HOMÉLIE 42«OU DITES QUE LARBRE EST BON ET QUE LE FRUIT AUSSI EN EST BON, OU DITES QUE LARBRE EST MAUVAIS ET QUE LE FRUIT AUSSI EN EST MAUVAIS. CAR CEST PAR LE FRUIT QUE LON CONNAÎT LARBRE.» (12,33-38) ANALYSE 1 et 2. Les méchants ne retirent aucun avantage de la vertu de leurs ancêtres.- la bouche parle de labondance du cur soit en bien soit en mal. 3. Quil ne faut pas révéler les vices du prochain, même sils sont les nôtres. 4. Utilité de lexamen de conscience, du soin que lon doit y apporter. - Exhortation à la pratique de la vertu qui nest pas plus difficile que celle du vice.
1. Jésus Christ se sert encore ici dun autre raisonnement pour confondre ses adversaires, et il ne se contente pas des réfutations précédentes. Il est visible quil nagissait pas ainsi pour se justifier devant eux du crime quils lui imputaient, puisquil en avait déjà. dit assez pour cela; mais pour tâcher de les convertir, et de les rappeler à Dieu. Il semble quil leur dise par ces paroles: Personne de vous ne sen prend à ceux qui ont été guéris, comme ne layant pas été véritablement: personne ne dit non plus que ce soit un mal de délivrer un homme du démon qui le possède. Car quelle que fût leur impudence, ils nauraient cependant pas osé dire pareille chose. Puis donc que ne trouvant rien à dire dans ses actions, ils ne laissaient pas de décrier sa personne, il leur montre que leurs accusations étaient entièrement déraisonnables, et quelles combattaient lordre naturel des choses. Il leur laissait à conjecturer de là quelle impudence il fallait avoir pour dire des choses qui non-seulement étaient détestables, mais même sans aucune apparence de raison. Mais considérez la modération du Sauveur. Il ne dit pas: Dites que larbre est bon, parce que le fruit en est bon; mais pour les confondre entièrement, et pour leur faire mieux comprendre quelle était sa douceur et leur audace, il leur dit: Si vous voulez reprendre mes actions, je ne vous en empêche pas : mais que vos accusations au moins paraissent un peu raisonnables, et quelles ne se contredisent point elles-mêmes. Car le moyen le plus propre pour les convaincre de leur malice était de leur faire voir quils voulaient obscurcir les choses du monde les plus claires. En vain, leur dit-il, votre malignité saveugle elle-même et veut allier ce qui est incompatible. On reconnaît larbre par le fruit, et non pas le fruit par larbre. Mais vous faites le contraire. Quoi. que larbre soit le principe du fruit, cest néanmoins le fruit qui fait juger quel est larbre. Il fallait donc, pour être conséquents, blâmer mes actions pour pouvoir maccuser moi-même, ou bien ne pas maccuser si vous approuviez mes actions. Pour vous, vous agissez dune manière tout opposée. Sans rien blâmer dans mes actions qui sont les fruits, vans accusez ma personne qui est comme larbre, et vous allez jusquà mappeler démoniaque. Jésus Christ confirme encore ici ce quil a dit précédemment : «Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre en porter de bons.» (Mt 7,18) Ce qui fait voir que leurs accusations étaient tout à fait absurdes, et contre toute sorte de raison. Et comme ce nest plus lui quil justifie, mais le saint Esprit, il leur parle avec chaleur et (334) avec force. «Race de vipères, comment pourriez-vous dire de bonnes choses étant méchants comme vous êtes, puisque la bouche parle de la plénitude du coeur (34)?» Jésus Christ, par ces paroles, accuse en même temps ses ennemis, et prouve par eux la vérité de ce quil vient de leur dire. Vous autres, leur dit-il, étant daussi mauvais arbres que vous êtes, vous ne pouvez porter de bons fruits. Je ne métonne donc pas que vous disiez ce que vous dites, puisquétant sortis de si mauvais pères, vous avez eu une éducation semblable à votre naissance, et que vous en retenez encore lesprit et le coeur. Mais remarquez avec quelle sévérité il les reprend, et combien ce quil leur objecte est sans réplique. Il ne leur dit point: «Comment pourriez-vous dire de bonnes choses, vous qui êtes une race de vipères? La conséquence serait moins