HOMÉLIE 33

JÉSUS LUI DIT : FEMME, CROYEZ-MOI, LE TEMPS EST VENU QUE VOUS N'ADOREREZ PLUS LE PÈRE, NI SUR CETTE MONTAGNE, NI DANS JÉRUSALEM. — VOUS ADOREZ CE QUE VOUS NE CONNAISSEZ POINT : POUR NOUS, NOUS ADORONS CE QUE NOUS CONNAISSONS : CAR LE SALUT VIENT DES JUIFS. (VERS. 21- 27)

ANALYSE.


1. L'homme a toujours besoin de foi. — La foi est comme le vaisseau. qui nous porte sur la mer de ce monde.
2. De la véritable adoration. — Humilité, abaissement de Jésus Christ de ne pas dédaigner de s'entretenir avec une simple femme. — Respect et vénération de ses disciples. — Rien n'est égal à être aimé de Jésus Christ. — Ce qui a attiré à saint Jean le grand amour du Sauveur : son humilité et sa grande douceur. — Saint Pierre Coryphée, ou chef et prince des apôtres. — L'humilité est le fondement de la vertu. — Vanité des richesses. — Le saint Docteur recommande lÕaumône.

1. Partout, mes chers frères, partout la foi nous est nécessaire, cette foi qui est la source de toutes sortes de biens, la médecine du salut sans laquelle nous ne pouvons comprendre les dogmes ni les grandes vérités de notre religion : sans la foi nous sommes semblables à des gens qui tâchent de passer la mer sans navire; ils nagent un peu de temps avec leurs mains et leurs pieds, mais aussitôt qu'ils se sont avancés, les flots les submergent : de même ceux qui se livrent à leurs. propres raisonnements, font naufrage avant d'avoir rien appris, comme le dit saint Paul : «Ils ont fait naufrage en la foi». (I Tim. 1,19) Pour nous, de peur qu'un pareil malheur ne nous arrive, attachons-nous fortement à cette ancre sacrée dont aujourd'hui Jésus Christ se sert pour attirer à lui la Samaritaine. Elle disait : «Comment, vous autres, dites-vous que c'est dans Jérusalem qu'est le lieu qu'il faut adorer ?» Et Jésus Christ répondit. «Femme, croyez-moi, le temps est venu que vous n'adorerez plus le Père, ni sur cette montagne, ni dans Jérusalem». Il lui révéla une très-grande vérité, qu'il n'a point découverte ni à Nicodème, ni à Nathanaël. La Samaritaine soutient que son culte vaut mieux que celui des Juifs, et s'efforce de le confirmer par l'autorité des anciens. Jésus Christ ne répondit rien à cela. En effet, il eût été inutile alors de faire voir pourquoi les anciens avaient adoré sur la montagne, pourquoi les Juifs adoraient dans Jérusalem. C'est pour cette raison qu'il passe ce point sous silence, et laissant de côté les titres qui pouvaient être produits des deux parts, il élève son âme, montrant que ni les Juifs, ni les Samaritains n'ont rien de grand à donner à l'avenir; et alors il marque la différence qu'il y a entre les deux cultes : d'ailleurs il déclare que les Juifs sont au-dessus des Samaritains, non qu'il préfère un des lieux à l'autre; mais il leur accorde la primauté, pour une seule raison, qui est la suivante : Il ne s'agit pas maintenant, dit-il, de disputer sur la prééminence du lieu : quant à la manière de rendre le culte, certainement les Juifs sont préférables aux Samaritains : Car «vous adorez ce que vous ne connaissez point : pour nous, nous adorons ce que nous connaissons».
Comment donc les Samaritains ne connaissaient-ils point ce qu'ils adoraient ? c'est qu'ils croyaient à un Dieu local et partiel. Telle est donc l'idée qu'ils avaient de Dieu, tel est le culte qu'ils lui rendaient; c'est dans cet esprit qu'ils déclarèrent aux Perses, que le Dieu de ce lieu était en colère contre eux, ne donnant rien de plus à Dieu qu'à une idole. C'est pourquoi ils adoraient également et Dieu et les démons, confondant ainsi ce qui ne peut s'allier ensemble. Mais les Juifs, exempts de cette superstitieuse opinion, éloignés de cette erreur, regardaient celui qu'ils adoraient comme le Dieu de tout l'univers, quoique tous n'eussent pas la même foi et la même créance. Voilà pourquoi Jésus dit : «Vous adorez ce que vous ne connaissez point pour nous, nous adorons ce que nous connaissons». Au reste, ne vous étonnez pas qu'il s'associe aux Juifs : il parle selon l'opinion de cette femme, et comme prophète des Juifs. C'est pour cela qu'il se sert de cette expression : «Nous adorons». Car que Jésus Christ soit adoré, c'est ce que personne n'ignore. En effet, il est de la créature d'adorer, mais il n'appartient qu'au Seigneur des créatures d'être adoré. Néanmoins il parle ici comme juif. Ce mot donc : «Nous», veut dire : nous Juifs.
