TRAITÉ DU SACERDOCELIVRE CINQUIÉMEANALYSE Tout le Livre cinquième roule sur le même sujet que les derniers chapitres du quatrième, cest-à-dire sur léloquence de la chaire. – Il contient une suite de réflexions aussi justes que profondes sur la pratique de lart oratoire dans la chaire chrétienne. – En les lisant on croirait entendre non un futur orateur à qui son génie révèle davance toutes les difficultés et toutes les ressources de son art, mais bien un vétéran de léloquence, un Cicéron écrivant le de Oratore. – Les discours quon adresse an peuple exigent un grand travail. – Les auditeurs sont très-difficiles à contenter, parce quils viennent pour juger le prédicateur plus que pour sinstruire. – Pour manier avantageusement cette multitude mal disposée, deux choses sont nécessaires : le mit-pris des louanges et la puissance de la parole. – Le mépris des louanges ne mène à rien sans la puissance de la parole, et réciproquement. – Au mépris des louanges, il faut ajouter le mépris de lenvie. – Ce nest pas tout dacquérir le talent de la parole, il faut encore le conserver par le trayait et lexercice, car léloquence est fille de létude plus encore que de la nature. – Plus un orateur a de talent, plus il est obligé de travailler. – A combien de cabales un grand orateur est en but de la part de ses ennemis jaloux. – Combien peu dhommes sont en état de bien juger dun discours. – Fort de la conscience de son génie, lorateur peut se placer au–dessus du jugement de la foule. – Une chose qui lui donnera une confiance encore pins ferme, ce sera de travailler dans le but de plaire à Dieu. – Le mépris des louanges nest pas moins nécessaire à celui qui est sans éloquence.
1. Jai suffisamment démontré combien les combats livrés pour la défense de la vérité exigent dhabileté et dexpérience de la part de celui qui doit les soutenir. Néanmoins à ce que jai déjà dit sur le talent de la parole, jai encore quelque chose à ajouter; quelque chose qui est cause de dangers infinis, ou plutôt qui peut devenir, pour ceux qui sen acquittent mal, loccasion des plus grands dangers; car cette chose est en elle-même des plus salutaires et des plus avantageuses, quand elle est maniée par des hommes vertueux et capables. Je veux parler du travail plus ou moins considérable que le prédicateur emploie à la composition des discours quil fait en public. La plupart des auditeurs ne veulent point se mettre dans les dispositions qui conviennent aux disciples à légard du maître qui les instruit. Trouvant le rôle de disciples trop au-dessous deux, ils croient sélever en prenant celui des spectateurs de théâtres et de cirques. Et, comme dans ces spectacles du monde, la foule se partage en factions, les uns favorisant celui-ci, les autres celui-là; de même dans nos temples, se divisent les assemblées chrétiennes; et les uns sont pour un tel, les autres pour les autre; lauditeur est déjà favorable ou hostile à lorateur, avant même que celui-ci ait encore ouvert la bouche première difficulté ; en voici une autre non moins grande; pour peu quun prédicateur mêle à la trame de son discours quelque chose du travail dun autre, il soulève contre lui plus de clameurs et dinsultes que sil dérobait largent dautrui. Souvent même, sans quil ait rien emprunté, et sur un simple soupçon non motivé, il est traité comme si on leût pris en flagrant délit de plagiat. Mais que parlé-je demprunts faits à dautres? On ne lui permet pas même duser, comme il lentend et aussi souvent quil le voudrait, des fruits de son invention et de son travail. Car ce nest pas leur utilité, mais leur agrément, que la plupart des auditeurs viennent chercher à ces discours, auxquels ils assistent, comme à une tragédie ou un concert, en qualité de juges. Il en résulte que lespèce déloquence que je réprouvais tout à lheure avec saint Paul, est encore plus (607) exigée dans la chaire évangélique, quentre des sophistes obligés de mesurer leurs forces. Il faut donc ici une âme fortement trempée, bien supérieure à la faiblesse que je trouve eu moi, qui puisse mettre un frein à cette passion de la multitude pour un plaisir infructueux, et diriger son intention vers un objet plus utile. Cest ainsi que lorateur de la chaire, au lieu dêtre lui-même le trop facile jouet des caprices de la foule, marchera comme un chef et un guide à la tête de son peuple docile à le suivre. Or, ce résultat ne peut sobtenir quà deux conditions : le mépris des louanges, et le talent de la parole. 