PSAUME 148

"Louez le Seigneur du haut des cieux, louez-le dans les hauteurs célestes; louez-Le, vous tous ses anges." v. 1 et 2.

1. C'est la coutume des saints, à cause de leur profonde reconnaissance, de convoquer un grand nombre d'autres coeurs quand ils vont bénir la Miséricorde et célébrer les Louanges de Dieu, pour les engager à partager avec eux ce glorieux office. C'est ce que firent les trois enfants dans la fournaise : ils invitaient toutes les créatures à célébrer le bienfait qu'ils avaient reçu, à rendre gloire au Seigneur. Voilà ce que fait aussi notre prophète, en appelant à lui l'une et l'autre création, le monde supérieur et le monde inférieur, les êtres visibles et les êtres intellectuels. Isaïe en use de même, ainsi, quand il dit : "Que les cieux se réjouissent, que la terre tressaille; car le Seigneur a eu pitié de son peuple." (Is 49,13). Et David lui-même, chante ailleurs : "Lorsque Israël sortit de l'Égypte et la maison de Jacob, du milieu d'un peuple barbare, les montagnes bondirent comme des béliers, et les collines comme des agneaux." (Ps 113,14). Isaïe dit encore : "Que les nuées nous versent la justice." Sentant qu'ils ne suffiraient pas seuls à célébrer les louanges divines, ils se tournent de tous les côtés, pour que toutes les créatures prennent part à leurs pieux cantiques. C'est un trait qui se rencontre à chaque instant dans les psaumes : "Et que tous ses anges l'adorent," est-il dit dans un autre endroit; et dans un autre : "Ceux-ci qui possèdent la puissance, ceux qui accomplissent sa Volonté." (Ps 46,7; 102,20).

De là résulte un autre enseignement. Lequel ? Qu'il n'est pas possible, même aux insensés, d'admettre deux artisans du monde. Sans doute les créatures sont diverses, les substances ne se ressemblent pas; les unes sont matérielles et les autres spirituelles, celles-là visibles et celles-ci invisibles; il y a le monde des corps et le monde des esprits. Il ne faut pas cependant admettre deux artisans à cause de cette différence des oeuvres. C'est pour cela que le prophète ne forme qu'un choeur et qu'il donne à ce choeur un seul et même cantique : c'est aussi le même Dieu qui doit être loué par toute créature, par les voix réunies des deux créations, afin qu'on sache qu'Il est l'unique artisan de l'une et de l'autre.

Il commence par la création supérieure en disant : "Louez-Le, vous tous, ses anges; louez-Le, vous toutes ses vertus." Un exemplaire porte : "Ses armées." Ainsi sont désignés les chérubins et les séraphins, les dominations, les principautés et les puissances. C'est le propre d'une âme enflammée, c'est le signe d'un d'ardent amour, d'appeler tous les êtres à louer l'objet aimé : comment agit un coeur qui trouve sa joie dans la pensée de Dieu, qui ne cesse d'admirer et de célébrer sa Gloire, qui lui demeure toujours attaché. "Louez-Le, soleil et lune; étoiles et vous toutes célestes clartés, louez-Le." Dans une autre version, il est dit: "Astres de lumière." - "Louez-Le, cieux des cieux, et que toutes les eaux qui sont au-dessus du firmament louent le Nom du Seigneur. Car il a dit, et toutes ces choses ont été faites. Il a commandé, et toutes ont été créées. Il les a établies pour les siècles et pour les siècles des sièclesÉ" "Pour qu'elles restent à jamais," porte une variante. "Il a donné son ordre, et cet ordre ne passera pas." D'où vient qu'après avoir dit quelques mots à peine des puissances célestes, Il les abandonne aussitôt, et qu'en parlant des choses visibles, il prolonge volontiers son discours, il se plaît à les énumérer toutes, celles de là-haut et celles d'ici-bas ? C'est parce que cet ordre de créatures était mieux connu de ses auditeurs, accessible qu'il est à tous les regards.

