HOMÉLIE 77
JE VOUS DIS CES CHOSES, AFIN QUE MA JOIE DEMEURE EN VOUS, ET QUE VOTRE JOIE SOIT PLEINE ET PARFAITE. LE COMMANDEMENT QUE JE VOUS DONNE, EST DE VOUS AIMER LES UNS LES AUTRES, COMME JE VOUS AI AIMÉS. (VERS. 11-4,16)
ANALYSE.
1. On peut séparer l'amour de Dieu de l'amour du prochain. 2. Jésus Christ console ses apôtres.
3. Dernière consolation : promesse du saint Esprit que le Fils envoie comme le Pire.
4 et 5. Divers sujets de consolation dans les souffrances et les afflictions. Dans les souffrances, penser plus aux couronnes qu'aux peines, au ciel qu'au temps. Dans les aumônes, dans les autres bonnes Ïuvres, ne penser point tant à la semence qu'à la moisson. La vertu est pénible, faire attention au bien qu'elle procure. Ceux qui sont forts aiment la vertu pour elle-même, les faibles envisagent les récompenses. Recommandation de l'aumône : combien de raisons et de motifs nous engagent à la faire. Si l'on ne donne rien aux pauvres, du moins ne les point injurier ni maltraiter : point de repos en cette vie, pour en jouir en l'antre. Retrancher le superflu. Se contenter du nécessaire. Répandre ses richesses sur les pauvres. D'où vient l'inhumanité envers les pauvres? - De ce qu'on amasse par avarice.
1. Toutes les bonnes Ïuvres obtiennent leur récompense après leur plein accomplissement : si elles restent en chemin, tout fait naufragé. Et comme un vaisseau chargé de toutes sortes de marchandises, qui n'arrive point au port, mais que les flots engloutissent [485] en pleine mer, ne retire aucun profit de sa longue navigation, si ce n'est un manieur proportionné aux épreuves qu'il a bravées; de même aussi les âmes, qui, avant d'arriver au but, s'arrêtent au milieu de la carrière, et succombent dans les combats, perdent la couronne et périssent misérablement. C'est pourquoi saint Paul déclare que ce sont,ceux qui auront couru jusqu'à la fin (Rom 2,7) et persévéré dans les bonnes Ïuvres, qui obtiendront la gloire, l'honneur et la paix. Et c'est là aussi ce qu'insinue maintenant Jésus Christ à ses disciples. Comme. ils s'étaient d'abord réjouis d'avoir été choisis, et qu'ensuite tout ce qu'il leur avait annoncé de triste sur sa passion, sur sa mort, avait interrompu et troublé leur joie, le Sauveur, après leur avoir tenu de longs discours, pleins de consolation, ajoute encore : «Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie demeure en vous, et que votre joie soit pleine et. parfaite». C'est-à-dire : Ne vous séparez pas de moi, et ne vous arrêtez point dans votre course : vous vous êtes réjouis en moi, et vous vous êtes extrêmement réjouis; mais la tristesse s'est mêlée dans votre joie, et l'a interrompue. Je chasse cette tristesse, afin que votre joie arrive à terme; je la chasse, en vous faisant voir que les souffrances et les afflictions de cette vie ne méritent pas que vous vous attristiez, et que vous devez plutôt vous en réjouir. Je vous ai vus dans le trouble, et je ne vous ai pas négligés, et je ne vous ai point dit : Pourquoi n'avez-vous pas plus de fermeté et de courage ? mais, au contraire, je vous ai dit tout ce qui était le plus capable de vous consoler. C'est ainsi que je vous veux toujours garder dans mon amour. Vous m'avez entendu parler du royaume, vous vous en êtes réjouis. Je vous ai donc dit ces choses afin que votre joie soit pleine et parfaite.
