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PSAUME 141 |
1. Vous voyez comment le prophète, suivant sa méthode habituelle, commence ce psaume de la même manière et répète deux fois ces paroles : "J'ai élevé la voix, j'ai élevé la voix." Cette répétition n'est pas sans objet, elle nous apprend combien son âme était fervente, son esprit attentif et aussi que c'est vraiment sa voix qu'il fait entendre. Tous en effet, n'élèvent pas la voix en priant, tous ne la dirigent pas vers Dieu, tous ne font point entendre leur propre voix. Or, le concours de ces trois choses est nécessaire à la prière. Celui dont la prière est un cri contre ses ennemis, ne fait pas entendre une voix humaine, mais la voix d'une bête féroce et d'un serpent. En voici un autre, dont l'âme est pleine de tiédeur, et n'entend pas ce qu'elle dit; il ne crie pas vers Dieu, ce sont des paroles inutiles et perdues. Un autre enfin, n'apporte aucune attention à la prière, il a beau élever la voix, il ne crie pas vers Dieu. La voix, comme je l'ai dit, ne signifie pas ici la force du son, mais l'attention soutenue de l'esprit. Le prophète au contraire, réunit ces trois conditions, il élève la voix, c'est à Dieu qu'il s'adresse, et c'est sa propre voix qu'il fait entendre. Voilà pourquoi il dit et répète : "J'ai élevé la voix, j'ai élevé la voix." "Je répands ma prière en sa Présence, et j'exposerai devant Lui mon affliction." (Ibid., 3). Voyez-vous une âme vraiment dégagée de tons les soucis de la terre ? Ce n'est point auprès des hommes que le prophète va chercher refuge et protection, c'est un secours invincible, c'est la force qui vient des cieux qu'il implore. Il nous révèle ensuite toute l'application, toute la ferveur intérieure de son âme, en ajoutant : "Je répands" avec abondance ma prière. Apprenons ici combien les afflictions sont utiles pour développer en nous l'amour de la sagesse. C'est là le fruit propre de la tribulation, gardons-nous donc de nous y soustraire. Elle porte avec elle deux avantages, elle nous fait redoubler de vigilance et d'attention, et elle est une juste cause de l'efficacité de nos prières. Aussi le psalmiste ne dit pas : J'expose ma justice, mes bonnes oeuvres, mais : "J'expose mon affliction, parce que c'est un puissant appui pour ma prière." Voilà pourquoi Isaïe parlant au nom de Dieu, disait : "Prêtres, exhortez le peuple, parlez au coeur de Jérusalem, parce qu'elle a reçu de la Main de Dieu le double de ce que méritaient ses péchés." (Is 40,1-2). Saint Paul dit aussi : "Livrez cet homme à Satan, pour mortifier sa chair, afin que son âme soit sauvée." (I Cor 5,5). Il écrivait encore aux Corinthiens : "C'est pour cela qu'il en est beaucoup parmi vous qui sont malades, languissants et qui dorment. Si nous commencions par nous juger nous-mêmes, le Seigneur ne nous jugerait pas. Mais lorsque nous sommes jugés par le Seigneur, Il nous châtie, pour que nous ne soyons pas condamnés avec le monde." (1 Cor 9, 30-32). C'est le langage qu'Abraham tenait au mauvais riche : "Vous avez vécu vos biens dans votre vie, et Lazare a reçu ses maux; maintenant donc, il reçoit la consolation, et vous êtes dans les tourments." David exprimait la même vérité, lorsque Seméi le maudissait : "Laissez-le me maudire, c'est Dieu qui le lui a commandé, afin qu'il vît mon humiliation." Partout enfin, nous voyons dans les Écritures que ceux qui supportent les afflictions en esprit d'actions de grâces, non seulement effacent la multitude de leurs péchés, mais jouissent auprès de Dieu d'un accès facile, d'une grande confiance. "Lorsque mon esprit était prêt à défaillir, et Tu as connu mes voies." (Ibid., 4). Là où les esprits pusillanimes trouvent une occasion de chute et d'injustes récriminations, le psalmiste s'inspire de la plus haute sagesse, parce qu'il a été instruit à l'école de l'adversité. Lors donc que vous voyez un homme que l'affliction jette dans le découragement, ou qui laisse échapper des paroles amères, n'en accusez pas l'affliction, mais la pusillanimité de celui qui tient ce langage. L'affliction de sa nature produit des effets tout contraires, l'attention de l'esprit, la contrition du coeur, l'application de l'âme, un accroissement de ferveur. C'est ce qui faisait dire à saint