HOMELIE 32
JÉSUS LUI RÉPONDIT : QUICONQUE BOIT DE CETTE EAU, AURA, ENCORE SOIF : AU LIEU QUE CELUI QUI BOIRA DE L'EAU QUE JE LUI DONNERAI, N'AURA JAMAIS SOIF : MAIS L'EAU QUE JE LUI DONNERAI DEVIENDRA DANS LUI UNE FONTAINE D'EAU QUI REJAILLIRA JUSQUE DANS LA VIE ÉTERNELLE, (VERS. 13- 20)
ANALYSE.
1. L'Ecriture appelle le Saint Esprit tantôt un feu, tantôt une eau : termes qui expriment, non la substance, mais l'opération. Suite de l'histoire de la Samaritaine.
2. Docilité de la Samaritaine.
3. Sagesse de Jésus Christ; avec quelle bonté il ménage les moments de notre conversion. L'empressement qu'a la Samaritaine de s'instruire des vérités du salut, est un grand sujet de confusion pour les chrétiens. Le saint-Docteur recommande la lecture et la méditation des saintes Écritures. On se pique plus d'avoir de beaux livres bien conditionnés que d'en faire un bon usage. On en fait parade dans de magnifiques bibliothèques; et c'est tout le fruit qu'on en retire. Livres en lettres d'or : c'est une vanité juive. Le démon n'ose entrer dans la maison où est le livre des Evangiles. La lecture spirituelle sanctifie.
1. L'Ecriture appelle la grâce du Saint Esprit tantôt un feu, tantôt une eau; faisant voir que ces noms marquent, non la substance, mais l'opération. Car le Saint Esprit ne peut être composé de différentes substances, puisqu'il est indivisible, et d'une seule nature. Jean-Baptiste désigne l'une de ces choses quand il dit : «C'est celui qui vous «baptisera dans le saint Esprit et dans le «feu». (Mt 3,11) L'autre est désignée par Jésus Christ lui-même : «Il sortira», dit-il, «des fleuves d'eau vive de son cÏur. Ce qu'il entendait de l'Esprit que devaient recevoir «ceux qui croiraient en lui». (Jn 7,38) C'est pourquoi, dans l'entretien qu'il a avec la Samaritaine, il appelle eau le saint Esprit : «Celui», dit-il, «qui boira de l'eau que je lui donnerai, n'aura jamais soif». L'Ecriture appelle ainsi l'Esprit saint un full, pour montrer la force et l'ardeur de la grâce, et la destruction des péchés; elle l'appelle une eau, pour marquer qu'elle purifie et rafraîchit l'âme de ceux qui la reçoivent. Et c'est avec raison : car tel est un jardin planté d'arbres chargés de fruits, et toujours verts, telle est une âme vigilante et soigneuse qu'embellit la grâce de l'Esprit saint. Elle ne permet pas, cette grâce, que la tristesse et la douleur, ni les ruses et les artifices de Satan lui portent la moindre atteinte, elle qui repousse facilement les traits enflammés de l'esprit malin.