2. Labsence dune de ces deux choses rend lautre inutile. Si, au mépris des louanges, le prédicateur ne joint pas le talent dinstruire avec une parole assaisonnée de grâce et de sel, il succombe infailliblement sous le dédain de la multitude, sans que sa grandeur dâme le puisse sauver. Si au contraire il a tout ce quil faut sous le rapport du talent, mais que la faveur populaire le domine au point quil en soit lesclave, le préjudice est toujours le même pour lui comme pour le peuple, parce que, dans ses discours, il se propose de plaire plutôt que dêtre utile à ses auditeurs: tant la soif des louanges le tourmente et légare. Voici un homme qui, à la vérité, est insensible aux caresses de la renommée; mais il ne sait point parler, que fera-t-il? il ne cèdera point aux caprices de la multitude, cest vrai, mais à quoi servira cette magnanimité, sil ne peut être daucune utilité au peuple, par limpuissance où il se trouve de rien dire? En voici un autre qui possède le talent nécessaire pour rendre les hommes meilleurs, mais il a le malheur de ne pouvoir résister à lamour de la louange, quarrive-t-il? sinon quil songe plus à plaire à son auditoire quà le sauver, et cela parce que les applaudissements, en éclatant autour de lui, flattent trop doucement ses oreilles. 3. Le pasteur parfait aura donc un caractère égal à son talent, et un talent égal à son caractère, ainsi soutenu des deux côtés, il ne faillira point dans sa mission. Un prédicateur sest levé au milieu de la foule, il a déjà prononcé des paroles capables dimpressionner les coeurs tièdes et lâches; mais tout à coup il bronche et sinterrompt, il sent son indigence, il se trouble, il rougit: tout le fruit de ses premières paroles se perd et se dissipe incontinent ; ceux quil vient de gourmander, excités par les blessures douloureuses faites à leur amour-propre, et ne sachant comment se venger autrement, attaquent son ignorance avec sarcasme; cest dailleurs un moyen pour eux de jeter un voile sur leurs opprobres. Il faut donc que lorateur sacré, tel quun habile conducteur, parvienne à régler si bien ces deux belles qualités, quil les fasse marcher de front vers un but utile. Lorsquil ne donnera plus prise à la critique, cest alors quil pourra aussi facilement quil voudra, réprimander avec sévérité ou traiter avec indulgence les fidèles soumis à sa conduite: sans cette condition il lui sera difficile dagir avec cette autorité. La grandeur dâme ne doit pas se borner au mépris de la louange, il faut quon la pousse plus loin, si lon ne veut pas que ce premier mérite reste imparfait. 4. Que faut-il donc mépriser encore? la jalousie et lenvie. Toutes ces accusations fausses et même invraisemblables auxquelles les chefs de lÉglise sont ordinairement en butte, il ne faut ni les craindre et sen alarmer outre mesure, ni non plus les dédaigner tout à fait; mais encore quelles ne soient que des mensonges inventés par le premier venu, il faut tâcher de les éteindre aussitôt; car, pour exagérer soit en bien, soit en mal la réputation dun homme, il ny a rien de pareil à cette multitude sans frein dans ses propos. Écouter et répéter tout sans examiner rien, dire au hasard tout ce qui se présente, sans avoir égard à la vérité, voilà le peuple. Aussi, bien loin de mépriser les bruits populaires qui nous sont désavantageux, il faut leur couper pied dès le commencement, en confondant les calomniateurs, quoique leurs mensonges soient visibles par eux-mêmes, et nomettre rien de ce qui peut consolider notre réputation. Mais quand nous aurons fait tout ce que nous pouvons, si nos accusateurs ne veulent pas se rendre, cest alors le cas de les mépriser. Quelquun qui tout dabord se laisserait abattre par ces contrariétés, ne pourrait plus rien faire de beau ni de grand, parce que le chagrin et les soucis continuels produiraient chez lui une prostration des forces de lâme, et le réduiraient à une complète impuissance; La conduite du prêtre, avec son peuple, doit être la même que celle dun père à légard de ses enfants en