HOMÉLIE 61

OR, ON FAISAIT A JÉRUSALEM LA FÊTE DE LA DÉDICACE, ET C'ÉTAIT L'HIVER. — ET JÉSUS SE PROMENANT DANS LE TEMPLE, DANS LA GALERIE, DE SALOMON, LES JUIFS S'ASSEMBLÈRENT AUTOUR DE LUI ET LUI DIRENT : JUSQUES A QUAND NOUS TIENDREZ-VOUS L'ESPRIT EN SUSPENS ? (VERS. 22 JUSQU'A LA FIN DU CHAP. 10)

ANALYSE.


1. Duplicité et incrédulité obstinée des Juifs. Lorsque Jésus Christ les instruit par ses paroles, ils lui demandent des Ïuvres, et lorsqu'il fait des miracles, ils lui demandent des paroles.
2. La puissance du Père et du Fils est la même. — Les Juifs comprennent que Jésus se dit Dieu, et Jésus les laisse, comme toujours, dans cette pensée. — Jésus affirme donc sa divinité. — Saint Chrysostome revient très-souvent à ce raisonnement.
3 et 4. Jésus, repoussé par les Juifs, se retire au lieu où Jean lui avait rendu témoignage. — Dieu, dans l'ancienne Loi, a séparé son peuple de la société des méchants : il l'a mené dans le désert pour le former et l'instruire dans la voie de ses commandements. — Le Seigneur nous exhorte aussi de fuir le bruit et le tumulte du monde, et de faire nos prières en un lieu retiré. L'âme, qui est exempte des soins du siècle, demeure tranquille comme un vaisseau dans le port: - Devoirs des femmes : elles doivent être plus appliquées à la philosophie que les hommes; pourquoi pouvoir d'une femme pieuse et prudente. — La femme est la compagnie de l'homme : elle sait polir l'homme le plus grossier. — L'homme sage et réglé s'attache tendrement à la femme. — Portrait d'une femme chrétienne. — Quels sont les ornements dont elle se doit parer pour plaire à son mari. — Défigurer le corps, parer l'âme. — Contre le luxe des femmes.

1. Sûrement toute vertu est bonne, mais la douceur et la clémence passant avant toutes les autres, ce sont elles qui montrent que nous sommes hommes, et qui nous distinguent des bêtes; elles qui nous égalent aux anges. Voilà pourquoi Jésus Christ nous parle souvent de cette vertu,, et nous recommande d'être doux et débonnaires. Il ne nous y exhorte pas seulement par ses-paroles, mais encore par ses Ïuvres et son exemple; souffrant tantôt des soufflets, tantôt des injures et des complots, puis demeurant et conversant avec ceux mêmes qui le persécutent. En effet, ceux qui l'avaient appelé possédé et samaritain, qui souvent avaient voulu le faire mourir, qui lui avaient jeté des pierres, ceux-là mêmes viennent autour de lui, et lui font cette question : «Etes-vous le Christ ?» Et, après tant d'outrages et d'embûches, Jésus Christ ne les rebute point, il leur répond avec une grande douceur.
