DEUXIEME DISCOURS SUR LA MORT

ET LA RÉSURRECTION

 

Dans le précédent entretient, nous avons succinctement parlé des consolations que nous pouvons avoir dans la mort et de l'espoir que nous avons de ressusciter un jour; nous venons en ce moment traiter ce même sujet d'une manière plus ferme et plus complète. Si les choses que nous avons dites sont certaines pour les fidèles, les infidèles n'y voient qu'une pure invention : c'est à ceux-ci que nous devons maintenant nous adresser. Tout incrédule parmi vous est par là même dans le doute pour ce qui regarde la substance corporelle; beaucoup ne croient pas que le corps, une fois réduit en poussière, puisse jamais ressusciter, revenir à la vie. Quant à l'âme, le doute n'est pas possible; les philosophes païens eux-mêmes, reconnaissent son immortalité. Qu'est-ce que la mort, si ce n'est la séparation du corps et de l'âme ? Lorsque l'âme se retire, elle qui vit toujours, qui ne saurait mourir, parce qu'elle a pour principe le souffle même de Dieu, le corps meurt aussitôt : des deux substances qui sont en nous, l'une est immortelle, l'autre est sujette à la mort. Or, dès que l'âme a quitté la terre, cette substance invisible pour nous, est reçue par les anges, qui la placent dans le sein d'Abraham, si elle a été vertueuse, ou renfermée dans les prisons de l'enfer, si elle a été pécheresse; et cela, jusqu'à ce que paraisse le jour déterminé où, reprenant son corps, elle viendra au tribunal du Christ rendre compte de ses oeuvres. Donc, comme toute la question porte sur la chair, c'est de son infirmité qu'il faut prendre la défense, et sa résurrection qu'il faut démontrer.

Si le doute et l'incrédulité suggèrent à quelqu'un cette demande : "Comment les morts ressusciteront-ils, dans quel corps les verrons-nous paraître," je leur répondrai par la bouche et les expressions mêmes de l'Apôtre : "Insensé, ce que tu sèmes n'est vivifié qu'après être mort, et cette semence n'est qu'un simple grain de froment, ou bien un autre grain du même genre," (1 Cor 15,35-37) lequel est mort et ne garde aucune fraîcheur; et puis, quand il a pourri dans la terre, il s'élève plus fécond, se revêt de tendres feuilles et porte de riches épis. Eh quoi, celui qui ressuscite un grain de froment à cause de toi, ne pourra-t-Il pas te ressusciter toi-même à cause de Lui ? Celui qui fait chaque jour sortir le soleil du tombeau de la nuit, qui donne en quelque sorte à la lune une vie nouvelle, qui ramène le cours des saisons, toujours pour notre avantage, n'aura-t-Il plus aucun souci de nous, pour lesquels cependant Il rétablit toutes choses, et souffrira-t-Il qu'ils soient à jamais éteints ceux qu'Il avait allumés de son souffle, animés de son esprit ? Serait-Il éternellement oublié, l'homme dont l'intelligence a connu Dieu et dont la vie s'est écoulée à son service ? Mais, ce dont vous doutez, c'est que vous puissiez revivre après la mort, que votre corps puisse être reconstitué quand les os sont tombés en poussière.

