PSAUME 145

"Mon âme loue le Seigneur. Je louerai le Seigneur durant ma vie; je chanterai mon Dieu tant que je resterai sur la terre." v. 2.

 

1. Il commence encore comme il avait fini, par la louange. Au fond, rien ne saurait mieux purifier le coeur. Mais la louange dont il parle, est celle que les actes font éclater, comme je me plais à le redire. C'est bien celle que le Christ voulait aussi. "Que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux." (Mt 5,16). Paul dit à son tour : "Glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre âme." (I Cor 6,20). Dans le psaume précédent le saint roi disait : "Je Te bénirai chaque jour de ma vie;" et maintenant il dit : "Je chanterai mon Dieu tant que je resterai sur la terre." Après cela, poussé par le désir de voir encore une fois tous les hommes participer à ses hommages, il entre dans le détail des Miséricordes du Seigneur; le feu dont il est enflammé lui fait parcourir l'univers entier pour les entraîner tous dans ses pieux cantiques, on ne saurait offrir à Dieu de plus magnifiques louanges, ni mieux le glorifier, qu'en cherchant de la sorte à sauver avec soi le plus d'hommes possible. "Ne mettez pas votre confiance dans les puissants, dans les enfants des hommes; en eux n'est pas le salut." (Ibid., 3). Une autre version porte : "En celui qui ne peut pas sauver." Qu'ils écoutent ce conseil, qu'ils profitent de cette leçon, ceux dont les regards s'attachent aux secours humains, si vains et si fragiles.

Que signifient ces mots : "En eux n'est pas le salut ?" Il n'est pas en leur pouvoir de se sauver eux-mêmes, ils n'ont pas la force de se défendre; sitôt que la mort survient, les voilà gisant plus muets que les pierres. Le prophète exprime cette pensée quand il ajoute : "L'esprit de l'homme s'évanouira, et lui-même retournera dans la terre. En ce jour périront toutes ses pensées," ou bien, d'après une autre version, "tous ses projets." Or, voici la portée de ce langage : Celui qui ne peut pas se défendre lui-même, combien pourrait-il arracher les autres au danger ? Rien n'est faible, rien n'est dénué de fondement comme une telle espérance. Nous le voyons par la nature même des choses. C'est pour cela que Paul disait de l'espérance qui repose sur Dieu : "Et l'espérance ne confond pas." (Rom 5,5). Mais ainsi ne vont pas les choses humaines; elles n'ont pas plus de consistance qu'une ombre.

Ne me dites donc pas : C'est un homme puissant. - Celui qui commande n'a rien de plus que le dernier des sujets; sa condition n'est pas moins incertaine, Devrais-je même vous étonner, j'ajoute que c'est précisément à cause de ce haut rang. que vous ne devez pas reposer en lui vos espérances. De telles positions sont toujours les plus périlleuses. Supposez que cet homme n'éprouve aucun revers, peut-être est-il sujet à la colère, peut-être aussi son pouvoir le rendra-t-il ingrat et lui fera-t-il perdre la mémoire des services qui lui furent rendus. S'il est juste et reconnaissant, il court par là-même plus de dangers qu'un simple particulier, il est entouré de pièges plus nombreux et plus funestes; sa défaite et sa chute sont d'autant plus probables qu'il a plus d'envieux. Que signifient donc les gardes qui l'entourent, tant de précautions pour sauvegarder sa vie ? Comment un homme qui n'a pas de sécurité dans un peuple où règnent cependant l'ordre et les lois, qui vit au milieu de ses concitoyens comme au milieu des ennemis, toujours en sollicitude pour lui-même, pourrait-il sauver les autres ? Comment un homme qui dans la paix éprouve de plus fortes terreurs qu'on n'en éprouve dans la guerre, pourrait-il mettre en sûreté l'existence d'autrui, la délivrer du danger ? Beaucoup qui par eux-mêmes eussent pu couler des jours calmes et tranquilles, ont été pris comme dans un piège en se reposant sur de tels appuis : ils sont tombés en même temps que tombaient leurs protecteurs, et c'étaient les gardes eux-mêmes qui souvent trahissaient ces derniers. Mais, plusieurs ayant le bonheur d'échapper à ces périls, le prophète laisse tout cela de côté pour rappeler une chose qui, celle-là, n'est pas douteuse, la mort. - Je veux que tout vous succède, que votre protecteur soit reconnaissant et généreux; s'il vient à mourir quand il n'a pas encore accompli ses promesses, c'est une cruelle déception qu'il vous a ménagée, du moment où la durée de sa vie n'était pas égale à l'étendue de ses voeux.

