HOMÉLIE 66

UNE GRANDE MULTITUDE DE JUIFS AYANT SU QU'IL ÉTAIT LÀ, Y VINRENT, NON SEULEMENT POUR JÉSUS, MAIS AUSSI POUR VOIR LAZARE, QU'IL AVAIT RESSUSCITÉ D'ENTRE LES MORTS. (VERS. 9-24)

ANALYSE.


1. Les pharisiens ont la pensée de faire mourir Lazare. — Jésus, entrant à Jérusalem monté sur un ânon, réalise une prophétie et préfigure la conversion des gentils. — Ignorance des disciples avant la mort de Jésus Christ.
2. Des gentils venus pour assister à la fêté demandent à voir Jésus. — Cette démarche cache un mystère.
3. Ceux qui ne croient point à la résurrection des corps, sont sans excuse. — Preuves de la résurrection. — Celui qui a tiré toutes choses du néant, peut, à plus forte raison, ressusciter le corps. — La résurrection est nécessaire pour rendre à chacun selon ses mérites. — Pourquoi n'y aurait-il pas une résurrection des corps? — Tout en prouve la nécessité. — Si la résurrection consiste dans la purification de l'âme, dans la rémission des péchés, dans l'impeccabilité, pourquoi Jésus Christ est-il ressuscité? — Ne pas s'exposer au combat avec les hérétiques, si l'on ne s'est bien muni des armes que fournissent les saintes Écritures. — MÏurs et coutumes des philosophes païens : leurs dogmes. — Un philosophe païen a écrit un livre sur la matière contre les chrétiens.

1. Comme les richesses ont coutume de perdre les hommes sans qu'ils y pensent, les dignités de même compromettent leur salut celles-là les rendent avares, celles-ci insolents. Chez les Juifs du moins, vous voyez le peuple obéissant et soumis à la foi, et les sénateurs rebelles et corrompus. Que le peuple crût en Jésus Christ, c'est de quoi les évangélistes rendent témoignage à tout moment : «Plusieurs du peuple», disent-ils, «crurent en lui». Les incrédules étaient des sénateurs. Aussi ce n'est pas le peuple, mais ce sont eux qui disent : «Y a-t-il quelqu'un des sénateurs qui ait cru en lui ?» (Jn 7,48-49) Et que disent-ils encore ? Pour cette populace qui ne connaît point Dieu, ce sont des gens maudits. Ceux qui croient, ils les appellent gens maudits, mais eux, qui veulent faire mourir Jésus Christ, ils se disent prudents et sages. Ici encore, plusieurs du peuple qui avaient vu le miracle de la résurrection de Lazare, crurent en Jésus Christ. Quant aux sénateurs, non-seulement ils ne se contentaient pas des maux qu'ils commettaient tous les jours, mais ils cherchaient aussi à faire mourir Lazare. Qu'à cause des Romains que vous craignez, ô Juifs, vous cherchiez à faire mourir Jésus Christ qui ne gardait pas le sabbat, qui se faisait égal à Dieu, cela se conçoit encore : mais dans Lazare, que trouvez-vous à reprendre, pour vouloir le faire mourir? Quoi! est-ce un crime a lui imputer que d'avoir reçu un bienfait? Ne voyez-vous pas que ces âmes sanguinaires ne respirent que le carnage ? Jésus avait fait beaucoup de prodiges et de miracles, il avait guéri le paralytique, il avait rendu la vue à l'aveugle-né; mais aucun de ces miracles ne les avait tant mis hors d'eux-mêmes, et transportés d'une si grande fureur que cette résurrection. En effet, elle était par sa nature beaucoup plus admirable, et Jésus l'avait opérée après plusieurs autres; disons-le encore : il était bien étonnant de voir parler et marcher un homme mort depuis quatre jours.