O homme, dis-moi ce que tu étais avant d'avoir été conçu dans le sein de ta mère ? Rien, assurément. Celui qui t'a créé de rien ne pourra-t-Il donc te créer une seconde fois de quel-que chose ? Crois-moi, il Lui sera plus facile de refaire un être qui fut déjà, que de créer un être qui n'avait jamais été. Une matière informe et vile s'est transformée, sous l'action de sa Puissance, en veines, en nerfs, en os; qui l'empêcherait de t'engendrer de nouveau du sein de la terre ? Craindrais-tu que tes os arides ne puissent plus se couvrir de ton ancienne chair ? Cesse donc, cesse de mesurer à ton impuissance la grandeur de la divinité. Ce même Dieu qui donne à toutes choses leur existence, qui revêt les arbres de feuilles et les prés de fleurs, pourra revêtir aussi tes os en un clin d'oeil, quand aura brillé le printemps de la résurrection. Jadis le prophète Ézéchiel avait aussi douté de cette vérité, et , Dieu lui demandant s'il pensait que dussent revivre les ossements arides dispersés dans la plaine, il répondit : "Toi seul le sais, Seigneur." (Ez 37,3) Lorsque, sur l'ordre de Dieu transmis par le prophète, les os se furent réunis en reprenant chacun leur place, lorsqu'il eut vu les nerfs les rattacher, les veines se rétablir dans toutes leurs ramifications, les chairs se former de nouveau et la peau les couvrir, il prophétisa encore, et l'âme de chacun rentra dans son propre corps, et tous ces morts se levèrent à la fois comme pour rendre un témoignage solennel de la résurrection future : confirmé dans sa foi par ce spectacle, le prophète a con-signé cette vision dans ses écrits, afin d'en transmettre la connaissance à la postérité. Isaïe s'écrie donc avec raison : "Les morts se lèveront, ils ressusciteront ceux qui sont renfermés dans la tombe, ils tressailliront ceux qui gisent dans le sein de la terre; car la rosée qui vient de Toi sera leur guérison." (Is 26,19) Et dans le fait, comme la semence, humectée par la rosée, germe et se développe, ainsi les os des fidèles germeront sous la féconde rosée de l'Esprit.

Un doute vous reste encore : Comment, de ces ossements réduits en poussière, peut surgir l'homme entier ? - Mais vous-même, avec une légère étincelle, vous allumez un grand feu, et Dieu ne pourrait pas, avec le léger ferment de votre cendre, rétablir la masse entière de votre corps, dont l'étendue d'ailleurs est si restreinte ? En vain me diriez-vous : Il n'existe plus aucun reste de la chair elle-même; elle a été consumée par le feu ou dévorée par les bêtes. - Sachez d'abord que tout ce qui dis-paraît rentre dans le sein de la terre, et la puissance divine peut aisément l'en dégager. Vous-même, quand vous n'avez point de feu sous la main, vous frappez un fragment de pierre avec un petit morceau de fer, et vous dégagez autant de feu qu'il vous en faut. Quoi ! par cette adresse et cette intelligence que Dieu même vous a données, vous produisez une chose qui n'apparaissait pas, et l'infinie Majesté ne pourrait pas faire reparaître, par sa propre vertu, ce qui n'était plus visible pour vous ? Dieu peut tout, n'oubliez pas ce principe.

Vous n'avez qu'une chose à demander, s'Il a promis de nous ressusciter; et puis, quand cette promesse vous sera certifiée par les plus imposants témoignages, quand vous en aurez pour caution l'infaillible Autorité du Christ Lui-même, n'hésitez plus dans votre foi, et désormais n'ayez de la mort aucune crainte. Celui qui craint n'a pas une foi solide, et celui qui n'a pas une telle foi contracte une sorte de maladie incurable, puisqu'il accuse Dieu d'impuissance ou de mensonge : c'est jusque-là que va l'incrédulité. Autres sont les enseignements que nous ont transmis les bienheureux apôtres et les saints martyrs. Les apôtres donnent pour base à notre résurrection future la résurrection même du Christ; ils vont annonçant partout que les morts ressusciteront en Lui, et, pour soutenir cette vérité, ils affrontent les tortures, ils ne reculent pas devant la croix. Si toute parole est inébranlable, quand elle a pour elle deux ou trois témoins, comment pourrait-on révoquer en doute la résurrection des morts, attestée non seulement par la parole, mais encore par le sang de tant de vénérables témoins ? Et les martyrs, avaient-ils l'espoir de la résurrection ou ne l'avaient-ils pas ? S'ils ne l'avaient pas eue, ils n'auraient certes pas accepté comme le bien par excellence une mort accompagnée des plus affreux tourments : ils avaient devant les yeux les récompenses futures et ne songeaient pas aux supplices présents. Ils n'ignoraient pas ce qui a été dit : "les choses visibles n'ont qu'un temps, les choses invisibles sont éternelles." (2 Cor 4,18)