Mais le sujet demande que nous reprenions les choses de plus haut. «On faisait à Jérusalem, dit l'évangéliste, la fête de la Dédicace, et c'était l'hiver». La fête que célébraient les Juifs en ce jour était grande et très-solennelle; car ils faisaient avec beaucoup de pompe et d'appareil la fête de la construction du Temple, après leur longue captivité de Perse (saint Chrysostome nomme souvent la Perse pour la Babylonie et l'Assyrie.). Jésus Christ était à cette fête. Aux approches de sa mort, il allait souvent dans la Judée. «Les Juifs s'assemblèrent donc autour de lui, et lui dirent : Jusques à quand nous tiendrez-vous l'esprit en,suspens? Si vous êtes le Christ, dites-le nous clairement». Le Sauveur n'a point dit : Quelle demande me faites-vous ? Vous m'avez souvent appelé possédé, fou, samaritain : vous me croyez contraire à Dieu, et un séducteur, et dernièrement encore vous disiez : «Vous vous rendez témoignage à vous-même, ainsi et votre témoignage n'est point véritable» . (Jn8, 13) Pourquoi m'interrogez-vous donc et voulez-vous apprendre de moi qui je suis, puisque vous rejetez mon témoignage? Jésus ne dit rien de tout cela, quoiqu'il connût bien leur mauvaise intention. Et en effet, à juger d'eux par la manière dont ils s'étaient assemblés autour de lui, et avaient dit : «Jusques à quand nous tiendrez-vous l'esprit en suspens ?» ils semblaient avoir quelque amour pour lui, et on aurait pu croire qu'un sincère désir de connaître la vérité les portait à lui faire cette demande. Mais ces faiseurs de questions étaient de méchants esprits et des fourbes. Comme il ne leur était pas facile de calomnier les Ïuvres de Jésus Christ, ils cherchaient à le surprendre dans ses paroles, ils en détournaient le sens et lui adressaient de fréquentes questions, espérant le réfuter et le confondre par son propre langage; et comme il n'y avait pas moyen de blâmer ses Ïuvres, ils cherchaient l'occasion de le censurer sur ses paroles; c'est pourquoi ils disaient : «Dites-nous».
Mais ce que vous demandez, il l'a souvent déclaré; il a formellement, dit à la Samaritaine: «C'est moi qui vous parle» (Jn 4,26); il a dit à l'aveugle : «Vous l'avez vu; et c'est celui-là même qui vous parle». (Jn 2,37) Il le leur a dit aussi à eux-mêmes, mais en d'autres termes. Et s'ils avaient eu du bon esprit et du sens; s'ils avaient bien voulu examiner la chose, ils auraient reconnu et confessé pour le Christ celui qui; par ses rouvres, leur avait souvent prouvé qu'il l'était. Considérez maintenant leur méchanceté. Quand il prêche et les instruit par ses paroles, ils disent : «Quel miracle faites-vous ?» Et lorsque, par ses Ïuvres et ses miracles, il découvre et manifeste ce qu'il est, ils lui disent : «Si vous êtes le Christ, dites-le-nous clairement». Lorsque les Ïuvres le crient et le publient, ils demandent des paroles, et lorsque les paroles le leur annoncent, ils demandent des Ïuvres; ainsi ils ne sont point d'accord avec eux-mêmes. Mais la suite a bien fait voir, qu'ils ne l'avaient pas interrogé pour s'instruire et connaître la vérité, car ils jettent incontinent des pierres à celui même qu'ils font mine de vouloir croire sur son propre témoignage, si seulement il ouvre la bouche pour se le rendre. C'est donc avec un esprit malin et par une mauvaise intention qu'ils s'assemblent autour de lui et le pressent de se déclarer. La manière aussi dont ils l'interrogent montre une grande animosité : «Dites-nous clairement si vous êtes le Christ». Mais il leur parlait publiquement dans leurs fêtes solennelles où il se trouvait toujours, et il ne disait. rien en secret; c'est pour cela qu'ils lui disent d'une manière flatteuse : «Jusque à quand nous tiendrez-vous l'esprit en suspens?» pour tâcher de tirer quelque chose de sa bouche, qui leur donne lieu de l'accuser.
