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PSAUME 147 |
"Ce n'est pas à la ville, c'est aux habitants que le prophète adresse évidemment la parole, agissant ici comme dans tout le reste de son livre. Il les conjure donc et les presse de rendre grâces à Dieu pour les bienfaits qu'ils ont reçus, et de mettre leur confiance, non dans la hauteur de leurs murailles ni dans la solidité de leurs bastions, mais dans sa prévoyante bonté. Ce principe posé, il poursuit en ces termes : "Car Il a consolidé les serrures de tes portes, Il a béni tes fils dans ton enceinte." (Ibid.,2). Que signifie cette expression : "Il a consolidé les serrures ?" Il t'a mise en sûreté, il t'a faite inexpugnable. "Il a béni tes fils," Il les a multipliés d'une manière admirable. Voilà un premier bienfait; en voici maintenant un second : "En toi, dans ton enceinte." Ils ne sont ni divisés, ni dispersés, veut-il dire, c'est dans ton sein, sans s'éloigner de toi, qu'ils se sont ainsi multipliés.
Vient après cela une autre manifestation de la divine Providence : "Il t'a donné la paix pour frontières." (Ibid.,3). Il serait possible qu'ils eussent la sécurité au dedans et qu'ils fussent en aussi grand nombre, tandis qu'ils auraient à supporter la guerre. Eh bien, non; il déclare qu'ils seront à l'abri de tels dangers, que la ville n'en sera pas seule délivrée, que les frontières elles-mêmes en seront exemptes. Voyez déjà que de bienfaits. Le premier de tous et le plus grand, se trouve renfermé dans cette parole : "Ton Dieu." Cela dit tout en quelque sorte : Il t'a mise dans son intimité, Il t'assure son héritage, et lui, Seigneur de tous les êtres sans exception, II veut être par excellence le tien; et c'est là, certes, la source de tous les biens. Celui qui vient immédiatement après, c'est la sécurité de la ville. Le troisième, c'est leur prodigieux accroissement. Le quatrième, c'est que non seulement la ville, mais encore la nation tout entière soit à l'abri des guerres et des séditions; et ce n'est pas dans une circonstance ou dans une autre que ce bienfait est accordé, il dure sans cesse, comme l'indique assez le temps du verbe, qui est au présent, pour marquer une action permanente. Si parfois ce peuple eut des guerres à subir, ce n'est pas que Dieu l'eût abandonné, c'est que lui-même s'était éloigné de Dieu; car la divine Providence veillait constamment sur lui pour le protéger et le défendre, pour éloigner de lui toute division intestine et toute guerre étrangère. A ce dernier bienfait le prophète en joint un autre, l'abondance des fruits de la terre, en saisissant encore cette occasion pour enseigner aux hommes qu'ils doivent attribuer cette abondance, non à la fécondité de la terre elle-même, ni à l'influence naturelle de l'air, mais à la prévoyante Bonté du Créateur. 0ù voyons-nous briller cette bonté ? Dans les mots qui suivent : "Il te rassasie de la graisse du froment." Remarquez cette expression. Il ne se borne pas à dire : Du froment; il ajoute à ce mot celui de graisse, pour mieux montrer la prospérité dont ils jouiront. En disant la graisse du froment, c'est le choix qu'il veut dire, ce qu'il y a de plus pur et de plus parfait; car telle est la nature des dons de Dieu. Il leur promet donc qu'ils auront en abondance le meilleur froment : Dieu ne se contentera pas de le leur donner, Il les en rassasiera.