C'est aussi pour cela que Moïse, dont le livre commence par l'Îuvre de Dieu, par la création du monde, ne dit rien, absolument rien, des créatures supérieures, et, partant du ciel et de la terre, parcourant ensuite le soleil, la lune, les plantes, les poissons, les oiseaux et les quadrupèdes, arrive enfin à l'homme. Les cieux des cieux ne signifient pas dans la langue du prophète qu'il y ait plusieurs cieux, puisque lui-même dit ailleurs "le ciel du ciel." C'est une locution consacrée dans l'hébreu; voici ce que vous lisons dans un autre psaume : "Le ciel du ciel est au Seigneur; il a donné la terre aux enfants des hommes." (Ps 113,16). Vous avez encore entendu Moïse disant que Dieu divisa les eaux, et plaça les unes au-dessous et les autres au-dessus du firmament, qu'Il avait établi au milieu de l'abîme, de telle sorte qu'une partie des eaux fut maintenue sur la voûte céleste. - Mais comment pourront louer Dieu, me dira-t-on peut-être, des créatures qui n'ont ni voix, ni langue, ni sentiment, ni pensée, à qui manquent à la fois l'organe et le principe de la parole ? - C'est qu'il y a deux manières de louer : on ne loue pas seulement par la Parole, ou loue aussi par la vue; ajoutons un troisième mode de louanges, les oeuvres et la vie. En effet, le silence parle quelquefois aussi haut que la parole elle-même, pour rendre gloire à Dieu. C'est ainsi que le Christ disait : "Que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux." (Mt 5,16). Il avait été dit : "Je glorifierai ceux qui me glorifient." (I Roi 2,30). Il est sans doute une glorification dont la langue est l'organe, et voilà comment Moïse glorifiait Dieu en disant avec Marie : "Chantons une hymne au Seigneur; car Il a magnifiquement fait éclater sa Gloire." (Ex 15,1).

Mais il est une glorification qui résulte de l'existence toute seule, selon ce que dit le prophète royal lui-même : "Les cieux racontent la Gloire de Dieu, et le firmament annonce la puissance de ses Mains." (Ps 18,1). De même ici, la créature loue par sa beauté, par sa position, par sa grandeur, par sa nature, par les services qu'elle rend, les biens intarissables dont elle est le ministre. Lors donc qu'il dit : Louez le Seigneur, anges, vertus, ciel et terre, soleil, lune, étoiles, eaux supérieures; il veut dire par là que chacune de ces oeuvres est digne de l'ouvrier divin, respire sa puissance et sa sagesse. C'est ce que Moïse exprime par un mot au commencement : "Dieu vit toutes les choses qu'Il avait faites, et toutes étaient très bonnes;" (Gen 1,31); tellement bonnes qu'elles publient à jamais la Gloire de leur Auteur, et qu'elles excitent à Le louer celui qui les contemple.

