DE LĠORAISON DOMINICALE

1° Nécessité de la prière: 2° Ses qualités; 3° Paraphrase; 4° Heures de la prière.

1° Les préceptes évangéliques, mes frères bien-aimés, sont des enseignements divins qui servent de fondement à notre espérance; dĠappui à notre foi, dĠaliment à notre charité, de règle à notre vie, de secours pour arriver au salut. Les fidèles qui les acceptent avec docilité sont conduits par eux au royaume céleste. Dieu nous a souvent parlé par la bouche de ses prophètes; mais les enseignements du Fils sont bien plus précieux encore. Ici, il ne sĠagit plus de préparer la voie au Messie à venir; il est venu lui-même, il nous a ouvert et montré la route. Autrefois, frappés dĠaveuglement et de folie, nous errions dans les ténèbres de la mort; mais depuis, illuminés par la grâce divine, nous marchons sur les traces du maître, dans le chemin de la vie.

Or, parmi les préceptes et les avertissements quĠil a laissés à son peuple pour le conduire au salut, se trouve la formule de la prière. Il nous a dit lui-même ce que nous devons demander. Après nous avoir donné la vie, il nous a appris à prier; et ce bienfait nĠest pas inférieur aux autres, car, en usant auprès du Père de la prière instituée par le Fils, nous sommes plus facilement exaucés.

Déjà le divin maître avait prédit lĠépoque où les vrais fidèles devaient adorer le Père en esprit et en vérité. Il accomplit sa promesse; et nous, qui avons reçu de sa miséricorde lĠEsprit de vérité, nous recueillons de sa bouche lĠesprit dĠadoration et de prière. Or, quelle prière peut être plus conforme à la pensée divine que celle qui nous a été enseignée par Celui qui nous a envoyé lĠEsprit-Saint, par le Christ? Quelle prière est plus digne de la majesté du Père que celle qui est descendue de la bouche du Fils qui est la vérité même? Prier dĠune autre manière nĠest pas seulement de lĠignorance, cĠest une faute, Jésus a dit : Vous rejetez le commandement du Seigneur, afin dĠétablir votre tradition (Mc 7).

2° Prions, mes frères bien-aimés, comme Dieu notre maître nous a appris à le faire. CĠest une prière agréable à Dieu que celle qui se compose de ses propres paroles, lĠoraison du Christ résonne doucement à son oreille. Que le Père reconnaisse les paroles de son Fils, quand nous prions; que Celui qui habite dans nos coeurs parle par notre voix. Il est notre avocat auprès du Père: lorsque nous demandons grâce pour nos péchés, employons le langage de notre défenseur. Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, nous dit-il, vous sera accordé (Jn 16). Quel moyen plus efficace de demander au nom du Christ que dĠemployer sa propre prière?

Lorsque nous prions, que notre voix soit réglée par la décence et le respect. Souvenons-nous que nous sommes en présence de Dieu et que nous devons plaire à ses regards divins par lĠattitude de notre corps et le calme de notre parole. LĠinsensé pousse de grands cris; lĠhomme respectueux prie avec modestie.

Le Seigneur nous ordonne de prier en secret, dans des lieux solitaires et reculés, même dans nos chambres. CĠest là ce qui convient le mieux à la foi. Nous savons, en effet, que Dieu est présent partout , quĠil voit et entend tous ses enfants, quĠil remplit de sa majesté les retraites les plus secrètes, selon cette parole : Je suis avec vous, ne me cherchez pas au loin (Jér 23). Quand lĠhomme se cacherait au centre de la terre, dit encore le Seigneur, est-ce que je ne le verrais pas? est-ce que je ne remplis pas et la terre et le ciel? Et plus loin : Les yeux du Seigneur regardent partout les bons et les méchants (Pro 15).

Quand nous nous réunissons pour offrir avec le prêtre le divin sacrifice, prions avec recueillement. Gardons-nous bien de jeter à tous les vents des paroles sans suite et de formuler tumultueusement une demande dont la. modestie doit faire tout le prix. Dieu nĠécoute pas la voix, mais le coeur. Il nĠest pas nécessaire de lĠavertir par des cris, puisqu il connaît les pensées des hommes. Nous en avons une preuve dans cette parole du Seigneur ! Que pensez-vous de mauvais dans vos coeurs (Lc 15) ? Et dans lĠApocalypse : Toutes les Églises sauront que cĠest moi qui sonde les cÏurs et les reins (Apo 2).

Anne, dont nous trouvons lĠhistoire au premier livre des Rois, se soumit à cette règle, et en cela elle fut une figure de lĠEglise. Elle nĠadressait pas au Seigneur des paroles bruyantes; mais, recueillie en elle-même, elle priait silencieusement et avec modestie. Sa prière était cachée, mais sa foi manifeste; elle parlait, non avec la voix, mais avec le coeur. Elle savait bien que Dieu entend des voeux ainsi formulés;aussi, grâce à la foi qui lĠanimait,. elle obtint lĠobjet de sa demande. CĠest ce que nous apprend lĠÉcriture : Elle parlait dans son coeur et ses lèvres remuaient; mais sa voix nĠétait pas entendue; et le Seigneur lĠexauça (I Roi 1). Nous lisons de même dans les psaumes : Priez du fond du coeur, priez sur votre couche et livrez, votre âme à la componction (Ps 4). LĠEsprit saint nous donne le même précepte par la bouche de Jérémie : CĠest par la pensée que vous devez adorer le Seigneur.

Lorsque vous remplissez le devoir de la prière, mes frères bien-aimés, nĠoubliez pas la conduite du Pharisien et du Publicain dans le temple. Le Publicain nĠélevait pas insolemment ses regards vers le ciel, il nĠagitait pas ses mains hardies; mais frappant sa poitrine, et, par cet acte, se reconnaissant pécheur, il implorait le secours de la miséricorde divine. Le Pharisien, au contraire, sĠapplaudissait lui-même. Aussi le Publicain fut justifié et non pas lĠautre. Il fut justifié à. cause de sa prière, car il ne plaçait pas lĠespoir de son salut dans une confiance aveugle en son innocence, attendu que personne nĠest innocent; mais il confessait humblement ses péchés, et Dieu qui pardonne toujours aux humbles, entendit sa voix. Mais citons plutôt le texte évangélique. Deux hommes montèrent dans le temple pour prier; lĠun était pharisien, lĠautre publicain. Le Pharisien se tenant debout priait ainsi en lui-même: Dieu, je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, injuste, ravisseur, adultère, ou bien encore comme ce Publicain. Je jeûne deux fois la semaine; je donne le dîme de tout ce que je possède. Le Publicain, au contraire, se tenait à lĠécart et nĠosait élever ses regards vers le ciel, mais il frappait sa poitrine en disant mon Dieu, je suis un pécheur, soyez-moi propice. Il se retira dans sa maison justifié; mais il nĠen fut pas de même du Pharisien. Car tout homme qui sĠélève sera abaissé, et tout homme qui sĠabaisse sera élevé (Lc 18).