«Le commandement que je vous donne est de vous aimer les uns les autres, comme je vous ai aimés». Vous le voyez, mes frères, lÕamour de Dieu est mêlé et confondu dans celui du prochain : ces deux amours sont liés ensemble, comme avec une chaîne. Voilà pourquoi le Sauveur en fait quelquefois deux préceptes, et quelquefois il n'en fait qu'un seul;. car ces deux amours sont inséparables. On ne peut avoir l'un sans l'autre. Voilà pourquoi tantôt il dit : «Toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ces deux commandements». (Mt 22,40) Tantôt «Faites aux hommes tout ce que vous voulez qu'ils vous fassent» (Mt 7,12); c'est là en quoi consistent toute la loi et les prophètes, «et ainsi l'amour est l'accomplissement de la loi». (Rom 13,10)
Jésus Christ le déclare ici de même; car si «demeurer» renferme l'amour, si l'amour renferme l'observance des commandements, et si le commandement est de nous aimer les uns les autres, c'est par cet amour mutuel que nous avons les uns pour les autres, que nous demeurons en Dieu. Le Sauveur ne nous donne pas seulement le commandement de l'amour, mais il nous en prescrit aussi la mesure, en disant : «Comme je vous ai aimés». Il fait connaître encore à ses disciples que ce n'est point par haine qu'il se sépare d'eux, mais par amour. C'est donc pour cela que vous deviez m'admirer davantage, et plutôt vous réjouir que vous affliger. Je meurs pour vous. Jésus Christ ne le dit pas ouvertement, mais il l'indique, lorsqu'il fait ci-dessus la description du bon pasteur; et ici en donnant ses instructions, en montrant la grandeur et la puissance de l'amour, en déclarant et faisant connaître ce qu'il est. Mais pourquoi le Sauveur relève-t-il partout l'amour ? Parce que l'amour est la marque des disciples; parce que l'amour forme et entretient la vertu. C'est pour cette raison que saint Paul, lui qui était un véritable disciple de Jésus Christ, lui qui avait éprouvé et senti en lui-même les effets de l'amour, en dit tant de grandes choses, et le proclame «l'accomplissement de la loi».
«Vous êtes mes amis (14). Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, parce que le serviteur ne sait ce que fait son maître : mais je vous ai appelés mes amis, parce que je vous ai fait savoir tout ce que j'ai appris de mon Père (15)». Pourquoi dit-il donc : «J'ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter présentement ?» (Jn 16,12) Quand le Sauveur dit : «Tout ce que j'ai appris», il ne veut dire autre chose, sinon qu'il ne dit rien de contraire à son Père, mais uniquement ce qu'il a appris de lui. Or, comme c'est un très-grand témoignage d'amitié que de confier à quelqu'un ses secrets, il dit à ses disciples : J'ai bien voulu vous faire aussi cette grâce, et vous donner cette marque de mon amour : mais quand il dit : «Tout», entendez ce qu'ils devaient savoir.
Ensuite il leur découvre une chose qui n'est point une légère, ni une commune marque d'amitié : Laquelle ? La voici : «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis (16)». C'est moi qui ai ardemment recherché votre amitié. Et je ne me suis point contenté de cela, mais : «Je vous ai établis», c'est-à-dire, je vous ai plantés. Le Seigneur continue encore la métaphore de la parabole, de la vigne, «afin que vous marchiez» ; c'est-à-dire, afin que vous vous étendiez, «et que vous rapportiez du fruit, et que votre fruit demeure» toujours. Que si votre, fruit demeure, à plus forte raison demeurerez-vous vous-mêmes. Non-seulement, dit-il, je vous ai aimés, mais je vous ai aussi comblés de toutes sortes de biens, en étendant et, multipliant vos branches dans tout le monde.
2. Remarquez-vous, mes frères, en combien de manières le Sauveur déclare son amour à ses disciples : il le déclare en leur découvrant ses secrets et ses mystères. Il le déclare en les prévenant de son amour et de son affection, en les choisissant le premier; il le déclare parles bienfaits dont il les comble, et partout ce qu'il a souffert pour. eux. Par là il leur fait connaître qu'il demeurera toujours avec eux, afin qu'ils portent du fruit; car pour en porter, ils ont besoin de son secours. «Afin que mon Père vous donne tout ce que vous lui demanderez en mon nom». Mais c'est à celui à qui on demandé de faire porter le fruit, et ce que l'on demande au Père, pourquoi le Fils le fait-il? Pour vous apprendre que le Fils n'est ni moins grand, ni moins puissant que le Père.