bas-âge. De la part des enfants au berceau, les insultes, les coups, les pleurs némeuvent pas plus un père que les joyeux (608) éclats de rire et les caresses nenflent sa vanité. Cest ainsi quun prêtre ne doit ni senorgueillir de léloge, ni se laisser abattre par le blâme du peuple, puisque celui-ci prodigue à contretemps lun et lautre. Cest difficile, mon ami, peut-être même impossible: néprouver aucun plaisir à sentendre louer est un degré de perfection auquel peut-être il nest pas donné à lhomme datteindre. Or le plaisir engendre le désir de la jouissance; le désir de la jouissance, en cas dinsuccès, produit nécessairement le chagrin, le dégoût, lindignation, la douleur. De même que ceux qui placent toute leur joie dans les richesses, tombent dans laffliction en tombant dans la pauvreté, de même que ceux qui sont accoutumés à une vie délicate trouveraient insupportable dêtre réduits à une vie frugale; ainsi, ceux qui sont avides de louanges, non-seulement lorsquon les blâme sans raison, mais encore lorsquon ne les loue pas continuellement, sentent leur âme comme dévorée par une faim cruelle, surtout sils ont pour ainsi dire été nourris de louanges dès leur enfance, mais principalement sils sont témoins des louanges quon donne aux autres. A combien de déboires et de douloureux mécomptes celui qui entre dans le ministère de la parole évangélique, avec ce désir dans le coeur, ne sexpose-t-il pas? Lâme de ce prêtre ne peut pas plus être exempte de soucis et de chagrins que la mer, de vagues et de tempêtes. 5. En lui supposant même un grand talent naturel pour la parole, ce qui est bien rare, il nen est pas moins tenu de travailler sans relâche. En effet, léloquence étant moins un don de la nature que le produit du travail et de létude, on a beau sêtre élevé dans cet art jusquau sommet de la perfection, on en déchoit bien vite si lon néglige de sy maintenir par une étude et un exercice continu. Il sen suit que les meilleurs orateurs sont obligés à plus de travail que les moins bons : ceux-ci ayant moins à perdre que les premiers. Cest la différence des mérites qui établit celle des obligations. Aucune critique ne vient gourmander le talent médiocre, quand même il ne produirait rien de remarquable; mais le talent supérieur, toutes les fois quil paraît, on exige quil surpasse lopinion quon a de lui, autrement les plaintes sélèvent de toutes parts. Les moindres succès attirent au premier de grands éloges; si le second ne force pas ladmiration, sil ne met pas lauditeur hors de lui-même, tout éloge lui est refusé, et nulle critique ne lui est épargnée. Lauditoire juge moins lorateur par son discours que par sa réputation. Il est donc évident que le plus éloquent des prédicateurs doit être le plus laborieux; on ne lui pardonne pas ce qui est cependant inséparable de la nature humaine, de ne pas réunir toutes les qualités; et, si son discours ne répond pas, de tout point, à la grandeur de sa renommée, il ne se retire que sous une grêle de sarcasmes et de traits malins lancés par la foule. Personne ne fait attention que le moindre accident, un chagrin, une anxiété, un souci quelconque, parfois même la colère a pu troubler la lucidité de son esprit, et ôter à ses conceptions quelque chose de leur clarté et de leur précision habituelles; enfin, que lorateur étant homme, il ne peut pas être partout le même et navoir à traverser pour ainsi dire que dés jours sereins; quil est au contraire sujet, par sa nature, à faillir quelquefois, et à paraître au-dessous de son propre talent; mais, encore une fois, on ne lui tient compte de .rien; on lui fait son procès comme sil pouvait avoir la perfection des anges. Cest dailleurs une disposition, malheureusement trop naturelle, daccorder peu dattention à tout ce que les autres font de bien, quel quen soit léclat. On a des yeux bien plus vigilants pour remarquer les fautes, même les plus légères, même celles dont le temps semblait avoir anéanti le souvenir; on est prompt à les découvrir, avide à sen saisir, opiniâtre à les retenir. Cest bien peu de chose, ce nest rien, et cependant, cela a suffi plus dune fois pour diminuer la gloire de beaucoup dhommes dun vrai mérite. 