Nous venons de voir, mes frères bien-aimés, dĠaprès les saints livres, quelle doit être notre attitude dans la prière. Voyons maintenant ce que nous devons demander.

Vous prierez ainsi, nous dit Jésus Christ : Notre père qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié. Que votre règne arrive. Que votre volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel. Donnez-nous aujourdĠhui notre pain quotidien. Pardonnez-nous nos, offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Ne souffrez pas que nous soyons induits en tentation; mais délivrez-nous du mal; ainsi soit-il (Mt 6).

Avant toutes choses, le Dieu qui nous a si fortement recommandé la paix et lĠunité nĠa pas voulu que nos prières eussent un caractère personnel et égoïste; il nĠa pas voulu, quand nous prions, que nous ne pensions quĠà nous-même. Nous ne disons pas: mon père qui es dans les cieux, donne-moi aujourdĠhui le pain dont jĠai besoin. Nous ne demandons pas seulement pour nous-mêmes le pardon de nos fautes, lĠexemption de toute tentation et la délivrance du mal. Notre prière est publique et commune, et quand nous prions, nous ne pensons pas seulement à nous, mais à tout, le peuple; car tout le peuple chrétien ne forme quĠun seul corps. Le Dieu qui nous a enseigné la paix la concorde et lĠunité veut que notre prière embrasse tous nos frères, comme il nous a tous portés lui-même dans sou sein paternel. Ainsi prièrent les trois enfants dans la fournaise leurs voix étaient unies comme leurs coeurs. CĠest ce que nous enseigne lĠÉcriture, en les proposant à notre imitation : Les trois enfants, dit-elle, comme dĠune seule bouche, chantaient un hymne au Seigneur et le bénissaient (Dan 3). Et pourtant le Verbe fait homme ne leur avait pas appris à prier. Est-il donc étonnant quĠil ait exaucé leur demande, lui qui prête toujours lĠoreille à la prière de lĠhomme simple et pacifique?

Nous voyons les apôtres et les disciples prier de la même manière, après lĠascension de Jésus Christ. Tous, dit lĠÉcriture, unis par un même sentiment, persévéraient dans la prière avec les saintes femmes, avec Marie, mère de Jésus, et ses proche parents (Act., I). Nous voyons, par cette union, combien leur prière était sincère, persévérante et efficace. Dieu qui réunit dans la même maison les frères dont les sentiments sont unanimes, nĠouvre les portes de la demeure éternelle quĠà ceux dont les coeurs sĠunissent dans la prière.

3° Que vous dire, mes frères bien-aimés, des mystères de lĠoraison dominicale? QuĠils sont nombreux, quĠils sont grands, quĠils sont féconds en grâces spirituelles, quoique résumés en peu de mots! Tout ce que vous trouvez dans les autres prières est renfermé dans cette céleste formule.

Le Seigneur nous dit vous prierez ainsi : Notre Père, qui êtes dans les cieux.

LĠhomme nouveau, régénéré par le baptême, rendu par la grâce à Dieu,, son créateur, commence par dire: Père, parce que lui-même est devenu enfant de Dieu. Le Verbe, dit saint Jean, est venu dans sa propre demeure, et les siens ne lĠont pas reçu; mais à ceux qui lĠont reçu et qui croient en lui, il a donné le privilège dĠêtre les enfants de Dieu. (Jn 1). Donc celui qui croit à Jésus-Christ devient enfant de Dieu. Il doit commencer par rendre grâces, par reconnaître sa dignité, en donnant le titre de père au Dieu qui réside dans le ciel. Ce nĠest pas tout: en entrant dans la vie spirituelle, il doit montrer quĠil renonce à son père selon la chair, et quĠil ne reconnaît dĠautre père que celui qui est dans le ciel. Moïse, au livre du Deutéronome, loue le courage des fils de Lévi. qui, pour être fidèles au Seigneur, dirent à leur père et à leur mère : « je ne vous connais pas, » et oublièrent leurs propres enfants. Le Seigneur nous avertit de ne donner à personne sur la terre le nom de père; car nous nĠavons quĠun seul père qui est dans le ciel. Il disait au disciple qui lui parlait de son père défunt : Laisse les morts ensevelir leurs morts. Le disciple parlait de son père qui venait de mourir; Jésus lui rappelait que le père des croyants vit toujours.

Nous ne disons pas seulement Père, mais notre Père : cĠest-à-dire père de ceux qui croient, de ceux qui, sanctifiés et régénérés par la grâce divine, sont devenus les fils de Dieu. Cette parole condamne ouvertement les Juifs. Aveuglés par lĠesprit de révolte, non-seulement ils ont repoussé le Christ annoncé par leurs prophètes, le Christ qui commençait par eux sa mission divine, mais ils lui ont fait subir la mort la plus cruelle. Ils ne peuvent appeler Dieu leur père, car Jésus est là pour les confondre : Vous êtes les fils du démon, leur dit-il, et vous marchez sur les traces impures de votre père. Il fut homicide dès le commencement; il ne persévéra pas dans la vérité; aussi la vérité nĠest pas en lui (Jn 8). Le Seigneur, dans son indignation, parle ainsi par la bouche dĠIsaïe : JĠai engendré des enfants, je les ai élevés, et ils mĠont méprisé. Le boeuf connaît son maître, lĠâne lĠétable où il trouve sa nourriture : Israël ne me connaît pas; mon peuple nĠa pas su me comprendre. Malheur à la nation coupable, à ce peuple chargé dĠiniquités ! Race perverse, enfants criminels, vous avez abandonné le Seigneur; vous avez enflammé la colère du saint dĠIsraël (Isa.,1).

CĠest donc une condamnation pour les Juifs que ces mots notre Père que nous prononçons, dans notre prière. Dieu est devenu notre père, en cessant dĠêtre celui des Juifs qui lĠavaient abandonné. Le nom de fils ne peut appartenir au peuple coupable; mais à ceux qui ont reçu la rémission de leurs péchés, et, avec ce titre, ils possèdent la promesse de lĠéternité. Jésus a dit : Tout homme qui commet le péché est esclave du péché. LĠesclave est banni de la maison de son maître; mais le fils y reste toujours (Jn 8).