Puisqu'il en est ainsi et que cette disproportion n'est que trop évidente, avouez que vous avez mis votre espoir dans un bien faible auxiliaire. Ignorez-vous que beaucoup ont fait la triste expérience de cette vérité, que plus ils ont compté sur un secours aussi ruineux, plus leur chute a été désastreuse ? Ai-je besoin de dire que les promesses s'en vont en fumée, lorsque celui qui les a faites et qui seul pouvait les accomplir a lui-même disparu ? "Il retournera dans la terre d'où il est sorti." S'il périt, à plus forte raison tout le reste. Voilà pourquoi la parole qui suit : "En ce jour-là périront toutes leurs pensées;" ce qui signifie non seulement que les promesses seront sans effet, mais encore que l'auteur de ces promesses sera lui-même exterminé. Que fait après cela le prophète ? Quand il nous a détournés des secours humains, il nous montre un port assuré, une tour inexpugnable, et nous conseille de nous y réfugier. On ne saurait imaginer de conseil plus salutaire : éloigner des choses faibles pour conduire à celles que rien ne peut ébranler, détruire les illusions pour établir la vérité, repousser ce qui trompe pour présenter ce qui sert. "Heureux celui dont le Dieu de Jacob est le soutien, et dont l'espoir repose sur le Seigneur son Dieu." (Ibid., 5). Quelle effusion de lumière et d'amour ! La béatitude renferme ici tous les biens, elle est l'objet d'une espérance inébranlable. Après avoir proclamé heureux celui qui met son espoir dans le Seigneur, il dit la puissance d'un tel auxiliaire : d'un côté, c'est un homme de l'autre, c'est Dieu : celui-là va disparaître; celui-ci demeure à jamais. Il ne se borne pas à parler de Dieu, il nous donne encore ses oeuvres pour garant de notre espoir : "Qui a fait le ciel, la terre, la mer, et tout ce qu'ils renferment." (Ibid., 6).

Si les oeuvres de Dieu sont permanentes, à plus forte raison L'est-Il Lui-même, aussi bien que sa Puissance; et c'est par ses Oeuvres qu'il Se montre à nous sous ce même rapport. S'il a pour Lui la durée et la puissance, n'aurait-il pas la volonté ? C'est ce que beaucoup d'insensés osent dire. Mais voyez comme le prophète dissipe ce soupçon. À peine a-t-il dit : "Qui a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils renferment," qu'il ajoute : "Qui maintient la vérité dans tous les siècles, et rend justice aux opprimés." (Ibid., 7). Voici le sens de ces paroles : II appartient à Dieu, c'est son Oeuvre par excellence, de venir au secours des opprimés, de ne pas oublier ceux qu'on persécute, de tendre la main à ceux qui sont entourés de pièges, et cela, pour toujours. C'est ce que signifie l'expression : "Dans tous les siècles."

Voici maintenant la suite du psaume : "Il donne la nourriture à ceux qui ont faim. Le Seigneur délie ceux qui sont chargés de fers, le Seigneur rend sages les aveugles." Une autre version dit : "Illumine. Le Seigneur relève ceux qui sont tombés, le Seigneur aime les justes, le Seigneur protège les étrangers, Il prendra la veuve et l'orphelin sous sa défense, il bouleversera la route des pécheurs." (Ibid., 7-9). Avez-vous remarqué d'abord comme le prophète nous montre la divine Providence s'étendant à tout, mais s'appliquant en particulier à secourir les malheureux, à soulager la faim, à briser les chaînes ? Tout cela cependant, les hommes le peuvent dans une certaine mesure; mais il n'en est plus ainsi de ce qui vient après : Il corrige les vices de la nature elle-même, Il relève ceux qui se sont brisés dans leur chute, Il glorifie ceux qui brillent par leur vertu, il sauve les malheureux qu'on délaisse, Il essuie les larmes et calme les douleurs des orphelins et des veuves. Eu ajoutant après cela : "Il aime les justes," le prophète nous fait voir que le Seigneur a porté secours aux autres uniquement à raison de leur malheur : ceux qu'Il nourrit, Il les nourrit parce qu'ils ont faim, ce qui certes n'a pas de rapport avec la vertu; Il délivre les captifs parce qu'Il a pitié de leurs chaînes, ce qui ne tient pas non plus à la vertu, mais à l'infortune; s'Il éclaire les aveugles, c'est encore pour guérir leur infirmité, non pour récompenser leurs bonnes oeuvres. Il en est de même de l'homme brisé par sa chute, de l'étranger, de l'orphelin et de la veuve. Or, si Dieu vient au secours des infortunés, à plus forte raison des amis de la vertu.

S'il est donc vrai que sa Bienveillance égale son Pouvoir, des tout est permanent en Lui, qu'Il accueille favorablement la vertu, qu'Il a pitié de l'infortune, pourquoi ne laissez-vous pas de côté l'être faible et sujet à la mort, pour chercher un asile auprès de Celui qui possède une force invincible, qui ne repousse jamais le malheur, qui le relève au contraire, qui peut tout ce qu'Il veut ? Examinez la fin de ce cantique, et voyez quelle en est la précision. Il ne dit pas que Dieu dispersera les pécheurs, mais bien qu'Il dissipera leurs voies, c'est-à-dire leurs actes. Ce n'est pas la nature, en effet, c'est le vice qu'Il a en horreur. "Le Seigneur régnera dans tous les siècles; ton Dieu régnera, ô Sion, d'âge en âge." La perpétuité de son règne, aussi bien que de son Existence, ne saurait être révoquée en doute; et, s'Il n'accorde pas ici-bas la récompense, Il la réserve pour un monde meilleur.

Ne nous laissons donc pas abattre et troubler dans les épreuves, quand nous n'en voyons pas de sitôt la fin; reposons-nous sur le Seigneur du soin de les terminer. Si nous faisons quelque bien, ne demandons pas aussitôt notre récompense; encore en cela conformons-nous au bon Plaisir de Dieu : plus il diffère, plus Il donne avec magnificence. En toute occasion rendons-Lui grâces et ne cessons de Le louer. Ainsi nous passerons avec une pleine sécurité le temps de la vie présente, et nous acquerrons les biens ineffables de l'éternité, par la Grâce et l'Amour de notre Seigneur Jésus Christ, à qui gloire et puissance, en même temps qu'au Père, principe sans principe, et au saint Esprit, source de vie, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.