En vérité, en un jour solennel commettre des meurtres, répandre le sang humain, n'était-ce, pas là une belle manière de célébrer la fête et d'en remplir les obligations ? De plus, ils accusaient Jésus Christ d'avoir violé le sabbat, et sous ce prétexte ils excitaient le peuple contre lui; mais ici, qu'ont-ils à dire ? Ils ne peuvent objecter aucun crime à Lazare, mais Jésus l'a ressuscité; cela leur suffit pour méditer sa mort. Du moins, dans cette résurrection, ils ne pouvaient pas alléguer que Jésus avait été contraire à son Père, la prière qu'il avait faite les en empêchait. Ils n'ont donc plus ici ce sujet d'accusation qu'ils faisaient tant et si souvent valoir; mais le miracle éclate et fait grand bruit, c'est là une assez forte raison pour qu'ils se portent au meurtre : et ils auraient fait de même à l'égard de l'aveugle, s'ils n'avaient eu à reprendre la violation du sabbat. D'ailleurs, c'était un homme de rien, ils se contentèrent de le chasser du temple : mais Lazare était d'une famille distinguée, comme cela se voit par cette quantité de juifs qui étaient allés consoler ses sÏurs, et le miracle de sa résurrection avait été fait aux yeux de tout le monde et d'une manière étonnante. Voilà pourquoi ils accouraient tous en foule. Ce qui les piquait et les irritait, c'est que la fête étant proche, tous quittassent la ville pour courir à Béthanie. Ils cherchèrent donc à le faire mourir, et ils ne croyaient faire aucun mal, tant ils étaient sanguinaires.
Voilà pourquoi la loi commence par ces paroles : «Vous ne tuerez point (Ex 20), et néanmoins c'est de quoi le prophète les accuse. «Leurs mains», dit-il, «sont pleines de sang». (Is 1,15) Comment donc Jésus, qui ne se montrait plus en public parmi les Juifs (Jn 11,54) et s'était retiré dans le désert, entre-t-il encore dans la ville avec assurance ? Ayant apaisé leur colère par sa fuite, maintenant qu'ils sont tranquilles, il va les trouver. De plus, le peuple qui marchait devant et après lui, pouvait leur inspirer de la crainte : car rien ne l'avait tant touché et plus attiré auprès de Jésus, que la merveilleuse résurrection de Lazare. Enfin un autre évangéliste rapporte «qu'ils étendirent leurs vêtements sous ses pieds (Luc 19,36), et que toute la ville fut émue» (Mt 21,10), de le voir entrer dans Jérusalem avec tant d'éclat et de pompe. Au reste, le Sauveur agissait de la sorte pour prédire une chose et en accomplir une autre et la même action fut le commencement d'une prédiction et la réalisation d'une autre. Ces paroles: «Réjouissez-vous, voici votre roi qui vient à vous plein de douceur» (Is 62,11; Zach 9,9), sont l'accomplissement d'une prophétie; mais le fait d'être monté sur un ânon (Mt 21,5), figurait et prédisait une chose qui devait arriver; savoir, que Jésus Christ se soumettrait les gentils qui étaient une nation immonde.
Mais sur quoi les autres évangélistes rapportent-ils que Jésus avait envoyé ses disciples et leur avait dit : «Déliez l'ânesse et l'ânon» (Mt 21,2; Marc 11,5); lorsque saint Jean ne dit rien de semblable, qu'il dit seulement: «qu'ayant trouvé un ânon, il monta dessus (14) ?» Il est à croire que l'un et l'autre arriva, et que les disciples amenant l'ânesse après l'avoir déliée, Jésus trouva un ânon sur lequel il monta. Ils prirent des branches de palmiers et d'oliviers, et ils étendirent leurs vêtements pour faire voir qu'ils avaient une plus grande et plus haute opinion de lui que d'un prophète. Et ils criaient : «Hosanna !» Salut et gloire ! «Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur (13) !» Faites-vous bien attention que ce qui chagrinait surtout les chefs et les sénateurs, c'était de voir tout le peuple persuadé que Jésus n'était point contraire à Dieu? Et d'autre part, ce qui divisait le plus le peuple, c'était d'entendre dire à Jésus qu'il venait au nom de son Père.