Quel excès de bonté et de miséricorde do la part de Dieu, nies frères! il veut que dans les prières que nous lui adressons, nous lĠappelions notre Père, en sorte que nous partageons avec le Christ la dignité de Fils de Dieu. Certes, personne dĠentre nous nĠoserait prendre ce titre sans la permission divine. Sachons donc, mes frères, et nĠoublions jamais que, puisque nous appelons Dieu notre père, nous devons agir comme des enfants de Dieu, afin quĠil se complaise dans ses fils, comme nous nous complaisons dans notre Père. Soyons comme les temples de Dieu, afin quĠil daigne habiter en nous. Que nos actes répondent à la grâce qui nous anime, afin que, voués à une vie toute céleste, nos pensées et nos actions sĠélèvent vers le ciel. CĠest encore la parole du Seigneur: Je glorifierai ceux qui me glorifient; celui qui me méprise sera méprisé (I Roi 2). LĠapôtre saint Paul. nous dit à. son tour: Vous ne vous appartenez plus, car vous avez été achetés bien chers; glorifiez et portez Dieu dans votre corps (I Cor 6).

Nous disons ensuite : Que votre nom soit sanctifié.

Nous sommes loin de penser que nos prières puissent ajouter quelque chose à la sainteté de Dieu: nous demandons seulement que son nom soit sanctifié en nous. Qui pourrait rendre plus saint celui de qui découle toute sainteté? Mais comme il nous a dit : Soyez saints parce que je suis saint (Lev 20.), nous lui demandons chaque jour de persévérer dans cette sainteté que nous avons reçue par le baptême. Nous avons besoin de nous sanctifier sans cesse pour expier les fautes que nous commettons tous les jours. Quelle est donc cette sainteté que nous recevons de la grâce divine? Écoutez lĠapôtre : Ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les hommes adonnés à dĠinfâmes passions, ni les voleurs, ni les faussaires, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les ravisseurs nĠobtiendront le royaume de Dieu. Vous avez été souillés de tous ces crimes; mais vous avez été lavés, justifiés, sanctifiés au nom du Seigneur Jésus par la grâce du saint Esprit (I Cor 6). Nous avons été sanctifiés, dit lĠapôtre, au nom du Seigneur Jésus, par la grâce du Saint-Esprit. Eh bien! nous prions afin que cette sainteté demeure toujours en nous. Et comme notre juge suprême recommande au malade guéri et justifié par lui de ne plus retomber dans Je péché de peur quĠil ne lui arrive quelque chose de pire, nous prions Dieu nuit et jour de nous conserver la sainteté et la vie que nous tenons de son infinie bonté.

Que votre règne arrive.

CĠest pour nous que nous demandons que le royaume de Dieu arrive, comme cĠest en nous que nous désirons que son nom soit sanctifié. Car Dieu règne de toute éternité; en lui, ce qui a toujours été et ce qui sera toujours rie peut avoir de commencement. Mais, quand nous prions, nous demandons ce royaume que Dieu nous a promis, ce royaume quĠil nous a mérité par ses souffrances et par son sang. Ainsi, après avoir subi lĠesclavage du siècle, nous régnerons avec le Christ, comme il nous lĠa dit lui-même : Venez les bénis de mon père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès lĠorigine du monde (Mt 25).

On peut encore, mes frères bien-aimés, entendre par le royaume de Dieu le Christ lui-même. Nous désirons chaque jour le voir apparaître, nous soupirons sans cesse après son avènement. Comme il est notre résurrection, puisque cĠest en lui que nous ressusciterons, il peut aussi être le royaume de Dieu, puisque cĠest en lui que nous régnerons.

CĠest avec raison que nous demandons le royaume de Dieu, cĠest-à-dire un royaume céleste, car il est aussi un royaume terrestre; mais celui qui a renoncé au siècle est plus grand que les honneurs et la puissance dĠici-bas : aussi il ne désire pas les royaumes de la terre, mais celui du ciel. Nous devons prier continuellement pour ne pas perdre le royaume céleste, comme les Juifs à qui il fut dĠabord promis. Beaucoup, dit Jésus-Christ, viendront de lĠOrient et de lĠOccident et prendront place, avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux, quant aux fils du royaume, ils seront jetés dans les ténèbres. Là seront les pleurs et les grincements de dents (Mat., VIII). Nous voyons par ces paroles que les Juifs furent les fils du royaume tant qu ils continuèrent à être les fils de Dieu Quand ils perdirent le nom de leur père, ils perdirent leur royaume.

Nous donc, chrétiens, qui dans la prière appelons Dieu notre Père, nous demandons que son royaume nous arrive.

Nous ajoutons : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

Nous ne demandons pas que Dieu fasse ce quĠil veut, mais de faire nous-mêmes ce que veut le Seigneur. Qui peut résister à Dieu et lĠempêcher dĠaccomplir sa volonté? pour nous, il nĠen est pas de même. Comme nous trouvons des obstacles de la part du démon, nous demandons que la volonté de Dieu sĠaccomplisse en nous. Pour cela, nous avons besoin du secours dĠen haut, car personne nĠest fort par ses propres forces: nous devons nous appuyer sur la grâce et la miséricorde du Seigneur.

            Cette faiblesse de lĠhumanité, nous la trouvons dans le Sauveur lui-même : Mon père, sĠécriait-il, si cĠest possible que ce calice sĠéloigne de moi; mais pour montrer à ses disciples quĠils doivent toujours accomplir la volonté divine et non la leur, il ajoutait : Cependant, non ce que je veux, mais ce que vous voulez (Mat., XXVI.). Ailleurs, il nous dit : Je suis venu sur la terre non pour faire ma volonté, mais celle de mon Père qui mĠa envoyé (Joan., VI.). Si le Fils sĠest fait obéissant pour accomplir la volonté de son Père, quelle doit être lĠobéissance du serviteur quand il sĠagit des ordres de Dieu? Saint Jean nous y exhorte en ces termes:

NĠaimez ni le monde ni ce qui est dans le monde. Si vous aimez le monde, la charité du Père nĠest plus en vous; car tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et ambition du siècle. Or, tout cela ne vient pas du Père, mais de lĠesprit du mal. Le monde passera avec sa concupiscence, mais celui qui accomplit la volonté de Dieu vivra éternellement comme Dieu lui-même (Jn 2).

