HOMÉLIE 29

APRÈS CELA JÉSUS ÉTANT VENU EN JUDÉE, SUIVI DE SES DISCIPLES, IL Y DEMEURAIT AVEC EUX, ET Y BAPTISAIT. (VERS. 22-30)

ANALYSE


1. Rien n'est plus grand que la vérité, rien n'est plus bas que le mensonge. — Pourquoi Jésus Christ ne baptisait pas, mais seulement ses disciples.
2. Les disciples de Jean portaient envie à ceux de Jésus Christ.
3. Comment lÕÉglise devient l'épouse de Jésus Christ. — Maux et pertes que cause la vaine gloire : elle renverse les villes et les déserts. — Comment on peut se délivrer de ce vice et le vaincre. — La gloire de ce monde est vaine et fausse : la gloire du ciel est seule réelle et véritable : y élever ses yeux, vrai moyen de mépriser tout ce qui est ici-bas, et toute la gloire des hommes.

1. Rien n'est plus illustre, rien n'est plus fort et plus puissant que la vérité, comme aussi rien n'est plus bas, rien n'est plus faible que le mensonge : il a beau se déguiser, facilement on le démasque, facilement on le dissipe. La vérité, au contraire, se montre à nu à tous ceux qui veulent contempler sa beauté; elle ne cherche pas à se cacher, elle ne craint point le péril ni les piéges, elle n'ambitionne pas les hommages de la multitude. Rien d'humain n'a d'empire sur elle; mais, supérieure à tous les piéges qu'on lui tend, elle les voit sans s'ébranler; ceux qui se réfugient dans son sein y trouvent un asile assuré, ils y sont gardés comme dans une forteresse imprenable; telle est la grandeur de sa puissance; les coups cachés qu'on lui porte, elle les détourne; mais ses Ïuvres, elle les expose aux yeux de tout le monde; c'est ce que Jésus Christ déclare à Pilate en lui répondant: «J'ai parlé publiquement à tout le monde, et je n'ai rien dit en secret». (Jn 18,20)
Ce que le divin Sauveur dit alors, maintenant il le fait : «Après cela», dit l'évangéliste, «Jésus étant venu en Judée, suivi de ses disciples, il y demeurait avec eux et y baptisait». Aux jours de fêtes solennelles, Jésus allait à Jérusalem pour enseigner publiquement sa doctrine à ceux qui s'y assemblaient, et afin que tous profitassent de ses miracles. Mais quand la fête était passée, il s'en allait souvent auprès du Jourdain, parce qu'une multitude de peuple y accourait; car il se rendait toujours aux lieux les plus fréquentés, non par vanité ou par ambition, mais pour faire du bien à plus de monde. D'ailleurs, l'évangéliste dit dans la suite que ce n'était pas Jésus qui baptisait, mais ses disciples (Jn 4,2); il est donc évident qu'il faut entendre la même chose ici, à savoir que les disciples baptisaient seuls.