frappante; mais comment pouvez-vous dire de bonnes choses, étant méchants comme vous êtes?» Il les appelle «Race de vipères,» parce que ces hommes se glorifiaient de leurs ancêtres. Et, pour leur montrer quils nen devaient attendre aucun avantage, il les retranche de la race dAbraham; il leur ôte ce titre dhonneur, dont ils senorgueillissaient si insolemment, et, au lieu dun ancêtre si illustre, il leur donne pour pères des serpents, extraction plus conforme à leur malice noire et envenimée. «Puisque la bouche,» ajoute-t-il, «parle de la plénitude du coeur.» Il leur fait voir encore ici quil est Dieu, et quil connaît le fond des coeurs. Il nous apprend que nous rendrons compte un jour non-seulement de nos paro1es, mais encore de nos mauvaises pensées, et quelles ne peuvent être cachées aux yeux de Dieu. Il montre même que les hommes peuvent aussi les connaître. Car il y a une si grande liaison et un si grand rapport du dedans avec le dehors, que lorsque le venin est au dedans, il faut nécessairement quil se répande et quil paraisse au dehors par les paroles. Lors donc que vous entendez dire à quelquun des paroles mauvaises et scandaleuses, vous devez croire quil a en lui beaucoup plus de mal quil nen fait paraître. Car ce quil dit de mauvais a un principe et une source, et ce qui paraît au dehors nest quune petite partie de cette plénitude de corruption qui est cachée au dedans. Cc reproche est sanglant, vous le comprenez; car si limpiété de leurs paroles fait voir que cest le démon qui les leur inspire, jugez quelle est la corruption de leur coeur, et combien cette source doù elle coule est empoisonnée. Et cette conséquence est très-certaine, parce que la langue nose pas dire tout ce que le coeur lui dicte, et quelle ne laisse pas sortir toute la corruption intérieure; mais comme le coeur na aucun homme pour témoin, et quayant perdu la crainte de Dieu, il nappréhende point ses jugements, il produit hardiment dans ses pensées tout le mal quil a conçu en lui-même. Ainsi il arrive dordinaire quil y a encore plus de corruption dans notre volonté que dans nos paroles, parce que la crainte même de ceux qui nous écoutent nous retient dans ce que nous disons, au lieu que le coeur nétant connu de personne, sabandonne avec plus de liberté au dérèglement de ses pensées. Mais lorsquil y a au dedans une trop grande corruption, elle se répand enfin au dehors. Et comme ceux qui sont pressés de rejeter les mauvaises humeurs qui les incommodent, se contraignent dabord, mais enfin ne les peuvent plus retenir; de même ceux qui ont de mauvaises pensées et de mauvais desseins dans le coeur, après sêtre retenus quelque temps, rejettent enfin au dehors ce venin caché, qui se répand en injures et en calomnies. 2. «Lhomme qui est bon tire du bon trésor de son coeur ce qui est bon, et lhomme qui est mauvais tire de son mauvais trésor ce qui est mauvais (38).» – Ne croyez pas, nous dit-il, que cette parole : «Que la bouche ne parle que de la plénitude du coeur,» ne soit vraie que dans le mal, elle lest aussi dans le bien. Car il y a plus de vertu dans le fond du coeur des bons quil nen paraît au dehors dans leurs paroles. Il concluait donc de la quon devait croire les Juifs plus malicieux quils ne le paraissaient être par ce quils disaient, et quon devait aussi supposer en lui plus de bonté quil nen paraissait dans ses paroles. Il donne au coeur le nom de «trésor» pour mieux exprimer la multitude des biens ou des maux quil renferme. Il tâche ensuite de les frapper de terreur. Ne croyez pas, leur dit-il, que le jugement que Dieu vous réserve se termine seulement à faire connaître à tout le monde la corruption de vos coeurs, mais votre malice sera de plus condamnée à des tourments éternels, Il ne leur adresse pas son discours (335) en leur parlant à eux-mêmes et se serrant du mot de «vous», pour instruire tout le monde en général, et pour rendre ce quil dit moins odieux. «Aussi je vous déclare que les hommes rendront compte au jour du jugement de la moindre parole inutile quils auront dite (36).» Une parole inutile