Jésus Christ relevant ainsi le culte des Juifs, se rend digne de foi; et en écartant tout ce qui peut paraître suspect, en ôtant tout soupçon, en montrant qu'il ne donne pas la préférence aux Juifs par faveur, à cause de l'alliance qu'il a avec eux, il persuade ce qu'il dit. En effet, le jugement qu'il porte sur le lieu, dont les Juifs se glorifiaient le plus, comme d'un avantage incomparable; cette prééminence qu'il leur ôte; tout cela, dis-je, fait bien voir qu'il n'avait point d'égard aux personnes, mais qu'il jugeait suivant la vérité et par cette vertu prophétique qui était en lui. Après donc qu'il a tiré la Samaritaine de son, erreur et de sa fausse créance, en lui disant : «Femme, croyez-moi», et le reste, il ajoute : «Car le salut vient des Juifs», c'est-à-dire, ou parce que c'est de là que sont venus tant de biens au monde (car c'est de là que sont sorties la connaissance de Dieu, la réprobation des idoles, et aussi toutes les autres vérités : votre culte même, quoiqu'il ne soit pas pur, vous le tenez des Juifs) : ou bien c'est son avènement que Jésus Christ appelle le salut; mais plutôt l'on ne se tromperait point, en voyant dans l'une et l'autre chose ce salut que Jésus Christ dit venir des Juifs. Saint Paul l'insinue même par ces paroles : «Desquels est sorti, selon la chair, Jésus Christ même, qui est Dieu au«dessus de tout». (Rom 9,5) Ne remarquez-vous pas l'éloge que fait Jésus Christ de l'Ancien Testament, et comment il déclare : qu'il est la racine et la source de tous biens, et qu'il n'est nullement contraire à la loi? puisqu'il publie que la source de tous les biens sort des Juifs. «Mais le temps vient, et il est déjà venu, que les vrais adorateurs adoreront le Père (23)». Femme, dit-il, dans la manière d'adorer, nous sommes préférables à vous, mais désormais ce culte va finir; il y aura un changement, non-seulement de lieu, mais encore dans la manière de rendre le culte. Et en voici le commencement : Car «le temps vient, et il est déjà venu».
2. Or comme les prophètes ont annoncé les choses futures longtemps avant qu'elles dussent arriver, ici Jésus Christ prend la précaution de dire : «Le temps est déjà venu». Ne croyez pas, dit-il, que cette prédiction ne doive s'accomplir qu'après une longue suite d'années : son accomplissement est présent, le salut est à la porte, et «déjà le temps est venu, que les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité». Quand il a dit : «Les vrais», dès lors il a également exclu et les Juifs et les Samaritains : quoique ceux-là valussent mieux que ceux-ci, ils sont pourtant très-inférieurs aux adorateurs qui leur devaient succéder; ils le sont autant que la figure est au-dessous de la vérité. Par ce nom de «vrais adorateurs», Jésus Christ entend lÕÉglise, qui est elle-même une vraie adoration, et un culte digne de Dieu. «Car ce sont là les adorateurs que le Père cherche». (Jn 4,23) Si donc ce sont là les adorateurs que le Père cherchait, ce n'est point par sa propre volonté qu'autrefois les Juifs l'ont adoré de la manière qu'ils faisaient, mais c'est par condescendance qu'il l'a permis, afin de former et d'introduire dans la suite les vrais adorateurs. Qui sont-ils donc, les vrais adorateurs ? Ce sont ceux qui n'enferment point le culte dans un lieu, et qui adorent Dieu en esprit, comme dit saint Paul Dieu «que je sers par le culte intérieur de mon esprit dans l'Evangile de son Fils» (Rom. I, 9); et encore : «Je vous conjure de lui offrir vos corps», comme «une hostie vivante et agréable à ses yeux», pour lui rendre «un culte raisonnable et spirituel». (Rom 12,1)
Quand Jésus Christ dit: «Dieu est esprit (24)», il ne veut marquer autre chose, sinon qu'il est incorporel; il faut donc que le culte que nous rendons à un Dieu incorporel soit incorporel lui-même, et que nous lui offrions nos adorations par ce qu'il y a dans nous d'incorporel, je veux dire par l'âme et par l'esprit pur. Voilà pourquoi Jésus Christ dit: «Et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité». Comme les Samaritains et les Juifs négligeaient leur âme, et avaient au contraire un grand soin de leur corps, qu'ils purifiaient soigneusement en toutes manières, il leur apprend que ce n'est point par la pureté du corps qu'il faut honorer l'incorporel, mais par ce qu'il y a d'incorporel en nous, c'est-à-dire par l'esprit. N'offrez donc pas à Dieu des brebis et des veaux, mais offrez-vous vous-mêmes à lui en holocauste : c'est là lui offrir une hostie vivante. Il faut adorer en vérité.