Que signifient ces paroles : «Réjouissez-vous beaucoup, fille de Sion (15) ?» C'est que pour l'ordinaire tous leurs rois étaient méchants et ambitieux, et les livraient à leurs ennemis, ruinaient le peupla et le mettaient sous le joug de la servitude. «Ayez confiance», dit le prophète, celui-ci n'est pas de même, il est doux et débonnaire : vous le voyez bien, puisqu'il monte simplement sur une ânesse. Jésus n'entre point dans Jérusalem accompagné d'une armée, mais simplement monté sur une ânesse. «Ses disciples ne savaient pas que ces choses avaient été écrites de lui (16)». Remarquez-vous que les disciples ont ignoré bien des choses, parce que Jésus Christ ne les leur avait pas encore découvertes? Lorsqu'il dit : «Détruisez ce temple, et je le rétablirai en trois jours» (Jn 2,19), les disciples ne comprirent point alors ce que cela voulait dire. Et un autre évangéliste rapporte que ce discours leur était caché (Luc 18,34), et qu'ils ne comprenaient point que Jésus devait ressusciter d'entre les morts. Mais il était juste que ces choses leur fussent cachées; c'est pourquoi saint Matthieu dit, qu'entendant parler de la passion du Sauveur et de tout ce qui lui devait arriver, ils en étaient Tristes et extrêmement affligés (Mt 17,32); ce qui venait de l'ignorance où ils étaient de sa résurrection. Au reste, c'était avec raison que leur Maître ne leur révélait pas encore ces sublimes vérités, parce qu'elles étaient au-dessus de leur portée et de leur intelligence. Mais l'histoire de cette ânesse, pourquoi leur était-elle cachée ? Parce qu'elle renfermait aussi un grand mystère.
2. Pour vous, mon cher auditeur, admirez cette philosophie, cet esprit de force et de sagesse, que fait paraître ici l'évangéliste, en ne rougissant point d'avouer l'ignorance des disciples. Véritablement ils savaient que toutes ces choses étaient écrites; mais qu'elles étaient écrites de Jésus, ils l'ignoraient. Il nÕy a nul doute que s'ils avaient su qu'étant roi, il devait souffrir tant d'outrages, être trahi et livré à ses ennemis, ils en auraient été choqués et scandalisés : mais alors même ils n'auraient pas aisément compris de quel royaume Jésus était roi. Un évangéliste confesse que les disciples avaient cru que Jésus parlait du royaume de ce monde. (Mt 20,21)
«Or, le peuple rendait témoignage que Jésus avait ressuscité Lazare (17)». Un si grand nombre de Juifs ne seraient pas aussi promptement accourus au-devant de lui, s'il n'avait cru au miracle. «De sorte que les pharisiens leur dirent : voyez-vous que vous ne gagnez rien ? Voilà tout le monde qui court à lui (19)». Il me semble que ce sont ceux qui avaient l'esprit sain et de bons sentiments, et qui n'osaient pas se déclarer publiquement, qui dirent ces paroles, et que, par ce qui se passait, ils réfutaient ceux qui étaient contraires à Jésus, leur faisant voir que c'était en vain et inutilement qu'ils tentaient et s'efforçaient de le décrier. Au reste, ils appellent ici monde cette multitude de peuple qui suivait Jésus. C'est la coutume de l'Ecriture d'appeler monde et les créatures, et ceux qui vivent dans l'iniquité; elle l'entend dans le premier sens lorsqu'elle dit : «Qui fait marcher le monde dans un si grand ordre», (Is 40,26) Et dans le second, quand elle dit : «Le monde ne vous hait point, mais pour moi il me hait». (Jn 6, 7) Il faut savoir exactement ces choses, de peur que les hérétiques, abusant de la signification des noms, ne s'en servent pour soutenir leurs erreurs.
«Or il y eut quelques gentils de ceux qui étaient venus pour adorer au jour de la fête (20)», Ces païens étaient venus à la fête pour se faire prosélytes, et étonnés de la grande réputation de Jésus, disaient: «Nous voudrions bien voir Jésus (21)». Philippe, alors, s'approche d'André, qui marchait devant, et lui apprend ce que demandaient ces gentils; mais il le fait avec beaucoup de circonspection et ne veut rien prendre sur lui, parce qu'il avait entendu dire à son Maître: «N'allez point vers les gentils». (Mt 20,5) Et c'est pour cela que, la chose une fois communiquée à André, André et Philippe en informèrent ensemble Jésus.