"Il répand sa Parole sur la terre," (Ibid.,4). Selon sa coutume, le prophète passe des faveurs particulières aux bienfaits généraux, et réciproquement des bienfaits généraux aux faveurs particulières. Comme il avait dit : "Loue ton Dieu," pour que la folie ne pût pas en induire qu'Il était le Dieu des Juifs seuls, il se hâte de montrer comme le Dieu de l'univers, dont la providence s'étend à toutes les contrées de la terre; et c'est pour cela que le chantre inspiré passe du particulier au général et célèbre cette providence universelle. A peine a-t-il dit : "Il répand sa Parole sur toute la terre," qu'il ajoute : "Et sa Parole court avec rapidité." N'est-ce pas là nous apprendre que Dieu veille, non sur une seule contrée, mais sur la terre entière ? La parole est prise ici pour la volonté même, pour l'action providentielle. Il en fait après cela ressortir la promptitude et l'énergie en nous la représentant avec des ailes rapides; et c'est d'une manière formelle qu'il parle de cette rapidité. Voici le sens de ce verset : Tout ce qu'Il ordonne s'accomplit avec une merveilleuse célérité. Or Il commande à toutes les créatures. Et que commande-t-Il ? Tout ce qui concourt à la conservation de notre vie, et, par conséquent, tout ce qui concerne l'heureuse disposition de l'air, la succession régulière des saisons.
Aussi poursuit-il en ces termes : "Il répand la neige comme des flocons de laine, et les frimas comme la cendre." (lbid.,5). Un autre interprète dit : "La rosée condensée." L'hébreu porte Chephor, Chaëpher. David continue : "Il accumule la glace comme les pains entassés. Qui se soutiendra devant le froid qu'Il excite ?" Dans une autre version, le chaud remplace ici le froid. "Il enverra sa Parole, et les glaces se fondront; son Esprit soufflera, et les eaux couleront." (lbid.,5-7). Je vois là l'irrésistible, l'infinie Puissance du Seigneur, puisqu'Il crée ce qui n'existe pas encore et qu'Il transforme à son gré les oeuvres de ses Mains.
2. Un autre prophète exprime formellement cette même pensée : "Il crée toutes choses et les transforme." (Am 5,8). Quoique chaque chose soit renfermée dans les inflexibles limites de sa nature, quand il plaît à Dieu, ces limites sont renversées; tout cède à sa volonté. Parfois Il change les substances elles-mêmes; parfois, laissant intacte la substance, Il change simplement l'opération, de telle sorte que cette substance est dépouillée pour un instant des effets qui lui sont propres, et qu'elle produit des effets opposés. C'est ce que Dieu fit dans la fournaise de Babylone : il y avait là du feu, mais un feu qui ne brûlait pas, et qui semblait la plus douce rosée à ceux qu'on avait jetés dans la fournaise. C'était bien la mer que les Hébreux traversaient; mais, au lieu de les engloutir, les ondes se tenaient plus solides que la pierre. C'était bien la terre que foulaient Dathan et Abiron, et cependant elle ne soutint pas le poids de leurs corps, elle les engloutit avec plus de facilité que la mer elle-même. La verge d'Aaron n'était plus qu'un bois sec, et voilà qu'elle produisit un fruit beaucoup plus beau que tous ceux qu'on pouvait voir sur les arbres. L'ânesse de Balaam était par sa nature le plus stupide des animaux, et cela ne l'empêcha pas de se défendre avec plus de raison que n'aurait pu le faire l'homme le plus éclairé, auprès de celui qui la frappait. Daniel était entouré de lions, et ces lions se montrèrent aussi doux que des brebis, non que leur nature fût détruite, mais parce que leurs instincts étaient comprimés.