2. Il appelle donc une louange la beauté des oeuvres accomplies, parce que l'honneur en revient à celui qui les a faites. Voilà ce que Paul enseigne également: "Les choses invisibles de Dieu deviennent manifestes à notre intelligence par ses oeuvres, par la création du monde; c'est ainsi que nous voyons son éternelle Puissance et sa Divinité." (Rom 1,20). Notre prophète, après avoir parlé des créatures, en nous laissant le soin de comprendre par le seul aspect ce qu'elles renferment de beauté, de grandeur et d'utilité, remonte à la source même de ces avantages, quand il ajoute : "Il a dit, et toutes ces choses ont été faites; Il a commandé, et toutes ont été créées. Il les a établies pour les siècles, et pour les siècles des siècles, Il a donné son ordre, et cet ordre ne passera pas." Qu'elles soient belles et merveilleuses, c'est du ressort des yeux; qu'elles aient un créateur, qu'elles ne viennent pas d'elles-mêmes, qu'elles soient produites d'ailleurs, on pourrait le déduire du texte lui-même bien compris. Si quelqu'un toutefois, conservait à cet égard quelque doute, qu'il apprenne de moi qu'elles sont les résultats d'une pensée créatrice et qu'une providence attentive veille sur elles. - En effet, on peut distinguer là deux choses, ou plutôt trois, quatre même, à vouloir examiner le texte de près : qu'elles sont créées, qu'elles ont été tirées du néant, que Dieu les a faites sans aucun effort, qu'Il les gouverne enfin après les avoir faites. La facilité de la création brille dans cette parole : "Il a ditÉ" Voici comment Paul s'exprime à son tour : "Il vivifie les morts, Il nomme ce qui n'est pas, tout comme ce qui est."( Rom 4,17). Nommer, pour Lui, c'est assez; on ne saurait agir avec une facilité plus grande. Qu'Il gouverne ensuite ce qu'il a Lui-même créé, le prophète nous le déclare d'une manière non moins expresse en ajoutant : "Il les a établies pour les siècles, et pour les siècles des siècles. Il a donné son ordre, et cet ordre ne passera pas." Remarquez encore qu'elle puissance et quelle autorité respirent dans ces paroles; le décret porté par Dieu, cet ordre qu'Il donne, ce sont des expressions empruntées à notre langage humain pour rendre l'action divine. Il ne vous est pas plus facile de dire une chose ou de la commander, qu'à Dieu de tirer un être du néant et de le gouverner après l'avoir, fait. Que dis-je ? Cette comparaison est même trop faible; il n'est pas en notre pouvoir de dire avec quelle facilité l'acte créateur s'est accompli. Ce qu'il y a d'admirable encore, ce n'est pas seulement que Dieu gouverne tout, que les limites de chaque nature demeurent inébranlables; c'est aussi que les siècles s'écoulent sans y rien changer. Que de temps déjà ! Et nulle confusion ne s'est produite dans les créatures : la mer n'a pas envahi la terre, le soleil éclaire sans brûler, le firmament demeure inébranlable, ni le jour ni la nuit n'ont franchi les limites qui les séparent, il en est de même des saisons et de tout, en un mot. Chaque chose, soit là-haut, soit ici-bas, a gardé invariablement sa place, et parfaitement respecté les bornes qui lui furent imposées. Après avoir parlé des corps célestes, le prophète passe à ceux qui sont sur la terre : il poursuit la marche qu'il s'est tracée; car, des êtres qui sont au-dessus des cieux, il était d'abord descendu à ceux qui forment le ciel même, et maintenant il descend du ciel sur la terre.

Comme il y a des hommes qui prétendent que les choses qui brillent au ciel sont dignes à la vérité de l'Artisan suprême, mais qu'il n'en est plus ainsi de celles qui sont sur la terre et parmi les- quelles se trouvent les scorpions, les dragons et tant d'autres races de bêtes dangereuses, tout comme les arbres qui ne donnent aucun fruit; le prophète semble vouloir répondre à ces fausses idées, en donnant une telle direction à son cantique. Voyez ce qu'il fait : il laisse de côté les choses dont nul ne conteste l'utilité, les brebis et les boeufs, si nécessaires à l'homme comme l'expérience le prouve, les ânes, les chameaux et tous les animaux qui partagent ou prennent sur eux nos fatigues; il en vient immédiatement à ce qui ne semble nous procurer aucun avantage, et voilà qu'il met sous nos yeux l'image des dragons, la partie de la mer où ne s'aventurent pas les vaisseaux, les choses mêmes qui paraissent nuisibles, le feu, la grêle, la neige et la glace, puis les arbres stériles et les montagnes; il quitte les plaines fécondées par les travaux des laboureurs, qui se couvrent de moissons et de fruits, pour en appeler aux montagnes, aux lieux escarpés et déserts, à toute sorte de reptiles. Écoutez plutôt ses propres expressions.

Après avoir dit : "Il a donné son ordre, et cet ordre ne passera pas," il ajoute : "Louez le Seigneur, habitants de la terre; vous dragons, et vous abîmes, feu, grêle, neige, glace, souffle des tempêtes, instruments de sa parole." Dans une variante on lit : "Vent du Typhon," - "Montagnes et collines, vous tous, arbres fruitiers et cèdres, bêtes sauvages, troupeaux de toute espèce, reptiles, oiseaux qui volez dans l'air." (lbid., 7-10). D'où vient qu'il s'appesantit ainsi sur ce sujet ? C'est pour mieux nous montrer, par une telle abondance, la Bonté prévoyante de Dieu. Si les choses qui paraissent inutiles ou même nuisibles à la nature humaine, sont tellement utiles et bonnes, au fond qu'elles chantent la Gloire du Seigneur et publient ses Louanges par cela même qu'elles sont, que devez-vous penser des autres ? Mais, si vous le voulez bien, voyons chaque chose énumérée. "Vous dragons, dit-il, et vous abîmes," Ce sont les cétacés qu'il appelle ici dragons, comme du reste il l'avait fait dans un autre psaume : "Ce dragon que Tu as formé pour se jouer dans les eaux," (Ps 103,26), on peut voir en beaucoup d'autres endroits ce même nom appliqué de la même manière.