Ce n'est pas seulement par là qu'on prouve qu'ils l'interrogeaient malicieusement, non pour s'instruire, mais pour le surprendre dans ses paroles, et avoir de quoi le calomnier. On le prouve encore par bien d'autres endroits. Lorsqu'ils lui envoyèrent faire cette question
«Nous est-il libre de payer le tribut à César, ou de ne le pas payer ?» (Mt 22,17) Lorsqu'ils tinrent lui demander s'il était permis à un homme de répudier sa femme (Mt 19,3); et lorsqu'ils l'interrogèrent sur, la femme qu'on disait avoir eu sept maris (Mt 22,25), ils firent assez connaître qu'ils ne lui avaient fait toutes ces questions que par malice, et dans le dessein de le surprendre et non de s'instruire. Mais alors Jésus les reprit, en leur disant : «Hypocrites, pourquoi me tentez-vous ?» (Mt 22,13) Faisant connaître qu'il voyait ce qui se passait dans le secret de leur cÏur. Mais ici il ne leur dit rien de semblable, pour bous apprendre qu'il ne faut -pas toujours faire des reproches à ceux qui nous tendent des piéges, et qu'il faut souffrir bien des choses avec douceur et avec résignation.
Comme donc il y avait de la folie à demander le témoignage de la parole, là où les Ïuvres parlaient d'elles-mêmes, et publiaient hautement ce qu'il était; voici de quelle manière leur répond Jésus Christ, faites-y attention, mon cher auditeur. D'abord, il leur insinue que c'est sans sujet qu'ils lui font cette demande, et non pour s'instruire et connaître la vérité; ensuite il leur montre que par ses Ïuvres il leur a plus clairement déclaré ce qu'il est, qu'il ne le ferait par ses paroles mêmes. Car il dit : «Je vous l'ai souvent dit, et vous ne me croyez pas. Les Ïuvres que je fais au nom de mon Père, rendent témoignage de moi (25)». Jésus leur fait cette réponse, parce que ceux qui parmi eux étaient les plus doux et les plus modérés, se disaient souvent les uns aux autres : «Car un méchant homme ne peut pas faire de tels prodiges» (Jn 9,16); et encore : «Le démon ne peut pas ouvrir les yeux des aveugles». (Jn 10,21) Et derechef : «Personne ne saurait faire de si grands miracles, si Dieu n'est avec lui». (Jn 3,2) Et aussi voyant les miracles qu'il faisait, ils disaient: «Ne serait-ce point le Christ ?» Mais d'autres disaient : «Quand le Christ viendra, fera-t-il plus de miracles que n'en fait celui-ci ?» (Jn 7,31) Au reste, ces mêmes Juifs, qui demandaient le témoignage de la parole, ont voulu croire en lui sur celui de ses Ïuvres, disant: «Quel miracle faites-vous, afin que, le voyant, nous vous croyions ?»
2. Comme ils faisaient donc semblant alors qu'ils croiraient sur sa parole, eux qui n'avaient point cru à tant et de si grandes Ïuvres, Jésus Christ leur reproche leur malice et leur méchanceté, en disant : «Si vous ne croyez pas à mes Ïuvres, comment croirez-vous à mes paroles ?» C'est pourquoi la demande que vous me faites est vaine et inutile. «Mais je vous ai déclaré qui je suis», dit-il, et vous ne me croyez point, parce que vous «n'êtes pas de mes brebis (26)». Le devoir de pasteur, je l'ai entièrement rempli; mais si vous ne me suivez pas, votre refus ne vient point de ce que je ne suis point le pasteur, mais de ce que vous n'êtes pas de mes brebis. Car «mes brebis,», dit-il, «entendent ma voix, et me suivent (27) : et je leur donne la vie éternelle (28)» : et elles ne périront jamais, «et nul ne peut les ravir d'entre mes mains, parce que mon Père, qui me les a données, est plus grand que toutes choses, et personne ne les saurait ravir de la main de mon Père (29). Mon Père et moi, nous sommes une même chose (30)». Remarquez, mes chers frères, cette grande miséricorde de Jésus Christ : en rejetant ces malheureux, il les exhorte pourtant encore à le suivre. «Vous ne m'écoutez pas», leur dit-il, «parce que vous n'êtes pas de mes brebis» : mais celles qui me suivent sont de ma bergerie. Et il leur parlait de la sorte, afin qu'ils tâchassent d'être de ses brebis. Ensuite, après, leur avoir exposé le bien et l'avantage qu'il leur en reviendrait, le Sauveur les excite et les anime, pour leur inspirer le désir de le suivre.