Nous voyons dans les créatures beaucoup d'autres changements non moins merveilleux. Parce qu'un prodige se reproduit tous les ans et s'offre communément à nos regards, n'allez pas le dédaigner. Quelle merveille n'est-ce pas, si vous savez le comprendre, qu'une même chose soit tantôt de la glace et tantôt de l'eau, que de telles transformations s'accomplissent d'une manière aussi rapide ? Ne voulant pas que l'ignorance puisse les attribuer à la force naturelle des éléments et n'y voir que l'action des causes matérielles, le prophète élève notre pensée vers Celui qui les prescrit, et son cantique dès lors nous manifeste la volonté supérieure à laquelle tout obéit : "Il enverra sa Parole, et la glace se fondra." Sa Parole, encore une fois, c'est l'expression de sa Volonté; le vent n'est donc que l'instrument, et Dieu, le Créateur des vents, est l'Auteur du phénomène. S'il parle des éléments et des changements qu'ils subissent, c'est pour apprendre aux Juifs, dont l'esprit grossier avait besoin d'être frappé par des objets sensibles, à remonter des phénomènes que la nature nous présente chaque année, à la Puissance même de Dieu, qui peut avec tant de facilité modifier à son gré la forme des créatures et les faire passer d'un extrême à l'autre. De même que, la tempête étant déchaînée et les frimas sévissant avec fureur, Il peut aisément ramener le calme et radoucir la température; de même Il peut sans effort rendre la paix à ceux qui sont tourmentés par la guerre et rendre à leur patrie, comme à leur ancienne prospérité, ceux qui gémissaient dans les fers. Là ne s'arrête pas la portée de ce texte; il renferme de plus un sens caché. Quel est-il ? C'est que les malheurs arrivés à ce peuple tournèrent à son avantage, furent pour lui la source d'un grand bien, comme les phénomènes dont nous parlons, tout pénibles qu'ils peuvent être, contribuent cependant au bonheur de notre vie. Le prophète ne s'appesantit pas même sur ces tristes images, il les tempère par de plus douces idées. Que signifieraient autrement les expressions qu'il emploie ? Au lieu de dire simplement : "Il répand la neige," voilà qu'il ajoute : "Comme des flocons de laine." Il ne dit pas non plus : "Et les frimas," sans ajouter : "Comme la cendre." Il ne se borne pas à dire enfin : "II accumule la glace," puisqu'il complète ainsi sa pensée : "Comme les pains entassés." C'est la facilité de l'action divine et le but qu'elle poursuit que j'aperçois dans de semblables expressions.
"Il annonce sa doctrine à Jacob." Un autre dit : "Ses décrets;" un autre encore : "Ses ordres." - "Ses Justices et ses Jugements à Israël. Il n'a pas agi de même (ou bien : Il n'a pas fait la même chose) envers les autres nations; Il ne leur a pas manifesté ses Jugements." (lbid.,8,9). Voyez comme des dispositions générales de la Providence, il revient à ce qui regarde spécialement les Juifs, voulant ranimer ainsi leur zèle. Au commencement du psaume il a parlé des biens qui tombent sous les sens et qui servent à notre vie corporelle, tels que la sécurité, l'abondance, la paix : ici sa parole prend un tout autre essor, il touche à l'établissement de la loi, et par là même au plus grand de tous les bienfaits, puisqu'il a pour objet d'éloigner du vice, de conduire à la vertu, d'illuminer l'intelligence. C'est ce qui faisait dire à Moïse, dont le regard avait fouillé ce sujet dans tous les sens : "Quel est le peuple comparable à celui-ci ? Quelle est la nation assez grande pour avoir un Dieu. qui vive au milieu d'elle, comme le Seigneur notre Dieu, dans toutes les circonstances où nous L'invoquons ?" (Dt 4,7). David dit à son tour : "Le Seigneur fait miséricorde et rend justice aux opprimés. Il a fait connaître ses Voies à Moïse, ses Volontés aux enfants d'Israël." (Ps 102,6-7). Voici comment parle Jérémie : "Celui-là est notre Dieu, et nul autre à part Lui ne sera compté pour rien. Il a découvert toutes les voies de la sagesse, et Il les a transmises à Jacob son fils, à Israël son bien-aimé. (Ba 3,36-37).