Mais que leur répondit-il? «L'heure est venue que le Fils de l'homme doit être glorifié (23). Si le grain de froment ne meurt après qu'on l'a jeté en terre, il demeure seul (24)». Que signifie cela: «L'heure est venue ?» Jésus avait dit à ses disciples : «N'allez point vers les gentils», et il leur avait fait cette défense pour ôter aux Juifs tout sujet d'obstination. Mais, comme ils demeuraient et dans leur obstination et dans leur incrédulité, et qu'au contraire les gentils voulaient venir et s'approcher de lui, le temps, dit Jésus, est enfin venu qu'il faut que je me livre à la mort, puisque toutes choses sont accomplies. Si nous nous arrêtions à attendre toujours ces opiniâtres, et si nous refusions de recevoir ceux-ci, qui demandent de venir à nous, nous ferions une action indigne de notre bonté et de notre providence.
Comme donc Jésus, après sa passion, devait envoyer ses disciples vers les Gentils, les voyant déjà s'approcher eux-mêmes et venir à lui, il dit : Le temps est venu pour moi d'aller à la croix et de me livrer à la mort. Il n'avait pas permis auparavant à ses disciples d'aller vers les gentils, parce qu'il voulait que sa croix leur servît de témoignage. Avant que les Juifs l'eussent repoussé, avant qu'ils l'eussent attaché à la croix, il n'a point dit: «Allez et instruisez tous les peuples» , mais : «N'allez point vers les gentils». (Mt 28,19) Et : «Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues» (Id. 15,24); et: «Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants et de le donner aux chiens «. (Ibid. 26) Les Juifs haïssant donc Jésus, et le haïssant jusqu'à se porter à le faire mourir, il eût été inutile de les attendre plus longtemps, eux qui le repoussaient avec tant d'opiniâtreté lorsqu'il se présentait à eux. En effet, ils le rejetèrent hautement, en disant : «Nous nÕavons point d'autre roi que César». (Jn 19,15) Alors enfin le Sauveur les abandonna, parce qu'ils l'avaient abandonné les premiers. Voilà pourquoi il dit: «Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, et tu ne l'as pas voulu?» (Mt 23,37)
Que signifient ces paroles : «Si le grain de froment ne meurt après qu'on l'a jeté en terre ?» Le Sauveur parle de sa croix, de sa mort. Afin que ses disciples ne se troublassent point, voyant et pensant qu'on avait fait mourir leur Maître, lors même que les gentils venaient à lui, il leur dit: C'est ma mort même qui les attire et les fait plus promptement venir à moi. C'est ma mort qui va répandre ma prédication et mon Évangile. Ensuite, comme il ne les persuadait pas aussi bien par les paroles que par les exemples, il recourt à une image de ce qui se passe dans la nature : Le froment, dit-il, s'il meurt, porte plus de fruit; or, si cela arrive pour les semences, à plus forte raison la même chose arrivera-t-elle pour moi. Mais les disciples ne comprirent pas ces paroles. C'est pourquoi l'évangéliste répète souvent que les disciples n'avaient point compris ce que Jésus avait dit, afin d'excuser leur fuite au temps de la passion. Saint Paul, parlant de la résurrection des corps, produit le même exemple de la mort et de la résurrection des semences.