Si nous voulons vivre éternellement, faisons la volonté de ce Dieu qui est éternel. Or, la volonté de Dieu est celle que le Christ, nous a manifestée en lĠaccomplissant : lĠhumilité dans notre conduite, la fermeté dans notre foi, le respect dans nos paroles, la justice dans nos actes, la charité dans nos oeuvres, la sévérité dans nos moeurs. Dieu veut que nous ne fassions aucune injure au prochain, que nous supportions celles qui nous sont faites, que nous soyons en paix avec nos frères, que nous lĠaimions de tout notre coeur, chérissant en lui le père et craignant le Dieu. Il veut que nous ne préférions rien au Christ, qui, nĠa lui-même rien préféré à nous; que nous soyons inséparablement unis à sa charité, fermement attachés à sa croix. Il veut, quand il sĠagit de lĠhonneur et de la gloire du nom chrétien, quĠil y ait en nous cette constance qui confesse la vérité, cette fermeté qui soutient la lutte, cette patience qui, par la mort, mérite la couronne. CĠest ainsi quĠon devient cohéritier de Jésus-Christ; cĠest ainsi quĠon exécute ses ordres et quĠon accomplit la volonté du Père.

Nous demandons que la volonté de Dieu se fasse et dans le ciel et sur la terre, car cĠest de ce double accomplissement que dé-pend notre salut. Notre corps vient de la terre, notre esprit du ciel; nous sommes donc à la fois ciel et terre et nous demandons pour lĠun et pour lĠautre, cĠest-à-dire pour le corps et pour lĠesprit, le triomphe de la volonté divine. II y a lutte entre la chair et lĠesprit : ces deux adversaires se livrent chaque jour dès combats; en sorte que nous ne faisons pas toujours ce que nous voulons. LĠesprit cherche les choses du ciel, la chair les choses de la terre. LĠobjet de notre prière est donc d établir, avec lĠaide de Dieu, la concorde et la paix entre ces puissances rivales, afin que la volonté divine sĠaccomplisse dans notre esprit et dans notre chair et quĠainsi notre âme régénérée au salut.

Je ne fais que suivre ici les enseignements de saint Paul. La chair, dit-il, convoite contre lĠesprit et lĠesprit contre la chair; ils sont en lutte, lĠun contre lĠautre, en sorte que vous ne faites pas toujours ce que vous vouiez. Vous connaissez les oeuvres de la chair : ce sont les adultères, les fornications, les impuretés de tout genre, lĠidolâtrie, les empoisonnements, les homicides, les inimitiés, les disputes, les jalousies, les animosités, les provocations, les haines, les dissensions, les hérésies, lĠenvie, lĠivresse, la gourmandise et autres vices semblables. Or, je vous préviens, comme Jésus lĠa fait, que ceux qui tombent dans ces iniquités ne posséderont pas le royaume de Dieu. Les fruits de lĠEsprit sont la charité, la joie, la paix, la grandeur dĠâme, la bonté, la foi, la douceur, la continence, la chasteté (Gal., V.). Voyez-vous maintenant pourquoi nous demandons à Dieu, chaque jour, que sa volonté sĠaccomplisse en nous et dans le ciel et sur la terre? CĠest que la volonté de Dieu est que les choses du ciel lĠemportent sur celles de la terre et que les biens spirituels et divins occupent la première place.

On pourrait donner une autre interprétation. Le Seigneur nous ordonne dĠaimer nos ennemis et de prier même pour nos persécuteurs. Dociles à cet ordre, nous demandons pour ces hommes encore terrestres, parce quĠils ne sont pas illuminés par la grâce, que la. volonté de Dieu sĠaccomplisse en eux:  cette volonté que le Christ a si bien exécutée, en conservant lĠhomme et en le rétablissant dans tous ses droits. Il appelle ses disciples le sel de la terre, et lĠapôtre nous dit que le premier homme a été tire du limon et le second du ciel. Appelés à ressembler à Dieu, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et tomber sa pluie sur les justes et les pécheurs, cĠest avec raison que, dĠaprès les avertissements du Seigneur, nous prions pour le salut de tous. Quelle est donc notre prière ? De même que la volonté de Dieu a triomphé dans le ciel, cĠest-à-dire en nous , pour nous transformer par la foi en hommes célestes, nous demandons que cette même volonté triomphé sur la terre, cĠest-à-dire dans les âmes infidèles; afin que ces âmes, terrestres par leur première naissance, deviennent célestes par leur régénération.

Mais continuons: Donnez-nous aujourdĠhui notre pain quotidien.

On peut entendre ces paroles dans le sens spirituel et dans le. sens naturel et; dans ces deux cas, par la grâce de Dieu, elles servent au salut. Le pain de vie cĠest le Christ, et ce pain nĠest pas à tous, mais à nous, chrétiens. Nous disons Notre Père, parce que Dieu est le père des croyants, de même nous disons notre pain, parce que le Christ est notre nourriture, à nous qui mangeons son corps. Or, nous demandons que ce pain nous (213) soit donné chaque jour; car notre vie est dans le Christ, et lĠEucharistie est notre nourriture quotidienne. Si donc, par suite de quelque grave faute, nous étions privés de la participation au pain céleste, nous serions,, par cela même, séparés du corps du Christ. Écoutez sa parole : Je suis le pain de vie descendu du ciel. Si quelquĠun mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je lui donnerai cĠest ma chair que je livre pour le salut du monde. (Jn 6) DĠaprès cette parole, il est évident que ceux qui mangent le pain eucharistique et reçoivent dans la communion le corps du Sauveur vivent éternellement Par suite, en sĠéloignant du corps de Jésus-Christ, on doit craindre de sĠéloigner de la voie du salut. DĠailleurs la parole du maître est formelle Si vous ne mangez la chair du fils de lĠhomme et si vous ne buvez son sang, vous nĠaurez pas la vie en vous. Ainsi donc nous réclamons notre pain quotidien, cĠest-à-dire le Christ, afin que nous, dont la vie est dans le Christ, nous demeurions toujours unis à sa grâce et à son corps sacré.

Les paroles que nous commentons peuvent être prises dans un autre sens; le voici. Nous avons renoncé au siècle; fidèles à lĠappel de la grâce, nous avons foulé aux pieds les richesses et les pompes du siècle; nous nĠavons donc besoin que de la nourriture. CĠest la pĠarole. du Seigneur: Celui qui ne renonce pas à tout ce quĠil possède ne peut être mon disciple. Le disciple de Jésus-Christ, renonçant à tout, selon la parole de son maître, ne doit demander que le pain de chaque jour. Ses désirs ne doivent pas sĠétendre plus loin, puisque Jésus a dit: Ne vous mettez pas en peine du lendemain; le lendemain .se pourvoira lui-même des choses nécessaires; à chaque jour suffit son mal (Lc 14).