Dans l'ancienne loi, toutes choses étaient des figures, savoir, la circoncision, les holocaustes, les sacrifices, l'encens. Dans la nouvelle, il n'en est pas de même : tout est vérité. En effet, ce n'est point la chair qu'on doit circoncire, mais les mauvaises pensées: il faut se crucifier soi-même, et retrancher, immoler les désirs honteux de la concupiscence. Voilà ce qui parut obscur à la Samaritaine : son esprit n'ayant pu atteindre à la sublimité de ces paroles, elle hésite, elle doute, elle dit: «Je sais que le Messie, c'est-à-dire, le CHRIST, doit venir (25)». Jésus lui dit: «C'est moi-même qui vous parle (26)». Comment les Samaritains pouvaient-ils attendre le CHRIST, eux qui ne recevaient que Moïse ? Grâce aux livres mêmes de Moïse. Au commencement de ses livres, Moïse annonce et fait connaître le Fils. En effet, cette parole : «Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance» (Gen 1,26), s'adresse au Fils; c'est le Fils qui parle à Abraham dans sa tente (Gen 18) : Jacob l'annonce prophétiquement en ces termes : «Le sceptre ne sera point ôté de Juda; ni le Prince qui est de sa race, jusqu'à la venue a de celui à qui il est réservé (CÕest-à-dire : «De celui à qui le sceptre est réservé»,), et il est l'attente des nations». (Gen 40,9-10) Moïse aussi lui-même le prédit: «Le Seigneur votre Dieu vous suscitera un Prophète comme moi, d'entre vos frères: c'est lui que vous écouterez». (Deut 18,15) Et encore ce qui est écrit du serpent, de la verge de Moïse, d'Isaac, du bélier, et plusieurs autres choses qu'on peut voir et recueillir dans l'Ancien Testament, prédisaient toutes l'avènement du CHRIST.
Et pourquoi, direz-vous, Jésus Christ ne s'est-il pas servi de ces figures et de ces preuves pour persuader cette femme? Il a cité le serpent à Nicodème, à Nathanaël il a rapporté les prophéties, et à.celle-ci il n'a fait aucune mention de toutes ces choses ? Pourquoi cela, et quelle en est la raison? C'est que ceux-là étaient des hommes versés dans les saintes Écritures, et que celle-ci n'était.qu'une pauvre femme, simple et grossière, sans connaissance de ces Livres saints. Voilà pourquoi, dans l'entretien que Jésus a avec elle, il n'emploie pas ces figures, mais par l'eau, et par la prophétie, il l'attire à lui : c'est par là qu'il rappelle dans sa mémoire le CHRIST, et enfin il se fait connaître. Que si tout d'abord il eût discouru de ces choses avec cette femme, qui ne l'interrogeait pas, elle l'aurait pris pour un homme insensé, qui parlait sans savoir ce qu'il disait mais, en réveillant peu à peu ses souvenirs, il trouve l'occasion de se découvrir à elle fort à propos. Les Juifs s'étaient souvent assemblés autour de lui, pour lui dire: «Jusqu'à quand nous tiendrez-vous l'esprit en suspens ? Si vous êtes le CHRIST, dites-le-nous» (Jn 10,24); sans qu'il leur répondît clairement: mais à cette femme il déclare ouvertement qu'il est le CHRIST, parce qu'elle était dans de meilleures dispositions que les Juifs: les Juifs ne l'interrogeaient pas pour s'instruire, mais toujours ils l'épiaient malignement pour le surprendre. S'ils eussent voulu s'instruire, ils en trouvaient assez le moyen dans sa doctrine, dans ses paroles, ses miracles, et les Écritures. La Samaritaine, au contraire, parlait avec simplicité et sincérité; comme le fait voir la conduite qu'elle tint ensuite. Car elle écouta, elle crut, elle engagea les autres à croire, et en tout on voit son attention, sa fidélité et sa foi. «En même temps a ses disciples arrivèrent (27)». Ils arrivèrent à propos, dans lé temps qu'il fallait, lorsque Jésus Christ l'avait parfaitement instruite. «Et, ils s'étonnaient de ce qu'il parlait avec une femme. Néanmoins nul ne lui dit: Que lui demandez-vous, ou, d'où vient que vous parlez avec elle?