3. Quelle excuse auront donc ceux qui ne croient point à la résurrection, puisque nous pouvons tous les jours lavoir et la contempler dans les semences, dans les plantes et même dans la propagation de notre espèce ? Il faut premièrement que la semence se corrompe et pourrisse en terre, pour qu'ensuite elle s'élève et produise du fruit. Mais, en général, quand Dieu fait quelque chose, on n'a nullement besoin de la raison humaine, elle doit se taire; et en effet, comment le Seigneur nous a-t-il tirés du néant ? C'est aux chrétiens que je parle maintenant, aux chrétiens qui font profession de croire aux Écritures. Mais je veux bien emprunter au raisonnement humain une autre preuve de la résurrection. Parmi les hommes il y en a de bons, il y en a de méchants; combien de ceux qui sont méchants ont vécu dans la prospérité jusqu'à l'extrême vieillesse; et au contraire, combien de justes ont passé leur vie dans la misère et dans l'affliction ? Quand donc et en quel temps chacun recevra-t-il ce qui lui revient selon son mérite, selon ses Ïuvres ? Cela est bon, dit-on, mais il n'y a point de résurrection des corps. Répondre de la sorte, ce n'est point écouter saint Paul, qui dit : «Il faut que ce corps corruptible soit revêtu de l'incorruptibilité». (I Cor 15,53) L'apôtre ne le dit pas de l'âme, car l'âme ne se corrompt point et ne meurt point, et la résurrection n'est que pour ce qui est mort : or le corps seul meurt et se corrompt.
Pourquoi ne voulez-vous pas qu'il y ait une résurrection des corps ? Est-ce que Dieu n'a pas le pouvoir de les ressusciter ? Mais n'y aurait-il pas une folie extrême à le nier? Mais, direz-vous, cette résurrection ne convient point? Et pourquoi ne convient-il pas que ce corps corruptible, qui a essuyé tant de peines et de travaux, pendant sa vie, qui enfin a souffert la mort, participe un jour aux couronnes et aux récompenses de l'âme ? Si cela n'était pas juste, Dieu ne l'aurait pas créé au commencement, et Jésus Christ n'aurait pas pris une chair. Or, qu'il en ait pris une et qu'il l'ait ressuscitée, ces paroles le prouvent visiblement : «Portez ici vos doigts», dit-il à Thomas, «voyez et considérez qu'un esprit n'a ni chair ni os». (Luc 14,39; Jn 20,27) Pourquoi Jésus a-t-il ressuscité Lazare, s'il était mieux de ressusciter sans corps? Pourquoi opère-t-il cette résurrection comme un miracle et un bienfait ? Pourquoi enfin nous a-t-il donné les moyens de nous nourrir ? (Marc 5,43) Ne vous laissez donc pas séduire par les hérétiques, mes chers enfants; il y a une résurrection, il y a un jugement. Ce sont là des vérités que refusent d'avouer ceux qui ne veulent. point rendre compte de leurs Ïuvres. Il faut que. notre résurrection soit semblable à celle de Jésus Christ (I Cor 15,20), car il est les prémices et le premier-né des morts. (Col 1,18)
Que si la résurrection consiste dans la purification de l'âme, dans la délivrance du péché, Jésus Christ n'ayant point commis de péché, pourquoi est-il ressuscité? Et si lui-même a péché, comment avons-nous été délivrés de la malédiction ? (Gal 3,13) Comment dit-il «Le prince de ce monde va venir, et il n'a rien en moi» (Jn 14,30) qui lui appartienne ? car voilà ce qui marque son impeccabilité. Ainsi donc, selon ces hérétiques, ou Jésus Christ n'a point ressuscité, ou, pour qu'il ait ressuscité, il faut qu'il ait péché avant sa résurrection; mais il a ressuscité et il n'a commis aucun péché; c'est donc une vérité constante que Jésus Christ est ressuscité, et la mauvaise doctrine de ces hérétiques n'est qu'un fruit de leur vanité.
Evitons donc ces hommes empestés, car «les mauvais entretiens gâtent les bonnes mÏurs». (I Cor 15,33) Ce ne sont point là les dogmes des apôtres. Marcion et Valentin, voilà les inventeurs de ces nouveautés impies. Fuyons donc ces erreurs, mes bien-aimés, la bonne vie ne sert de rien sans la bonne doctrine, comme la bonne doctrine est inutile sans la bonne vie. Les gentils ont inventé et semé les premiers ces erreurs; les hérétiques les ayant reçues des philosophes païens, les ont accrues et répandues, soutenant également avec eux que la matière est incréée, et bien d'autres semblables extravagances. Comme donc ayant enseigné que la matière était incréée, ils en ont conclu qu'il n'y avait point de créateur; de même, voyant la mort et la corruption des corps, ils ont dit qu'il n'y avait point de résurrection.