«Je vous ai dit ces choses, afin que vous vous aimiez les uns les autres (17)»; c'est-à-dire, ce n'est pas pour vous en faire un reproche que je vous dis que je donne ma vie pour vous; que je vous dis que je vous ai prévenus, que je vous ai choisis les premiers; mais c'est pour vous engager à m'aimer. Ensuite, comme d'être rejetés de bien des gens, d'avoir à souffrir d'eux et des injures et des outrages, c'était une chose très-dure et insupportable, capable même d'abattre l'âme la plus grande et la plus courageuse, le Sauveur les a prévenus, et les a préparés à supporter courageusement ces insultes et ces affronts; il les y a préparés en gagnant leur cÏur et leur affection, et de plus en leur montrant et leur faisant connaître que ces choses, comme toutes celles dont il leur avait déjà parlé auparavant, ne se faisaient que pour eux, pour leur utilité et leur avantage. Car comme il leur a dit que non-seulement il ne faut point s'attrister, mais qu'il faut même se réjouir de ce qu'il va à son Père, puisque ce n'était pas pour les laisser qu'il y allait, mais parce qu'il les aimait beaucoup : de même il leur fait voir maintenant ici qu'ils doivent se réjouir, et ne point s'affliger. Et voyez de quelle manière il le prouve. Il n'a point dit : Je sais qu'il est fâcheux d'avoir tant à souffrir; irais soutirez ces choses pour l'amour de moi; mais considérez que c'est pour moi que vous souffrez.
Ce n'était point encore là une suffisante consolation, c'est pourquoi Jésus Christ, sans s'y arrêter, en propose une autre; laquelle ? Souffrir de la sorte, ce sera une preuve et un témoignage certain de votre première vertu, et, au contraire, ce serait pour vous un sujet de douleur et d'affliction, non que le monde vous haït maintenant, mais qu'il dût vous aimer; ce que le Sauveur leur fait entendre en disant : «Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui». Si donc vous étiez aimés, vous feriez penser que vous êtes méchants. Après, voyant que ces paroles n'avaient rien avancé, il poursuit encore, et dit : «Le serviteur n'est pas plus grand que son Maître : s'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi (20)». Par là, le Sauveur montre expressément qu'ils seront ses imitateurs. Car tant que Jésus Christ a été dans la chair, on l'a persécuté et outragé; mais après qu'il est monté au ciel, on s'est tourné contre ses disciples, et on les a maltraités. Et. encore : comme ils se troublaient, parce qu'étant en petit nombre, ils auraient à combattre contre une si grande multitude de peuple, le Sauveur leur relève le cÏur et les encourage, en disant que d'être haïs du monde, ce doit être pour eux un très-grand sujet de joie; par là, dit-il, vous aurez part à mes souffrances. Vous ne devez donc pas vous troubler, puisque vous n'êtes pas plus grands que moi, comme je l'ai dit : «Le serviteur e n'est pas plus grand que son Maître». D'où il naît un troisième sujet de consolation, c'est que lorsqu'on vous déshonore et qu'on vous outrage, on outrage et on déshonore aussi mon Père.
«Ils vous feront tous ces mauvais traitements» , dit-il, «à cause de mon nom, parce qu'ils né connaissent point celui qui m'a envoyé (21)» ; c'est-à-dire, ils traitent aussi mon Père outrageusement. De plus, faisant voir qu'ils sont indignes de tout pardon, il leur donne un autre sujet de consolation par ces paroles : «Si je n'étais point venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils n'auraient point le péché (22)» qu'ils ont, leur montrant qu'ils le maltraiteront, lui et ses disciples. Pourquoi nous avez-vous donc attiré tous ces mauvais traitements ? Est-ce pour n'avoir pas prévu ces haines et ces guerres ? c'est pour cela qu'il ajoute : «Celui qui me hait, hait aussi mon Père (23)». Par ces paroles, Jésus Christ prédit a ses persécuteurs les terribles supplices auxquels ils seront condamnés. Comme en toute occasion ils prétextaient l'amour et la gloire du Père, et alléguaient que c'était à cause de lui qu'ils persécutaient Jésus Christ, le Sauveur a dit ces choses pour leur ôter toute excuse. Car, dit-il, ils n'ont point d'excuse. Je leur ai donné mes instructions, je leur ai enseigné ma doctrine, que j'ai confirmée par mes Ïuvres, selon la loi de Moïse, qui ordonne d'écouter celui qui fait et qui dit, et de lui obéir lorsque ses paroles les mènent à la piété, et sont appuyées de grands miracles; non, dit-il, de miracles communs et ordinaires, mais de miracles inouïs; et de ceux-là, ils en ont eux-mêmes rendu témoignage, en disant: «On n'a jamais rien vu de semblable dans Israël» (Mt 9,33); et : «Depuis que le monde est, on n'a jamais ouï que personne ait ouvert les yeux à un aveugle-né»; et encore la résurrection de Lazare et tant d'autres prodiges, et la manière aussi dont ils ont été opérés, en sorte que tout est certainement nouveau et étonnant.