Paul : "La tribulation opère la patience, et la patience l'épreuve." (Rom 5,3). Les Juifs murmuraient au milieu de leurs épreuves, ces murmures leur étaient inspirés non par leurs afflictions, mais par l'égarement de leurs pensées, car les tribulations donnent aux saints une vertu plus éclatante, un amour plus vif de la sagesse. Aussi, entendez le psalmiste vous dire dans un autre endroit : "Il est bon, Seigneur, que Tu m'aies humilié, afin que j'apprenne tes préceptes si justes;" (Ps 118,71); et saint Paul : "De peur que la grandeur de mes révélations ne me donnât de l'orgueil, j'ai ressenti dans ma chair un aiguillon, l'ange de Satan pour me souffleter. C'est pourquoi j'ai prié trois fois le Seigneur, et Il m'a dit : Ma grâce te suffit, car ma Puissance éclate dans l'infirmité. Je me plais donc dans les afflictions, dans les infirmités, dans les persécutions, car c'est lorsque je suis faible, que je deviens puissant." (2 Cor 12,7-10). L'affliction a donc pour effet d'exciter la ferveur du prophète, de lui faire chercher son refuge en Dieu, de l'attacher d'autant plus étroitement à Dieu, qu'il est tombé dans un abîme plus profond, et de le rendre plus attentif et plus vigilant. C'est ce que signifient ces paroles : "Lorsque je sentais défaillir mon âme." Un autre interprète traduit : "Et Tu as su," au lieu de : "Tu as connu mes sentiers." Ils m'ont tendu un piège caché dans la voie où je marchais. Je considérais à ma droite, et je voyais, et il n'y avait personne qui me connût. Il dépeint la grandeur de ses calamités, ses malheurs qui vont toujours croissant, les embûches de ses ennemis, comment ils se sont approchés de lui pour le renverser, et ce qu'il y a de plus affreux, non seulement aucun secours, aucune aide, mais personne qui le reconnût.
2. On ne peut imaginer un abandon plus complet, un délaissement plus absolu. Il en est bien peu en effet, qui portent secours et appui à ceux qui sont dans le malheur, lorsque ce malheur semble les menacer eux-mêmes. Cependant le prophète non seulement n'a point souffert de cet abandon, il en a recueilli le précieux avantage d'une familiarité plus intime avec Dieu. Vous donc aussi, mon très-cher frère, lorsque vous voyez vos maux s'accroître, ne vous découragez pas, mais redoublez bien plutôt de vigilance. Dieu ne permet à cet orage de s'élever que pour vous faire secouer votre négligence, et sortir de votre sommeil. Alors en effet, vous rompez avec toutes les choses superflues, tous les soucis de la vie présente perdent pour vous leur attrait, vous devenez plus appliqué à la prière, plus porté à l'aumône et au mépris des jouissances sensuelles, et grâce à l'affliction, vous triomphez plus facilement de tous les vices de votre âme. Si Dieu nous a imposé dès le commencement les chaînes du travail et de la douleur, ce n'est point pour nous punir, bien qu'Il ait déclaré qu'Il les regardait comme un châtiment; c'est pour nous corriger et nous rendre plus parfaits. En effet, si malgré le travail et la souffrance qui sont notre partage, le vice a sur nous tant d'empire, dans quels excès ne nous jetterait-il pas sans ce frein salutaire ? Pourquoi vous étonner que tel soit le régime qui est imposé à l'âme, lorsque la souffrance est avantageuse même au corps, tandis que l'excès des jouissances sensuelles lui est si funeste ? Ces pièges qui nous sont tendus de tous côtés, nous rendent plus attentifs, et cette vigilance nous rend invulnérables. C'est ce qui fait dire au sage : "Reconnaissez que vous marchez au milieu des filets, et que vous vous promenez sur les toits des cités," (Ec 9,13) (suivant la version grecque), et au psalmiste : "Ils m'ont tendu des pièges cachés dans la voie où je marchais." Si l'on veut prendre ces paroles dans le sens anagogique, on verra que le démon tient la même conduite, et que ce n'est pas au loin, mais de près qu'il nous tend les pièges qu'il dissimule avec soin. Aussi, nous faut-il la plus grande vigilance, pour découvrir ces pièges qu'il nous cache, la vaine gloire dans l'aumône, la fierté présomptueuse dans les jeûnes. Ce n'est point, vous le voyez, dans des chemins qui nous sont étrangers, mais dans ceux ou nous marchons, et c'est ce qui rend pour nous le danger beaucoup plus redoutable.