Mais nous, mes frères, nous qui connaissons l'immense et souveraine puissance de Dieu, n'écoutons point leurs rêveries; gardons-nous de leurs entretiens, c'est pour vous que je le dis. Car pour moi je ne refuserai point d'entrer en lice avec eux. Mais un homme nu et sans armes, encore qu'il soit en soi plus fort que ceux qui l'attaquent, sera facilement vaincu et terrassé. Si vous faisiez votre étude et votre méditation des saintes Écritures, si vous vous prépariez tous les jours au combat, je n'aurais garde de vous détourner de combattre contre eux; au contraire, je vous conseillerais de leur livrer bataille, car la vérité est forte et puissante. Mais comme vous ne savez pas vous servir des Écritures, je crains le combat, je crains que, vous trouvant sans armes et sans défense, ils ne vous renversent. Rien, en effet, rien n'est plus faible que ceux qui sont dénués du secours de l'Esprit saint.
Que si ces faux sages affectent de faire paraître au dehors de la sagesse et de la gravité, vous ne devez point vous en étonner, mais plutôt vous devez rire de les voir suivre des docteurs fous et insensés; car leurs docteurs n'ont rien su penser de grand, de raisonnable, ni sur Dieu ni sur la créature; ce que chez nous la moindre femme sait, Pythagore l'a parfaitement ignoré. Mais ces philosophes débitent fastueusement que l'âme est changée en arbrisseau, en poisson, en chair. Ne leur prêtez point l'oreille, je vous prie, et serait-ce raisonnable ? Ils sont ici de grands personnages, ils laissent croître leurs cheveux, les frisent, les ajustent et se parent d'un manteau; voilà en quoi consiste toute leur philosophie. Si vous les regardez de près, ils ne sont que cendre et que poussière, il n'y a rien de sain chez eux, mais «leur gosier est comme un sépulcre ouvert» (Ps 5,11); en eux tout est ordure et corruption, et leurs dogmes, tels qu'un bois pourri, fourmillent de vers. Le premier de leurs philosophes a enseigné que Dieu était l'eau, celui qui est venu après lui a dit que c'était le feu, un autre que c'était l'air, et tous n'ont eu de Dieu que des idées corporelles. N'admirez donc pas, je vous prie, ces docteurs qui n'ont pas pu s'élever à la connaissance d'un Dieu incorporel. Que si dans la suite ils en ont eu quelque connaissance, ils la doivent aux entretiens qu'ils ont eus dans l'Egypte avec les nôtres. Mais, pour ne pas causer ici trop de désordre, finissons ce discours. Si nous voulions bien nous donner la peine de vous exposer leur doctrine, ce qu'ils ont dit de Dieu, de la matière, de l'âme et du corps, vous ne pourriez vous empêcher d'éclater de rire. D'ailleurs ils ne méritent pas qu'on les réfute, car ils se détruisent réciproquement eux-mêmes.
Le philosophe qui a écrit contre nous un livre sur la matière, se réfute lui-même. Ainsi donc, pour ne pas occuper inutilement votre temps, et ne nous pas embarquer dans un discours sales fin, laissons toutes ces choses, et disons qu'il faut s'appliquer à la lecture de l'Ecriture sainte, au lieu de se jeter dans des disputes de paroles dont on ne retire aucun fruit. C'est l'avis que saint Paul donne à Timothée, à ce cher disciple qui était plein de sagesse, et qui avait reçu lé don des miracles. Suivons donc le conseil du grand apôtre, fuyons, rejetons toutes ces fables et ces puérilités (I Tim. 4,20; II Tim 2,23); mettons la main à l'Ïuvre : je veux dire, exerçons-nous aux Ïuvres de charité envers nos frères, à l'hospitalité, et attachons-nous de toutes nos forces à faire l'aumône, afin que nous puissions acquérir les biens que Dieu nous a promis, par la grâce et la bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartient la gloire, dans tous les siècles des siècles. Amen.