HOMÉLIE 59

ET ILS LE CHASSÈRENT DEHORS. JÉSUS APPRIT QU'ILS L'AVAIENT AINSI CHASSÉ, ET L'AYANT RENCONTRÉ, IL LUI DIT : CROYEZ-VOUS AU FILS DE DIEU ? — IL LUI RÉPONDIT : QUI EST-IL, SEIGNEUR, AFIN QUE JE CROIE EN LUI ? (9,35-10,13)

ANALYSE.


1. Jésus Christ vient au-devant de l'aveugle-né comme pour le complimenter de sa confession courageuse, il lui accorde une nouvelle grâce.
2. A quelles différentes marques on reconnaît le voleur et le pasteur.
3. Jésus est le vrai Pasteur et le vrai Christ.

1. Nous devons demeurer sous la conduite de Jésus Christ, notre vrai Pasteur; entendre sa voix. — Ce qu'il faut faire pour être sous la garde du Pasteur. — Amour de notre Pasteur : il a donné sa vie pour nous. — Il est tout-puissant, il nous aime, nous nous perdons par notre faute. — Comment on se perd. — Nul ne peut servir Dieu et les richesses. — Leur tyrannie, leur empire est plus cruel qu'aucun autre; c'est le plus dur et le plus horrible de tous les esclavages : description des maux qu'il produit : l'homme qui s'attache aux richesses se dégrade et s'avilit. — Le pauvre est de même condition que nous, il participe à la même naissance spirituelle. — Recommandation de l'aumône.

1. Dieu honore principalement ceux qui, pour la vérité et la confession du nom de Jésus Christ, souffrent quelque mal ou quelque outrage. Car, comme c'est véritablement conserver ses richesses que de les perdre pour Dieu, et aimer sa vie que de la haïr en ce monde (JnXII, 25); c'est de même s'amasser un trésor de gloire que d'être ici accablé d'injures. Tel fut le sort de l'aveugle : les Juifs le chassèrent du temple, et le Seigneur du temple le reçut. Il fut chassé d'une assemblée empestée, et il trouva la source du salut : il fut déshonoré par ceux qui déshonorèrent Jésus Christ, et le Seigneur des anges l'honora : telles sont les récompenses de ceux qui défendent la vérité. Ainsi nous-mêmes, après avoir prodigué ici-bas nos richesses, nous acquérons les biens célestes; si nous avons donné notre fortune aux pauvres qui sont accablés de misères, nous irons nous reposer dans le ciel; si nous sommes accablés d'outrages pour le saint nom de Dieu, nous serons honorés ici et là-haut. Jésus rencontra l'aveugle aussitôt qu'on l'eût chassé du temple. L'évangéliste veut dire que Jésus vint exprès pour aller à sa rencontre. Et considérez la récompense qu'il lui donne : il lui octroie le plus grand de tous les biens, car il se fait connaître à lui, qui ne le connaissait point auparavant, et il l'associe à ses disciples.
Pour vous, mes chers frères, je vous prie de remarquer de quelle manière l'évangéliste fait connaître l'empressement de Jésus Christ et la diligence dont il use; Jésus ayant dit à l'aveugle : «Croyez-vous au Fils de Dieu?» L'aveugle répond : «Seigneur, qui est-il ?» car il ne le connaissait point encore quoiqu'il eût été guéri, parce qu'il était aveugle avant qu'il reçût le bienfait de sa guérison; et qu'après avoir recouvré la vue, il avait été traîné de côté et d'autre par ces furieux. Jésus donc, comme l'Agonothète (. L'Agonothète, titre d'un magistrat qu'on choisissait chez les Grecs pour présider aux jeux sacrés : il en faisait la dépense, il déclarait aussi vainqueurs ceux qui l'avaient mérité, et leur distribuait les prix proposés dans ses jeux. ), reçoit cet athlète qui sort du combat victorieux et triomphant. Et que lui dit-il ? «Croyez-vous au Fils de Dieu ?» Que veut dire cela ? Après avoir si longtemps disputé contre les Juifs, après tant de paroles qu'il a dites pour la défense de la vérité, Jésus lui demande s'il croit; ce n'est pas qu'il l'ignore, mais c'est parce qu'il veut se faire connaître, et montrer combien il estime la foi de cet homme. Un si grand peuple, dit-il, m'a chargé d'injures, je n'en fais point de cas; la seule chose que je désire, c'est que vous croyiez en moi, car un seul homme qui fait la volonté de Dieu, vaut mieux qu'une grande multitude de prévaricateurs. «Croyez-vous au Fils de Dieu ?» Jésus l'interroge comme étant lui-même le Fils de Dieu, lui qui est présent à ses yeux, et il commence par lui inspirer le désir de le connaître. Car il ne lui a point dit : Croyez sur-le-champ; mais il l'a interrogé sur sa créance. Que répond-il donc? «Et qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui ?» Réponse d'un homme qui souhaite et désire ardemment : il ne connaît pas celui pour qui il a tant parlé, et en cela même il vous fait connaître la grandeur de son amour pour la vérité : la faveur ni l'intérêt ne l'avaient point fait parler, puisqu'il n'avait pas encore vu son bienfaiteur.