CĠest donc avec raison que le disciple du Christ demande sa nourriture au jour le jour, puisquĠil lui est défendu de sĠoccuper du lendemain. Une conduite opposée serait absurde. Comment chercherions nous à vivre longtemps dans ce monde, nous qui désirons la prompte arrivée du royaume de Dieu ? Aussi le bienheureux apôtre, voulant rendre plus fermes notre foi et notre espérance, nous donne cette leçon : Nous nĠavons rien apporté dans ce monde, nous nĠen emporterons rien. Puisque nous avons des vêtements et un toit pour nous couvrir, sachons nous en contenter. Ceux qui veulent sĠenrichir tombent dans la tentation, Ôdans des piéges, dans des désirs funestes qui poussent lĠhomme à sa ruine; car la racine de tous les maux est la cupidité. Ceux qui ont voulu suivre ses attraits ont fait un triste naufrage et se sont préparé bien des douleurs (I Tim 6). DĠaprès ces paroles, les richesses sont non-seulement méprisables , mais encore périlleuses., Là se trouve la racine de tous ces maux qui flattent  et qui aveuglent lĠesprit humain pour le tromper.

CĠest pour cela que le Seigneur reprend le riche stupide, qui récapitulait sa fortune et se glorifiait de lĠabondance de ses récoltes : Insensé, cette nuit même on viendra te réclamer ton âme et ces biens que tu as amassés à qui seront-ils (Lc 11) ? Pauvre fou! il se réjouissait de ses biens et il allait mourir! la vie lui manquait et il songeait à amasser des vivres en abondance! Les enseignements du Seigneur sont bien différents: il nous dit que lé.. sage par excellence est celui qui vend tous ses biens, les distribue aux pauvres, et se prépare un trésor dans le ciel. Celui-là seul, dit-il, est capable de le suivre et de participer à la gloire de sa passion qui, dégagé de tout lien terrestre, marche vers le ciel en sĠy faisant précéder de ses richesses. Pour se préparer à cet acte de vertu, que chacun de nous apprenne à prier et à sĠinstruire par la prière.

Ne croyez pas que le juste manque du pain de chaque jour; nĠest-il pas écrit : JĠai été jeune, me voici vieux, et je nĠai jamais vu le juste abandonné et ses enfants mendiant leur pain (Ps 36). Le Seigneur nous dit encore : Ne vous demandez pas à vous-mêmes que mangerons-nous, que boirons-nous, de quoi nous vêtirons-nous ? Les païens se préoccupent de ces choses; mais votre Père saie que vous en ,avez besoin. Cherchez dĠabord le royaume de Dieu et la sainteté et tout cela vous sera donné en surcroît (Mt 6). Telle est la promesse du Christ. Comme tout appartient à Dieu, rien ne peut manquer à celui qui possède Dieu, tant quĠil lui restera fermement attaché. Daniel fut jeté dans la fosse aux lions par lĠordre du roi de Babylone; Dieu lui envoya sa nourriture, et lĠhomme de Dieu mangea tranquillement au milieu des bêtes qui, malgré leur faim, nĠosaient se jeter sur lui, Élie, fuyant dans le désert, fut sauvé par des corbeaux qui lui apportaient sa nourriture. O détestable cruauté de la malice humaine! les bêtes féroces épargnent un prisonnier, les oiseaux  nourrissent un fugitif, et les hommes se dressent des embûches et exercent leurs fureurs les uns contre les autres!

Nous prions ensuite pour obtenir la rémission de nos péchés: Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

Après le pain de chaque jour, nous demandons le pardon de nos péchés, afin que, nourris par Dieu, nous vivions en Dieu. Il ne sĠagit pas seulement de la vie présente, mais de la vie éternelle où nous ne pouvons arriver quĠautant que, nos offenses seront pardonnées. Le Seigneur donne à ces offenses le nom de dette, comme dans son Évangile : Je tĠai remis toute ta dette parce que tu mĠen as prié (Mt 18). Nous rappeler que nous sommes pécheurs est un avis aussi salutaire que sage; car forcés de prier pour nos fautes et dĠimplorer le pardon de Dieu, nous apprenons à nous connaître nous-mêmes. Que personne ne se complaise dans sa prétendue innocence; personne nĠest innocent: ces sentiments dĠorgueil ne feraient que le rendre plus coupable. En priant tous les jours pour nos péchés, nous pouvons nous convaincre que nous péchons chaque jour. CĠest ce que nous apprend lĠapôtre saint Jean : Si nous disons que nous sommes innocents, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité nĠest pas en nous. Si nous confessons nos péchés, Dieu est fidèle et juste, il nous les pardonnera (I Jn 8). LĠapôtre a réuni dans son épître ces deux vérités : que nous devons prier pour nos péchés, et que nous en obtenons le pardon par nos prières. CĠest pour cela quĠil nous dit que Dieu est fidèle à remettre les péchés. Ainsi il nous rappelle la promesse divine; car cĠest Dieu qui, eu nous disant de prier pour nos fautes, .nous promet la miséricorde et le pardon.

Cependant, mes frères, Dieu ajoute à sa promesse une condition. Il veut que nous demandions le pardon de nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Il nous montre, par là, que nous ne pouvons obtenir notre grâce quĠautant que nous nous montrons miséricordieux envers nos débiteurs. Aussi il nous dit dans lĠÉvangile : On se servira à votre égard de la mesure dont vous aurez usé envers vos frères. Le serviteur qui, après avoir reçu de son maître la remise de sa dette, ne voulut pas user de la même condescendance envers son compagnon dĠesclavage fut jeté en prison. Par sa dureté, il perdit ce que son maître lui avait généreusement accordé. Le Seigneur insiste plus fortement encore sur ce point: Lorsque vous voudrez prier, dit-il, si vous avez quelque chose contre quelquĠun, pardonnez-le, afin que votre Père céleste pardonne aussi vos péchés. Si vous ne pardonnez pas vous-mêmes, votre Père qui est dans le ciel ne vous remettra pas non plus vos péchés (Mt 11) Il ne vous restera aucune excuse au jour du jugement, car vous serez jugé dĠaprès votre propre sentence; vous serez traité comme vous aurez traité les autres.