Mais pourquoi nous persécutent-ils, et vous et nous ? «Parce que vous n'êtes pas du monde; si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui». (Jn 7,7) Premièrement, Jésus Christ leur rappelle les paroles qu'il avait dites à ses. frères, mais alors d'une manière véritablement plus couverte, de peur de les offenser, et maintenant, au contraire, il leur parle ouvertement et il leur découvre tout. Et d'où paraît-il que c'est là le sujet pour lequel ils nous haïssent ? Cela est évident par ce qu'ils m'ont fait à moi-même. Car, soit dans mes paroles, soit dans mes Ïuvres, qu'ont-ils trouvé à reprendre pour ne pas me recevoir ? Et comme on pouvait s'étonner de ce refus., il en donne aussi la raison, savoir: leur méchanceté. Mais cela ne lui suffit pas, il apporte encore le témoignage du prophète, faisant voir qu'il l'avait prédit depuis longtemps par ces paroles : «Ils m'ont haï sans «aucun sujet». (Ps 39,22, et 68,5)
Saint Paul le déclare de même. Comme plusieurs s'étonnaient de ce que les Juifs ne croyaient point, il cite les prophètes qui l'avaient prédit auparavant, et qui révèlent la cause de leur incrédulité; à savoir: leur malice et leur arrogance. Mais quoi ? Ils n'ont point gardé votre parole, ils ne garderont donc pas la nôtre; ils vous ont persécuté, ils vous persécuteront donc aussi; s'ils ont vu des miracles, tels que nul autre n'en a fait de semblables, s'ils ont ouï des paroles qu'on n'avait point encore entendues et n'en ont point profité, s'ils ont haï votre Père et vous aussi, pourquoi nous exposez-vous au milieu d'eux ? Comment pourront-ils nous juger dignes de foi? Qui de nos compatriotes nous écoutera?
3. Voyez, mes frères, la consolation que le divin Sauveur donne à ses disciples, de peur que ces pensées ne les agitent et ne les troublent. «Mais», leur dit-il, «lorsque le Consolateur, l'Esprit de vérité, qui procède du Père, que je vous enverrai de la part de mon Père, sera venu, il rendra témoignage de moi (26) Et vous en rendrez aussi témoignage, parce que vous êtes dès le commencement avec. moi (27)». Ce Consolateur sera digne de foi; il est l'Esprit de vérité. C'est pourquoi Jésus Christ ne l'a point appelé le Saint Esprit, mais l'Esprit de vérité. Ce mot : «Qui procède du Père», montre qu'il connaît exactement toutes choses, ce que Jésus Christ dit aussi de lui-même : «Je sais d'où je viens et où je vais» : passage où il parle aussi de la vérité. «Que je vous enverrai» ; vous le voyez : le Père n'envoie pas seul, mais le Fils envoie aussi. Vous-mêmes vous serez dignes de foi, vous qui avez toujours été élevés avec moi, et qui avez appris de moi, et non des autres : les apôtres s'appuient là-dessus, lorsqu'ils disent : «Nous qui avons mangé et bu avec lui». (Ac 10,41) Et le saint Esprit rend aussi témoignage lui-même, que ces choses n'ont point été dites par complaisance ou par flatterie.