«Jésus lui dit : Vous l'avez vu, et c'est celui-là même qui parle à vous (37)». Il ne dit point : c'est moi; usant encore de ménagement, il lui répond. «Vous l'avez vu». Ces paroles étaient obscures, c'est pourquoi il en ajoute de plus claires, et il dit : «C'est celui-là même qui parle à vous». L'aveugle répondit : «Je crois, Seigneur : et, se prosternant» aussitôt, «il l'adora (38)». Le Sauveur ne lui dit pas non plus : C'est moi qui vous ai guéri, c'est moi qui vous ai dit : allez vous laver dans la piscine de Siloé; mais passant ces choses sous silence, il lui dit : «Croyez-vous au Fils de Dieu ?» Sur quoi l'aveugle se prosterna incontinent et l'adora avec une grande démonstration d'amour et d'affection ce que firent un petit nombre seulement de ceux qu'il avait guéris, comme les lépreux et quelques autres peut-être. Jésus lui découvrit ensuite sa divine puissance; car, afin qu'on ne crût pas que c'étaient là de simples paroles, il y joignit le témoignage des Ïuvres. Et comme l'aveugle était encore prosterné à ses pieds pour l'adorer, il ajouta : «Je suis venu dans ce monde pour exercer un jugement, afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles (39)». Saint Paul dit la même chose : «Que conclurons-nous donc ? Que les gentils qui ne cherchaient point la justice, ont embrassé la justice, et une justice qui vient de la foi en Jésus Christ; qu'au contraire, les Israélites qui recherchaient la justice de la loi, ne sont point parvenus à cette justice». (Rom 9,30)
Quand Jésus Christ a dit : «Je suis venu dans ce monde pour exercer un jugement», il a affermi l'aveugle dans la foi, et il y a invité ceux qui le suivaient, à savoir : les pharisiens. Et ce mot : «un jugement», signifie un plus grand supplice; par là il montre que ceux qui le condamnaient étaient eux-mêmes condamnés; et que ceux qui l'appelaient un pécheur étaient eux-mêmes réprouvés comme tels. De plus, le Sauveur déclare ici qu'il y a deux sortes de vues à recouvrer, et deux aveuglements: l'un sensible, l'autre spirituel. Alors quelques-uns de ceux qui le suivaient lui dirent : «Sommes-nous donc aveugles (40)?» Et comme, dans une autre occasion, ils avaient dit. «Nous n'avons jamais été esclaves de personne» (Jn 8,33); et: «Nous ne sommes pas des enfants bâtards» (Ibid. 41) : maintenant de même ils n'ont d'yeux et d'oreilles que pour les choses sensibles, et telle est la cécité à laquelle ils rougiraient d'être en proie. Après quoi Jésus Christ, pour leur faire connaître qu'il vaudrait mieux pour eux d'être aveugles que de voir, leur dit : «Si vous étiez et aveugles, vous n'auriez point de péché (41)». Les Juifs regardant donc comme une ignominie le malheur d'être aveugles, Jésus Christ rétorque leur discours contre eux, et leur dit: c'est là ce qui vous rendrait moins coupables, et vous ne seriez pas si sévèrement punis. Ainsi le Sauveur écarte toujours les sentiments humains et charnels, et il élève l'âme en lui inspirant des pensées grandes et admirables. Vous dites donc maintenant que vous voyez. Comme Jésus Christ leur avait dit ailleurs : Vous dites qu'il est votre Dieu; de même il leur dit ici : «Mais maintenant vous dites que vous voyez» ; car dans la vérité vous ne voyez point. Ici Jésus Christ montre aux Juifs que ce qu'ils regardaient comme un très-grand sujet de gloire et de louanges, serait la cause du rigoureux supplice auquel ils seraient condamnés. Il console de sa cécité l'aveugle de naissance. Ensuite il parle de leur aveuglement; car, de peur qu'ils ne disent: si nous ne vous suivons pas, si nous ne vous croyons point, ce n'est pas que nous soyons aveugles, mais c'est parce que nous vous avons en horreur comme un séducteur; il ne les entretient que de ce sujet.