Quoi donc ! dira-t-on, si c'est à cause de la puissance du Père que nul ne ravit les brebis, s'ensuit-il que -vous, vous n'ayez pas le pouvoir ou le talent de les garder? Non, certes, ce n'est point là le sens de ces paroles; Jésus Christ, pour vous apprendre qu'il a dit : «Mon Père qui me les a données», afin que les Juifs ne l'accusassent pas de nouveau d'être contraire à Dieu; Jésus Christ, dis-je, après avoir dit : «Nul ne les ravira de mes mains», continue son discours, faisant connaître et déclarant que sa main et celle de son Père ne sont qu'une seule main. Si cela n'était pas ainsi, il devait dire : Mon Père, qui me les a données, est plus grand que toutes choses, et personne ne peut les ravir d'entre mes mains. Or, il n'a pas dit ainsi, mais : «Et personne ne les saurait ravir de la main de mon Père». Après quoi, de peur que vous ne pensiez qu'il n'a pas la force de garder lui-même les brebis, et que c'est par la puissance de son Père qu'elles sont en sûreté, il a ajouté: «Mon Père et moi, nous sommes une même «chose»; comme s'il disait : Je n'ai pas dit que personne ne les ravirait à cause de la puissance de mon Père, comme si je n'avais pas moi-même la puissance de les garder. «Car mon Père et moi, nous sommes une même chose», c'est-à-dire, ici, quant à la puissance. En effet, c'était là de quoi il parlait alors. Or, si la puissance est la même, il est évident que la substance est la même. En vain les Juifs recourent à tous les moyens, complots, exclusions de la synagogue, Jésus Christ dit que c'est en vain qu'ils ont machiné toutes ces choses; car les brebis sont entre les mains de. son Père, comme dit le prophète: «J'ai représenté sur mes mains, vos murs». (Is 49,16) Et pour montrer qu'il n'y a qu'une seule main, Jésus dit tantôt ma maint tantôt la main de mon Père. Lorsque vous entendez parler de main, ne vous figurez rien de sensible, mais entendez qu'il s'agit de la vertu, de la puissance.
Au reste, si personne n'avait ravi les brebis des, mains de Jésus Christ que parce que le Père lui avait communiqué la puissance de les garder, il aurait été inutile d'ajouter
«Mon Père et moi nous sommes une même chose». Si le Fils était moins grand que le Père, ce serait là une parole vaine et téméraire. Certainement, par ces paroles, Jésus. Christ ne déclare autre chose que l'égalité de puissance: les Juifs l'ayant bien compris, le lapidaient pour cela même qu'il se faisait égal à son Père; et Jésus ne dit rien pour leur ôter cette pensée. Cependant, s'il l'avait faussement imaginé, il aurait dû le leur faire connaître et leur dire : Pourquoi me traitez-vous de la sorte ? Je n'ai point dit cela pour m'attribuer une puissance égale à celle de mon Père. Au contraire, lors même qu'ils sont le plus en fureur et le plus animés contre lui, il confirme ce sentiment et le prouve. Il ne se justifie pas d'avoir mal parlé, ni d'avoir dit une chose fausse; au contraire, il les reprend de ce qu'ils n'ont pas de lui la juste opinion qu'ils en doivent avoir. Car, comme ils disaient : «Ce n'est pas pour aucune bonne Ïuvre que nous vous lapidons, mais à cause de votre blasphème, et parce qu'étant homme, vous vous faites Dieu (33)» ; Jésus leur repartit, écoutez-le bien : «Si l'Ecriture appelle Dieux ceux à qui la parole de Dieu était adressée (35), pourquoi dites-vous que je blasphème, parce, que j'ai dit que je suis Fils de Dieu (36)?» C'est-à-dire, si l'on ne blâme pas de se dire, Dieux, ceux qui, par grâce, ont reçu ce titre, de quel droit et pour quelle raison me