3. De quoi les disciples s'étonnaient-ils? qu'admiraient-ils? Un accès si facile, tant d'humilité dans une si grande et si illustre personne; qu'il ne dédaignât point de parler à une pauvre femme; qu'il se rabaissât jusqu'à s'entretenir avec une samaritaine. Néanmoins, dans leur étonnement, ils ne demandèrent point à Jésus pourquoi il s'arrêtait à parler avec cette femme: tant ils savaient bien garder le rang de disciples; tant était grande et profonde la vénération qu'ils avaient pour leur Maître ! S'ils n'avaient pas encore de lui l'opinion qu'ils devaient avoir, ils le regardaient pourtant, et ils l'honoraient comme un homme admirable. Souvent néanmoins ils ont paru plus hardis. nomme lorsque Jean se reposa sur son sein (Jn 13,23); lorsqu'ils s'approchèrent de lui et lui dirent: «Qui est le plus grand dans le royaume des cieux?» (Mt 28,1); lorsque les enfants de Zébédée demandent d'être assis dans son royaume, l'un à sa droite et l'autre à sa gauche (Mt 20,21). Pourquoi donc ici les disciples ne demandent-ils point à Jésus la raison de cet entretien ? Parce que, quand il s'agissait de leur propre intérêt, alors ils étaient dans la nécessité de demander; mais ici rien ne les regardait. Au reste, ce n'est que longtemps après que Jean se reposa sur le sein de Jésus; c'est lorsque, s'appuyant sur l'amour que Jésus lui portait, cet amour même lui inspira plus de hardiesse et de confiance. Car, parlant de soi, il dit: «C'était là le disciple que Jésus aimait». (JnXIX, 26) Est-il rien d'égal à ce bonheur ?
Mais n'en demeurons point là, mes chers frères, ne nous contentons pas d'exalter cet apôtre et de le nommer bienheureux: faisons nous-mêmes tous nos efforts pour atteindre à la félicité (les bienheureux; imitons l'évangéliste et cherchons à connaître ce qui lui a attiré ce grand amour de Jésus Christ. Quelle en est la cause ? Il a quitté son père, et sa barque, et ses filets, et il a suivi Jésus Christ: mais cela lui était commun avec son frère, et aussi avec Pierre, et avec André, et avec les autres apôtres. Qu'y a-t-il donc eu en lui de si grand, de si excellent pour lui mériter un si grand amour ? Saint Jean n'a rien dit de soi, sinon qu'il était aimé; la raison de cet amour, il l'a cachée par modestie. Qu'il fût extrêmement aimé de Jésus Christ, cela était visible pour tout le monde : cependant nous ne voyons pas qu'il eût des entretiens avec lui, ni qu'il l'interrogeât en particulier, comme souvent le firent Pierre et Philippe, et Judas, et Thomas (Jn 13,24); si ce n'est une seule fois, et encore par amitié pour un de ses confrères dans l'apostolat, qui l'en avait prié. Le CORYPHÉE des apôtres lui ayant fait signe d'adresser une question, il le fit, car ils avaient une vive affection fun pour l'autre. Ainsi l'on rapporte d'eux qu'ils étaient montés ensemble au Temple, qu'ils avaient prêché ensemble (Ac 3,1). D'ailleurs Pierre montre souvent plus d'ardeur e de feu que les autres, et enfin c'est à lui que Jésus Christ dit: « Pierre, m'aimez-vous plus que ne font ceux-ci?» (Jn 21,15) Or, celui qui aimait plus que les autres, était sûrement aimé. Mais à l'égard de l'un on voyait éclater son amour pour Jésus, à l'égard de l'autre, c'était l'amour de Jésus qui paraissait visiblement. Qu'est-ce donc qui a fait aimer Jean d'un amour singulier ? Pour moi, il me semble que c'est son humilité et sa grande douceur : c'est pourquoi on remarque souvent une certaine crainte dans sa conduite.