Mais pourquoi, direz-vous, Jésus Christ ne baptisait-il pas ? Longtemps auparavant Jean-Baptiste avait dit : «C'est lui qui vous baptisera dans le Saint Esprit et dans le feu», (Mt 3,11) Or il n'avait pas encore donné le saint Esprit; c'est donc pour une bonne raison qu'il ne baptisait pas, mais seulement ses disciples baptisaient parce qu'ils voulaient engager beaucoup de monde à venir écouter la prédication et la doctrine du salut. Et pourquoi les disciples de Jésus baptisant, Jean-Baptiste ne cessa-t-il point de baptiser jusqu'à ce qu'il fût mis en prison? Car quand l'évangéliste dit: «Jean baptisait à Ennon», il y ajoute: «Alors Jean n'avait pas encore été mis en prison» (Jn 3,23-24); il montre donc que Jean-Baptiste n'avait pas encore censé de baptiser. Et encore pourquoi a-t-il baptisé jusqu'à ce temps? Cependant, il aurait fait connaître que les disciples de Jésus étaient. plus dignes de baptiser que lui, si, lorsqu'ils commencèrent, il eût lui-même cessé. Pour quelle raison donc baptisait-il ? Ce fut pour ne leur pas attirer plus d'envie et de plis grandes disputes. En effet, si, publiant souvent ce qu'était Jésus Christ, lui cédant la première place et se déclarant inférieur à lui, il ne persuada pas pour cela les Juifs que c'était à lui qu'ils devaient aller; s'il eût, dis-je, cessé de baptiser, il les aurait encore plus émus et les aurait rendus plus opiniâtres. Voilà pourquoi Jésus Christ commença principalement à prêcher après la mort de Jean-Baptiste. Au reste, je crois qu'il ne vécut pas longtemps, afin que les esprits de cette multitude se réunissent et se tournassent tous vers Jésus Christ, et qu'ils ne fussent plus partagés entre l'un et l'autre. De plus, Jean-Baptiste, pendant qu'il baptisait, ne cessait point de les exhorter à aller trouver Jésus Christ et de leur rendre de grands témoignages de lui. D'ailleurs il baptisait au nom de celui qui devait venir après lui, afin qu'ils crussent en lui. Si donc celui qui prêchait ainsi Jésus Christ eût discontinué de baptiser, comment aurait-il fait connaître l'excellence et la supériorité des disciples de Jésus ? N'aurait-on pas cru, au contraire, que c'était par jalousie ou par dépit qu'il ne baptisait plus? Mais en continuant il confirme et fortifie ce qu'il a dit. Car il ne cherchait pas à s'acquérir de la gloire, mais il envoyait ses auditeurs à Jésus Christ. Et il ne le servait pas moins que les disciples, ou plutôt encore plus, attendu que son témoignage était moins suspect et que sa réputation l'emportait dans l'esprit de tout le monde sur celle des disciples. L'évangéliste voulant nous le faire entendre, disait : «Toute la Judée et tout le pays des environs du Jourdain allaient le trouver, et ils étaient baptisés par lui». (Mt 3,5) Quoique les disciples de Jésus baptisassent, le peuple ne cessait pas d'accourir en foule à Jean-Baptiste.
Que si quelqu'un demande en quoi le baptême des disciples était supérieur à celui de Jean, nous répondrons en rien, car l'un et l'autre était dénué de la grâce du Saint Esprit, et les uns et les autres n'avaient tous qu'un seul et même motif : c'était d'envoyer à Jésus Christ ceux qu'ils baptisaient. En effet, afin de n'être pas obligés de courir de toutes parts, pour chercher et assembler ceux qui devaient croire en Jésus Christ, comme André qui avait amené Simon, et Philippe Nathanaël, ils résolurent et convinrent de baptiser, afin que par le baptême ils pussent sans peine et sans travail les attirer à Jésus Christ, et préparer le chemin à la foi qu'il devait prêcher; mais que ces baptêmes n'eussent aucun avantage l'un sur l'autre, les paroles qui suivent le font voir.
Quelles sont ces paroles ? «Il s'excita une dispute entre les disciples de Jean, et un Juif, touchant la purification(25)». Et cela n'est pas surprenant, puisque les disciples de Jean portaient continuellement envie aux disciples de Jésus Christ, ou plutôt à Jésus Christ même : lorsqu'ils les virent baptiser, ils commencèrent dès lors à parler à ceux qu'ils baptisaient pour leur insinuer que leur baptême, à eux, avait une supériorité sur celui des disciples de Jésus Christ, et s'étant approchés de quelqu'un de ceux qui venaient d'être baptisés, ils tâchèrent de le lui persuader et ne le purent pas : mais l'évangéliste fait clairement entendre que ce sont les disciples de Jean, et non pas ce Juif, qui ont excité cette dispute : car il ne dit pas qu'un certain Juif leur avait demandé leur avis; mais il dit que la question touchant la purification d'où vint la dispute, fut agitée par les disciples de Jean avec un Juif.