"La fuite m'est devenue impossible." Voyez ce nouveau surcroît de malheur. Non seulement des pièges dans le chemin, personne pour lui porter secours, personne pour le reconnaître; mais la seule ressource qui lui restait lui est ôtée, il ne peut chercher son salut dans la fuite. C'est ainsi que les dangers l'assiègent de toutes parts, sans aucun moyen pour lui d'y échapper, et cependant, il se garde bien de perdre confiance. "Et nul ne cherche à me sauver la vie;" c'est-à-dire, à me défendre, à me porter secours. Que va-t-il donc faire ? Dans une si grande extrémité, dans cette privation absolue de tous moyens de défense, désespère-t-il de son salut ? Non, il se réfugie aussitôt dans les Bras de Dieu et Lui dit : " J'ai crié vers Toi, Seigneur, j'ai dit : Tu es mon espérance et mon partage dans la terre des vivants." (Ibid., 6). Voilà une âme vraiment vigilante; ses malheurs loin de l'accabler, lui donnent des ailes pour s'élever, et jusque dans cette extrémité où toute espérance semble perdue, il reconnaît la Main invincible de Dieu, sa puissance souveraine, et la facilité avec laquelle Il nous arrache aux plus grands dangers. J'ai dit : "Tu es mon espérance." Tous les moyens humains sont impuissants, la tempête défie tellement tous les secours que le naufrage est inévitable. Et cependant, malgré cette situation désespérée et l'épuisement absolu de toutes nos forces, tout nous est possible et facile, et cette espérance nous soutient et nous anime. "Tu es mon partage dans la terre des vivants;" c'est-à-dire, Tu es la part qui m'est échue, mon trésor, mes richesses, Tu es tout pour moi. "Dans la terre des vivants." La terre des vivants c'est sa patrie, car il compare souvent la captivité de Babylone à l'enfer et à la mort. Il se trouvait d'ailleurs dans une terre étrangère, où il ne voyait s'accomplir aucun des actes de sa religion, tandis que toutes les cérémonies du culte divin se célébraient dans sa patrie, et c'est ce qui lui fait dire : "Tu es mon partage dans la terre des vivants." Tu m'as toujours protégé dans la terre des vivants, dit-il à Dieu, j'y ai vécu avec Toi dans l'intimité et dans l'union la plus étroite. "Prête l'oreille à ma prière, car je suis humilié à l'excès." (Ibid., 7). Il fait valoir de nouveau les titres qu'il a déjà exposés à Dieu : j'ai été humilié, dit-il, j'ai été puni outre-mesure pour les péchés que j'ai commis. En parlant de la sorte il n'accuse pas la conduite de Dieu à son égard, il cède à un sentiment de douleur et de faiblesse naturelles. Si Tu ne tiens compte que de ce que méritent mes péchés, mon humiliation n'est pas trop grande, mais si Tu considères la faiblesse de celui qui souffre, l'épreuve est trop forte et dépasse la mesure. En effet, Dieu ne nous inflige jamais un châtiment proportionné à nos fautes; s'il paraît accablant à ceux qui souffrent, la cause n'en est pas dans les châtiments eux-mêmes, mais dans l'infirmité de ceux qui en sont l'objet. "Délivre-moi de ceux qui me persécutent, parce qu'ils sont devenus plus forts que moi." Voici une autre raison qu'il invoque, ce sont les injustes complots de ses persécuteurs et son extrême faiblesse. "Tire mon âme de sa prison, afin que je loue ton Nom." (Ibid., 8). "Louer," signifie ici rendre grâces, et le prophète veut dire : Délivre-moi de mes épreuves, de ces malheurs extrêmes dont la prison est la figure.