3. Et comment cet animal loue-t-il Celui qui l'a créé ? me dira-t-on peut-être. - Et pourquoi ne le louerait-Il pas ? En voyant la grandeur et l'organisation de son corps, que le livre de Job décrit d'une manière si parfaite, comment n'admireriez-vous pas l'Artisan suprême, l'auteur d'un tel animal ? Sa grandeur n'est pas la seule chose qui frappe; ce qui frappe encore, c'est qu'une partie de la mer lui soit réservée, où l'homme ne saurait conduire ses vaisseaux. Et lui-même, chose non moins admirable, ne sort pas des frontières de son empire, bien qu'il soit le plus indomptable et de beaucoup le plus grand des animaux; il se tient dans les régions qui lui furent assignées, et, non content de respecter la terre, les contrées habitables, il n'envahit même pas la partie navigable de la mer, il n'extermine pas les autres poissons; il sait jusqu'où vont ses droits et sa demeure. L'abîme avec ses mystérieuses profondeurs n'est pas moins digne de notre admiration. Ce que nous observons dans l'animal, nous pouvons l'observer aussi par rapport à la mer. Quelque impétueux que soient les vents qui la soulèvent, et malgré l'immensité de ses réservoirs, elle ne sort pas de ses bornes, elle n'envahit pas la terre voisine; on la dirait retenue par d'indissolubles liens, alors toutefois que les eaux sont indomptables de leur nature. Avec une telle immensité, avec une telle violence, comprenez-vous combien c'est une chose admirable qu'elle n'écoute pas les aveugles instincts de sa force irrésistible et qu'elle ne quitte pas le lieu qui lui fut assigné, qu'elle respecte aussi parfaitement l'ordre au sein même du désordre ? Réfléchissez là-dessus, et vous y trouverez un nouveau motif de louer Dieu, de célébrer sa Puissance et sa Sagesse, l'efficacité et l'étendue de son Règne. Les autres choses mentionnées nous offriraient un égal sujet de méditation; mais celui qui les a faites pourrait seul les expliquer. De là ce langage de l'Ecclésiastique : "Ne dites pas : Pourquoi ceci, à quoi bon cela ? Chaque chose a son but dans la pensée divine." (Ec 39,2). "Le feu, la grêle, la neige, la glace, le souffle des tempêtes, qui sont les instruments de sa Parole." Ceci présente un développement de ce qui a été déjà dit. Dans le psaume précédent, le prophète admirait la promptitude avec laquelle la neige couvrait toute la surface de la terre, la formation de la glace et les changements dont elle nous offre l'aspect. Ici nous voyons ce qui n'était pas arrivé à l'existence, s'y maintenir, remplir un office dans la création, et, quoique dénué de toute intelligence, accomplir avec une docilité parfaite les ordres du Créateur, souvent même un ordre contraire à la nature de l'agent, comme cela eut lieu dans la fournaise de Babylone, où le feu répandait une douce rosée sans cesser de brûler. - Est-ce que cela, me dira-t-on, mérite des actions de grâces ? - Et beaucoup certes. Dieu doit être également loué, qu'Il punisse ou qu'Il pardonne; car sa Providence et sa Bonté s'exercent également de ces deux manières. Les hommes sont guidés dans ce double office tantôt par la bonté, tantôt par la haine et la colère : Dieu l'est constamment par l'amour. Il faut donc Le louer avec la même effusion, et lorsqu'Il place Adam dans le paradis, et lorsqu'Il l'en rejette; il faut Le bénir non seulement parce qu'Il donne le royaume, mais parce qu'Il condamne à la géhenne; car Il l'a faite et Il nous a menacés pour nous éloigner du vice.