faites-vous un crime de me dire Dieu, à moi qui suis Dieu par ma nature? Mais le Sauveur n'a point parlé ainsi, c'est plus tard qu'il établit ce point, après avoir préalablement modéré et atténué sort langage, en disant. «Moi que mon Père a sanctifié et envoyé» c'est après avoir apaisé leur fureur, qu'il en vient à une affirmation expresse : mais en attendant, afin qu'ils écoutassent et crussent ce qu'il disait, il a parlé plus simplement et plus grossièrement; c'est plus tard qu'il élève leur esprit à des idées plus hautes et plus sublimes, en leur disant : «Si je ne fais pas «les Ïuvres de mon Père, ne me croyez pas (31). Mais si je les fais, quand vous ne me voudriez pas croire, croyez à mes Ïuvres (38)». Faites-vous bien attention à la manière dont Jésus Christ prouve, comme j'ai dit, qu'il n'est en rien moins grand que le Père, et qu'il lui est tout à fait égal? Comme on ne pouvait pas voir sa substance, il démontre et manifeste son égalité de puissance par l'égalité et «l'identité» de ses Ïuvres.
3. Mais, je vous prie, que croirons-nous ? «Nous croirons ce que dit Jésus Christ : Je suis dans mon Père, et mon Père est en moi (38)». Car, dit-il, je ne suis rien autre chose, sinon ce qu'est le Père, tout en demeurant Fils; et le Père n'est rien autre chose, sinon ce qu'est le Fils, tout en demeurant Père. Et celui qui me connaît, connaît aussi le Père, et il sait ce qu'est le Fils. Que si la puissance du Fils était moins grande, nous ne connaîtrions par lui le Père que d'une manière trompeuse; car, soit puissance, soit substance, on ne peut pas connaître une chose par une autre. «Les Juifs tâchèrent alors de le prendre, mais il s'échappa de leurs mains (39), et s'en alla au-delà du Jourdain, au lieu même où Jean d'abord avait baptisé (40). Plusieurs vinrent l'y trouver, et ils disaient : Jean n'a fait aucun miracle (41). Et tout ce que Jean a dit de celui-ci s'est trouvé véritable (42)». C'est la coutume de Jésus Christ de se retirer aussitôt après qu'il a dit quelque chose d'élevé et de sublime : cédant à la fureur des Juifs, pour l'apaiser et l'étouffer par son absence. C'est ce qu'il fait encore dans cette occasion.
Mais pourquoi l'évangéliste marque-t-il le lieu où alla Jésus Christ ? C'est afin de vous apprendre qu'il fut en cet endroit pour rappeler aux Juifs là mémoire de ce que Jean avait fait, de ce qu'il avait dit, du témoignage qu'il avait rendu. Ils se souvinrent donc de Jean, aussitôt qu'ils furent arrivés en ce lied; c'est pourquoi ils disent : «Jean n'a fait «aucun miracle». Autrement, de quoi aurait-il servi de rapporter cette circonstance ? C'est donc parce que le lieu les fit souvenir de Jean-Baptiste et de son témoignage, que l'évangéliste la rapporte. Au reste, il est à remarquer que leur raisonnement est juste et très-vrai. Jean, disent-ils, n'a fait aucun miracle : celui-ci en fait, donc en cela même, se montre visiblement là supériorité de celui-ci, et son excellence au-dessus de l'autre. Si donc nous avons cru celui qui ne faisait aucun miracle, à plus forte raison devons-nous croire celui-ci? Ensuite, comme Jean, qui avait rendu témoignage; n'avait point fait de miracles, de peur que pour cela seul on ne le regardât comme indigne de rendre témoignage, ils ajoutent : quoique Jean n'ait point fait de miracles, néanmoins tout ce qu'il a dit de Jésus Christ s'est trouvé véritable. De sorte que ce n'est plus Jésus Christ qui est jugé digne de foi sur le témoignage de Jean; c'est Jean dont les couvres de Jésus Christ établissent la véracité.