Le Seigneur veut que ses enfants soient unis par les liens de la paix et de la concorde; ils veut quĠils persévèrent dans cette charité quĠils tiennent de leur seconde ,naissance. Nous donc, qui sommes les fils de Dieu, persévérons dans la paix quĠil nous a laissée et, puisque nous nĠavons quĠun seul esprit, nĠayons quĠune seule pensée et un seul sentiment. Le Seigneur nĠaccepte pas le sacrifice de celui qui conserve dans son coeur des sentiments de haine; il lĠéloigne de lĠautel; il lui ordonne dĠaller se réconcilier avec son frère et de revenir ensuite lui adresser des prières inspirées par lĠesprit de charité. Le sacrifice le plus agréable à Dieu cĠest la paix, la concorde fraternelle, lĠunité du Père et du Fils et du saint Esprit reproduite le peuple chrétien. Nous en avons une preuve dans les offrandes dĠAbel et de Caïn. Dieu considérait leurs coeurs et non leurs présents le présent ne lui plaisait plus autant que le voeur lui était agréable. Abel, homme juste et pacifique, offre à Dieu des sacrifices innocents ; il nous apprend que nous devons approcher de lĠautel avec la crainte de Dieu, avec un coeur simple, avec lĠesprit de sainteté, de paix et de concorde. CĠest à juste titre, quĠoffrant à Dieu de pareils sacrifices, il est devenu lui-même victime. Le premier, il a suivi la route du martyre et il a dignement figuré la Passion de Jésus-Christ, lui qui avait conservé la justice et la paix du Seigneur. Voilà les hommes que Dieu couronnera au jour du jugement et quĠil réclamera pour les siens.

Mais lĠhomme animé de lĠesprit de discorde et de haine, fût-il mis à mort pour le nom de Jésus Christ, saint Paul nous assure quĠil ne pourrait expier son crime; car il est écrit : Celui qui hait son frère est un homicide; or, un homicide ne peut ni arriver au royaume du ciel ni vivre en Dieu (I Jn 3). Peut-il être avec le Christ, celui qui a préféré imiter Judas que le Christ ? Quelle tache, mes frères, que celle que le baptême du sang ne peut laver! Quel crime que celui qui ne peut être expié par le martyre !

Le Seigneur nous ordonne dĠajouter : Ne souffrez pas que nous soyons induits en tentation.

Nous voyons par ces paroles que lĠennemi ne peut rien contre nous, si Dieu ne le permet. Ainsi nous devons mettre entre les mains de Dieu nos craintes, nos espérances, nos résolutions, puisque le démon ne peut nous tenter quĠautant que Dieu lui en donne le pouvoir. CĠest ce que nous enseigne lĠÉcriture : Nabuchodonosor, roi de Babylone, vint assiéger Jérusalem et Dieu la livra entre ses mains. Or, cĠest à cause de nos péchés que Dieu donne au mauvais esprit une certaine puissance contre nous. Qui a livré les dépouilles de Jacob et dĠIsraël entre les mains des ennemis ? NĠest-ce pas le Dieu quĠils ont offensé, dont ils ont repoussé les commandements et méprisé la loi? NĠest-ce pas lui qui a fait tomber sur eux le poids de sa colère (Is 42) ? Nous voyons le même fait dans lĠhistoire de Salomon : il pèche, il sĠéloigne des préceptes et des voies du Seigneur, aussi lĠÉcriture nous dit : Le Seigneur excita lĠennemi contre Salomon.

Ce pouvoir est accordé à lĠennemi pour deux motifs: ou pour nous punir de nos fautes, ou pour nous glorifier par lĠépreuve. CĠest ce que nous montre lĠhistoire de Job. Tout ce quĠil possède, dit le Seigneur au démon, est entre tes mains; mais prends garde de toucher à sa personne (Job 1). De même, pendant sa passion, le Sauveur dit à Pilate : Tu nĠaurais contre moi aucun pouvoir, sĠil ne te venait dĠen Haut. Ainsi ces paroles que nous adressons à Dieu : Ne souffrez pas que nous soyons induits en tentation, nous rappellent notre infirmité et notre faiblesse. Elles nous tiennent en garde contre les révoltes de lĠorgueil, contre la présomption et la vaine gloire. Nous ne devons nous glorifier de rien, pas même de la confession du nom de Jésus-Christ, pas même du martyre; car Jésus nous recommande lĠhumilité en disant : Veillez et priez pour ne pas être exposés à la tentation. LĠesprit est prompt, mais la chair est faible. Ainsi lorsquĠon reconnaît humblement sa bassesse et quĠon rapporte tout à Dieu, son coeur sĠouvre à la miséricorde, et il exauce des prières inspirées par le respect et par le désir de lui plaire.

A la fin, se trouve la formule qui renferme en deux mots toutes nos demandes et toutes nos prières : Délivrez-nous du mal.

Par ces mots, nous entendons tous les actes dĠhostilité que lĠennemi peut exercer contre nous dans ce monde et dont Dieu seul, par sa grâce, peut nous garantir et nous délivrer. Quand nous avons dit: Délivrez-nous du mal, il ne reste plus à rien à demander. Nous implorons la protection divine contre lĠesprit du mal, et, après lĠavoir obtenue, nous sommes en sûreté contre les assauts du démon et du monde. Car comment craindre le siècle, quand Dieu nous couvre de son égide ?

Ne vous étonnez pas, mes frères bien-aimés, de la sublimité de, cette prière: cĠest Dieu qui en est lĠauteur, Dieu qui a résumé en quelques mots tout ce qui peut assurer la paix parmi nous. CĠest ce que le prophète Isaïe avait prédit depuis longtemps, lorsque, sous lĠinspiration du saint Esprit, il parlait de la majesté et de lĠamour de Dieu : Sa parole, disait-il, renferme en abrégé toute justice, et il la manifestera en peu de mots à lĠunivers (Is. I.) Car son Verbe, Notre-Seigneur Jésus-Christ, est descendu sur la terre pour nous tous ; il a réuni sous une même loi les savants et. les ignorants, et il a donné à tout sexe et à (227) tout âge les leçons du salut. Ce nĠest pas assez : il a groupé comme en un faisceau tous ses enseignements, pour ne pas charger la mémoire des fidèles; mais pour leur apprendre rapidement ce qui est nécessaire à une foi simple et sans étude. Ainsi, quand il voulut nous enseigner ce quĠest la vie éternelle, il exprima ce mystère avec une concision toute divine : La vie éternelle consiste à vous connaître, vous Dieu unique et véritable, et celui que vous avez envoyé, Jésus Christ (Jn 17). De même, quand il voulut recueillir dans la loi et les prophètes les préceptes essentiels : Écoute Israël, dit-il, ton Dieu est un Dieu unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de tout ton esprit, de toutes tes forces. Dans ces deux préceptes sont renfermés toute la loi et les prophètes (Mc 12). Et ailleurs : Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, vous-mêmes faites-le pour eux tel est lĠenseignement de la loi et des prophètes (Mt 7).