Quelqu'un dira peut-être : Mais puisqu'Il ne les a pas révélées aux autres hommes, comment ceux-ci sont-ils punis ? - A la vérité, que Dieu juge les hommes mêmes qui vécurent. avant la loi et ceux qui pèchent n'importe dans quelle contrée de la terre, les Paroles de Jésus-Christ ne nous permettent pas d'en douter : "La reine du Midi se lèvera, et condamnera cette génération." Il venait de dire : "Les.hommes de Ninive se lèveront, et condamneront cette génération." (Mt 12,41-42). C'est bien nous dire ouvertement qu'eux aussi seront jugés, et qu'ils le seront pour leur gloire, tandis que d'autres trouveront là leur châtiment. Or, s'ils n'avaient pas appris les devoirs imposés aux hommes, comment pourraient-ils condamner les prévaricateurs ? Comment le Sauveur aurait-il dit encore : "Le sang sera vengé, depuis le sang du juste Abel jusqu'au sang de Zacharie ?" (Mt 23,35). Et dans une autre circonstance : "Le sort des habitants de Sodome et de Gomorrhe sera moins intolérable ?" (Mt 11,24). Ce qui veut dire évidemment qu'ils auront un supplice à subir, mais un supplice moins terrible que celui dont il s'agit. Ceux-là furent néanmoins assez fortement châtiés : que deviendront alors les autres ?
3. Nous avons encore l'exemple des hommes engloutis par le déluge, et beaucoup d'autres, sans compter celui de Caïn. Paul enseigne ainsi la même doctrine : "La colère de Dieu éclate du haut du ciel sur toute impiété et sur l'iniquité des hommes qui retiennent la vérité dans l'injustice; car ce qu'on peut connaître de Dieu, ils le voient en eux-mêmes. Dieu le leur a manifesté. Ce qu'il y a d'invisible en Lui se révèle à notre intelligence par le spectacle de la création, qui est son oeuvre; là rayonnent son éternelle Puissance et sa Divinité, de telle sorte que ces hommes sont inexcusables." (Rom 1,18-20). Il en vient ensuite à caractériser leur vie, montrant encore là le compte rigoureux qu'ils auront à rendre; puis il poursuit : "Comme ils ont connu la justice de Dieu, ceux qui commettent de telles choses sont dignes de mort; et non seulement ceux qui les commettent, mais encore ceux qui donnent leur approbation aux coupables. Pensez-vous donc, ô homme, vous qui condamnez ceux qui se rendent ainsi coupables, et qui cependant commettez les mêmes actions, que vous échapperez au jugement de Dieu ? Méprisez-vous les richesses de sa Bonté, de sa Patience et de sa Mansuétude, au point d'ignorer que la Clémence de Dieu vous invite à faire pénitence ? Par votre insensibilité et par l'impénitence de votre coeur, vous amassez sur votre tête un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste Jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres : la vie éternelle à ceux qui par la persévérance dans les bonnes oeuvres cherchent la gloire, l'honneur et l'immortalité; et quant à ceux qui par esprit de contradiction n'obéissent pas à la vérité, mais se laissent guider par l'injustice, Il réserve sa colère et son indignation. Tribulation et angoisse sur l'âme de tout homme qui fait le mal, du Juif d'abord, du gentil ensuite." (Rom 2,3-9).