Écoutez, mes frères, un exemple de vertu, celui d'une mère exhortant ses sept enfants, non avec des larmes, mais avec des transports de joie. Elle voyait leurs corps déchirés par des ongles de fer, meurtris de coups, consommés par les flammes, et cependant elle ne pleurait pas, elle ne poussait pas des cris plaintifs; elle ne cessait au contraire d'inspirer le courage à ses enfants. Or, ce n'est pas la cruauté, c'est la foi qui parlait en elle; elle aimait ses enfants avec force et non avec mollesse; elle les engageait à souffrir des tourments qu'elle souffrait ensuite elle-même d'un coeur content, et cela, parce qu'elle avait la certitude qu'elle ressusciterait avec eux. Et pourquoi parler des hommes ? Que n'aurions nous pas à dire aussi des femmes, des enfants, des jeunes filles ? Comme ils se sont fait un jeu d'une telle mort ! avec quelle ardeur ils se sont jetés dans les rangs de la milice céleste ! Ils pouvaient certes, s'ils l'avaient voulu, prolonger leur vie sur la terre, puisqu'on leur avait posé l'alternative, ou de vivre en reniant le Christ, ou de mourir en Le confessant; mais ils aimèrent mieux renoncer à la vie temporelle pour entrer dans l'éternelle vie, quitter la terre pour aller habiter les cieux.

Après cela, mes frères, quel sujet de doute pourrait-il nous rester ? où peut désormais trouver place la crainte de la mort ! Si nous sommes les enfants des martyrs, si nous voulons avoir part à leur récompense, ne nous affligeons pas à la pensée de la mort, ne pleurons pas ceux qui nous sont chers et qui nous pré-cèdent auprès du Seigneur. Si nous nous obstinons à les pleurer, les bienheureux martyrs nous reprocheront notre conduite; ils diront : Ô fidèles, ô vous qui désirez le royaume de Dieu ! vous pleurez les vôtres alors qu'ils meurent tranquillement dans leur lit, sur une couche molle et délicate, vous ne gardez aucune me-sure dans votre douleur; qu'auriez-vous donc fait, si vous les aviez vus torturer et mettre à mort par les infidèles en haine du Seigneur ? Est-ce qu'un grand exemple ne vous fut pas anciennement donné ? Le patriarche Abraham offrit son fils unique et le frappa du glaive de l'obéissance; celui qu'il aimait d'un si tendre amour, il ne l'épargna pas, pour montrer à quel point il était docile aux ordres du Seigneur. Si vous dites que le patriarche agit ainsi parce que Dieu le lui avait commandé, je vous répondrai que vous avez également un précepte par lequel il vous est dé-fendu de vous abandonner au chagrin, à l'occasion de ceux qui dorment dans la tombe. Quand on n'observe pas les devoirs les moins importants, comment observera-t-on les grands devoirs ? Ignorez-vous qu'une âme qui se laisse abattre par de telles circonstances est rejetée lorsqu'il faut accomplir des oeuvres généreuses ? Quel est celui qui, craignant un ruisseau, osera jamais s'engager dans la mer ? De même, celui qui pleure un mort avec tant d'amertume, pourrait-il jamais descendre dans la lice du martyre ? Au contraire, en se montrant ferme et généreux dans de semblables épreuves, on s'achemine vers de plus nobles combats.