2. Et ce n'est pas sans raison que l'évangéliste a marqué que quelques pharisiens, qui étaient avec Jésus, comprirent ces paroles et lui dirent : «Sommes-nous donc aussi aveugles?» C'est pour vous faire ressouvenir que ce sont les mêmes qui s'étaient auparavant retirés de sa suite, et qui avaient jeté des pierres sur lui. Car quelques-uns le suivaient par manière d'acquit; aussi ils le quittaient et se tournaient facilement contre lui. Par où Jésus Christ prouve-t-il donc qu'il n'est pas un imposteur et un charlatan, mais le pasteur? C'est en opposant les unes aux autres les marques et du pasteur et du charlatan, qu'il leur donne le moyen d'examiner et de connaître la vérité. Et premièrement, il montre ce que c'est qu'un fourbe et un larron, le qualifiant ainsi par les Écritures mêmes.
«En vérité, en vérité, je vous le dis : celui qui n'entre pas par la porte dans la bergerie des brebis, mais qui y monte par un autre endroit, est un voleur et un larron». (Chap 10,1) Observez, mes frères, les marques du larron : premièrement, il n'entre pas de jour, ni publiquement; en second lieu, il n'entre pas par l'autorité des Écritures, car, entrer par les Écritures, c'est entrer par la porte. Au reste, le Sauveur désigne ici les faux prophètes, les faux pasteurs qui l'avaient précédé, et ceux qui devaient le suivre : l'Antichrist, les faux christs, Judas, Théodas (Ac 5,36), et tous les autres de cette espèce; et c'est avec justice qu'il appelle les Écritures la porte. Ce sont elles qui nous mènent à Dieu et nous le font connaître : ce sont elles qui font les brebis : ce sont elles qui les gardent et qui ferment l'entrée aux loups. En effet, les Écritures, comme une porte sûre, empêchent les hérétiques d'entrer, nous garantissent la possession de tout ce que nous tenons à conserver, et nous préservent de toute erreur. Et si nous n'ouvrons pas nous-mêmes cette porte, nos ennemis ne pourront pas facilement nous prendre. Par là nous discernerons et nous connaîtrons ceux qui sont véritablement pasteurs, et ceux qui ne le sont pas. Mais que signifie ce mot : «Dans la bergerie ?» il fait allusion aux brebis et à leur garde. Car, celui qui n'entre pas par la sainte Ecriture, mais qui monte par un autre endroit, c'est-à-dire, celui qui se fraye un chemin différent de celui que les Écritures ont tracé et nous ont ouvert, celui-là, dis-je, est un voleur.