2. Faites attention, je vous prie, mes frères, à la douceur et à la retenue de l'évangéliste. Il ne prend point de parti, il ne s'emporte ni contre les uns, ni contre les autres; mais autant qu'il le peut, il diminue la faute, disant seulement qu'il s'éleva une dispute. Toutefois, la suite fait bien voir que c'est par jalousie que ces disciples avaient excité la dispute; mais il le rapporte encore avec bien de la modération, car il dit : «Ils vinrent trouver Jean, et lui dirent : Maître, celui-là qui était avec «vous au delà du Jourdain, auquel vous avez «rendu témoignage, baptise maintenant et tous vont à lui (26)». C'est-à-dire celui que vous avez baptisé; car c'est ce que signifie ce mot : a Celui auquel vous avez rendu témoignage» ; en d'autres termes: celui que vous avez illustré, et que vous avez rendu célèbre, ose imiter ce que vous faites : ils n'eurent garde de dire : celui que vous avez baptisé ils auraient été forcés de faire mention de cette voix qui s'était fait entendre d'en-haut et aussi de la descente du saint Esprit : mais que disent-ils ? «Celui qui était avec vous au «delà du Jourdain, auquel vous avez rendu «témoignage». C'est-à-dire : celui qui était au nombre de vos disciples, qui n'avait rien de plus que nous, s'est séparé de nous et baptise. Mais ce n'est pas seulement par là qu'ils croyaient pouvoir l'animer contre Jésus, c'est encore en lui insinuant que son baptême serait à l'avenir moins illustre et moins célèbre car, ajoutent-ils, «tous vont à lui». D'où il paraît visiblement qu'ils ne purent même pas amener à leur sentiment le Juif avec qui ils avaient disputé. Ils parlaient ainsi, parce qu'ils étaient incomplètement instruits et encore sensibles à l'ambition.
Que fit donc Jean-Baptiste ? il ne les reprit pas durement, de crainte qu'en le quittant ils ne se portassent à quelque mauvaise action. Mais que leur dit-il ? «L'homme ne peut rien recevoir, s'il ne lui a été donné du ciel (27)». Que s'il parle de Jésus Christ dans des termes trop bas, ne vous en étonnez pas; il ne pouvait pas tout d'un coup instruire des hommes si prévenus, et qui étaient dans de si mauvaises dispositions. Mais cependant il tâche de les effrayer, et de leur faire connaître que, de combattre contre. Jésus, c'était combattre ainsi contre Dieu même. Gamaliel fit la même réponse : «Vous ne pourrez détruire cette Ïuvre, et vous seriez en danger de combattre contre Dieu même». (Ac 5,39) L'évangéliste établit la même vérité d'une manière un peu enveloppée. Il fait répondre à ces disciples : «L'homme ne peut rien recevoir, s'il ne lui a été donné, du ciel.» C'est-à-dire, vous tentez l'impossible, et en agissant de la sorte, vous vous mettez en danger de combattre contre Dieu même. Quoi donc ? Théodas (Ac 5,36) n'agissait-il pas par lui-même ? J'en conviens : il agissait véritablement par lui-même; mais à peine parut-il, qu'il fut anéanti et toute son Ïuvre avec lui. Mais il n'en est pas ainsi de l'Ïuvre de Jésus Christ. Par là, Jean apaise insensiblement ses disciples, en leur faisant voir que ce Jésus, à qui. ils osaient s'opposer, n'est pas un homme, mais un Dieu qui les surpasse en dignité, et en gloire. Qu'ainsi, si ses Ïuvres brillaient et éclataient, si tous allaient à lui, il ne fallait pas s'en étonner, car telles sont les Ïuvres de Dieu : que celui qui faisait de si grandes choses était un Dieu, autrement ses Ïuvres n'auraient pas eu tant de force ni tant de vertu. Qu'au reste, les Ïuvres des hommes se découvrent et se détruisent facilement; or, il n'en est pas de mémé pour celles-ci : elles ne sont donc pas des Ïuvres humaines. Et remarquez comment il tourne contre eux-mêmes ces paroles : «Celui à qui vous avez rendu témoignage», par où ils croyaient l'exciter à perdre Jésus Christ. Car après leur avoir montré que ce n'était pas par son témoignage que Jésus Christ était devenu illustre, il leur ferme la bouche en disant : «L'homme ne «peut rien recevoir de soi-même, s'il ne lui a été donné du ciel».