est une parole qui na point de rapport avec les choses dont on parle, ou qui tient du mensonge et de la médisance. Quelques-uns disent aussi quune parole inutile est une parole vaine, comme celles qui font rire, qui ne sont pas assez réglées, qui sont trop libres, et qui blessent lhonnêteté et la pudeur. «Car vous serez justifié par vos paroles et vous serez condamné par vos paroles (37).» Peut-on accuser ce jugement dune trop grande sévérité; et ce compte que Dieu redemandera ne paraît-il pas être plein déquité et de douceur? Le juge ne prononcera point larrêt contre vous sur le simple rapport des autres, mais sur ce que vous aurez dit vous-même manière de juger de toutes la plus juste et la plus équitable, puisque vous êtes entièrement maître ou de dire ou de ne pas dire ce que vous voudrez. Ce ne sont donc point, mes frères, ceux qui sont calomniés qui doivent trembler, mais bien les calomniateurs eux-mêmes. Car ceux qui auront été déchirés parles médisances ne seront pas contraints de justifier leur innocence, mais ceux qui les auront décriés seront obligés dé rendre compte de toutes leurs paroles injurieuses. Cest sur eux que tout le péril tombera; cest contre eux que le juge prononcera la sentence. Cest pourquoi ceux qui sont calomniés doivent être dans une entière assurance, puisquils ne seront point responsables des médisances des autres; mais leurs calomniateurs doivent frémir dhorreur et deffroi aux approches de ce juge qui leur fera rendre compte de leurs impostures. Ce crime est un crime diabolique. Cest un péché qui napporte aucune satisfaction à celui qui le commet et qui ne lui cause que du mal. Cest une passion qui amasse dans lâme un trésor funeste de malice et de péchés. Que si celui qui a le corps plein de mauvaises humeurs, tombe malade nécessairement, combien plus celui qui se remplit de cette humeur noire et maligne, infiniment plus nuisible à lâme que la bile ne lest au corps, ne sexpose-t-il à une maladie plus dangereuse, dont les douleurs seront infinies et éternelles ? On en peut juger par les effets. Car si la médisance afflige de telle sorte celui quelle attaque, combien doit-elle plus tourmenter celui qui la dit ? Le calomniateur se blesse toujours le premier avant que de blesser les autres. Celui qui marche sur les charbons ardents se brûle lui-même ; et celui qui frappe sur un diamant sent que le coup retombe sur lui : celui qui regimbe contre laiguillon se pique et se blesse lui-même. Car le chrétien qui sait supporter généreusement linjustice et la calomnie, est en vérité comme un diamant, comme un feu, et comme un aiguillon perçant : au lieu qui celui qui médit de ses frères est plus faible et plus méprisable que la boue. Ce nest donc pas un mal que dêtre calomnié par les autres : mais cest un très grand que dêtre assez méchant pour publier des calomnies, ou de nêtre pas assez ferme pour les souffrir. Avec quelle injustice Saül persécuta-t-il autrefois David ? et combien David eut à souffrir de sa part ? et cependant lequel des deux a été le plus fort ou le plus heureux ? lequel des deux a été le plus misérable et le plus digne de compassion ? nest-ce pas celui qui a fait linjure et non celui qui la soufferte ? Considérez, je vous prie, la conduite de lun et de lautre. Saül avait promis à David que sil tuait Goliath, il lui donnerait sa fille en mariage. Cependant David tue Goliath, et Saül manque à sa parole, et bien loin de le faire son gendre, il ne pense quà le tuer. Lequel des deux sest donc acquis le plus de gloire ? lun est en proie à une tristesse profonde, il est possédé dun démon ; lautre par ses victoires et par sa piété envers Dieu devient plus éclatant que le soleil. Nous en voyons aussi que, à propos de cette danse fameuse des femmes israélites après la mort de Goliath, Saül sécha de dépit et denvie contre David, et que David garda une modération et un silence qui lui attira le coeur et laffection de tout le monde. Quand ensuite David eut Saül entre ses mains, et quétant maître de sa vie, il lui pardonna ; lequel des deux fut le