Jésus Christ nous a appris à prier, non seulement par ses paroles, mais aussi par. ses .exemples. Lui-même priait fréquemment, nous montrant ainsi ce que nous devons faire. Jésus,  dit le texte sacré, se retirait dans la solitude et il adorait. Nous lisons dans un autre évangéliste: Il se retira sur une montagne et il passa la nuit à prier. Si Jésus, lĠinnocence même, priait, à plus forte raison, nous qui sommes pécheurs, devons nous prier. Si Jésus passait toute la nuit en prière, à plus forte raison, devons nous veiller pour nous livrer plus longtemps à ce saint exercice. Or, le Seigneur priait, non pas pour lui, que pouvait-il demander, lui qui était sans tache? Mais il priait pour nos fautes, comme il le déclara à Pierre, en disant: Voilà que Satan va vous triturer comme le froment; mais jĠai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas (Lc 12. Ensuite il recommande à son Père tous ses disciples : Je ne prie pas seulement pour ceux-ci, mais pour tous ceux qui, éclairés par leur parole, croiront en moi, afin que tous soient un. De même que vous, mon Père, vous êtes en moi et que je suis en vous, puissent-ils, eux aussi, ne faire quĠun avec nous (Jn 17). Quelle bonté de la part de notre Dieu! non content de nous racheter au prix de tout son sang, il veut encore prier pour nous. Or, voyez quel est le but de sa prière. Comme le Père et le Fils ne sont quĠun, il veut que, nous aussi, nous persévérions dans lĠunité. Vous pouvez comprendre par là quelle est la faute de celui qui détruit lĠunité et la paix. Le Seigneur a prié pour la conservation de ces liens si précieux parmi son peuple. Il voulait que lĠanion la plus étroite régnât parmi les fidèles, car il savait bien que la discorde ne peut avoir accès au royaume céleste.

Quand nous commençons notre prière, mes frères bien-aimés, veillons sur nous-mêmes et occupons-nous uniquement de lĠoeuvre  que nous accomplissons. Éloignons de notre esprit toute vue, charnelle et mondaine et ne pensons quĠà lĠobjet de notre demande. Aussi, avant la prière solennelle, le prêtre prépare les esprits en chantant la préface : Les coeurs en haut, dit-il; et le peuple répond : nous les avons vers le Seigneur. Par ces paroles, les fidèles sont avertis quĠils ne doivent penser quĠà Dieu. Fermons notre coeur à lĠennemi, ouvrons-le à Dieu seul et ne souffrons pas que le démon sĠapproche de nous au temps de la prière. Il se glisse dans lĠombre; il pénètre jusquĠà nous et, par sa ruse, il détourne nos prières de leur but véritable; dĠoù il arrive que nos sentiments diffèrent de nos paroles. Et cependant lĠessence de la prière ne consiste pas dans le son de la voix, mais dans la sincérité de lĠintention et dans lĠélévation de lĠâme vers Dieu.

Quelle faiblesse de vous laisser détourner de votre prière par des pensées vaines et profanes, comme si quelque autre chose était plus digne dĠoccuper votre esprit que les paroles que vous adressez à Dieu! Vous ne vous écoutez pas vous-mêmes; comment voulez-vous que Dieu vous écoute? vous vous oubliez vous-mêmes, comment Dieu se souviendrait-il de vous? Une telle conduite nous expose sans défense aux atteintes du démon; elle blesse la majesté divine dans lĠacte solennel de la prière. Les yeux veillent, cĠest vrai, mais le coeur dort; et pourtant le contraire devrait avoir lieu chez les chrétiens: quand leurs yeux dorment, leur coeur devrait veiller. LĠest ce que faisait lĠépouse des Cantiques qui figurait lÔÉglise : Je dors, disait-elle, mais mon coeur veille. De là cet avertissement si sage et si salutaire de lĠapôtre : Priez avec application et vigilance. Il nous montre que le moyen dĠobtenir de Dieu lĠobjet de nos demandes, cĠest dĠêtre vigilants, dans notre prière.

Quand nous voulons prier, nĠapprochons pas de Dieu les mains vides : la prière reste sans effet quand elle nĠest pas accompagnée par les bonnes oeuvres. Tout arbre stérile est coupé et jeté au feu; de même des paroles non fécondées par les oeuvres ne peuvent nous mériter la grâce divine. CĠest ce que. nous enseigne lĠÉcriture : La prière accompagnée du jeûne et. de lĠaumône est agréable à Dieu (Tob 12). Au dernier jour, le souverain Juge récompensera les bonnes oeuvres et les aumônes; aujourdĠhui, de même, il écoute favorablement ceux qui se présentent à lui les mains pleines dĠactes méritoires. CĠest ainsi que le centurion Corneille mérita dĠêtre exaucé : il distribuait beaucoup dĠaumônes au peuple; il priait Dieu constamment; aussi, vers la neuvième heure, pendant sa prière, lĠange du Seigneur lui apparut pour rendre témoignage à ses Ïuvres : Corneille, lui dit-il, tes prières et tes aumônes sont montées jusquĠà Dieu et il en conserve le souvenir (Ac 10). Les prières montent rapidement vers le ciel quand elles sont soutenues par le mérite de nos oeuvres. CĠest le témoignage de lĠange Raphaël à Tobie qui unissait toujours lĠaction à la prière. Il est honorable, dit-il, de révéler les oeuvres divines. Quand tu priais ainsi que Sara, jĠoffrais votre prière au Seigneur. Quand tu ensevelissais les morts avec tant de simplicité, quand tu interrompais ton repas pour leur rendre ce pieux office, jĠétais là pour être le témoin de ta conduite dans lĠépreuve. Dieu mĠenvoie de nouveau vers toi pour te guérir, comme jĠai déjà délivré Sara, lĠépouse de ton fils. Je suis Raphaël, un des sept esprits qui se tiennent devant le trône de Dieu (Tob 12).

