêtres un peu comme des colombes, acceptant tout avec simplicité, ne désirant rien en ce monde. Au contraire, il ressemble à un oiseau de proie et non à une colombe celui qui est habité d'un désir avide vers ce qui tombe sous ses yeux. Donc, frères très chers, puisque nous célébrons aujourd'hui la fête du bienheureux apôtre André, nous devons imiter ce que nous honorons; que notre esprit montre toujours la déférence de notre dévotion. Méprisons les biens terrestres et en renonçant à ce qui ne dure pas, achetons les biens éternels. Mais si nous ne pouvons pas encore quitter ce qui nous appartient, du moins ne désirons pas ce qui appartient aux autres. Si notre âme n'est pas encore embrasée par le feu de la charité, que ses ambitions soient freinées par la crainte; ainsi fortifiée dans la voie de son perfectionnement, notre âme sera freinée dans son désir des biens du prochain, qu'elle soit à tout moment amenée à mépriser ses biens propres, avec l'aide de notre Seigneur Jésus Christ qui étant Dieu, vit et règne avec Dieu en l'unité du saint Esprit, dans tous les siècles des siècles, amen