Ne le remarquez-vous pas, mes frères, que Jésus Christ, en invoquant le témoignage des Écritures, montre de cette façon son union avec le Père ? C'est pourquoi il disait aux Juifs : «Lisez avec soin les Écritures» (Jn 5,39); c'est pourquoi il a pris Moïse à témoin, et aussi tous les prophètes. «Tous ceux», dit-il, «qui écoutent les prophètes, viendront à moi». Et : «Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi». (Jn 5,46) Mais ici il dit ces choses métaphoriquement. Et lorsqu'il a dit : «Qui monte par un autre endroit», il a désigné les scribes, qui transgressaient la loi, enseignant les opinions des hommes comme la vraie doctrine et les préceptes du Seigneur. Jésus Christ leur en fait un reproche, en disant : «Nul de vous n'accomplit la loi». (Jn 7,19) Le divin Sauveur a fort bien dit: «Qui monte», et non pas qui entre : ce qui marque l'action d'un voleur qui fait ses efforts pour franchir une cloison et ne cesse pas de s'exposer au péril. Voyez-vous ce portrait du voleur ? A présent, observez ce qui désigne le pasteur. «Celui qui entre par la porte, est le pasteur des brebis (2). C'est à celui-là que le portier ouvre, et les brebis entendent sa voix : il appelle les brebis par leur nom (3). Et lorsqu'il a fait sortir ses propres brebis, il va devant elles (4)». Jésus Christ a fait le portrait et du pasteur et du larron; voyons de quelle sorte il leur applique les paroles qui suivent : «C'est à celui-là», dit-il, «que le portier ouvre». Il continue la métaphore pour donner plus de force et d'énergie à ses paroles. Que si vous voulez examiner en particulier chaque terme de la parabole, rien ne nous empêche d'entendre ici Moïse sous ce nom de portier, car c'est à lui que Dieu a confié ses oracles; c'est sa voix que les brebis entendent, «et c'est lui qui appelle ses propres brebis par leur nom».
En effet, comme les scribes et les pharisiens appelaient souvent Jésus un séducteur, et confirmaient le peuple dans cette opinion par leur incrédulité, disant : «Y a-t-il quelqu'un a des sénateurs qui ait cru en lui?» (Jn 7,48), il leur fait voir, et leur dit qu'il n'est pas un séducteur parce qu'ils le croient tel, mais que c'est eux-mêmes qu'il faut appeler séducteurs et méchants, parce qu'ils ne l'écoutent pas et ne croient point en lui; et aussi que, pour cette raison, ils sont justement chassés de la bergerie. S'il est du pasteur d'entrer par la vraie porte, et si c'est par là que Jésus est entré, tous ceux qui le suivent pourront être des brebis; ceux au contraire qui se sont séparés, n'ont pas pour cela fait tort au pasteur, mais ils s'en sont fait à eux-mêmes en se séparant de la société des brebis. Que si ensuite il se dit lui-même la porte, ne vous troublez pas : il se dit lui-même et le pasteur et la brebis, selon les différentes fonctions qu'il s'attribue. Ainsi quand il nous offre à son Père, il se dit la porte; quand il prend soin de nous, il se dit le pasteur. Et il se dit le pasteur, afin que vous ne croyiez pas que nous offrir à son Père, ce soit là toute son Ïuvre.
«Et les brebis entendent sa voix, et il appelle ses propres brebis, et il va devant elles». Cependant, dans l'usage commun, c'est tout le contraire, les pasteurs suivent les brebis. Mais Jésus Christ, pour montrer qu'il mènera tous les hommes à la vérité, agit contre la coutume des pasteurs; de même que, quand il a fait sortir ses brebis, il ne les a pas éloignées des loups (Mt 10,16), mais il les a envoyées au milieu d'eux le soin pastoral chez le divin pasteur est bien différent de ce qu'il est chez nous; il est autrement admirable.
3. Au reste, il me semble que c'est l'aveugle qui est ici désigné, puisque Jésus l'a appelé lorsqu'il était au milieu des Juifs, et que celui-ci a entendu sa voix et l'a reconnu. «Et elles ne suivent point un étranger, parce qu'elles ne connaissent point la voix des étrangers (5)». En cet endroit Jésus Christ parle de ceux qui ont suivi Théodas ou Judas (Ac 5,36), dont il est écrit que tous ceux qui ont cru en eux, se sont dissipés, ou encore des faux christs qui devaient séduire bien des gens dans la suite. Et de peur que les pharisiens ne disent qu'il était un de ces faux christs, il fait voir qu'il est bien différent d'eux.