6. Tu vois mon généreux ami, que plus un prédicateur a de talent, plus il a besoin de travailler pour ne pas le laisser dépérir. Jajoute quil lui faut une patience à toute épreuve. Une foule de malveillants lassaillent sans cessé à tort et à travers, sans avoir aucun reproche légitime à lui faire, uniquement parce quon ne peut souffrir sa réputation et quon est importuné du bruit quelle fait. Il faut quil ait le courage de souffrir cette amère jalousie. La haine exécrable quon lui porte sans raison, ne pouvant rester longtemps concentrée au dedans des coeurs, se fait bientôt jour au dehors; elle éclate par les injures, les détractions, les calomnies semées dans lombre et répandues dans le public. Une âme qui, à chaque atteinte, commencerait par saffliger, par sirriter, ne tarderait pas à (609) succomber au chagrin. Non seulement ses ennemis le frappent eux-mêmes, mais ils y emploient encore des mains étrangères. On les verra prendre un homme incapable de dire deux mots de suite, et le porter jusquaux nues par des louanges hyperboliques, et par une admiration affectée; les uns le font par passion seulement, les autres par ignorance et par envie; mais ils nont tous quun but, qui est de renverser une réputation existante, et nullement den susciter une impossible. Outre ces ennemis, le vaillant défenseur de lÉglise aura souvent à lutter contre lignorance de tout un peuple. Un grand auditoire ne peut pas se composer entièrement dhommes lettrés; les gens sans instruction sont toujours en très-grande majorité daims les réunions de nos Églises; ne comptons pas cette première catégorie, reste une minorité que nous sommes encore obligés de partager en deux classes, ceux quune moyenne culture sépare un peu des ignorants, tout en les laissant toujours très-éloignés des hommes vraiment capables de juger dun discours : ne prenons que ces derniers et nous voilà réduits à un ou deux connaisseurs. Doù il arrive que celui qui a le mieux parlé sera le moins applaudi, et quelquefois ne le sera pas du tout. Il doit se résigner davance à ce résultat bizarre; excuser ceux qui agissent par ignorance; plaindre ceux qui sont mus par lenvie, comme des malheureux dignes de pitié, et se bien persuader que ni les uns ni les autres ne sauraient rien ôter à ses talents. Un grand peintre, un maître en son art, verrait de mauvais connaisseurs se moquer dun de ses chefs-doeuvre, quil ne devrait pas pour cela se décourager, parce que la critique des sots ne peut faire quun bon tableau soit mauvais, pas plus que leurs éloges et leur admiration ne feront quun mauvais soit bon. 7. Oui, que le génie soif lui-même juge de ses oeuvres; ne les tenons pour bonnes ou pour mauvaises, quaprès que lesprit qui les a conçues aura dit: elles sont bonnes, elles sont mauvaises. Lopinion quémettent au hasard des personnes étrangères à lart, ne méritent pas même quon sy arrête. Ainsi donc, que celui qui sest chargé de la rude mission denseigner les autres, nattache aucune importance aux suffrages de la multitude, et quil ne tombe point dans le découragement, sils lui manquent. Quand il aura travaillé ses discours dans le but de plaire à Dieu (car cest Dieu qui est la règle et le type suprême de la perfection, non pas le monde avec ses applaudissements et ses louanges), après cela, si les éloges arrivent aussi de la part des hommes, eh bien! quil ne les repousse point. Si les auditeurs ne lui en donnent pas, quil y renonce sans se plaindre. Une assez belle récompense, la plus grande de toutes les récompenses, ne manquera pas à ses peines, je veux dire le témoignage que lui rend sa conscience de navoir recherché que la gloire de Dieu en composant, en travaillant avec soin ses discours. 