HOMÉLIE SUR LA CHASTETÉ

 

Un sujet que j'ai toujours estimé infiniment utile et vraiment digne des serviteurs du Christ, est le sujet de la chasteté : je l'estime tel, maintenant surtout que je m'adresse à des enfants de l'Église, qui viennent de se revêtir du Christ et qui doivent s'adonner à la chasteté de préférence à toute autre vertu. Certainement on applaudirait sans restriction à l'opportunité du discours qui serait adressé aux athlètes des jeux olympiques sur les combats qu'ils vont livrer, sur le courage dont ils ont besoin et la victoire qui les attend, au moment où ils descendraient dans le stade prêts à combattre. Et nous aussi, à la vue des athlètes du Sauveur qui viennent de puiser dans les divines mystères la force de l'Esprit, nous ne traiterons pas un sujet hors de propos, au moment où ils se préparent à livrer le combat spirituel, en les entretenant de la chasteté. Dans les combats du monde, la couronne ne vient qu'après la victoire; dans le combat du Christ la victoire ne vient qu'après la couronne. Pourquoi le Christ nous courrone-t-Il avant de nous envoyer au combat ? Pour intimider nos adversaires et relever nos pensées; pour qu'au souvenir de l'honneur dont Il nous a favorisés, nous évitions en paroles ou en actions, ce qui serait indigne de Dieu. Le prince qui, malgré la pourpre dont il serait couvert, malgré la couronne dont son front serait ceint, se laisserait emporter par les passions désordonnées à des actions indignes de la majesté royale, rentrerait en lui-même à l'aspect de son royal manteau et se promettrait bien de ne plus subir de si honteuses défaites. Et vous qui êtes revêtus du Christ, lorsque les convoitises criminelles auront vainement sollicité votre âme, jetez aussitôt un regard sur votre divin manteau, et vous vous sentirez soudain meilleur, et vous n'aurez rien à redouter des artifices du diable.

Il est beau de louer la chasteté, il est plus beau de la pratiquer. A la vérité, on n'est pas peu encouragé à la mettre en pratique, lorsqu'elle est fréquemment le sujet de ce que l'on dit ou de ce que l'on entend. Aussi Dieu a-t-Il voulu que les Écritures sacrées célébrassent les vertus des saints, afin que tous les hommes fussent entraînés à les imiter, et qu'en suivant fidèlement leurs traces, ils formassent le dessein d'être chastes comme eux. Si la vue du triomphe des athlètes vainqueurs dans les combats gymnastiques a suffi pour inspirer à des spectateurs la résolution ardente de combattre eux-mêmes, de braver des fatigues et des sueurs sans nombre pour remporter une couronne d'olivier ou de laurier, avec quel ardeur ne devrions-nous pas braver toute sorte d'épreuves pour la chasteté, à la vue des couronnes que les saints ont reçues des mains de Dieu, afin de méditer à notre tour, par nos belles et salutaires actions, les couronnes célestes ? Ne serait-ce point une chose intolérable et capable d'exciter l'indignation, si, quand une feuille de laurier ou d'olivier et la gloire de cette vie passagère séduisent les athlètes, nous restions insensibles aux récompenses du Christ, si nous ne pouvions nous résoudre à fuir la volupté et à préférer à la concupiscence la crainte de Dieu ? Les hommes ne sont pas les seuls êtres chez lesquels se développe l'instinct d'imitation; on le voit encore chez les animaux. Qu'une colombe, par exemple, s'énvole, et toutes les autres la suivent; qu'un étalon généreux bondisse au milieu du troupeau, il l'entraîne à sa suite tout entier. A vous aussi, troupeau du Christ, le chaste Joseph vous donne l'exemple et vous invite par de célestes transports, vous, ses compagnons d'exil, à vous élancer sur ses traces. Formons donc avec ce saint jeune homme un choeur spirituel, et faisons non seulement en paroles, mais surtout en actions, l'éloge de sa chasteté.