Que veut dire cela ? Si vous admettez mon témoignage, et si vous le croyez véritable, apprenez de même, que ce n'est pas moi que vous devez mettre au-dessus de lui, mais lui que vous devez regarder comme au-dessus de moi. Quel est en effet le témoignage que j'ai porté? Je vous en prends à témoin : Voilà pourquoi il ajoute : «Vous me rendez vous-mêmes témoignage que j'ai dit : Je ne suis point le Christ, mais : J'ai été envoyé devant lui (28)». Si donc c'est à cause du témoignage que je lui ai rendu, que vous venez me dire : «Celui à qui vous avez rendu témoignage»; qu'il vous en souvienne donc de mon témoignage, et vous reconnaîtrez que non seulement il ne l'a point abaissé, mais encore qu'il l'a beaucoup relevé. Mais d'ailleurs ce témoignage ne venait point de moi, il vient de Dieu même, qui le lui a rendu par ma bouche. C'est pourquoi si je vous parais digne de foi, rappelez-vous qu'entre plusieurs autres choses que j'ai dites, j'ai dit aussi que «j'ai été envoyé devant lui».
Ne voyez-vous pas que Jean-Baptiste fait insensiblement connaître que cette parole est divine? Car voici ce qu'il veut dire : Je suis un ministre, et je dis ce que n,'â ordonné de dire celui qui m'a envoyé; je ne cherche pas à plaire aux hommes, mais je remplis le ministère que m'a confié son Père en m'envoyant; ce n'est ni par faveur, ni par complaisance que j'ai rendu ce témoignage; j'ai dit ce que j'avais mission de dire. Ne croyez donc pas que je sois pour cela quelque chose de grand; ma mission, mes paroles, tout ne tend qu'à faire connaître sa grandeur et son excellence. Car il est le Seigneur et le maître de toutes choses; ce qu'il déclare encore par les paroles qu'il ajoute : «L'époux est celui à qui est l'épouse; mais l'ami de l'époux qui se tient debout, et qui l'écoute, est ravi de joie d'entendre la voix de l'époux (29)». C'est pourquoi celui qui a dit: «Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers», se dit maintenant son ami, non pour s'élever et se donner des louanges, mais pour montrer combien il a à cÏur les intérêts de Jésus Christ; que ce qui se passe ne se fait point malgré lui, ni contre sa volonté, mais à son grand contentement; et qu'il n'a rien dit, qu'il n'a rien fait qui ne tendît à cette unique fin; voilà ce qu'il fait très-prudemment connaître par le nom d'ami. En effet, dans les mariages les serviteurs de l'époux n'ont ni tant de joie, ni tant de plaisir que ses amis. Jean-Baptiste ne se dit donc pas égal en dignité à l'époux, à Dieu ne plaise ! mais il se dit son ami, pour marquer l'excès de sa joie et pour se mettre à la portée de ses disciples. Il a déjà fait entendre qu'il n'est qu'un envoyé, qu'un ministre, en se disant envoyé devant lui. C'est pourquoi il se dit l'ami de l'époux, et aussi parce qu'il voyait ses disciples souffrir de ce qu'on allait à Jésus Christ; par là il leur fait voir que non-seulement cela ne lui fait aucune peine, mais encore qu'il s'en réjouit extrêmement.