Tout cela nous montre clairement que tous les hommes qui furent jamais, même avant la loi, ont subi la peine de leurs péchés, et que tous ceux qui vécurent dans l'amour de la vertu et dans la fuite de l'impiété ont acquis la vraie béatitude. Or, comment ces deux choses auraient-elles été s'ils avaient ignoré quelles étaient leurs obligations ? - Et s'ils les connaissaient, m'objectera-t-on peut-être, d'où vient qu'il est dit : "Il n'a pas agi de même envers tontes les nations, et Il ne leur a pas manifesté ses Jugements ?" - Voulez-vous comprendre le sens de ces paroles, savoir ce que le Prophète a voulu dire, écoutez : Il n'a donné de loi écrite à aucun autre peuple; mais tous avaient la loi naturelle gravée au-dedans d'eux-mêmes et qui leur faisait connaître le bien et le mal. En effet, au moment même où Dieu créa l'homme, Il lui donna ce jugement incorruptible, cette lumière de la conscience qui doit guider la vie de chacun. Pour les Juifs, Il leur donna de plus, les distinguant ainsi du reste des hommes, cette loi morale qui mettait sous leurs yeux les préceptes que tous avaient dans leur coeur. Aussi le Prophète ne dit-il pas que Dieu n'ait rien fait pour les autres nations; il dit seulement qu'Il n'a rien fait de pareil : Il ne leur a pas donné les tables de la loi, des livres inspirés, un législateur comme Moïse, ni les autres choses qui s'accomplirent sur le mont Sinaï; les Juifs seuls en furent favorisés par un heureux privilège; le reste du genre humain dut se contenter des prescriptions dictées par la conscience. C'est ce que Paul déclare également en ces termes : "Comme les nations n'ayant pas la loi font par l'impulsion de la nature ce que la loi prescrit, les hommes privés de ce secours sont eux-mêmes leur loi." (Rom 2,14). Voilà pourquoi les Juifs devront subir une plus grave condamnation, puisqu'en méconnaissant la loi naturelle, ils ont encore violé la loi écrite; et ce bienfait si grand que Dieu leur avait accordé est devenu pour eux, à cause de leur négligence, l'occasion d'un plus terrible châtiment.
Nous en avons assez dit sur le sens littéral du psaume; si quelqu'un maintenant en désire l'explication anagogique, nous ne refusons pas d'entrer dans cette nouvelle voie, non certes pour ébranler la vérité historique, loin de nous cette pensée,mais pour offrir aux âmes zélées ce précieux avantage, autant du moins que le texte peut le comporter. "Jérusalem, loue le Seigneur; loue ton Dieu, Sion." Paul connaît la Jérusalem céleste, puisqu'il dit : "La Jérusalem qui est là-haut possède la vraie liberté, elle est notre mère." (Gal 4,26). Il sait aussi que l'Église est la véritable Sion; écoutez ses paroles : "Vous ne vous êtes pas approchés de la montagne visible que couvrent des tourbillons de feu et de fumée, qu'enveloppent le tonnerre et les éclairs; mais vous êtes venus à la cité de Sion, à l'Église des premiers-nés, dont les. noms sont inscrits dans les cieux." (Heb 12,18 et seq). On peut donc, dans le sens anagogique, dire à celle-ci : "Jérusalem, loue le Seigneur, loue ton Dieu, Sion; car Il a consolidé les serrures de tes portes, Il a béni tes enfants en toi." Il a fortifié l'Église bien mieux qu'Il n'avait fortifié Jérusalem; et ce n'est pas avec des portes et des verrous, c'est avec sa Croix elle-même, et par la manifestation de sa propre puissance. Voilà le rempart qu'Il élève. autour de la cité sainte, ce qui Lui fait dire : "Les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle."( Mt 16,18).
4. Au commencement, tous les monarques, les peuples et les cités, les phalanges des démons et le tyran des enfers à leur tête, mille autres ennemis se déchaînaient contre l'Église; mais tous s'y brisèrent et périrent, tandis qu'elle n'a cessé de grandir au point de dépasser la hauteur même des cieux. "Il a béni tes enfants en toi." De même que cette parole prononcée dès l'origine : "Croissez, multipliez-vous et remplissez la terre," (Gen 1,28), a parcouru l'univers pour le féconder, de même en a-t-il été de celle-ci : "Allez, instruisez toutes les nations, " (Mt 28,19), et de cette autre : "Cet évangile sera prêché dans le monde entier." (Mt 26,13). En effet, dans un très petit espace de temps, l'ordre s'est accompli jusqu'aux derniers confins de la terre. C'est dans cette vue que le Sauveur disait encore : "Si le grain de froment ne tombe pas dans la terre et n'y meurt pas, il reste seul; s'il meurt, au contraire, il produit des fruits abondants." (Jn 12,24). Il ajoutait : "Quand je serai élevé au dessus de la terre, j'attirerai tout à moi." (Ibid.,32). Tous les hommes sont primitivement venus d'un seul, et, la population augmentant selon les lois de la nature, ce fut l'affaire d'un grand nombre de siècles : au temps des apôtres, la multitude augmentait, non d'après les lois de la nature, mais selon le pouvoir de la grâce. Aussi, dans un jour trois.mille, une autre fois cinq mille, puis des foules innombrables, et puis encore l'univers entier reçurent la vie nouvelle et formèrent une immense famille par cette merveilleuse régénération; c'est par les faits que se manifestait la bénédiction qui leur avait été donnée : ils étaient nés de la grâce divine, "non du sang et par la volonté de la chair."