Pour vous, mon cher auditeur, considérez, je vous prie, la sagesse de Jésus Christ, et avec quelle douceur il encourage cette femme et élève son cÏur. Car il ne lui a point dit au commencement: «Si vous saviez qui est celui qui vous a dit : Donnez-moi à boire»; ce n'est qu'après lui avoir donné lieu de le regarder comme juif et de l'accuser à ce titre que, pour se justifier, il lui parle ainsi; mais aussi par ces paroles : «Si vous saviez qui est celui qui vous a dit: Donnez-moi à boire, vous lui en auriez peut-être demandé vous-même», et par ses grandes promesses qui la portèrent à rappeler la mémoire du patriarche, il ouvrit les yeux de son esprit. Ensuite, à sa réplique : «Etes-vous plus grand que notre père Jacob ?» il ne répondit pas : Oui, je le suis. Il aurait paru le dire par ostentation, faute de preuve suffisante. Toutefois, par ce qu'il dit il l'y prépare. Car il ne dit pas simplement : Je vous donnerai de l'eau; mais ayant gardé le silence sur Jacob, il releva ce qu'il était, faisant connaître, par la nature du don et par la différence des biens qu'il apportait; la différence des personnes, et sa prééminence, sa supériorité sur le patriarche. Si vous admirez, dit-il, que Jacob vous ait donné cette eau, que direz-vous si je vous en donne de beaucoup meilleure ? Déjà vous avez presque reconnu que je suis plus grand que Jacob, lorsque vous m'avez demandé : Etes-vous plus grand. que notre père Jacob, pour promettre une eau meilleure ? Si je vous la donne, cette eau, vous conviendrez donc alors que je suis plus grand que lui ? Voyez-vous l'équité de cette femme, qui sans faire acception de personnes, juge par les Ïuvres mêmes et du patriarche et de Jésus Christ ?
Mais les Juifs n'ont pas fait de même : ils ont vu Jésus Christ chasser les démons, et ils l'ont appelé démoniaque; bien loin de le dire plus grand que le patriarche. La Samaritaine au contraire juge par où Jésus Christ voulait qu'elle jugeât, à savoir, par cette évidence qui vient des Ïuvres : car c'est là sur quoi il juge lui-même, en disant : «Si je ne fais pas les Ïuvres de mou Père, ne me croyez pas mais si je les fais, quand vous ne me voudriez pas croire, croyez à mes Ïuvres». (Jn 10,37) C'est aussi par là qu'il persuade cette femme et, l'amène à la foi. Elle a dit : «Etes-vous plus grand que notre père Jacob ?» Jésus Christ laisse Jacob, mais il parle de l'eau et dit : «Quiconque boit de cette eau, aura encore soif». Et sans s'arrêter à dépriser l'eau du patriarche, il passe tout à coup à l'excellence et à la supériorité de la sienne propre; il ne dit point : cette eau n'est rien ou peu de chose, il se borne à produire le témoignage qui résulte de sa nature même : «Quiconque boira de cette eau aura encore soif: au lieu que celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura jamais soif» : Cette femme avait déjà entendu parler d'une eau vive, mais elle n'avait pas compris quelle était cette eau : comme on appelle eau vive celle qui coule continuellement de source et ne tarit jamais, elle croyait que c'était celle-là qu'il fallait entendre. C'est pourquoi Jésus Christ, dans la suite, lui fait plus clairement connaître l'eau dont il s'agit, et lui en montrant l'excellence par la comparaison qu'il en fait avec l'autre, il continue ainsi : «Celui qui boit de l'eau que je lui donnerai, n'aura jamais soif», lui montrant par là, comme j'ai dit, son excellence, et encore par ce qui suit : en effet, l'eau matérielle n'a aucune des qualités qu'il attribue à la sienne. Qu'est-ce donc qui vient ensuite? «L'eau que je donnerai deviendra dans lui une fontaine d'eau qui rejaillira jusque dans la vie éternelle». Car de même que l'homme qui a chez lui une fontaine, n'aura jamais soif, il en est de même de celui qui aura cette eau.
Cette femme crut aussitôt, en quoi elle se montra beaucoup plus sage que Nicodème, et non-seulement plus sage, mais aussi plus forte. Nicodème, en effet, ayant ouï une foule de semblables choses, ne fut appeler ni inviter personne, il ne crut même pas et n'eut point confiance : la Samaritaine, au contraire, annonçant à tout le monde ce qu'elle a appris, fait la fonction d'apôtre. Nicodème, à ce qu'a dit Jésus Christ, réplique : «Comment cela se peut-il faire ?» (Jn 3,9) Et Jésus ayant apporté un exemple clair et sensible, l'exemple du vent, il ne crut pas encore : mais la Samaritaine se conduit bien autrement: elle doutait au commencement; ensuite, sur un simple énoncé sans preuves, elle se rend et croit aussitôt. Car après que Jésus eut dit: «L'eau que je lui donnerai deviendra dans lui une fontaine d'eau qui rejaillira jusque dans la vie éternelle» ; elle réplique sur-le-champ : «Donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus ici pour en tirer (15)».