Nous respectons la conduite du médecin, soit qu'il permette la nourriture au malade, soit qu'il l'exténue par la privation, qu'il le laisse sortir sur la place publique ou qu'il le tienne renfermé dans sa maison, qu'il applique des liniments ou qu'il emploie le fer et le feu, par la raison que ces moyens, tout contraires qu'ils sont, tendent au même but : ainsi devons-nous louer Dieu en toutes choses, et beaucoup plus encore, puisqu'il est Dieu et que le médecin n'est qu'un homme. Ajoutez que celui-ci se trompe souvent dans ses prévisions, tandis que la Sagesse et la Bonté de Dieu ne manquent jamais leur effet. La grêle et le feu ne furent pas uniquement une punition; ils ont fréquemment délivré du supplice, mis fin à la guerre, repoussé les invasions des ennemis. Ne savez-vous pas quels miracles furent jadis opérés en Égypte par le moyen de ces éléments ? Et les Juifs n'ont pas été seuls à l'éprouver; notre génération elle-même en a fait l'expérience. Telle est la puissance de Celui qui le veut, que les merveilles dont les anges, ces esprits purs, ces puissances supérieures, ont quelquefois été les ministres, il les a souvent opérées par des instruments insensibles; de telle sorte que, lorsque l'ange intervient, ce n'est pas à lui qu'on peut attribuer l'action, mais bien à Celui dont il exécute les ordres. Un ange arrête une guerre ? La grêle l'arrête aussi. Un ange tue les premiers-nés? La mer en courroux extermine tout un peuple. Rendez donc grâces en toutes choses à la Bonté de Dieu. "Montagnes et collines, arbres fruitiers et cèdres, bêtes sauvages et troupeaux de tout genre, reptiles, oiseaux qui volez dans l'air." Voyez comme il se plaît à parler surtout des choses réputées les plus inutiles, des montagnes, des bois, des collines, des bêtes sauvages, des reptiles, des arbres qui ne donnent pas de fruit. Les arbres fruitiers sont évidemment utiles, comme le sont aussi les fertiles campagnes et les animaux domestiques; mais les autres arbres, les serpents et les montagnes, quelle en est l'utilité ? me direz-vous peut-être. - Une très grande, certes, et qui touche de près à notre vie. Les montagnes, les collines et les bois nous fournissent les matériaux nécessaires pour bâtir nos maisons; supposez que tout cela nous manque, et le genre humain viendrait à périr. Si les champs propres à la culture sont indispensables à notre alimentation, le bois et la pierre ne le sont pas moins pour la construction de nos demeures et tant d'autres usages qu'on ne peut énumérer.

4. Mais les serpents, dites-vous, les scorpions, les dragons et les lions, en quoi sont-ils utiles à notre vie, quel est le bien que nous en retirons ? - Un bien multiple, au-dessus de toute expression : ces animaux ne nous sont pas moins utiles que les animaux domestiques. Ces derniers servent à nos besoins corporels; les premiers nous inspirent une crainte salutaire, nous excitent à la pratique de la vertu, nous forment à la lutte, nous rappellent sans cesse le péché de nos premiers parents, nous montrent de quels maux la désobéissance est la cause. Primitivement l'homme ne tremblait pas devant ces animaux, et, bien loin de les fuir, il leur donnait ses ordres et ses caresses. Dieu les amena devant Adam, et celui-ci leur imposa le nom qui leur convenait. Le serpent s'entretient avec Eve, et la femme ne recule pas; mais, quand l'ordre divin fut transgressé, la désobéissance commise, l'homme perdit beaucoup de sa dignité. Donc, à la vue d'un lion, à la vue d'un serpent, souvenez-vous de ce qui vous fut enseigné, et ce n'est pas une légère leçon de philosophie que vous aurez puisée dans cette vue. Souvenez-vous aussi de Daniel et du mépris qu'il témoigna pour ces animaux terribles, l'homme primitif ayant en quelque sorte reparu en lui; rappelez-vous aussi Paul et la vipère : tout cela vous inspirera plus de vigilance et de zèle pour vos intérêts spirituels. Ces animaux nous offrent encore un autre genre d'utilité, en nous faisant admirer une attention spéciale de la divine Providence. En quoi consiste cette attention ? En ce que Dieu leur a fixé pour séjour des lieux éloignés de nos villes, les déserts : comme ils causent tant de frayeur, ils ne viennent pas au milieu de nos demeures, ils ne se précipitent pas sur les habitants des cités; ils auront leurs solitudes, cette sorte d'empire, si propre à leur genre de vie, qui leur frit assigné dès l'origine. Quand vous dormez, eux parcourent leur désert.