La première différence qu'il apporte consiste en ce que sa doctrine provenait des Écritures, et que c'est par là qu'il conduisait ses brebis : or, les autres ne faisaient pas de même. La seconde, c'est l'obéissance de ses brebis. Ses brebis n'ont pas seulement cru en lui, lorsqu'il vivait, mais aussi après sa mort; au lieu que les autres brebis se sont incontinent séparées de leurs pasteurs. Nous pouvons en ajouter une encore, qui n'est pas des moins considérables : c'est que ces faux christs, ces faux prophètes agissant en tyrans, faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour exciter le peuple à la révolte : mais Jésus Christ était si éloigné de cette conduite, qu'il s'enfuit lorsque le peuple voulut le faire roi (Jn 6,15); et que quand on vint lui demander s'il était permis de payer le tribut à César, il répondit qu'il fallait le payer (Mt 22,17), et le paya lui-même. (Ibid. 17,26) De plus, il est venu pour le salut de ses brebis, afin qu'elles aient la vie et qu'elles l'aient abondamment (Jn 10,10); mais les autres leur ont même ôté cette vie présente. Ceux-là ont trahi les brebis qui s'étaient confiées à eux, et ont pris la fuite; mais Jésus Christ est demeuré si ferme, et les a si courageusement défendues, qu'il a donné sa vie pour elles. Ceux-là ont souffert malgré eux et à contre-cÏur; mais Jésus Christ n'a rien souffert que librement et volontairement.
«Jésus leur dit cette parabole : mais ils ne comprirent point ce qu'il disait (6)». Pour. quoi donc leur parlait-il d'une manière obscure ? C'était polir les rendre plus attentifs. Mais aussitôt après il ôte toute obscurité par ces paroles : «Je suis la porte. Si quelqu'un entre par moi, il entrera, il sortira, et il trouvera des pâturages» ; c'est-à-dire il vivra en sûreté et en liberté. Jésus Christ appelle ici pâturages la nourriture des brebis, et la puissance et l'autorité qu'il leur donne c'est-à-dire la brebis demeure dans le bercail, et personne ne pourra l'en faire sortir. Et c'est là aussi ce qui est arrivé aux apôtres, qui entraient et sortaient librement comme maîtres de tout le monde, et personne n'a pu les chasser. «Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des larrons, mais les brebis ne les ont point écoutés (8)». Jésus. Christ ne parle point là des prophètes, comme le prétendent les hérétiques: car les brebis les ont écoutés, et c'est par eux qu'ont cru en Jésus Christ, tous ceux qui ont cru en lui; mais il parle de Théodas, de judas et des autres séditieux. De plus, ces paroles : les brebis ne les ont point écoutés, il les dit à la louange des brebis. Or, jamais il ne loue ceux qui n'ont point écouté les prophètes; au contraire, il les blâme et les reprend fortement : d'où il est évident que c'est de ces séditieux que le Sauveur dit que les brebis ne les ont point écoutés.
«Le voleur ne vient que pour voler, pour égorger et pour perdre (10)». Comme il arriva dans la sédition de Théodas, où tous furent égorgés et massacrés. «Mais pour moi, à je suis venu, afin que» les brebis «aient la «vie, et qu'elles l'aient plus abondamment». Qu'est-ce, je vous prie, qu'une vie plus abondante? C'est le royaume des cieux. Mais il ne le dit pas encore, et il se sert du nom de vie, comme désignant une chose qui leur est connue. «Je suis le bon pasteur (11)». Ici enfin Jésus Christ parle de sa passion, il fait voir qu'il souffrira pour le salut du monde, et qu'il n'ira point à la mort malgré lui.