2. Ne voyez-vous pas, mes frères, comment insensiblement Jésus Christ l'élève à la plus haute doctrine et à la perfection de la foi? D'abord elle le regardait comme un juif schismatique et violateur de la loi: ensuite, lorsque Jésus eut éloigné cette accusation (car il ne convenait pas que celui qui devait l'instruire fût suspect), ayant entendu parler d'une eau vive, elle pensa que c'était de l'eau naturelle et sensible qu'il parlait; comprenant enfin que l'eau qu'il promettait était spirituelle, elle crut que ce breuvage avait la vertu de désaltérer, et toutefois elle ne savait pas ce que c'était que cette eau; mais elle doutait encore : comprenant déjà qu'il s'agissait d'une chose dépassant la portée des sens, mais n'en ayant pas encore une entière connaissance. Enfin elle voit plus clair, et néanmoins elle ne comprend pas tout, puisqu'elle dit : «Donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus en tirer». Ainsi déjà elle préférait Jésus à Jacob. Non, je n'ai pas besoin de cette fontaine, disait-elle en elle-même, si vous me donnez l'eau que vous me faites espérer : en quoi vous voyez bien qu'elle le,préfère au patriarche. Voilà la marque d'un bon esprit. Elle a fait paraître qu'elle avait une grande opinion de Jacob : elle vit un homme plus grand que Jacob, son premier sentiment ne fut pas capable de l'arrêter. Cette femme ne crut donc pas facilement, et elle ne reçut pas inconsidérément ce qu'on lui disait, puisqu'elle chercha avec tant de soin à s'éclaircir et à découvrir la vérité, mais aussi elle ne fut ni indocile, ni opiniâtre : sa demande le fait bien voir.
Au reste, quand Jésus Christ a dit aux Juifs a Celui qui mangera de ma chair, n'aura «point de faim : et celui qui croit en moi, n'aura jamais soif» (Jn 6,35); non seulement ils ne l'ont point cru, mais encore ils s'en sont choqués et scandalisés. Cette femme, au contraire, attend et demande; le Sauveur disait aux Juifs: «Celui qui croit en moi n'aura jamais soif» ; mais à la Samaritaine il ne parle pas de même, il se sert d'une expression plus basse et plus grossière : «Celui qui boira de cette eau n'aura jamais soif». Comme cette promesse tombait uniquement sur des choses spirituelles, et non pas sur des choses charnelles et sensibles, Jésus Christ, élevant l'esprit de la Samaritaine par des promesses, continue à lui proposer des choses sensibles, parce qu'elle ne pouvait pas comprendre encore ce qui était purement spirituel. S'il eût dit : Si vous croyez en moi, vous n'aurez jamais soif; ne sachant pas qui était celui qui lui parlait, ni de quelle soif il s'agissait, elle ne l'aurait pas compris. Mais pourquoi n'a-t-il pas parlé de même aux Juifs ? parce qu'ils avaient vu beaucoup de miracles, tandis que cette femme n'en avait vu aucun, et que c'était la première fois qu'elle entendait la parole. Voilà pourquoi il va désormais lui révéler prophétiquement sa vertu et sa puissance. Voilà aussi pourquoi il ne la reprend pas d'abord de ses dérèglements. Mais que lui dit-il ? «Allez, appelez votre mari et venez ici (16)». Cette femme lui répondit : «Je n'ai point de mari». Jésus lui dit : «Vous avez raison de dire que vous n'avez point de mari (17). Car vous avez eu cinq maris, et maintenant «celui que vous avez n'est pas votre mari vous avez dit vrai en cela (18)». Cette femme lui dit : «Seigneur, je vois bien que vous êtes prophète (19)».