"Il t'a donné la paix pour frontière." C'est là surtout ce qu'on peut dire de l'Église. Chose qui frappe d'étonnement, elle jouissait de la paix au sein même de la guerre; entourée d'embûches, elle vivait dans la sécurité. Voilà pourquoi Jésus disait : "Je vous laisse ma paix, Je vous donne ma paix." (Jn 14,27). "Il te nourrit de la graisse du froment." En appliquant le psaume à l'Église, on peut entendre cette parole de l'aliment spirituel que nous y trouvons, du pain de vie qui nous est donné. "Il envoie sa Parole sur la terre, et sa Parole court avec rapidité." Quelle est la parole dont il est ici question, je vous le demande ? Celle dont les apôtres furent les ministres et qui parcourait l'univers comme portée sur des ailes rapides. C'est ce que David annonçait dans un autre psaume, quand il disait : "Le Seigneur donnera la parole aux infatigables messagers de la bonne nouvelle." (Ps 67,12). Si quelqu'un était assez insensé pour révoquer en doute une telle interprétation, qu'il examine ce qui se passe dans les éléments : il verra comment la neige s'entasse avec rapidité, couvre la terre en quelques instants et dérobe subitement à nos regards tous les objets qui nous entourent. Éclairé qu'il était de l'esprit prophétique et cherchant dans la nature un terme de comparaison pour mettre dans tout son jour le sens anagogique de sa prophétie, il devait insister sur ces phénomènes naturels.
Voici donc ce qu'il a voulu dire : Il arrivera
que la terre entière soit inondée par la Parole de
Dieu, mais de la manière la plus rapide, dans un temps
extrêmement court. - Après cela, comme la seule nation
des Juifs, à laquelle avaient été
consacrés tant de soins et pendant tant de siècles,
n'en était pas devenue meilleure, le prophète veut
répondre à la difficulté qui pourrait
naître d'une telle considération : pour montrer comment
les habitants de la terre entière seront en peu de temps
ramenés au bien, il prend des exemples dans les choses de
l'ordre naturel, la neige, les nuées, la glace, si
remarquables par la promptitude avec laquelle elles viennent. Ne
refusez donc pas de croire, bien qu'on vous annonce un si rapide
changement dans les esprits. - Mais il en est beaucoup qui
résisteront ? - Ceux-là même finiront par
céder et laisseront le champ libre à la pensée
divine. On peut bien supporter un froid léger; mais, s'il
acquiert un certain degré d'intensité, nul n'y
résiste, tous sont domptés : à plus forte raison
toutes les résistances devront-elles succomber devant la
Parole et l'ordre de Dieu. Il dépend de lui de changer les
substances, d'en produire de nouvelles, de communiquer une telle
force aux éléments que toute résistance devienne
impossible. "Il annonce sa Parole à Jacob, ses Justices et ses
Jugements à Israël." Vous ne vous trompez pas non plus,
en interprétant dans un sens spirituel ces noms de Jacob et
d'Israël; entendez ce que dit l'Apôtre : "La paix sur vous
et sur l'Israël de Dieu," (Gal 6,16), à qui gloire dans
les siècles des siècles. Amen.