Après cela le divin Sauveur apporte encore un moyen de reconnaître le pasteur et le mercenaire. «Car le bon pasteur», dit-il, «donne sa vie pour ses brebis. Mais le mercenaire, et celui qui n'est point pasteur et à qui les brebis n'appartiennent pas, voyant venir le loup, abandonne les brebis et s'enfuit : et le loup vient et les ravit (12)». Par ces paroles Jésus Christ montre qu'il est égal à son Père en puissance et en autorité; car il est lui-même le pasteur, à qui les brebis appartiennent. Ne remarquez-vous pas, mon cher auditeur, que dans les paraboles Jésus Christ parle d'une manière plus élevée, parce que le discours y est plus enveloppé et plus obscur, et n'y donne pas manifestement prise aux critiques des auditeurs? «Le mercenaire voit venir le loup et il abandonne les brebis; et le loup vient et les ravit». C'est là ce qu'ont fait les faux christs; mais le vrai Christ a fait tout le contraire; lorsqu'on l'a pris, il a dit : «Laissez aller ceux-ci», afin que cette parole fût accomplie : «Nul d'eux ne s'est perdu». (Jn 17,12) On peut aussi en cet endroit entendre le loup spirituel, à qui Jésus n'a point permis de ravir les brebis. Celui-là n'est pas seulement un loup, mais encore un lion : «Car le démon, notre ennemi, tourne autour de nous comme un lion rugissant». (I Pierre 5,8) Il est le serpent et le dragon: «Foulez aux pieds les serpents et les scorpions». (Luc 10,19)
4. C'est pourquoi je vous conjure; mes chers frères, de demeurer sous la conduite du pasteur. Nous y demeurerons, si nous écoutons sa voix, si nous lui obéissons, si nous ne suivons point un étranger. Et quelle est la voix qu'il fait entendre ? «Bienheureux les pauvres d'esprit : bienheureux ceux qui ont le cÏur pur : bienheureux ceux qui sont miséricordieux». (Marc 5, 3-8) Si nous observons ces choses nous demeurerons sous la garde du pasteur, et le loup ne pourra point trouver d'entrée dans nous : mais quand même il se jeterait sur nous, ce serait à sa confusion et à sa perte. Car nous avons un pasteur qui nous aune si fort, qu'il a donné sa vie pour nous,. Puis donc que notre pasteur est tout-puissant et nous aime, qu'y a-t-il qui puisse nous en pêcher de faire notre salut ? Rien, si nous ne faisons pas nous-mêmes défection. Et en quoi consisterait cette défection ? Ecoutez-le, il vous l'apprend : «Vous ne pouvez servir deux maîtres, Dieu et les richesses». (Mt 6,24) Si donc nous servons Dieu, nous échapperons à la tyrannie des richesses. Rien de plus tyrannique, en effet, que l'amour des richesses : il ne nous laisse aucun plaisir, mais il nous plonge dans les inquiétudes, dans l'envié; il nous fait tomber dans des piéges, il suscite les haines, les calomnies, et mille choses qui sont autant d'obstacles pour la vertu; il nous jette dans l'oisiveté, dans la mollesse, dans l'avarice, dans l'ivrognerie, dans tous ces vices qui changent les hommes libres en esclaves, et lés rendent plus misérables que les esclaves : oui, dis-je, ils les rendent esclaves, non des hommes, mais de la plus terrible de toutes les maladies de l'âme.
Celui qui est atteint de cette maladie n'hésite plus à faire mille choses qui déplaisent à Dieu et aux hommes, et il ne craint rien tant que quelqu'un ne le délivre dé son esclavage. O dure servitude ! ô domination diabolique ! En effet, est-il un état plus affreux et plus misérable ? Nous sommes accablés d'une infinité de maux et nous en avons de la joie; nous sommes dans les fers et nous aimons nos chaînes. Logés dans une obscure prison, nous refusons la lumière qu'on nous présente; loin de là, nous cherchons à accumuler nos maux et nous nous réjouissons de notre maladie. C'est pourquoi, nous ne pouvons point recouvrer la liberté et nous sommes de pire condition que ceux qui sont condamnés aux mines, puisque, accablés de travaux et de misères, nous n'en recueillons aucun fruit, et ce qu'il y a encore de plus terrible, c'est que si quelqu'un veut nous tirer de cette cruelle servitude, nous ne le souffrons pas et même nous nous fâchons et nous nous mettons en colère. Nullement différents des fous, ou plutôt encore bien plus misérables qu'eux, nous ne voulons point guérir de notre folie.