lus fort ou le plus faible, le plus heureux ou le plus malheureux ? nest-il pas visible que cest celui qui ne voulut point se venger dun ennemi qui avait tant cherché à le perdre ? lun était (336) armé de soldats et dun grand nombre de troupes; David, au contraire, nétait armé que de la justice qui le couvrait comme dun bouclier qui lui tenait lieu de toute une armée. Cest pourquoi après avoir souffert tant dinjustices et de violences il ne voulut point tuer son persécuteur, quoiquil eût pu le faire sans blesser la justice, parce quil savait que le courage dun homme doit paraître non à faire le mal, mais à le souffrir. Jetez maintenant les yeux sur le patriarche Jacob. Ne fut-il pas traité, par Laban avec beaucoup dinjustice et de violence? cependant qui des deux fut le plus fort? ou Laban qui tenant Jacob en sa puissance nosa jamais le toucher; ou Jacob qui étant sans armes et sans soldats ne laissa pas dé lui être plus redoutable que nauraient été dix mille rois? 3. Mais pour vous mieux prouver ce que je vous ai déjà dit, je retourne encore à David, pour le considérer, dune manière toute contraire à celle dont nous lavons envisagé. Car après avoir été si ferme et si courageux lorsquon lui faisait violence, na-t-il pas été ensuite le plus faible de tous les hommes lorsquil a fait violence aux autres? Ne vit-on pas dans linjustice quil fit à une que lauteur de linjure devient le plus faible et loffensé le plus fort? Une, tout mort quil était, mettait le désordre dans la famille de David et troublait tout son royaume; et David tout vivant et tout roi quil était, était trop faible pour lui résister. Il ne pouvait empêcher quun seul homme, et un homme mort, ne remplît tout son État de confusion et de trouble. Voulez-vous que je vous fasse voir encore plus clairement ce que je vous dis? Examinons ce qui est arrivé à ceux qui se sont vengés même avec justice. Car nous avons déjà fait voir que ceux qui outragent injustement les autres, sont sans comparaison plus faibles que ceux quils haïssent, puisquils se perdent eux-mêmes en les voulant perdre. Joab, général de larmée de David, peut me servir à prouver ce que je vous dis. Il voulut venger la mort de son frère et il excita pour cela une guerre civile, et sengagea dans une longue suite dafflictions et de maux, quil se serait épargnés, sil eût eu assez de vertu et de sagesse pour souffrir constamment la perte dune personne qui lui était chère. Fuyons donc ce crime, mes frères, et noffensons jamais nos frères, ni par nos actions, ni par nos paroles. Jésus Christ na pas dit : Si vous accusez publiquement, si vous dénoncez au juge, mais simplement: «Si vous dites du mal,» quand. ce ne serait quen vous-même, vous ne laisserez pas den être très-sévèrement puni. Quand ce que vous auriez dit se trouverait en effet véritable, et que vous en connaîtriez dune manière certaine la vérité, vous ne laisserez pas dêtre puni. Car Dieu vous jugera non point par ce quun autre aura fait, mais par ce que vous aurez dit vous-même : «Vous serez,» dit-il, «condamné par vos paroles.» Ne vous souvenez-vous pas que le pharisien ne disait rien qui ne fût très-véritable et très connu de tout le monde , et que néanmoins sans quil eût révélé: des fautes secrètes et cachées, il fut condamné aux derniers supplices? Sil ne faut donc point accuser les autres de fautes qui sont connues et qui sont publiques, il faut encore bien moins leur reprocher celles qui sont incertaines et douteuses? Le pécheur na-t-il pas un juge qui le jugera? Pourquoi usurpez-vous lautorité du Fils unique du Père? Cest à lui que le Père a donné tout le pouvoir de juger. Cest à lui quil réserve ce trône et ce tribunal. Que si vous avez tant denvie de juger, jugez-vous vous-même. Ce jugement ne vous exposera à aucun blâme et vous sera même très-avantageux. Élevez ce tribunal au milieu de vous et représentez-vous tous les dérèglements de votre vie. Redemandez-vous un compte exact de toutes vos actions. Dites à votre âme : Pourquoi avez -vous eu la hardiesse de faire telle ou, telle action? Que si