C'est l'image que le prophète nous présente dans un autre psaume : "Tu envoie les ténèbres, et la nuit se fait; à travers ses ombres passeront toutes les bêtes de la forêt." (Ps 103,20). Vous le voyez, il vous reste quelques vestiges de votre ancienne royauté, vestiges bien mutilés sans doute; mais qui parlent encore de votre noblesse. Ces animaux sont comme des serviteurs confinés dans un endroit à l'écart, et même séparés de nous par les heures; si vous n'allez pas les tourmenter, ils ne viendront pas contre vous, ils se tiendront dans leurs solitudes. Vous irriter et vous affliger de ce que les bêtes sauvages existent, ce serait de la folie. Ayez une conduite irréprochable, et vous n'en aurez rien à souffrir; si quelquefois cependant elles vous nuisent, reconnaissez que les hommes vous nuisent plus souvent et plus gravement encore. Oui l'homme est pire qu'une bête féroce : celle-ci du moins ne cache pas sa férocité, tandis que celui-là couvre sa malice du masque de la bonté, ce qui fait qu'on ne saurait se garder de ses atteintes. Du reste, je le répète, si vous possédez la vertu, ni la bête ni l'homme ne peuvent vous faire aucun mal, ils seront même pour vous l'occasion d'un grand bien. Et que dis-je, la bête ou l'homme ? Mais le diable lui-même, bien loin de nuire à Job, lui procura mille couronnes.

Que dis-je, encore une fois, la bête ou l'homme ? Mais les éléments mêmes dont vous êtes composé, les humeurs qui circulent dans votre corps vous seront beaucoup plus nuisibles, si vous ne prenez aucune précaution pour en corriger les excès ou la surabondance; tant est nécessaire en tout la vigilance de l'âme. Si vous êtes négligent, vous subirez les plus graves dommages; si vous êtes, au contraire, attentif et vigilant, vous obtiendrez de précieux avantages : tout dépend de votre libre choix. Ce que la neige, le feu, le vent sont dans le monde, le flegme, le sang, la bile le sont dans notre corps : il faut tout diriger avec intelligence, pour y trouver un bien et n'en éprouver aucun préjudice. Et que parlé-je du corps? l'âme elle-même est sujette à des passions qui deviennent de véritables maladies si vous leur abandonnez les rênes, et qui sont de puissants auxiliaires si vous les maîtrisez. La colère, par exemple, quand elle est bien dirigée, peut servir à notre salut; elle nous conduit à notre perte quand elle ne subit plus le frein. La concupiscence elle-même est un bien, pourvu qu'elle soit soumise à la conscience : c'est elle qui fonde une famille; mais elle la détruit par le désordre et la corruption, quand on s'abandonne à ses instincts. N'accusez donc jamais les choses; le mal n'est que dans vos sentiments. Si vous n'êtes pas maître de vous, c'est vous-même qui vous perdez et votre corps vous est un piège; si vous veillez sur vous-même, vous n'avez rien à redouter, je ne dirai pas des bêtes féroces, mais de la rage même des démons et de la puissance du diable. "Rois de la terre, et vous toutes nations ou tribus; princes, et vous tous juges du monde; jeunes hommes, jeunes filles, enfants et vieillards, que tous louent le Seigneur." (lbid., 11,12). Dans ce passage le prophète touche à une autre manifestation de la divine Providence, celle qui s'applique aux chefs des peuples; comme le fait aussi saint Paul dans son Épître aux Romains, déroulant là une admirable doctrine touchant le plan de la Sagesse de Dieu dans la complète organisation du pouvoir et de l'obéissance. L'homme investi du pouvoir "est le ministre de Dieu par rapport à vous et pour notre bien." (Rom 13,4). Otez cet instrument de la Providence et vous renversez tout. Si, dans l'état actuel des choses et lorsque parmi ceux qui gouvernent il en est tant de corrompus, l'institution néanmoins est tellement utile que nous en retirons les plus précieux avantages malgré la perversité des hommes; songez quel bonheur en résulterait pour le genre humain, dans le cas où tous les dépositaires du pouvoir l'exerceraient d'une manière digne. L'établissement du pouvoir, c'est l'oeuvre de Dieu; mais l'envahissement du pouvoir par la perversité et le fatal usage qu'elle en fait, c'est l'oeuvre de l'homme.