Mais, ô homme, est-ce pour cela que vous êtes venu au monde ? Est-ce pour travailler aux mines et amasser de l'or que Dieu vous a fait homme ? Non, certes, ce n'est point à cette fin que le Seigneur vous a formé à son image, mais c'est afin que vous vous rendiez agréable à sa divine Majesté, afin que vous acquériez les biens futurs, afin qu'un jour vous soyiez associé aux concerts des anges. Pourquoi vous dégradez-vous d'une si haute dignité et vous laissez-vous tomber dans un avilissement si honteux et si infâme? Celui qui est né du même enfantement que vous, je parle de l'enfantement spirituel, se consume de faim, et vous, vous regorgez de toutes sortes de biens. Votre frère marche tout nu dans les rues, et vous, vous entassez habits sur habits comme une pâture préparée pour les vers; ne serait-il pas beaucoup mieux d'en couvrir le corps des pauvres ? De cette sorte, ces habits ne seraient point perdus, vous seriez délivrés de bien des soins, et les pauvres vous procureraient la vie éternelle. Si vous ne voulez pas que vos habits soient dévorés des vers, donnez-les aux pauvres, ils sauront fort bien les secouer et les garantir des vers. Le corps de Jésus Christ est de plus grand prix et plus sûr que toutes vos armoires. Non seulement il conserve les habits, mais encore il les rend plus magnifiques. Pour peu que votre coffre soit emporté avec tous les vêtements que vous y gardiez, c'est pour vous une perte très-considérable. Mais le dépôt dont je parle, la mort même ne peut l'endommager, ni le ravir. Vous n'avez ici nullement besoin ni de portes, ni de serrures, ni de valets qui veillent, ni d'aucune autre précaution. Ce qui est caché dans le ciel est pleinement à couvert de toutes sortes de dangers; nulle injustice ne peut approcher de ce lieu. Nous ne cessons point de vous dire ces choses, vous les écoutez et vous n'en profitez pas. En voici la raison : nous avons l'âme basse, rampante et attachée uniquement aux choses terrestres.
Mais, à Dieu ne plaise que je vous condamne tous également, comme si vous étiez tous malades sans espoir de guérison ! Quand même ceux qui s'enivrent de leurs richesses se boucheraient les oreilles pour ne me point entendre, ceux du moins qui passent leur vie dans la pauvreté pourront m'écouter. Et en quoi, dira-t-on, ce que vous prêchez intéresse-t-il les pauvres, qui n'ont, ni or, ni argent, ni coffres pleins d'habits ? Mais ils ont du pain et de l'eau froide; ils ont deux oboles, des pieds pour aller visiter les malades; ils ont une langue et la parole pour consoler celui qui est dans l'affliction; ils ont une maison et un toit pour recevoir l'étranger. Des pauvres, nous n'exigeons pas tant et tant de talents d'or: c'est aux riches que nous demandons cela. Que si le Seigneur vient à la porte du pauvre, du mendiant, il n'aura point de honte de recevoir même une petite obole (Marc 12,43); au contraire, il dira qu'il a plus reçu de lui que de ceux qui lui ont beaucoup donné.
Combien de gens aujourd'hui voudraient avoir été au monde dans le temps que Jésus. Christ, revêtu de notre chair, allait de côté et d'autre sur la terre, pour avoir part à ses entretiens et manger à sa table. Maintenant, oui maintenant, ce désir, il ne tient qu'à nous de le satisfaire nous pouvons l'inviter à notre table, nous pouvons manger avec lui et, avec plus d'avantage et de profit, car plusieurs de ceux qui ont mangé avec lui se sont perdus comme Judas et ceux de sa sorte. Mais quiconque maintenant l'invitera à entrer dans sa maison pour le loger et le faire manger à sa table, sera comblé de bénédictions. «Venez», dit-il, «venez, vous qui avez été bénis par mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. (Mt 25,34) Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire; j'ai eu besoin de logement et vous m'avez logé; j'ai été malade et vous m'avez visité (35); j'étais en prison et vous m'êtes venu voir (36) ». Afin donc qu'un jour nous nous entendions dire ces paroles, revêtons celui qui est nu, logeons l'étranger, nourrissons celui qui a faim, donnons à boire à celui qui a soif, visitons celui qui est malade, celui qui est en prison. Voilà, mes frères, le plus sûr moyen de paraître avec confiance devant Jésus Christ, d'obtenir la rémission de ses péchés, d'acquérir ces biens qui surpassent toutes nos paroles et toute notre intelligence; veuille le ciel nous les départir à tous, par la grâce et la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui la gloire et l'empire appartiennent, dans tous les siècles des siècles ! Amen.