«Je vous ai dit ces choses afin que vous ne soyez point scandalisés». A savoir, lorsque vous trouverez bien des incrédules, et que vous aurez à essuyer de grands travaux et de grandes afflictions. «Ils vous chasseront de la synagogue (2)». Car les Juifs avaient déjà arrêté entre eux que, si quelqu'un reconnaissait Jésus pour le Christ, il serait chassé de la synagogue. (Jn 9,22) «Et le temps vient que quiconque vous fera mourir, croira faire une chose agréable à Dieu». Ils machinent votre mort, comme s'ils faisaient une Ïuvre pieuse et agréable à Dieu. Ensuite, le divin Sauveur console encore ses disciples par ces paroles : «Ils vous traiteront de la sorte, parce qu'ils ne connaissent ni» mon «Père, ni moi (3)». C'est un assez grand sujet de consolation pour vous que de souffrir ces choses pour mon Père et pour moi. Ici Jésus Christ rappelle encore à leur mémoire cette béatitude, dont il leur avait parlé au commencement: «Vous êtes heureux, lorsque les hommes vous chargeront de malédictions, et qu'ils vous persécuteront, et qu'ils diront faussement toute sorte de mal contre vous à cause de moi. Réjouissez-vous alors, et tressaillez de joie, parce qu'une grande récompense vous est réservée dans les cieux». (Mt 7,12)
«Je vous ai dit ces choses, afin que, lorsque ce temps-là sera venu, vous vous en souveniez (4)», et que vous regardiez tout le reste, d'après cela, comme digne de foi. Car vous ne pourrez point dire que je vous aie annoncé ces choses par flatterie, ou par adulation, ni aussi que mes paroles soient fausses et trompeuses. En effet, celui qui aurait le dessein de vous tromper ne vous annoncerait pas ce qui est capable de vous détourner de lui. C'est pourquoi je vous ai prédit ces choses afin que, lorsqu'elles arriveront, vous n'en soyiez point surpris, ni troublés, et encore pour une autre raison, à savoir, afin que vous ne disiez point que je n'ai pas prévu qu'elles devaient arriver. Souvenez-vous donc que je vous les ai dites. Car les Juifs alléguaient toujours de mauvaises raisons et de méchants prétextes, pour les persécuter et les chasser comme des impies et des scélérats; mais les disciples ne s'en troublaient point, parce qu'ils avaient appris qu'il n'arrivait rien qui n'eût été prédit, et qu'ils savaient pourquoi ils étaient maltraités : ce qui était très-capable d'élever leur esprit et de les rendre fermes et courageux. Voilà pourquoi Jésus Christ répète souvent ces paroles: ils ne m'ont point connu, et ils vous traiteront de la sorte à cause de moi, à cause de mon nom, à cause de mon Père, et j'ai été persécuté et maltraité le premier; et encore : ils me haïssent, ils me maltraitent sans aucun sujet.
4. Faisons aussi nous-mêmes, mes frères, de sérieuses réflexions sur ces vérités dans les afflictions qui nous arrivent, lorsque les méchants nous persécutent et nous maltraitent. Jetons les yeux sur notre chef, sur l'auteur et le consommateur de notre foi (Héb 12,2); considérons que ce sont les méchants qui nous font souffrir; considérons que c'est pour la vertu, que c'est pour Jésus Christ que nous souffrons : pesons ces choses, et tout nous paraîtra aisé et supportable. Que si lorsqu'on souffre pour ceux que lÕon aime, on s'en glorifie; lorsque c'est pour Dieu que l'on souffre, doit-on sentir encore ses maux et ses souffrances ? Si une chose ignominieuse, telle que la croix, Jésus Christ l'appelait pour l'amour de nous, une gloire : à combien plus forte raison devons-nous être nous-mêmes dans ces sentiments et ces dispositions ! Et si nous pouvons ainsi mépriser les tourments, nous pouvons, à plus forte raison, mépriser les richesses et l'avarice. Donc, quand il nous arrive de grandes afflictions, il ne faut pas seulement regarder les peines et les travaux, mais il faut encore envisager les couronnes et les récompenses.
Comme les marchands ne pensent pas seulement aux mers qu'ils ont à traverser, mais encore au gain et au profit qui leur en doit revenir, nous devons de même penser au ciel et à l'accès qui nous sera donné auprès de Dieu. Que s'il vous paraît doux de s'enrichir par des rapines, souvenez-vous que Jésus Christ vous le défend, et incontinent cela vous deviendra désagréable et amer. Et encore, si vous avez de la peine à faire part de vos biens aux pauvres, ne pensez pas seulement à ce qu'il vous en coûte, mais oubliez la semence et tournez toutes vos pensées vers la moisson. S'il vous paraît difficile de vous abstenir d'aimer la femme d'autrui, envisagez la couronne que vous procurera ce combat, et vous remporterez facilement la victoire. Car si la crainte des hommes vous peut retenir, et vous détourner des mauvaises actions, à combien plus forte raison l'amour de Jésus Christ doit-il avoir cet empire sur vous?