Ah ! quelle philosophie dans une femme ! avec quelle douceur ne reçoit-elle pas la réprimande ! Et pourquoi, direz-vous, ne l'aurait-elle pas reçue ? Jésus Christ n'a-t-il pas souvent repris les Juifs avec plus de force et de sévérité ? car il y a bien plus de vertu et de puissance à pénétrer dans ce qu'il y a de plus caché dans le cÏur, qu'à découvrir une action secrète qui s'est passée au dehors. L'une de ces choses n'appartient qu'à Dieu seul et à celui qui a conçu la pensée dans son esprit; l'autre est possible à quiconque vit avec nous. Cependant les Juifs s'irritent des réprimandes et des reproches que leur fait Jésus Christ. Quand il leur dit.: «Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir ?» (Jn 7,20), non-seulement ils n'en sont pas surpris, comme cette femme, mais ils le chargent d'injures et d'outrages, bien qu'ils eussent devant leurs yeux des preuves et des exemples de beaucoup d'autres miracles, et que la Samaritaine n'eût entendu que cette seule parole. Et non-seulement, dis-je, ils n'ont point été étonnés, mais ils l'ont chargé d'outrages, lui disant: «Vous êtes possédé du démon. Qui est-ce qui cherche à vous faire mourir ?» (Ibid) Celle-ci, au contraire, non-seulement elle n'injurie, elle n'outrage point, mais elle est dans l'étonnement et dans l'admiration; elle honore Jésus Christ comme un prophète; quoiqu'il la réprimande plus sévèrement qu'il n'a repris les Juifs. Car enfin, son péché lui était particulier à elle seule, elle seule en était coupable; au lieu que celui des Juifs était public, et commun à tous. Or nous avons, coutume de n'être pas si humiliés des. péchés qui nous sont communs avec bien d'autres, que de ceux qui nous sont propres et particuliers. Et véritablement les Juifs croyaient faire quelque chose de grand en faisant mourir Jésus Christ; mais l'action de cette femme, généralement tout le monde la regardait comme mauvaise. Néanmoins, elle ne se fâcha point, elle ne s'emporta point; au contraire, elle fut dans l'étonnement et dans l'admiration.
Jésus Christ se conduisit de la même manière à l'égard de Nathanaël. D'abord il ne prophétisa pas, il ne dit pas : «Je vous ai vu «sous le figuier» (Jn 1,48); mais il ne lui fit cette réponse, qu'après qu'il eût dit. «D'où me connaissez-vous ?» Il voulait que ceux
qui venaient le trouver, donnassent eux-mêmes occasion aux miracles et aux prophéties, afin de se les attacher davantage et d'échapper à tout soupçon de vaine gloire. La conduite qu'il tient envers la Samaritaine est tout à fait pareille. Il jugeait qu'il lui serait désagréable, et même inutile, d'entendre au premier abord ce reproche : «Vous n'avez point de mari» mais le placer après qu'elle en avait donné l'occasion, c'était alors le faire à propos et d'une manière convenable; par là, il la rend et plus docile et plus attentive. Et à propos de quoi, demandez-vous, Jésus Christ lui dit-il : «Appelez votre mari ?» Il s'agissait d'une grâce et d'un don qui surpasse la nature humaine : cette femme le lui demandait avec instance. Jésus a dit : «Appelez votre mari», pour lui faire entendre que son mari y devait aussi participer. Elle cache son déshonneur par le désir qu'elle a de recevoir ce don, et croyant parler à un homme, elle répond : «Je n'ai point de mari». La voilà l'occasion, elle est belle, Jésus Christ la saisit et lui parle, sur les deux points, avec une grande précision : car il énumère tous les maris qu'elle a eus auparavant, et déclare celui qu'elle cachait. Que fit-elle donc ? Elle ne s'en offensa point, elle ne s'éloigna point pour aller se cacher; elle ne prit pas le reproche en mauvaise part, au contraire elle en fut dans une plus grande admiration, et n'en devint que plus ferme et plus persévérante; elle dit : «Je vois bien que vous