C'en est assez, mes frères, pour vous inspirer le mépris de la mort et confirmer en vous l'espérance de la résurrection. Je veux néanmoins mettre sous vos yeux un exemple tiré des temps anciens; aucun ne me paraît plus propre à nous consoler, et je désire que vous l'écoutiez tous du fond du coeur avec une attention soutenue. David, ce grand monarque, avait un fils qu'il aimait comme sa propre âme; cet enfant étant frappé d'une grave maladie, le père se consumait de douleur. Quand tous les secours humains furent connus inutiles, le roi se tourna vers le Seigneur : laissant de côté toute la pompe royale, il s'assit par terre, s'enveloppa d'un cilice, ne mangeant ni ne buvant, et pendant sept jours il ne cessa de prier Dieu de lui conserver son enfant . Les anciens de la maison vinrent à lui pour le consoler et le conjurer de prendre de la nourriture, craignant qu'il ne s'exposât lui-même à mourir tout en ne s'occupant que de rappeler son enfant à la vie. Ils ne purent rien obtenir, toutes leurs instances furent inutiles; un violent amour méprise ainsi tous les dangers. Le monarque gît là dans le triste appareil du cilice, tant que son enfant demeure dans le même état; les paroles ne lui procurent aucune consolation, le besoin de manger ne le sollicite même pas : son âme ne se nourrit que de tristes pensées, la douleur est le seul aliment qui le réconforte, il n'a d'autre breuvage que ses larmes. Voilà que cependant le décret de Dieu s'accomplit, l'enfant meurt; la femme est dans la désolation, la maison tout entière pousse des gémissements plaintifs, les serviteurs sont dans l'alarme, ne sa-chant ce qui va arriver : personne n'ose annoncer au maître la mort de son enfant, tant on redoute que l'ayant si amèrement pleuré quand cet être chéri vivait encore, il ne mette fin à sa propre vie en apprenant qu'il a rendu le dernier souffle. Comme les serviteurs s'agitent et se parlent tout bas pour s'encourager ou se retenir, David a compris, il prévient une telle communication et demande si son enfant est mort. Les serviteurs ne peuvent dire le contraire, leurs larmes parlent pour eux; on accourt, on se réunit, on tremble que le père, dans l'excès de sa tendresse, n'attente à ses jours. Mais tout à coup David se lève rejetant son cilice, avec un visage riant, comme si l'on venait de lui dire que son enfant est guéri; il se rend au bain, puis au temple, il adore Dieu, il mange avec ses amis, refoulant toute plainte, ne poussant aucun soupir, la joie peinte sur la figure. La famille est dans l'étonne-ment, les amis sont frappés d'un changement aussi subit qu'insolite; ils osent enfin demander au roi comment il se fait qu'il ait tant pleuré son fils vivant et qu'il ne gémisse pas sur sa mort. Cet homme si magnanime leur répond : Tant que mon enfant était en vie, je devais m'humilier, jeûner, pleurer devant le Seigneur; car je pouvais espérer d'obtenir une prolongation de vie. Maintenant que la Volonté de Dieu s'est accomplie, ce serait une chose insensée, impie même, de briser mon âme par d'inutiles lamentations. Il ajoute : "C'est moi qui dois aller vers lui, et non lui revenir vers moi." ( 2 Sam 12,23)

Voilà un exemple de courage et de magnanimité. Si ce monarque, vivant encore sous la loi, ayant le droit dès lors, ce n'est pas assez dire, étant dans la nécessité de s'abandonner à la tristesse, a néanmoins surmonté la violence de ce sentiment, a mis de la sorte un terme à sa propre douleur comme à la douleur des siens; nous qui vivons sous le règne de la grâce, qui devons espérer la résurrection, à qui par là même cette tristesse est inter-dite, comment pouvons-nous pleurer nos morts à la façon des infidèles, nous livrer à des clameurs que la raison même con-damne et qui rappellent dans un autre sens les fureurs des bac-chantes, déchirer nos vêtements et découvrir notre poitrine, faire entendre des paroles insensées et des chants lugubres autour du corps et de la tombe des trépassés ? je le demande encore, pour-quoi cet étalage d'habits noirs, et n'est-ce pas un trait de plus de ressemblance avec les malheureux infidèles ? Ce sont là des emprunts faits à l'étranger, des choses qui ne nous sont pas permises; et, seraient-elles permises, elles ne conviendraient pas. - Mais nous avons des frères et des soeurs que l'influence des parents et des voisins entraîne à de pareilles faiblesses, alors que par eux-mêmes ils seraient forts et respecteraient le précepte du Seigneur : on les accuserait de froideur et de cruauté, s'ils ne portaient pas les mêmes vêtements que les autres, s'ils ne donnaient pas le mêmes signes de douleurs extravagante. - Quelle vanité, quelle ineptie de subir ainsi des idées fausses et qu'on ne partage pas, sans crainte de porter atteinte à la foi qu'on a reçue ! Dans une telle situation, pourquoi ne pas apprendre à raffermir son courage ? Pourquoi ne viendrait-il pas s'instruire sur la foi, celui qui conserve quelque doute ? Et si votre coeur, après tout, suc-combe au poids de sa douleur, pourquoi ne pas la renfermer dans le silence, au lieu de la proclamer avec cette inconsidération ?