La chasteté, il la garda constamment et avec un soin jaloux, quand il pouvait asservir la femme de son maître et mener une voluptueuse vie au sein du luxe et de la mollesse. Mais, quelque brillante que fût cette perspective, il lui suffit de songer que les richesses et la puissance et la gloire s'évanouissent avec la vie présente et ne procurent que des avantages temporels, que la vertu seule n'a point de terme, pour opposer comme frein aux voluptés la crainte du Seigneur. Dédaignant les promesses de sa maîtresse et les plaisirs, il trouva son affreux cachot plus aimable que les plus riches palais. Et cependant qu'il est difficile à qui possède une beauté remarquable de se soustraire aux voluptés ! Mais Joseph pratiqua la chasteté d'une si excellente manière, qu'il abrita la beauté de son corps sous la beauté de son âme; beau comme une étoile radieuse par le corps, beau par son âme comme un ange. Pour nous, ce n'est pas seulement la chasteté de ce jeune homme qui doit exciter notre surprise, ce sont encore les périls qu'il voulut braver pour la conserver, estimant l'esclavage des sens plus redoutable et plus affreux que la mort elle-même. Or, nous en serons surtout étonnés, lorsque à la connaissance parfaite de sa vertu nous joindrons celle des temps où il pratiquait à un si haut degré la pureté. Ce fut avant l'avènement sur la terre du Créateur et du Seigneur de l'univers, qu'il sut conserver son âme libre. Pourtant il était élevé dans une maison habitée par des impies, autour de lui on ne cessait de le pousser vers le mal, personne ne lui enseignait la chasteté : tous étaient les esclaves de la volupté, les serviteurs de leur ventre; chez eux la piété, la sainteté étaient inconnues. Malgré ce milieu d'impiété dans lequel il vivait, malgré les tentatives de sa maîtresse, il ne livra pas les trésors célestes, il garda inviolable le temple de l'Esprit, il aima mieux mourir que de sacrifier à la sensualité. Quoiqu'il n'ait pas entendu Paul nous dire que nos corps sont les membres du Christ, quoiqu'il n'ait pas ouï la parole de Dieu, il n'en est pas moins grand aux yeux de ceux qui ont eu l'honneur de recevoir communication des divines promesses, et il ne nous enseigne pas moins de quelle manière nous devons combattre dans l'Église et veiller sur la pureté de nos âmes. "(1 Cor 6,15) Car n'est-il pas en droit de nous tenir ce langage : Si moi qui ai vécu avant le Christ, qui n'ai point eu connaissance des enseignements du sublime Paul, j'ai compris que les serviteurs de Dieu devaient être au-dessus de la volupté; si j'ai gardé intacte ma chasteté, en dépit des périls nombreux auxquels elle était exposée, avec combien plus de raison ne devez-vous pas pratiquer dans la crainte et le tremblement cette vertu, pour n'être pas indignes de l'honneur qui vous est fait, et pour que les membres du Christ ne deviennent pas les membres d'une prostituée ? - Un semblable langage est capable d'inspirer à toute âme l'amour de cette vertu, et de calmer en elle l'ardeur des convoitises criminelles. La pluie qui tomberait sur un foyer l'éteindrait avec moins de facilité que ne seraient apaisées les passions mauvaises d'une âme qui serait pénétrée de ces discours.

Le même langage pourrait nous être adressé par le grand homme Job : non seulement il pratiqua avec zèle la continence, mais il défendit à ses yeux de jamais fixer le visage d'une vierge, de crainte que son âme ne fût séduite par l'éclat de la beauté. Qui ne verrait avec stupeur et admiration cet homme qui combattait si énergiquement le démon et qui déjoua toutes ses ruses, éviter le visage des jeunes filles, et détourner ses yeux de leur beauté ? Quand le diable marche sur lui, il ne bat pas en retraite, il l'attend de pied ferme, sûr de ses forces : quand une vierge se présente, loin de l'attendre pour considérer sa beauté, il se retire aussitôt. Il comprenait qu'il suffisait pour vaincre les démons de fermeté et d'audace, mais que pour remporter la victoire dans les combats de la chasteté, il fallait, non fréquenter les vierges, mais les fuir. Si donc vous vous engagez à garder la virginité, écoutez les avis du plus chaste des hommes, d'un homme qui avant l'Incarnation pratiqua une chasteté parfaite. Au demeurant, nous devrions être étonnés de l'existence de ces justes, modèles de continence, avant l'avènement du Christ. Ils n'étaient point alors poussées au culte de cette vertu, les vierges pouvaient sans crime ne pas attacher un prix élevé à la possession de la virginité. Et comment cela ? C'est que le Très-Haut, Créateur de toutes choses, a pris notre nature pour amener au ciel sur la terre la pureté des anges. Lors donc que les hommes, après cet honneur qui leur a été fait, se courbent sous le joug de la volupté, on ne saurait assez flétrir cette conduite, par laquelle, faisant des membres du Christ les membres d'une prostituée, ils paralysent autant qu'il est en eux la divine Miséricorde. Quoi ! les démons frémissent en apprenant que Dieu nous unit à Lui, et des fidèles osent se séparer du Christ pour s'unir à des courtisanes ! Non, il y aurait moins de mal à tomber du ciel dans la boue, qu'il n'y en aurait pour un membre du Christ à devenir le membre d'une femme impudique.

Lors donc que la concupiscence agira sur votre âme, songez au Christ, représentez-vous Paul debout et vous disant : "Ne savez-vous donc pas que vos membres sont les membres du Christ ? Ferai-je donc des membres du Christ les membres d'une courtisane ?" A ce souvenir, la tentation s'évanouira. D'un regard, une maîtresse pudique et chaste ramène à la chasteté des servantes impudiques; à plus forte raison le sentiment de la volupté s'évanourira-t-il au souvenir du Christ. Que la croix brille sans cesse à vos regards, et vous resterez exempte de toute faute. De même que la colonne de nuée, figure de la croix, défendait les Hébreux contre les attaques des Égyptiens; de même la croix, dès qu'elle frappe nos regards, met en fuite les plaisirs mauvais : elle est la sauvegarde de l'âme, l'antidote de la concupiscence. Si la médecine guérit les maladies du corps, la parole du Christ guérit les maladies de l'âme. C'est pourquoi nous conjurons et supplions les fidèles qui se sont rendus coupables de fautes de ce genre et qui sont encore asservis aux plaisirs de la chair, de revenir à eux, de ne pas se laisser abattre par les passions, de résister à leur entraînement, et, au lieu de s'imposer volontairement cette amère servitude, de les combattre avec courage, de fortifier leur esprit par la crainte du Seigneur et de chasser loin de leur maison ce tyran redoutable; afin que, éloignés de toute souillure et de la société des pécheurs, nous puissions, l'âme pure et sans tâche, nous approcher des divins et adorables mystères de notre grand Dieu et Sauveur Jésus Christ : à Lui gloire et puissance, dans les siècles des siècles. Amen.