êtes un prophète». Au reste, faites attention à sa prudence : elle ne court pas aussitôt à la ville, mais elle s'arrête encore à réfléchir sur ce qu'elle vient d'entendre, et elle en est toute surprise. Car ce mot : «Je vois», veut dire Vous me paraissez un prophète. Puis, une fois qu'elle a conçu ce soupçon, elle ne propose à Jésus Christ aucune question sur les choses terrestres, ni sur la santé du corps, ni sur les biens de ce monde, ni sur les richesses; mais promptement elle l'interroge sur la doctrine, sur la religion. Et que dit-elle ? «Nos pères ont adoré sur cette montagne», parlant d'Abraham, parce que les Samaritains disaient qu'il y avait amené son fils. «Et vous autres, comment pouvez-vous dire que c'est dans Jérusalem qu'est le lieu où il faut adorer? (20)»
3. Ne voyez-vous pas, mes frères, combien l'esprit de cette femme s'est élevé ? Auparavant elle ne pensait qu'à apaiser sa soif, elle ne pense plus maintenant qu'à s'instruire. Que fait donc Jésus Christ ? Il ne résout pas la question proposée; car il ne s'attachait pas à répondre exactement à tout, t'eût été une chose inutile. Mais il élève toujours de plus en plus son esprit, et il ne commence à entrer en matière qu'après qu'elle l'a reconnu pour prophète, afin qu'elle ajoute plus de foi à ses paroles. En effet, regardant Jésus Christ comme un prophète, elle ne doutera point de ce qu'il lui dira.
Quelle honte, quelle confusion pour nous, mon cher auditeur ! cette femme, qui avait eu cinq maris, cette samaritaine, a un si grand désir de s'instruire et de connaître la vraie religion, que ni l'heure, ni aucune affaire ne peuvent la distraire. ni la détourner de cette occupation. Et nous, non-seulement nous ne faisons point de questions sur des dogmes, mais nous sommes en tout lâches et paresseux. Aussi tout est négligé.
Qui de vous, je vous prie, lorsqu'il est dans sa maison, prend entre ses mains le livre chrétien, en examine les paroles, les lit et les médite avec soin ? Personne; mais chez plusieurs, nous trouverons des osselets et des dés; des livres chez personne ou chez un bien petit nombre. Encore ceux-ci n'en font-ils pas plus d'usage que ceux qui n'en ont point : ils les gardent précieusement dans leurs cabinets, bien roulés, ou serrés dans des coffrets, et ne sont curieux que de la finesse du parchemin ou de la beauté du caractère; car de les lire, c'est de quoi ils ne se mettent nullement en peine. En effet, s'ils achètent des livres, ce n'est pas pour les lire et en profiter, mais pour faire orgueilleusement parade de leurs richesses. Tant est grand le faste que produit la vaine gloire ! Je n'entends pas dire que personne tire vanité de bien comprendre ce que contiennent ses livres, mais plutôt, on se glorifie et on se vante d'avoir des livres écrits en lettres d'or. Et quel avantage, je vous prie, en revient-il ? Les saintes Écritures ne nous ont pas été données pour que nous les laissions dans les livres, mais afin que, par la lecture et la méditation, nous les gravions dans nos cÏurs. Certes, il y a une ostentation juive à garder ainsi les livres, à se contenter d'avoir les préceptes écrits sur beau parchemin; mais sûrement la loi ne nous a pas ainsi été donnée au commencement : elle a été écrite sur des tablettes de chair qui sont nos cÏurs. (2 Cor 3,3) Au reste, je ne dis pas ceci pour vous détourner d'acheter des livres; au contraire, je vous en loue, et je souhaite que vous en ayez; mais je voudrais que vous en eussiez assez présents dans votre esprit, et le texte et le sens, pour en être purifiés. Car si le diable n'est pas assez hardi pour entrer dans une maison où l'on garde le livre des saints évangiles, le démon ou le péché oseront beaucoup moins approcher d'une âme instruite et remplie de ces divins oracles.