Puis donc que je suis venu, dit-il, pour travailler et contribuer à ce grand ouvrage, bien loin de m'attrister que tous aillent à Jésus Christ, j'aurais au contraire une douleur extrême, s'il en était autrement. Si l'épouse n'allait pas trouver son époux, c'est alors que je m'affligerais; mais non maintenant que je vois réussir nus efforts. Son Ïuvre s'accomplit, c'est un sujet de gloire; pour nous ce que nous désirions avec tant d'ardeur se réalise; l'épouse connaît son époux. Et vous-mêmes, vous m'en rendez témoignage, quand vous me dites : «Tous vont à lui». Voilà ce que je voulais, et c'est pour cela que j'ai tout fait : aussi, témoin de cet heureux succès, je m'en réjouis, je tressaille, je bondis d'allégresse.
3. Mais que signifient ces paroles : «L'ami de l'époux qui se tient debout, et l'écoute, est ravi de joie» d'entendre «la voix de l'époux ?» Jean-Baptiste se sert ici d'une parabole pour arriver à son sujet. Car en parlant d'époux et d'épouse, il montre comment se font les fiançailles, à savoir: par la parole et par la doctrine; c'est ainsi que l'Église est fiancée à Dieu. C'est pourquoi saint Paul disait : «La foi vient de ce qu'on a ouï, et on a ouï parce que la parole de Jésus Christ» (Rom 10,17) a été prêchée. Cette parole me ravit de joie. Mais à l'égard de ce mot : «Qui se tient debout», ce n'est pas sans intention qu'il s'exprime ainsi, mais pour montrer que son ministère est fini, qu'il faut maintenant qu'il se tienne debout et qu'il écoute après avoir remis lÕépouse à son époux : qu'il est le ministre et le serviteur de l'époux, que ses bonnes espérances, que ses vÏux sont comblés; voilà pourquoi il continue ainsi : «Je me vois donc dans l'accomplissement de cette joie» ; c'est-à-dire, j'ai accompli mon Ïuvre, nous n'avons plus rien à faire. Ensuite, il retient, il renferme dans son cÏur la vive douleur qui le presse, en considérant, non-seulement les maux présents, mais ceux aussi qui doivent arriver encore. Il en prédit quelque chose et le confirme et par ses paroles, et par ses Ïuvres, en disant : «Il faut qu'il croisse et que je diminue» ; c'est-à-dire, mon ministère est fini, je dois me retirer et disparaître; mais pour lui, son temps est arrivé, il doit s'avancer et s'élever; c'est pourquoi, ce que vous craignez, non-seulement va arriver présentement, mais encore s'accroîtra de plus en plus. Et voilà même ce qui illustre le plus notre ministère, et ce qui en fait toute la gloire; c'est pour cela que j'ai été son précurseur, et je suis ravi de joie de voir que l'Ïuvre de Jésus Christ ait un si grand et si heureux succès, et que le but vers lequel ont tendu tous nos efforts, soit désormais atteint.
Ne voyez-vous pas, mes chers frères, avec quelle patience et quelle sagesse Jean-Baptiste apaise la douleur de ses disciples, étouffe leur jalousie et leur fait connaître que s'opposer à l'accroissement de Jésus Christ, c'est tenter l'impossible ? remède propre, entre tous, à guérir leurs mauvaises intentions. Car si la divine Providence a permis que toutes ces choses arrivassent du vivant de ce saint précurseur, et lorsqu'il baptisait encore, c'est afin qu'il rendît témoignage de la supériorité du Sauveur, et que ses disciples fussent sans excuse, s'ils s'obstinaient à ne pas croire en Jésus Christ. En effet, ce ne fut pas de lui-même qu'il se porta à rendre ces témoignages, ni pour satisfaire la curiosité d'autres personnes; ce fut pour répondre aux demandes de ses disciples, qui seuls l'interrogeaient et entendaient ses réponses. Car, s'il eût parlé de son propre mouvement, ils nÕauraient pas cru si facilement, qu'en apprenant ce qu'il pensait, et par la réfutation de leurs objections, et par la réponse à leurs demandes. Ainsi les Juifs, qui lui avaient envoyé des gens, pour l'interroger et savoir son sentiment, ne s'y étant pas rendus, lorsqu'ils le connurent, se sont pour cela même rendus indignes de tout pardon.