elle ne prend pas déplaisir à se juger ainsi elle-même et quelle aime mieux examiner les fautes des autres, dites-lui encore: Ce nest pas sur les actions des autres que je vous juge; ce nest pas de celles-là que vous avez à vous justifier. Que vous importe quun tel vive mal? Pourquoi vous-même osez-vous faire une telle faute ? Défendez-vous vous-même et naccusez pas les autres. Examinez-vous vous-même et nexaminez point votre frère. Intimidez aussi votre âme. Tenez-la dans la crainte et dans la frayeur. Si elle na rien à répondre et quelle tâche de séchapper à ce tribunal, contraignez-la dy comparaître traitez-la comme une criminelle, frappez-la de verges comme une esclave orgueilleuse qui sest laissée corrompre. Ne laissez passer, aucun jour sans la juger de la sorte. (337) Représentez-lui ce fleuve de feu, ce ver qui la rongera sans cesse et tous ces supplices si effroyables de lenfer. Ne lui permettez point à lavenir de se laisser souiller par le démon. Ne souffrez plus quelle se serve de ces vaines excuses: cest le démon qui vient me chercher, cest lui qui me tend des pièges, cest lui qui massiège et qui me tente. Répondez-lui que si elle ne voulait point consentir, il ne lui ferait aucun mal et que tous ses artifices seraient inutiles à son égard. Que si elle se défend dune autre manière et quelle dise : Je suis liée avec mon corps, je suis environnée dune chair faible, je demeure parmi des hommes et je suis encore sur la terre, répondez-lui que ce ne sont là que des prétextes pour entretenir ses désordres. Que tels et tels sont, aussi bien quelle, environnés dune chair, quils demeurent en ce monde et quils sont encore sur la terre. Que néanmoins ils vivent dans une vertu admirable et que quand elle aura pris une ferme résolution de bien vivre, la chair ne len empêchera plus. Que si ce discours lafflige, ne cessez point de la blesser. Ces blessures salutaires que vous lui ferez, ne la tueront pas, mais la sauveront. Si elle répond encore : quun tel homme la irritée et la mise en colère, répondez-lui quil était en sa puissance de ne sy pas mettre et que souvent elle sen était abstenue. Si elle dit: la beauté de cette personne ma surprise, répondez-lui quil était encore en son pouvoir détouffer cette passion. Rapportez-lui lexemple de beaucoup dautres personnes qui lont éteinte et faites-la souvenir des paroles de la première femme : «Le serpent ma trompée «(Gen 3),» à qui néanmoins cette excuse ne servit de rien. 4. Lorsque vous jugerez ainsi votre âme, que personne ne soit présent et que personne ne vous trouble. Imitez les juges qui font tirer les rideaux pour être plus en repos et pour mieux former leurs jugements. Cherchez de même, au lieu de rideaux, un temps et un lieu de solitude et de paix. Quand vous avez soupé et que vous êtes près de vous mettre au lit, jugez-vous alors et examinez vos fautes. Tout y est très-favorable, le temps, le lieu, le lit, le repos. David la marqué, lorsquil a dit: «Dites dans vos coeurs ce que vous dites, et soyez touchés de componction, lorsque vous êtes sur vos lits. » (Ps 4,5) Punissez avec sévérité les moindres fautes, afin que vous soyez dautant plus éloigné de tomber jamais dans les grandes. Si vous êtes exact à faire cela tous les jours, vous paraîtrez avec confiance devant ce tribunal terrible qui fera trembler tout le monde. Cest ainsi que saint Paul sest élevé à un si haut point de pureté et dinnocence, et cest ce qui lui a fait dire : «Si nous nous jugions «nous-mêmes, nous ne serions point jugés de «Dieu.» (I Cor 2,31) Cest ainsi que Job a purifié ses enfants, puisquil est bien croyable quoffrant à Dieu des sacrifices pour leurs fautes secrètes, il les punissait sévèrement de celles qui paraissaient. Pour nous autres nous sommes bien éloignés de cette vertu, et nous faisons le contraire de ces grands saints. Aussitôt que nous nous sommes mis au lit, nous repassons dans notre esprit nos affaires domestiques. Il y en a même qui sentretiennent alors de choses qui blessent lhonnêteté. Dautres pensent à leurs biens et à leurs