Sanctifiez donc votre âme, sanctifiez votre corps :ayez les paroles de l'Ecriture continuellement à la bouche et dans le cÏur. Si les paroles déshonnêtes souillent et appellent les démons, certes, il est visible que la lecture spirituelle sanctifie et attire la grâce spirituelle. Les Écritures sont comme des enchantements divins : chantons-les donc en nous-mêmes, et appliquons ces remèdes aux maladies de notre âme. Si nous comprenions bien ce qu'on nous lit, nous l'écouterions avec beaucoup de soin et d'attention. Toujours je vous le dis et je ne cesserai point de vous le dire. N'est-il pas honteux que; pendant qu'on voit sur la place publique des gens rapporter avec une étonnante mémoire les noms des cochers et des danseurs, leur extraction, leur patrie, leurs talents et même les bonnes et les mauvaises qualités des chevaux; ceux qui s'assemblent dans ce temple ne sachent rien de ce qui s'y dit et de ce qui s'y fait, et ignorent même le nombre des livres de la sainte Ecriture? Si c'est le plaisir que vous y trouvez qui vous engage à apprendre les choses que j'ai dites, je vous ferai voir qu'on en goûte ici un plus grand. Car lequel, je vous prie, est le plus réjouissant, lequel est le plus admirable, ou de voir un homme lutter contre un homme, ou de voir un homme combattre contre le diable, et un corps disputer la victoire à une puissance incorporelle, et la remporter? Contemplons ces sortes de combats, ces combats, dis-je, qu'il est beau et utile d'imiter, et dont l'imitation nous procure une couronne; mais fuyons ces combats qui rendent infâmes ceux qui s'y exercent; vous la verrez, cette lutte contre les démons : vous la verrez avec les anges et le Seigneur des anges, si vous daignez y porter vos regards.
Dites-moi, mon cher auditeur, si les rois et les princes vous faisaient asseoir auprès d'eux pour vous faire mieux jouir du spectacle, ne regarderiez-vous pas cela comme un très-grand honneur ? Ici donc, où l'on voit, avec le Roi des anges, le diable lié et garrotté, se débattre et s'efforcer vainement de rompre ses liens, pourquoi n'accourez-vous pas à ce spectacle ? «Vous vaincrez, vous lierez le diable», si vous avez entre vos mains le livre dé l'Ecriture. Palestres, courses, côtés faibles de l'ennemi, artifices du juste, ce livre vous enseignera tout cela. Si vous savez contempler ces spectacles, vous apprendrez vous-mêmes l'art de combattre, et vous vaincrez, et vous terrasserez les démons. Au reste, ces autres spectacles que vous fréquentez, sont des fêtes et des assemblées de démons, et non des théâtres à l'usage des hommes. S'il n'est pas permis d'entrer dans le temple des idoles, il l'est encore moins d'assister aux assemblées de Satan. Voilà ce que je ne cesserai point de redire, au risque de vous importuner, jusqu'à ce que je voie du changement en vous. Car «il ne m'est pas pénible», dit l'Apôtre, «et il et vous est avantageux que je vous prêche les mêmes choses». (Phil 3,1) Ne trouvez donc pas mauvais que je vous aie fait cette réprimande; et certes, si quelqu'un devrait s'en chagriner et se fâcher, ce serait bien plutôt moi, qui ne suis point écouté, que vous qui m'entendez toujours et ne faites rien de ce que je dis; mais à Dieu ne plaise que je sois toujours obligé de vous faire des reproches ! Fasse le ciel que, vous étant délivrés de ce vice honteux, vous noyiez jugés clignes d'assister au spectacle céleste, et de jouir de la gloire future que je vous souhaite, par la grâce et la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, avec lequel gloire soit au Père et au saint Esprit, dans les siècles des siècles ! Amen.