5. Le prophète veut donc nous faire entendre que l'existence même des souverains et des magistrats nous est un motif de reconnaissance envers Dieu; car c'est par là qu'il a pourvu à ce que les hommes vécussent dans l'ordre, et non à la façon des bêtes sauvages, comme la plupart l'auraient fait; c'est pour remplir les fonctions de conducteurs et de pilotes que les princes et les monarques nous ont été donnés. Si vous exercez donc une magistrature, rendez grâces à la divine Bonté de ce qu'elle vous fournit l'occasion de déployer une telle sollicitude; êtes-vous gouverné, rendez grâces encore de ce qu'il y a quelqu'un qui veille sur vous et qui ne laissera pas les méchants vous envelopper dans leurs pièges. Êtes-vous vieux, êtes-vous jeune, rendez grâces à Dieu. Le but essentiel et total de ce psaume est de nous montrer que nous devons louer le Seigneur en toutes choses, que nous soyons gouvernants ou gouvernés. "Tous les peuples," dit le prophète, c'est-à-dire, tous les hommes sans exception, jeunes gens ou vieillards, hommes ou femmes.

"Parce que son Nom est seul exalté, ou suréminent. Sa gloire est au-dessus de la terre et du ciel." Une variante substitue l'idée de louange à celle d'hommage. "Il a élevé la force de son peuple. Qu'une hymne retentisse donc au milieu de tous les saints, des enfants d'Israël, du peuple qui s'approche de Dieu." (Ibid., 13,14). Voici quel est le sens de ces paroles : J'ai montré par le spectacle des choses visibles la providence, la Gloire, la Magnificence du Seigneur; mais ce n'est pas pour cela seulement qu'il faut Le louer : indépendamment de cela, avant la création, en dehors de ce qu'Il a fait, Il a droit à tous nos hommages, à toute gloire, à la reconnaissance de tous les hommes. Et Lui seul en est digne, comme le dit expressément le psaume afin de le distinguer des faux dieux. Aussitôt après, nous inspirant des pensées plus hautes, il nous enlève à la terre pour nous transporter de nouveau dans le ciel. De même que dès le début, Il est descendu du ciel sur la terre; de même, du spectacle des créatures inférieures Il s'élance vers le monde supérieur, en disant : "Sa gloire est au-dessus de la terre et du ciel." Bien que les puissances célestes, qui se dérobent à nos regards et ne sont accessibles qu'à notre intelligence, ne cessent de Le louer et de Le bénir, ce Dieu si grand et si parfait daigne néanmoins nous appeler son peuple, et non seulement nous donne ce nom, mais encore nous élève à cette sublime hauteur. Voilà pourquoi le prophète ajoute : "Il a exalté la force de son peuple." C'est une raison de plus qu'il nous donne pour nous engager à le servir avec plus d'ardeur; c'est nous dire que Dieu n'a nul besoin de nos adorations, Lui qui possède par nature la gloire essentielle, un empire absolu sur toutes choses, et qu'Il a voulu par bonté pure se donner un peuple qui fût spécialement le sien et dont la gloire se répandrait partout dans l'univers, C'est le sens des paroles qui suivent : "Ses louanges doivent retentir au milieu de ses saints, des enfants d'Israël, du peuple qui s'approche de Lui." De peur que cette distinction même ne les fit tomber dans l'indifférence, et qu'ils ne missent uniquement leur confiance dans le nom dont il les honorait, négligeant ainsi la vertu véritable, il veut que ses louanges retentissent, non pas simplement au milieu des hommes, mais au milieu des saints; il ne se borne pas à les désigner comme les enfants d'Israël, ils sont en outre "le peuple qui s'approche de Lui. "Les variantes de l'Écriture expriment toutes la même pensée. Voici la leçon renfermée dans ce passage : Si vous êtes saints, si vous approchez de Dieu, vous obtiendrez une grande gloire; car en Lui tout est éternel, Il est la source de toute gloire comme de toute richesse. Nécessairement nous participerons alors à sa manière d'être, un rayon de sa Splendeur infinie tombera sur nous, par la Grâce et l'Amour de notre Seigneur Jésus Christ, à qui gloire et puissance, dans les siècles des siècles. Amen.