Le Seigneur nous donne le même enseignement par la bouche dĠIsaïe : Rompez, dit-il, les chaînes de lĠiniquité; déchargez vos semblables du fardeau que vous faites peser sur eux; rendez le repos aux opprimés; déchirez les titres injustes; faites part de votre pain à celui qui a faim; introduisez dans votre maison les indigents qui nĠont point de toit; si vous voyez un homme nu, revêtez-le et ne méprisez point votre propre sang. Alors votre nom brillera dĠun vif éclat; la saintet,é vous couvrira comme un manteau; son éclat trahira votre Ôprésence et vous serez inondé de la splendeur de Dieu. Alors vous prierez, et Dieu vous exaucera, et, au milieu de votre prière, il vous dira: Me voici (Is 58). Telle est la promesse du Seigneur, chrétiens : il exauce et protège ceux qui délivrent leurs coeurs des liens de lĠinjustice; qui, selon ses ordres, répandent dĠabondantes aumônes entre les mains des pauvres. Ils écoutent la parole du Seigneur, et Dieu les écoute à son tour.

LĠapôtre saint Paul, aidé dans sa pauvreté par les fidèles, appelle les bonnes oeuvres de ce genre des sacrifices offerts à Dieu. JĠai été rassasié, dit-il, en recevant dĠEpaphrodite ce que vous avez envoyé; cĠest un sacrifice méritoire et agréable à Dieu (Phil 4). En venant au secours du pauvre, on prête à Dieu lui-même; en donnant aux plus petits, cĠest à Dieu quĠon donne; on offre au Dieu de toute suavité un sacrifice dĠagréable odeur.

4° Quant à lĠheure de la prière, nous voyons que les trois enfants captifs à Babylone observaient lĠheure de tierce, de sexte et de none, pour figurer sans doute la Trinité divine qui devait se manifester plus tard. De la première ,heure ou de prime jusquĠà tierce nous trouvons trois heures; nous trouvons le même nombre de tierce à sexte et de sexte à none: la Trinité se manifeste donc par trois espaces réguliers, composés chacun de trois heures. Déjà depuis longtemps les serviteurs du vrai Dieu, éclairés par lĠEsprit-Saint, avaient déterminé, ces heures pour les consacrer à la prière, et les événements ont montré que cette conduite des justes avait quelque chose de mystérieux et de sacré. Car cĠest à lĠheure de tierce que le saint Esprit descendit sur les apôtres pour accomplir la promesse divine. CĠest à lĠheure de sexte que Pierre, priant sur le toit de sa maison et doutant encore sĠil devait accorder aux idolâtres le sacrement de la régénération, entendit la voix de Dieu qui lui ordonnait dĠadmettre tous ,les hommes à la grâce du salut. CĠest à lĠheure de sexto que le Seigneur, crucifié pour nous, lava jusquĠà lĠheure de none nos péchés avec son sang, et remporta cette victoire qui fut pour nous la rédemption et la vie.

Mais pour nous, mes frères bien-aimés, les mystères de la loi nouvelle nous font une obligation de prier plus souvent. Nous devons prier le matin, pour célébrer, par cet hommage, la résurrection du Seigneur. CĠest ce que lĠEsprit nous enseigne dans les psaumes : Mon roi et mon Dieu, je vous adresserai ma prière et dès le matin vous entendrez ma voix. Dès le matin je me tiendrai en votre présence et je vous contemplerai (Psal., V.). Le Seigneur nous dit encore par la bouche dĠun de ses prophètes: Dès le point du jour ils veilleront devant moi en disant: Allons et convertissons-nous au Seigneur notre Dieu (Os., VII.).

Au coucher du soleil et à la fin du jour, nous devons encore remplir le devoir de la prière. Le Christ est le véritable soleil et la véritable lumière. LorsquĠau déclin du jour, nous demandons que la lumière brille de nouveau sur nous, nous implorons la venue du Christ qui nous donnera la grâce de lĠéternelle clarté. Or, que le Christ soit désigné par le jour, cĠest ce que lĠEsprit-Saint nous apprend dans les psaumes. La pierre que les ouvriers ont repoussée est devenue pierre angulaire de lĠédifice. CĠest le Seigneur qui a fait cette pierre et elle est admirable à nos yeux. CĠest le jour que le Seigneur a fait; marchons et réjouissons-nous à sa lumière (Os 7).

Le Christ est de même désigné par le soleil comme nous lĠatteste Malachie : Pour vous qui craignez le nom du Seigneur, le soleil de justice se lèvera sur vous et ses rayons apporteront le salut (Mal 4). Si lĠÉcriture nous représente le Christ comme le véritable soleil et le véritable jour, il nĠy a pas dĠheure où les chrétiens ne doivent lĠadorer. Nous donc qui jouissons de la lumière de la nouvelle alliance, passons tout le jour en prière, et, quand les lois de la nature nous ramènent la nuit, que les ténèbres ne nous inspirent aucun effroi, car nous sommes fils de la lumière et le jour brille toujours pour nous. Celui qui porte la lumière dans son coeur peut-il être dans les ténèbres? Celui qui trouve dans le Christ et le jour et le soleil peut-il regretter lĠabsence dĠun astre matériel ? Donc, encore une fois, puisque la lumière du Christ brille toujours sur nous, nĠinterrompons pas notre prière, même pendant la nuit. Ainsi Anne, la veuve de Phanuel, priant et veillant sans relâche, mérita de voir le Christ, comme le rapporte lĠÉvangile : Elle ne sĠéloignait pas du temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière (Lc 2).

Les gentils qui nĠont pas encore été éclairés ou les juifs déserteurs de la lumière, qui sont restés dans les ténèbres, peuvent ignorer ces vérités. Pour nous, mes frères bien-aimés, qui sommes toujours dans la lumière du Seigneur et qui nous rappelons la dignité où nous élève la grâce divine, ne mettons aucune différence entre le jour et la nuit. Sachons que nous marchons toujours à la lumière, et ne nous laissons pas arrêter par les ténèbres que nous avons quittées. Dan~la nuit, ne suspendons pas nos prières, acquittons-nous-en avec le même soin. Rendus par la grâce de Dieu et par notre seconde naissance à la vie spirituelle, commençons sur la terre la vie du ciel. Là, sans craindre la nuit, nous posséderons le jour véritable; veillons donc ici-bas comme si nous étions toujours dans la lumière. Au ciel nous prierons toujours, toujours nous rendrons à Dieu des actions de grâces; agissons de même sur la terre, et que nos prières et nos actions de grâces ne cessent jamais.