8. Mais, sil commence par se laisser aller au désir des vaines louanges, ni ses travaux infinis, ni ses talents pour léloquence ne lui servent de rien; incapable de mépriser les injustes critiques de la multitude, il se relâche et perd le goût de létude. Il doit donc apprendre avant tout à mépriser les louanges, cest une science sans laquelle lexercice de la parole ne suffirait pas pour conserver ce beau talent. A celui qui ne possède quune éloquence médiocre, le mépris des louanges nest pas moins nécessaire quil ne lest au plus éloquent; car il fera nécessairement beaucoup de fautes, sil nest pas assez fort de caractère pour se passer volontiers de la faveur populaire. Dans son impuissance dégaler les orateurs les plus renommés, il ne craindra pas de leur tendre des pièges, de leur porter envie, de les calomnier et de sabaisser aux plus odieuses manoeuvres; fallût-il perdre son âme, il est prêt à tout oser pour usurper leur gloire en la faisant descendre jusquà sa médiocrité. Jajoute que son âme engourdie par la torpeur, se refusera bientôt à toute espèce de fatigue et de travail. En effet, se donner beaucoup de peine pour ne récolter quune très mince moisson de louanges, quoi de plus propre à jeter, dans une sorte de sommeil léthargique, lhomme qui na pas la force de mépriser les louanges? Ainsi, le laboureur, obligé de travailler une terre stérile et de creuser des sillons dans un sol pierreux, suspend bientôt ses travaux, à moins que la passion de son art ne le captive, ou que la crainte du besoin ne le courbe forcément sur son labeur. Si lhomme le plus richement pourvu du côté de léloquence a besoin dune étude continuelle pour conserver ses avantages, quelle difficulté néprouvera pas celui qui na que peu de fond, et qui se voit obligé, en parlant, de méditer sur ce quil doit dire? Quel embarras, quelle (610) violente contention desprit pour arriver à produire laborieusement un mauvais discours! Et si parmi les ministres dun rang inférieur, il se rencontre quelquun dont le talent éclipse celui de son évêque, ne faudra-t-il pas à celui-ci une vertu plus quhumaine pour quil ne se laisse pas dominer par lenvie et consumer par le chagrin? Se sentir inférieur en mérite à quelquun sur qui on a lavantage du rang, de la dignité, et se résigner avec courage, cela nappartient pas à une âme commune, à la mienne, par exemple, mais à une âme de la trempe la plus forte. Quand du moins celui dont le mérite peut faire ombrage, a de la douceur et de la modestie, cest encore disgracieux, mais du moins cest tolérable; mais sil est dun caractère hardi, fanfaron et vain, cest à lui souhaiter la mort tous les jours, tant il répand damertume sur la vie de son infortuné supérieur, affichant partout ses avantages, se moquant par derrière, usurpant tout ce quil peut dautorité, et voulant être tout. Dans tout ce quil fait, il a pour soutien et pour moyen de défense sa libre et facile parole, la faveur du peuple, laffection que toutes les classes de la société ont pour lui. Ne vois-tu pas comment léloquence fait fureur aujourdhui parmi les chrétiens? Chez nous comme chez les païens, il ny a dhonneurs que pour ceux qui la cultivent. Quelle plus insupportable honte que de voir, pendant quon parle soi-même, tout le monde sabstenir du moindre signe dapprobation, montrer de lennui, attendre la fin du discours comme une délivrance; tandis que, si un rival porte la parole, tous lécoutent avec attention, quelque long que soit son discours, tous éprouvent de la peine lorsquil va finir, et témoignent tout haut leur désappointement, sil garde le silence? Ces contrariétés peuvent te paraître légères et faciles à surmonter, à toi qui ne les as pas encore éprouvées; elles nen sont pas moins faites pour éteindre le feu du génie, paralyser les forces de lâme, à moins que, saFfranchissant de toutes les misérables passions de lhomme, on ne sélève à la hauteur des puissances célestes et incorporelles, qui sont de leur nature inaccessibles à lenvie, à lamour de la gloire, aux diverses maladies de lâme. Si un mortel parvient à ce point de perfection de fouler aux pieds ce monstre indomptable de la gloire humaine, et de trancher les têtes toujours renaissantes de cette hydre, ou plutôt dempêcher quelles ne germent dans son coeur, il pourra repousser victorieusement les nombreux assauts quon lui livrera, et se reposer comme dans le port à labri de la tempête. Mais tant quil ne sera pas entièrement délivré de cet ennemi, il sera assailli de mille manières différentes; son âme sera continuellement troublée, déchirée et deviendra le jouet dune infinité de passions. A quoi bon énumérer toutes les autres difFicultés qui se rencontrent dans lexercice du saint ministère? Pour en donner ou sen faire une idée, il faudrait les avoir éprouvées soi-même. (611)
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