La vertu est pénible; il faut en déguiser l'aspect sous la grandeur des récompenses qui lui sont promises : les gens de bien, sans aucun autre motif, l'aiment pour elle-même; ils l'honorent par cette seule raison qu'ils la trouvent belle et agréable; ils l'exercent et la pratiquent pour l'amour de Dieu, et non pour l'amour de la récompense; ils regardent la continence comme une grande vertu, non par la crainte du supplice, mais par le précepte que Dieu en a fait : mais, si l'on est faible, qu'on se représente aussi les récompenses.
Usons-en de même à l'égard de l'aumône, ayons compassion de nos compatriotes, ayons pitié de nos frères, ne les laissons pas mourir de faim. Ne serait-il pas honteux d'être commodément assis à table au milieu des ris et des délices, tandis qu'au coin de cette rue, d'autres personnes se lamentent et jettent des cris; de ne courir pas promptement au secours de celui qui gémit et qui pleure, et, au contraire, de ne le pouvoir souffrir et l'appeler fourbe et imposteur ? O homme, que dites-vous ? Trompe-t-on pour un pain ? Oui, direz-vous. Voilà donc pourquoi le pauvre vous doit plus toucher de compassion, voilà pourquoi vous devez plus vous bâter de le tirer de sa misère. Mais si vous ne lui voulez rien donner, du moins ne l'outragez pas : si vous ne le voulez pas retirer du naufrage, ne l'y poussez point, et ne l'enfoncez pas dans le précipice. Lorsqu'il se présente à vous, et que vous le rejetez, pensez en vous-même à ce que vous voulez demander à Dieu, à ce que vous désirez obtenir de lui : «On se servira envers vous», dit le Seigneur, «de la même mesure dont vous vous serez servis envers les autres». (Mt 7,2) Examinez de quelle manière le pauvre se retire après votre refus; il s'en va humilié, la tête baissée, les yeux trempés de larmes, portant en même temps et la plaie de sa pauvreté, et la plaie que votre outrage vient de lui faire. Si mendier vous semble une malédiction; ne rien recevoir après en avoir subi la honte, être renvoyé avec des injures, considérez quelle affreuse tempête cela doit exciter dans son âme.
Jusques à quand serons-nous semblables aux bêtes féroces ? jusques à quand notre avarice nous fera-t-elle oublier la nature? Bien des gens gémissent de nous voir si durs et si
impitoyables : mais je veux aujourd'hui vous prêcher la miséricorde, et non-seulement aujourd'hui, mais toujours. Pensez à ce redoutable jour auquel nous paraîtrons tous devant le tribunal de Jésus Christ. Lorsque nous demanderons miséricorde, et que Jésus Christ, ayant fait avancer les pauvres au milieu, nous parlera de la sorte: Pour un pain ou pour une obole, vous avez excité une très-grande tempête dans le cÏur de ceux-ci, que répondrons-nous? quelle sera notre excuse ? Car le Seigneur nous doit amener les pauvres au milieu et nous lés présenter; c'est ce que nous apprennent ses propres paroles; écoutez-le : «Autant de fois que vous avez manqué de rendre ces assistances à l'un de ceux-ci, vous avez manqué à me les rendre à moi-même». (Mt 25,45) Les pauvres alors ne nous diront pas un seul mot, mais Dieu nous fera lui-même les reproches pour eux.
Le riche vit Lazare, et si Lazare ne lui dit rien, Abraham parla pour lui. Il en arrivera de même à l'égard des pauvres que nous méprisons maintenant : nous ne les verrons pas nous tendre la main, ni vêtus de sales et misérables habits; nous les verrons dans le repos et dans la gloire; mais nous, nous prendrons leurs habits et leur figure. Et plût à Dieu que nous ne prissions que la figure et l'habit; et que, ce qui est pire et bien plus terrible, nous ne fussions pas jetés dans le lieu des supplices ! Le riche, dans le lieu où il était, ne demandait pas de se rassasier des miettes, mais il était dans. le feu et dans les rigoureux tourments; et cette voix se fit entendre à lui : «Vous avez reçu vos biens dans votre vie, et Lazare n'y a eu que du mal». (Luc 16,25)
N'estimons donc pas les richesses comme quelque chose de grand. Elles serviront à nous conduire au supplice, si nous ne sommes pas attentifs sur nous-mêmes; mais, au contraire, si nous le sommes, la pauvreté sera pour nous un accroissement de repos et de délices; car elle efface nos péchés, si nous la souffrons avec actions de grâces, et savons nous procurer un grand crédit auprès de Dieu.