usures, et sembarrassent dans mille sortes de soins. Si vous aviez une fille unique, vous veilleriez avec soin pour la conserver chaste et pure ; et vous souffrez que votre âme qui vous devrait être plus précieuse que votre fille, sabandonne à des fornications spirituelles, et vous lui suscitez vous-même une infinité de pensées mauvaises. Si lamour de largent, si le désir du gain, si un objet dangereux, si la haine ou la colère, ou quelque autre passion se présente à la porte de notre âme, nous la lui ouvrons aussitôt, nous linvitons à entrer, nous lattirons, et nous lui permettons sans rougir de la déshonorer et de la corrompre. Y a-t-il rien de plus cruel que cette mortelle négligence? Nous navons quune âme qui nous doit être plus chère que toutes choses; et nous la prostituons à ces pensées malheureuses et à ces fantômes, comme à des adultères qui ne la quittent quaprès lui avoir fait perdre la pureté, et lorsquils en sont bannis par le sommeil; ou plutôt ces fantômes ne sen retirent pas même alors. Les songes de la nuit lui représentent encore les images dont elle sétait remplie durant le jour. Elle se trouve encore occupée alors par ces représentations de la nuit, qui lexpose souvent à des chutes et à des crimes véritables. Nous ne pouvons souffrir que la moindre poussière ou la moindre paille entre dans notre (339) oeil; et nous négligeons notre âme, lorsquelle est accablée de tant de maux. Quand la purgerons-nous de toutes ces 1m puretés dont nous la souillons chaque jour? Quand couperons-nous toutes ces ronces et ces épines? Quand y répandrons-nous la semence des vertus? Ne savez-vous pas que le temps de la moisson approche? et cependant nous navons pas encore commencé à défricher la terre qui nous a été commise. Que si le maître du champ nous surprend dans cette paresse, que lui dirons-nous, que lui pourrons-nous répondre? Dirons-nous que personne ne nous a donné de semence? On a soin de le faire tous les jours. Dirons-nous que personne na arraché les épines qui couvraient toute la terre. Nous tâchons à tous moments dy mettre cette faux» dont il est parlé dans lÉcriture. Nous excuserons-nous sur les nécessités de la vie qui nous attachent et qui nous tiennent comme captifs? Pourquoi ne vous êtes-vous pas «crucifié au monde?» selon la parole de lApôtre. Si celui qui na rendu que le talent quil avait reçu de son maître, est appelé «méchant serviteur», parce quil ne la pas rendu au double, comment appellera-t-on celui qui aura même dissipé ce quon lui aura donné? Si ce serviteur fut lié et précipité dans le lieu «des s pleurs et des grincements de dents;» que souffrirons-nous, nous autres qui demeurons toujours lâches et paresseux, quoique tant de considérations nous portent à nous convertir? Car quy a-t-il en ce monde qui ne vous dût aider à penser à Dieu? Ne voyez-vous pas combien la vie est fragile et incertaine, et de combien de maux et dafflictions elle est traversée? Ne croyez pas, je vous supplie, quil ny ait que la vertu qui soit pénible. Le vice a aussi ses épines et ses travaux. Puis donc que le travail est égal de part et dautre, pourquoi nembrassez-vous pas plutôt celui qui sera suivi dune si grande récompense? Il y a même des vertus qui sexercent sans aucune peine. Car quelle peine y a-t-il à ne point médire, à ne point mentir, à ne point jurer, à ne se point mettre en colère contre son frère? Sil y a de la peine, ce nest pas à fuir ces vices, mais à les commettre. Ne serons-nous donc pas inexcusables, et indignes de pardon, si nous ne nous appliquons pas à ces vertus mêmes qui sont si faciles? Et qui sétonnera que nous narrivions jamais à ce quil y a de plus élevé et de plus pénible dans la vertu, puisquen négligeant les choses les plus aisées, nous nous rendons incapables des plus grandes? Souvenons-nous, mes frères, de ces avis si importants; fuyons le mal, embrassons la vertu, afin de jouir et du vrai bonheur de cette vie, et dans lautre des biens éternels que je vous souhaite, par la grâce et par la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ. Amen. |