«Il y en eut beaucoup qui crurent en lui (42)». Plusieurs choses les attiraient : le souvenir des paroles de Jean-Baptiste, de ce qu'il avait dit de Jésus qu'il était plus grand et plus puissant que lui; qu'il était la lumière, la vie, la vérité, et le reste; comme aussi le souvenir de la voix qui s'était fait entendre du haut du ciel, du Saint Esprit qui s'était montré en forme de colombe, et qui l'avait fait connaître à tous. A quoi il y avait encore à ajouter l'évidente preuve résultant des miracles, laquelle confirmait tout le reste. S'il faut croire Jean, disaient-ils, à plus forte raison faut-il croire Jésus : si nous avons cru à celui-là, sans qu'il ait fait aucun miracle, nous devons à plus forte raison ajouter foi à celui-ci qui a pour lui, outre le témoignage de Jean, la preuve qui résulte des miracles. Ne remarquez-vous pas de quelle utilité leur a été ce lieu, combien il leur a été avantageux de s'être séparé des méchants? Voilà pourquoi Jésus les retire souvent de cette société.
Dans l'ancienne loi, Dieu a de même retiré son peuple de la société dés méchants : il a séparé les Juifs des Egyptiens; il lés a conduits dans le désert pour les former, les instruire de ses lois et de ses préceptes. Il nous exhorte aussi à faire de même, et il nous ordonne de fuir les places publiques, le tumulte et la foule, et à nous enfermer dans notre chambre (MtVI, 6), pour y faire tranquillement nos prières. Un vaisseau, qui n'est point agité de la tempête, fait une heureuse navigation, et l'âme qui est exempte de tous soins vit dans la paix et la tranquillité, comme si déjà elle était arrivée au port. Voilà pourquoi les femmes qui gardent généralement la maison devraient être plus appliquées à la philosophie, à la contemplation des choses célestes que les hommes. Voilà pourquoi Jacob, qui demeurait dans sa maison, loin du tumulte, était un homme plus simple qu'Esaü : car ce n'est pas sans intention que l'Écriture dit de lui, qu'«il demeurait dans la tente de son père». (Gen 25,27)
Mais, direz-vous, il y a aussi dans la maison beaucoup de tumulte. Oui, et la femme, si elle le veut, peut s'y attirer bien des soins et des embarras pour l'homme qui ne quitte guère la place publique et les tribunaux; il est agité de mille préoccupations étrangères, comme un vaisseau en pleine mer, qui est battu des flots et des vents. La femme, au contraire, assise dans sa maison comme dans une école de philosophie, peut recueillir son esprit, s'appliquer et à la prière et à la lecture, et aux autres exercices de la philosophie. Et de même que ceux qui demeurent au désert ne sont troublés par personne, ainsi la femme, qui est toujours enfermée dans sa maison, peut jouir d'un repos continuel. Si quelquefois elle est obligée de sortir et d'aller en ville, elle n'est pas pour cela exposée à des troubles d'esprit : sans doute, soit pour venir à l'église, soit pour aller au bain, il lui est souvent nécessaire de sortir, mais aussi polir l'ordinaire elle est sédentaire et garde la maison. Elle peut s'y 'exercer à l'étude de la sagesse et calmer l'esprit agité de son mari, lorsqu'il revient chez lui; elle peut l'adoucir et dissiper ses inutiles et chagrinantes pensées qui le tourmentent, et le renvoyer ensuite débarrassé des soins et des affaires dont il a fatigué sa tête au dehors, emportant avec lui ce qu'il a appris de bon auprès de sa femme. Rien, en effet, rien sûrement n'a plus de force et de vertu pour régler et conduire l'homme que sa femme, lorsqu'elle est pieuse et prudente, et aussi pour tourner son esprit où elle veut, et comme il lui plaît. Il aura moins de confiance à ses amis, à des docteurs, et même à des princes, qu'aux avis, aux conseils de sa femme. Car l'extrême tendresse qu'un mari a pour sa femme, lui fait toujours recevoir ses exhortations avec plaisir. Je pourrais ici vous produire l'exemple de bien des hommes rudes et indisciplinés, que leurs femmes ont polis et civilisés. La femme est la compagne de l'homme, à table, au lit, dans la procréation des enfants : c'est elle qui est la confidente de ses secrets, de ses démarches, que sais-je encore? attachée en tout 'à son mari, elle lui est aussi unie que l'est le corps à la tête. Elle rendra plus de services à son mari que personne, si elle est honnête et sensée.