Je veux encore vous proposer un exemple, dans le but de corriger ceux qui croient devoir pleurer de la sorte les morts, et cet exemple, je le tire de l'histoire même des païens. Il fut un prince idolâtre qui n'avait qu'un fils, objet de sa tendresse; or, comme il sacrifiait au Capitole d'après les faux rites des gentils, on vint lui annoncer que ce fils unique était mort; il ne laissa pas l'offrande qu'il avait dans ses mains; il ne versa pas une larme, il ne poussa pas un soupir. Écoutez plutôt ce qu'il répondit : Qu'on l'ensevelisse; je savais bien que j'avais engendré un fils sujet à la mort. Quelle réponse, quel courage dans ce païen ! Il n'exige pas même qu'on l'attende, il ne demande pas d'être présent à la sépulture de son fils. Que ferions-nous, mes frères, si le diable, au jour du jugement, plaçait cet homme en face de nous sous les yeux du Christ, et tenait ce langage : Celui-ci fut mon adorateur, je l'avais égaré par mes vains prestiges, en le faisant se prosterner devant des simulacres aveugles et sourds; je ne lui avais promis ni la résurrection, ni le paradis, ni le royaume céleste; et cet homme, en apprenant la mort de son fils unique, conserva le calme le plus parfait, n'interrompit pas même les cérémonies de mon culte : tandis que tes chrétiens, les fidèles, pour qui Tu es mort sur une croix, afin de leur apprendre à ne pas redouter la mort et de leur donner l'assurance de la résurrection, non seulement pleurent leurs morts, se couvrent de vêtements lugubres, mais encore refusent alors de se rendre à l'église; tes ministres eux-mêmes, les pasteurs de ton troupeau suspendent l'exercice de leur ministère, sans respect pour ta Volonté, sous le prétexte ou sous l'empire d'un deuil. Et pourquoi ? parce que ta Voix a retiré des ténèbres du siècle, pour les rappeler à Toi, ceux que Tu as voulu.

A cela, que pourrions-nous dire, mes frères ? Ne serons-nous pas couverts de confusion en voyant que sous ce rapport nous ne sommes pas même au niveau des infidèles ? Et certes, ce serait à l'infidèle de pleurer; car, ne connaissant pas Dieu, dès qu'il meurt il va droit aux éternel supplices. Le juif aussi doit pleurer, puisqu'il a voué son âme à la damnation en refusant de croire au Christ. Il faut encore déplorer le sort de nos catéchumènes, si, par leur défaut de foi ou par la négligence du prochain, ils quittent la vie sans avoir reçu le baptême. Quant à celui qui meurt sanctifié par la grâce, marqué du signe de la foi, ou bien après une confession sincère, ou bien avec l'innocence justement présumée, il faut le proclamer heureux, non le pleurer et l'accompagner d'amers regrets et de larmes intarissables; que nos regrets du moins soient modérés, puisque nous savons que nous aurons à le suivre dans le temps marqué par la divine sagesse.