3. C'est encore faire preuve de grande vertu que de ne pas oublier au sein de la prospérité les bienfaits qu'on a reçus. Il en est beaucoup en effet, que l'affliction rend attentifs et vigilants, mais qui dans la prospérité, se laissent aller à la négligence et au relâchement; d'autres qui s'endorment au sein de la prospérité, tombent dans le désespoir et l'inertie la plus grande, dès que le malheur les atteint. Le prophète au contraire, dans des circonstances si différentes, professe toujours les mêmes sentiments. L'affliction, loin de l'abattre, lui inspire de recourir à la prière, et la prospérité, au lieu de nourrir en lui la négligence, le porte à témoigner à Dieu sa reconnaissance. "Les justes sont dans l'attente de ce que Tu me rendras." Une autre version porte : "Les justes me couronneront lorsque Tu m'auras comblé de bienfaits." Que signifient ces paroles ? Ce spectacle sera utile aux justes eux-mêmes. Ils seront dans la joie, ils se livreront aux transports de l'allégresse, lorsqu'ils me verront délivrés de mes maux. Tel est le caractère des saints, ils compatissent à ceux qui souffrent, et loin de porter envie à ceux qui sont heureux, ils partagent leur joie et leur allégresse, et les félicitent sincèrement de leur bonheur. C'est ce que saint Paul recommande aux fidèles : "Se réjouir avec ceux qui sont dans la joie, pleurer avec ceux qui pleurent." (Rom 12,15). Ce n'est point là l'effet d'une vertu médiocre. Il en est beaucoup qui insultent au malheur, portent envie à l'infortuné qui se relève, et ces deux dispositions, sont le triste fruit d'une souveraine inhumanité et d'une excessive cruauté. Les justes agissent sous une impression bien différente, ils sont affranchis de ces deux vices, parce qu'ils possèdent les deux vertus de miséricorde et de bonté. De même donc que la cruauté produit dans les autres deux dispositions contraires, ainsi les justes, sous l'impulsion de la bonté et de la miséricorde qui les animent, s'associent à la douleur de ceux qui souffrent et à la joie de ceux qui sont heureux.
Mais pourquoi ces paroles que le psalmiste ajoute : "Dans l'attente de ce que Tu me rends ?" Une autre version porte : "Quand Tu m'auras comblé de bienfaits," une autre : "Lorsque Tu m'auras donné le prix et la récompense de mes travaux." Il n'a parlé précédemment que de ses épreuves, de ses humiliations, il n'a rien dit de ses bonnes oeuvres et de la confiance qu'elles pouvaient lui inspirer. Quel est donc l'objet de la récompense qu'il demande ? Les jours de ses humiliations. Il n'appartient qu'à une vertu éminente de supporter la tribulation en esprit d'actions de grâces, et c'est pour cela qu'il appelle un juste salaire l'état heureux qui la suit. Ne nous laissons donc point abattre par les afflictions, mais prions pour ne point entrer en tentation, et acceptons les épreuves qui peuvent nous arriver. C'est par là que nous purifierons notre âme de ses péchés; et s'il y a en nous quelque vertu, elle en deviendra plus resplendissante. Nous en avons un exemple dans la personne de Job, à qui ses malheurs donnèrent un nouvel éclat. Cette conduite sévère est un bien même à l'égard du corps, non-seulement pour les hommes, mais pour les animaux, non seulement pour les animaux, mais pour les plantes elles-mêmes. Voyez le laboureur, il ne permet ni à ses vignes, ni à ses autres arbres d'avoir un feuillage trop riche, il retranche avec le fer tout ce qui lui paraît trop abondant, et il ramène ainsi toutes les forces de l'arbre vers ses racines, afin qu'elles ne s'épuisent pas inutilement à produire des feuilles ou des fruits de médiocre valeur. Le même phénomène se reproduit dans les hommes. Si vous dépensez toute votre activité en efforts inutiles, votre esprit deviendra impuissant à faire produire à la piété des fruits d'une maturité et d'une saveur parfaites. C'est ce qui arrive encore pour les eaux. L'eau qui est stagnante et sans écoulement, est malsaine, tandis que celle qui est en mouvement, qui coule dans des canaux et dans des aqueducs, est non-seulement plus salubre, mais plus agréable à la vue, au toucher et au goût. Souvent l'affliction opère des effets qui dépassent les forces de la nature. Nous voyons des objets sans consistance, qui retombent d'eux-mêmes vers la terre, mais qui se redressent tout à coup sous une pression qu'on leur fait subir. Il en est comme pour les hommes. Ceux qui supportent facilement les afflictions, s'élèvent à une hauteur surprenante, quand même leur âme aurait été attachée à la terre, et leurs inclinations sans noblesse et sans générosité; la tribulation est pour eux la source de mille avantages. Instruits de ces vérités, supportons en esprit d'action de grâces les épreuves qui nous sont envoyées, afin qu'elles nous deviennent plus légères, et que par elles nous méritions les biens éternels. Puissions-nous tous les obtenir, par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Amen.