4. C'est pourquoi j'exhorte les femmes de s'at. tacher à ce que je viens de dire, et de donner de bons et de salutaires avis à leurs maris; car, si la femme est très-capable d'exciter son mari à la vertu, elle peut de même le porter au vice. C'est une femme qui a perdu Absalon, c'est une femme qui a perdu Ammon; une femme a tâché de perdre Job : c'est la femme de Nabal qui l'a préservé de la mort; une femme a sauvé tout un peuple. Débora, Judith, et plusieurs autres, ont parfaitement bien rempli la fonction de général d'armée. Saint Paul dit : «Que savez-vous, ô femme, si vous ne sauverez point votre mari?» ( I Cor 7,16) Et l'Écriture nous apprend que dans l'heureux siècle des apôtres, les Perside, les Marie, les Priscille (Rom 16) se sont courageusement exposées aux combats apostoliques. Imitez ces saintes femmes : édifiez et instruisez vos maris, non-seulement par vos paroles, mais encore par vos bons exemples. Et comment l'instruirez-vous, votre mari, par vos Ïuvres et vos exemples? Lorsqu'il ne verra en vous ni malice, ni méchanceté, ni curiosité, ni amour pour les ornements et les parures, ni désir, ni goût pour les dépenses superflues, et qu'au contraire vous vous contenterez simplement de ce que vous avez, alors il vous écoutera avec plaisir, il recevra avec joie vus conseils : mais si vous n'êtes sages qu'en paroles, et si vous faites le contraire de ce que vous dites, alors il vous accusera de bavardage. Mais si vos Ïuvres ont d'accord avec vos paroles, si vous instruisez en même temps et par vos paroles et par vos Ïuvres, votre mari vous écoutera alors avec plaisir, et vous cèdera volontiers :,lors, par exemple, que vous ne rechercherez point l'or, les pierres précieuses et la magnificence des habits; et qu'au lieu de cela vous vous ferez un trésor de modestie, de tempérance, de douceur et de bonté : lors donc que vous vous présenterez à votre époux ornée de ces vertus, vous serez en droit de les exiger de même de, lui. Car si une femme doit faire quelque chose pour plaire à son mari, c'est son âme qu'elle doit parer, et son corps qu'elle ne ferait ainsi que défigurer. En effet, l'or et les parures ne volts rendront pas si aimable à votre mari, que la tempérance et la douceur, et. d'être prête à donner votre vie pour lui. Voilà ce qui gagne le cÏur et toute l'affection d'un époux. Les ajustements superflus lui déplaisent : ils demandent des soins, ils causent de la dépense et de la gêne; mais ce que je viens de dire attache le mari à sa femme, parce qu'une volonté droite et bien disposée, l'amitié, l'attachement ne demandent ni soin, ni dépense; ou plutôt, à proprement parler, c'est là de quoi enrichir une maison. Les parures, on s'en dégoûte par l'habitude : mais les ornements de l'âme répandent tous les jours un nouvel éclat, et allument dans le cÏur une flamme plus pure et plus grande.