5. Ne cherchons pas à jouir du repos sur la terre, afin que nous en jouissions dans le ciel; combattons courageusement pour la vertu; retranchons tout ce qu'il y a chez nous de superflu et d'inutile; contentons-nous du nécessaire, et répandons nos biens dans le sein des pauvres. Jésus Christ lui-même nous promet le ciel pour récompense, et nous ne lui donnons même pas du pain; sur quoi nous excuserons-nous? Il fait lever son soleil sur vous, il met à votre service toute la création (Mt 5,45); et vous, vous ne lui donnez pas seulement un habit; et vous, vous ne lui donnez pas le moindre logement dans votre maison ? Et que dis-je, son soleil et les créatures ? Il vous a donné son corps et son sang précieux, et vous ne lui donnez même pas un verre d'eau; peut-être cela vous est-il arrivé une fois ? mais ce n'est point là exercer la miséricorde; si, tant que vous avez de quoi donner, vous ne donnez pas, vous n'accomplissez pas tout le devoir de miséricorde. Les vierges, qui avaient des lampes, avaient aussi de l'huile; mais ce qu'elles en avaient n'était pas suffisant. Quand même vous donneriez du vôtre, vous ne devriez pas être si avare, mais comme vous ne donnez que ce qui appartient au Seigneur, pourquoi êtes-vous si tenace?
Voulez-vous que je vous découvre d'où vient une si grande inhumanité ? Ceux qui amassent par avarice sont durs et paresseux à donner l'aumône, celui qui a appris à s'enrichir de la sorte ne sait ce que c'est que la répandre. Comment, en effet, celui qui est prêt aux rapines pourrait-il se résoudre à donner ? Celui qui ravit le bien d'autrui, comment donnerait-il du sien à un autre ? Un chien qui s'est accoutumé à vivre de carnage, ne peut plus garder le troupeau; c'est pourquoi les bergers tuent ces sortes de chiens. Abstenons-nous donc d'une pareille nourriture, si nous ne voulons pas qu'on nous tue de même. Et sachons que c'est vivre de carnage que de faire mourir les autres de faim.
Ne voyez-vous pas, mes frères, que Dieu nous adonné toutes choses en commun ? S'il a permis qu'il y eût des pauvres, il l'a permis pour l'amour des riches, afin qu'ils pussent effacer leurs péchés par l'aumône. Mais vous êtes en cela même cruel et inhumain; d'où il paraît évidemment que, si votre pouvoir était plus grand et plus étendu, vous commettriez une infinité de meurtres, et vous prive. riez tous les hommes de la lumière et de là vie. Voilà pourquoi Dieu a prescrit des bornes à votre cupidité. Que si ce que je vous dis maintenant, vous pique et vous offense, je dois bien plus m'offenser moi-même de voir toutes ces choses. Jusque à quand serez-vous riche, et celui-ci sera-t-il pauvre? Jusqu'au soir: après, tout prendra une nouvelle face, tant la vie est courte. Déjà on est à la porte; tout va arriver, encore une petite heure. A quoi bon ces greniers, cette abondante provision de toutes choses; de quoi vous servira cette foule d'esclaves, de valets, d'officiers ? pourquoi ne vous faites-vous pas plutôt mille témoins de vos aumônes? Votre trésor est muet, et il vous attirera bien des voleurs. Mais le trésor qui est répandu sur les pauvres monte jusqu'à Dieu, il rend la vie douce et agréable, il vous obtiendra la rémission de tous vos péchés, et vous couvrira de gloire devant Dieu, et d'honneur devant les hommes. Pourquoi vous privez-vous donc de si grands biens? en donnant vous vous faites plus de bien à vous-même qu'aux pauvres. Vous leur donnez les biens périssables de cette vie, mais vous vous procurez la gloire future et la confiance. Dieu veuille que nous l'obtenions tous, par la grâce et la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui la gloire et l'empire appartiennent dans tous les siècles ! Amen.