Qu'est-ce donc que tout cela nous apprend ? Que la vaine gloire est la source et la cause de tous les maux : c'est elle qui a jeté les Juifs dans une furieuse jalousie; c'est elle qui les a ranimés après une courte trêve, et portés à aller trouver Jésus Christ pour lui dire : «pourquoi vos disciples ne jeûnent-ils point ?» (Mt 9,14) Fuyons donc ce vice, mes bien-aimés. Si nous le fuyons, nous nous préserverons de l'enfer : car c'est principalement ce vice qui en attise le feu, tant sa domination s'étend sur tout, tant il exerce son tyrannique empire sur tout âge et sur tout rang; c'est lui qui met le trouble dans lÕÉglise, qui ruine les républiques, qui ruine les maisons, les villes, les peuples, les provinces. Pourquoi vous en étonner, quand il a bien pu pénétrer jusque dans le désert, où il a fait sentir toute la forte de son pouvoir ? Ceux qui s'étaient dépouillés de leurs biens et de leurs richesses, qui avaient renoncé au luxe du monde, à toutes ses pompes et à ses maximes, qui avaient surmonté les désirs de la chair et les violentes passions de la cupidité, ont souvent tout perdu pour s'être laissé vaincre par la vaine gloire. C'est par ce vice que celui qui avait beaucoup travaillé a été vaincu par celui qui, bien loin d'avoir travaillé, avait au contraire commis beaucoup de péchés. Je parle du pharisien et du publicain. Mais prêcher contre ce vice, vous montrer les maux qu'il cause, ce serait peine perdue, car tout le monde est du même avis sur ce point; et ce dont il s'agit, c'est de réprimer en soi cette funeste passion.
Comment donc en viendrons-nous à bout ? En opposant la gloire à la gloire. Comme, en effet, nous dédaignons les richesses de la terre, lorsque nous en envisageons d'autres; comme nous méprisons cette vie, lorsque nous pensons à une autre qui est bien préférable, nous pourrons de même rejeter la gloire de ce monde, lorsque nous songerons à une gloire plus belle, à ce qui est proprement la vraie gloire. Celle dont nous parlons n'est qu'une vaine et fausse gloire, un nom sans réalité; mais celle du ciel est une gloire véritable, qui a pour panégyristes, non les hommes, mais les anges, les archanges et le Seigneur des archanges, ou plutôt aussi les hommes mêmes. Si vous jetez les yeux sur ce théâtre, si vous cherchez à connaître le prix de ces couronnes, si vous vous transportez au lieu où retentissent ces applaudissements, les biens de la terre ne seront pas capables de vous toucher et de vous arrêter; vous ne vous prévaudrez plus de leur possession, vous ne chercherez pas à les acquérir si elles vous manquent. Dans cette cour, on ne voit aucun des satellites du roi, au lieu de rechercher les bonnes grâces de celui qui siège sur le trône et porte le diadème, s'occuper de ces cris d'oiseaux, de ces bourdonnements de moucherons qui s'appellent les éloges des hommes.
Connaissant donc la bassesse des choses humaines, envoyons, plaçons tous nos biens et' toutes nos richesses dans ces inviolables trésors, et cherchons la gloire qui est stable et éternelle. Je prie Dieu de nous l'accorder à tous, par la grâce et par la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Ssaint Esprit, etc.