C'est pourquoi, voulez-vous plaire à votre mari? ornez votre âme de chasteté et de piété, ayez soin du ménage. Ce sont là les choses qui attachent le plus, et qui ne cessent jamais d'attacher : la vieillesse ne détruit pas cet ornement, la maladie ne le ternit point. C'est le contraire pour la beauté du corps : le grand âge la flétrit, la maladie la consume, et bien d'autres choses la ruinent. Mais les biens de l'âme surpassent tous ceux du corps. La beauté du corps excite l'envie et la jalousie : la beauté de l'âme n'est sujette à aucune maladie, ni à la vaine gloire. En vous attachant de la sorte à parer votre âme, et non votre corps, vous conduirez plus aisément votre ménage, et vos revenus seront plus abondants, si l'or;dont vous pourriez charger votre corps et vos membres, vous l'employez à des usages nécessaires, comme à la nourriture de vos esclaves et de vos domestiques, à donner à vos enfants l'éducation que vous leur devez, et à d'autres choses raisonnables.
Que si vous étalez cet or aux yeux de votre mari, tandis que son cÏur est dans la peine, quel fruit, quel avantage en retirerez-vous? Non, la douleur ne permet pas que les regards soient charmés. Vous le savez, mon cher auditeur, sûrement vous le savez : qu'on vienne à rencontrer la femme la mieux ajustée et la plus parée, on n'y saurait trouver du plaisir, si le cÏur est dans l'affliction et dans la tristesse. Pour se réjouir d'une chose, il faut être gai, il faut avoir le cÏur content. Or, si tout l'argent est dépensé à parer le corps de la femme, la gêne régnera dans le ménage, et le mari ne pourra goûter ni joie, ni plaisir. Si vous voulez plaire au vôtre, étudiez-vous à lui donner de la satisfaction, et vous lui en donnerez si vous retranchez la superfluité des parures, si vous rejetez tous les vains ajustements. Ces choses semblent faire quelque plaisir les premiers jours des noces; niais peu de temps après elles deviennent fades et insipides. Et en effet, si le ciel qui est si beau, si le soleil qui est si brillant, que vous n'oseriez lui comparer aucun corps, nous ne les admirons pas autant que nous le devrions par la coutume où nous sommes de les voir, comment pourrions-nous longtemps admirer un corps paré de beaux vêtements? Je dis ceci, parce que 1e désire que vous vous pariez de ces vrais ornements que saint Paul vous prescrit : «Non avec des ornements d'or», dit-il, «ni des perles, ni des habits somptueux; mais avec de bonnes Ïuvres, comme le doivent des femmes qui font profession de piété». (1 Tim 2, 9-10)
Mais vous voulez plaire aux hommes, et vous attirer leurs regards et leurs compliments? Ah ! certes, ce n'est point là le désir d'une femme chaste ! mais encore, si vous voulez, vous vous en ferez aimer par là, et ils seront les panégyristes de votre chasteté. Nul homme sensé, nul homme qui sait sainement juger des choses, n'aimera et ne louera une femme éprise de la parure, mais seulement les débauchés et ceux qui vivent dans la mollesse : ou plutôt ceux-ci même ne la loueront point; au contraire, ils médiront d'elles, tandis que leurs regards céderont à l'attrait du faste impudique étalé sur sa personne. Mais la femme
chaste et modeste, ceux-là, ceux-ci, tous l'estimeront et la loueront, parce qu'elle ne leur est point un sujet de chute et de scandale, et qu'elle leur donne, au contraire, une leçon de sagesse et de piété : les hommes en feront tous de grands éloges, et Dieu lui donnera une grande récompense. Etudions-nous à parer nos âmes de ces précieux ornements, afin que nous vivions ici en paix et en liberté, et que nous acquérions un jour les biens futurs, que je vous souhaite à tous, par la grâce et la bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit la gloire, dans tous les siècles des siècles. Amen.