Moïse nous l'apprend, combien est grande cette vertu de l'humilité: car c'est elle qui l'a rendu si grand. Rien, en effet, ne lui est comparable : voilà pourquoi c'est par elle que Jésus Christ commence les béatitudes (Mt 5,3); voulant jeter le fondement d'un grand édifice, il a placé lÕhumilité la première. En effet, sans elle personne ne peut obtenir la grâce du salut: qu'on jeûne, qu'on prie, qu'on donne l'aumône, si c'est par vanité et par ostentation, tout est abominable; comme au cou. traire avec elle tout est agréable, tout est doux et aimable, tout est paix et sûreté. Conduisons-nous donc humblement, mes chers frères, conduisons-nous humblement: certes il nous sera aisé et facile de pratiquer cette vertu, si nous veillons sur nous-mêmes. O homme, qu'avez-vous enfin qui puisse vous enorgueillir? Ignorez-vous la bassesse de votre nature? Ne savez. vous pas que votre volonté est portée au mal? Pensez à la mort, pensez à la multitude de vos péchés.
Peut-être vos belles actions vous inspirent de hauts sentiments et vous enflent le cÏur ? mais cela même vous en fera perdre tout le fruit. Voilà pourquoi ce n'est point tant le pécheur, que l'homme de bien et de vertu, qui doit s'attacher à l'humilité. Pour quelle raison ? Parce que celui-là, sa conscience l'y force; mais celui-ci, s'il ne veille extrêmement, bientôt un vent impétueux l'emporte, et toute sa vertu s'évanouit, comme celle du pharisien dont parle l'évangéliste (Luc 18,10). Vous faites l'aumône aux pauvres ? ruais ce n'est point de votre bien; c'est de celui qui appartient au Seigneur : c'est de ce qui vous est commun avec vos compagnons. Voilà justement pourquoi vous devez être et plus humbles et plus modestes; prévoyant par les calamités de vos frères celles qui pendent sur vos têtes, et retrouvant en eux votre propre nature.
Peut-être ne sommes-nous pas sortis de parents si misérables? Je le veux; mais si les richesses sont entrées dans nos maisons, sans doute elles nous quitteront bientôt. Et encore, ces richesses, que sont-elles ? Une vaine ombre, une fumée qui s'exhale, la fleur de l'herbe, ou plutôt elles sont plus viles que la fleur de l'herbe. Pourquoi donc vous glorifier d'un peu d'herbe? Les richesses ne viennent-elles pas, et aux voleurs, et aux impudiques, et aux femmes prostituées, et aux profanateurs des sépulcres ? Est-ce donc d'avoir de tels compagnons de richesses que vous vous glorifiez ? Vous êtes avides d'honneur ? Mais rien n'est plus propre à vous attirer de grands honneurs que l'aumône. Ceux que procurent les richesses et les dignités sont accompagnés de haine; mais les honneurs que produit l'aumône sont libres et volontaires; ils partent du cÏur et de la conscience de ceux qui les rendent, qui ne peuvent nous les ravir. Que si les hommes ont tant de vénération et de respect pour ceux qui font l'aumône, et s'ils leur souhaitent toutes sortes de biens et de prospérités, songez à la rétribution, à la récompense que le Dieu des miséricordes leur octroiera. Travaillons donc à les acquérir, ces richesses qui demeurent toujours et que jamais on ne peut perdre, afin que, et en cette vie et en l'autre, nous soyons grands et illustres, et que nous jouissions un jour des biens éternels, parla grâce et la bonté de notre Seigneur Jésus Christ, avec qui gloire soit au Père et au saint Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Amen.