TREIZIÈME DEGRÉ
De l'Ennui, ou de l'acédie.
Miniature du 14e siècle monastère Stavronikita 13 e degrès |
1. L'acédie,
ainsi que nous l'avons déjà dit, tire son origine de la démangeaison de parler;
c'est un de ses premiers enfants. C'est pour cette raison que, dans cette
odieuse chaîne de vices, nous avons cru qu'il était à propos d'en parler en
cet endroit. 2. Nous disons donc que l'acédie est un relâchement d'esprit, une langueur de l'âme,
un dégoût des exercices de la vie religieuse, une certaine aversion pour la
sainte profession qu'on a embrassée, une louangeuse imprudente des choses
du siècle, et une calomniatrice insolente de la Bonté et de la Clémence de
Dieu; elle rend l'âme froide et glacée dans la chant des divins cantiques,
faible et languissante dans la prière, diligente et infatigable dans les travaux
et dans les exercices extérieurs, feinte et dissimulée dans l'obéissance.
3. Un moine sincèrement attaché au devoir de l'obéissance, ignore absolument
ce que c'est que l'acédie; car il se perfectionne
dans la vertu, en se livrant aux actions extérieures qui lui sont commandées
par son supérieur.
4. La vie monastique est l'ennemi déclaré de la paresse, tandis qu'elle accompagne
le plus souvent la vie érémitique, et ne cesse guère pendant tout le temps
de leur vie de faire la guerre aux solitaires. Ainsi, lorsqu'elle voit la
cellule d'un anachorète, elle sourit en elle-même, s'approche et fixe sa demeure
auprès de la sienne.
5. C'est ordinairement le matin que le médecin visite ses malades; c'est à
midi que l'acédie visite les moines. Elle inspire
une forte inclinaison pour les devoirs de l'hospitalité, et ne cesse en particulier
aux solitaires combien il leur serait utile de pouvoir faire de grandes et
de nombreuses aumônes, de visiter assidûment et de bon coeur les pauvres malades;
elle ne cesse de leur répéter, pour les tromper, cette parole du Seigneur
: "J'étais malade, et vous M'avez visité" (Mt 25,36), et
quoiqu'elle soit sans vigueur et sans courage, elle nous conjure de ne pas
délaisser ceux qui se trouvent dans l'abattement et la tristesse, et de fortifier
par des consolations ceux qui sont faibles et découragés.
6. Sommes-nous dans le saint exercice de la prière ? Elle nous retrace l'image
de mille choses différentes, qu'elle nous fait envisager comme très importantes
et très nécessaires comme par un licou.
8. Chose qui mérite toute notre attention, ce funeste démon de la paresse
tente surtout les religieux trois heures avant le repas; car tantôt elle leur
fait sentir de douloureux frissonnements et des maux de tête; tantôt elle
les tourmente par les ardeurs de la fièvre et les violentes douleurs de la
colique; et, à l'heure de none, qui, selon notre manière de compter, est la
troisième heure de l'après-midi, elle nous donne un peu de relâche et nous
laisse, tranquilles. Mais la table est-elle servie ? Elle recommence à nous
tourmenter. Le temps de la prière revient-il ? Elle, nous rend lourds et pesants.
Sommes-nous à prier ? Elle nous vexe cruellement par des envies de dormir,
et nous empêche de prononcer des versets entiers par les bâillements honteux
et insupportables qu'elle nous donne.
9. Mais remarquons ici que les autres vices n'attaquent et ne détruisent que
les vertus qui leur sont contraires : L'acédie attaque
et détruit, à elle seule, toutes les vertus.
10. Une âme forte et généreuse sait entretenir, conserver et même faire revivre
son ardeur et son courage; mais l'acédie ne sait
que perdre entièrement toute richesse.
11. Comme de tous les péchés capitaux c'est la paresse qui nous fait le plus
de mal, nous devons nous occuper à la combattre autant et plus fortement que
les autres.
12. Après tout, notons bien ici que cette maudite passion ne nous attaque
guère avec violence que pendant le chant des psaumes, et qu'après ce saint
exercice elle nous laisse assez tranquilles.
13. Il n'est rien qui soit capable de nous procurer des couronnes plus belles
et plus riches que les combats que nous avons à livrer et à soutenir courageusement
contre la paresse.
14. Lorsque nous sommes debout, elle voudrait nous faire asseoir; lorsque
nous sommes assis, elle nous porte à nous appuyer contre le mur, et que lorsque
nous sommes dans nos cellules, elle nous engage à regarder çà et là, et à
faire du bruit avec les pieds.
15. Quiconque pleure amèrement ses péchés, n'est point esclave de cette funeste
passion.
16. Enchaînons donc ce tyran cruel par le souvenir douloureux de nos fautes;
frappons-le fortement par le travail de nos mains; tourmentons-le sans cesse
par la pensée des biens éternels que nous attendons; traînons-le impitoyablement
devant le tribunal de notre foi; et là faisons lui subir un interrogatoire
et un jugement flétrissants; demandons-lui avec empire qu'il ait à nous dire
quel est le père méchant qui l'a engendré, et quels sont les abominables enfants
à qui, lui-même, il a donné naissance; forçons-le à nous avouer quelles sont
les personnes qui le poursuivent et lui donnent la mort. Malgré lui, il nous
répondra que ceux qui le combattent jusqu'à le faire mourir, ce sont les disciples
sincères de l'obéissance, et que dans ces hommes il ne trouve rien qui puisse
lui servir un seul moment pour se reposer; qu'il ne peut séjourner tranquillement
qu'avec les faux moines qui ne font que leur propre volonté; que c'est pour
cela qu'il les aime et ne les quitte jamais; que les causes qui concourent
à lui donner l'existence, sont en grand nombre, et qu'il doit nommer l'insensibilité
du coeur, l'oubli du ciel et des vérités éternelles, et quelquefois un travail
trop pénible et des exercices trop multipliés et trop fatigants; que ses enfants
sont l'inconstance, le changement de demeure, la désobéissance au supérieur,
l'oubli du jugement et, de temps à autre, la négligence à remplir les devoirs
de la vie religieuse; que les ennemis qui le chargent de chaires et le réduisent
en captivité, sont la psalmodie fervente, une occupation continuelle, et la
méditation de la mort; et que ses ennemis mortels sont la prière et l'espérance
vive et certaine des biens à venir. Quant à la prière, si vous voulez connaître
d'où elle tire son origine, il faut le lui demander à elle-même.
Celui qui, par la victoire qu'il aura remportée sur la paresse, sera monté
sur ce treizième degré, excellera dans toute sorte de vertus.