Essuies donc tes pleurs, suspends tes soupirs, refoule tes gémissements, ô fidèle; au lieu de cette tristesse, aie celle qui est selon Dieu et qui sait accomplir le salut sur une base solide, comme parle le bienheureux Paul; c'est du regret de nos fautes qu'il s'agir. Sonde tous les replis de ton coeur, interroge ta conscience, et, si tu y trouves quelque sujet de repentir, ce que tu trouveras infailliblement étant homme, gémis dans la confession, verse des larmes dans la prière; voilà une mort dont tu dois être en souci, le châtiment de ton âme; pleure sur tes péchés, et dis avec David : "Je connais mon iniquité, et mon péché est toujours devant moi." (Ps 50,5) Tu n'éprouves plus de la sorte les mêmes terreurs au sujet de ton corps, qui sera du reste rétabli dans un état, meilleurs, sur l'ordre même de Dieu et quand le moment sera venu. Vois comment la divine parole embrasse ce double objet : "L'heure vient où les morts qui sont dans leurs tombes ressusciteront." (Jn 5,28) Voilà pour nous donner la sécurité, pour nous inspirer le mépris de la mort. Quelle est la suite du teste ? "Ceux qui ont fait le bien ressusciteront pour entrer dans la vie; ceux qui ont fait le mal ressusciteront pour subir leur jugement." (Ibid., 29) Telle est la différence que présentera le spectacle de la résurrection. Toute chair, du moins toute chair humaine, doit nécessairement ressusciter; mais l'homme de bien ressuscitera pour vivre, et le méchant pour souffrir, selon cette autre parole : "Voilà pourquoi les impies ne ressusciteront pas pour être jugés comme les justes, ni les pécheurs pour être admis dans leurs rangs." (Ps 1,5)

Si nous ne voulons donc pas ressusciter pour être condamnés, repoussons cette tristesse que la mort nous cause, et n'admettons dans nos coeurs que celle dont la pénitence est le principe, appliquons-nous aux bonnes oeuvres, faisons des progrès dans la vertu. Que la pensée de ce deuil et la vue de ce cadavre nous rappellent seulement que nous sommes mortels; c'est une leçon qui ne nous permettra pas de négliger notre salut, tant que nous sommes dans la possibilité de l'opérer, soit en nous élevant à des oeuvres plus parfaites et plus fructueuses, soit en nous corrigeant si nous nous étions égarés; de peur que, surpris tout à coup par la mort, nous demandions vainement le temps de faire pénitence, nous voulions alors répandre des aumônes et satisfaire pour nos péchés, sans pouvoir obtenir de réaliser cette inspiration tardive.

Après avoir vu, mes frères, la commune loi de la mort, la défense portée contre les larmes, la fragilité des anciens, auxquels n'était pas encore donnée la vertu du christianisme; après avoir clairement entendu le mystère du Sauveur et les enseignements des apôtres touchant la résurrection; après avoir rappelé les Actes des apôtres eux-mêmes et les souffrances des martyrs, puis encore l'exemple de David et celui même d'un idolâtre; après avoir enfin compris qu'il est deux sortes de tristesse, l'une nuisible et l'autre avantageuse, l'une qui perd et l'autre qui sauve; après avoir recueilli tout cet enseignement, qu'avons-nous à faire autre chose, mes frères, que de rendre grâces à Dieu notre Père, et de Lui dire : "Que ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel !" (Mt 6,10) Tu nous as donné la vie, Tu as décrété la mort; tu nous introduis dans le monde, Tu nous en retires, et, quand Tu nous rappelles, c'est encore pour nous conserver la vie; car rien ne périt pour ceux qui T'appartiennent, et Tu nous assures qu'un cheveu ne tombera pas même de leur tête sans ta permission. (voir Luc 21,18) "Tu leur enlèveras le souffle, et ils seront frappés de mort, et ils retourneront dans la terre d'où ils sont sortis;" mais aussi "Tu enverras ton Esprit, et ils seront de nouveau créés, et Tu renouvelleras la face de la terre." (Ps 103,29-30) Voilà des paroles, chrétiens, dignes d'une bouche fidèle, voilà le remède qui procure la guérison : si nous l'appliquons à l'oeil de notre âme, et pour le déterger, et pour l'oindre, non seulement nous n'éprouverons pas la cécité qui provient du désespoir, mais encore nous écarterons les nuages que répand la tristesse; bien mieux, nous verrons toutes choses avec beaucoup plus de perspicacité, et nous dirons avec Job, ce grand modèle de patience : "Le Seigneur me l'avait donné le Seigneur me l'a ravi; tout s'est fait selon son bon plaisir. Béni soit le Nom du Seigneur," (Job 1,21) dans les siècles des siècles. Amen.