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PSAUME 140 |
"Seigneur, j'ai crié vers Toi, exauce-moi, écoute ma voix, lorsque je pousserai mes cris vers Toi."
1. Il n'est presque personne, pour ainsi dire, qui ne connaisse les paroles de ce psaume, on le chante à tous les âges de la vie, mais il en est peu qui en sachent le véritable sens. Or, ne mérite-t-ou pas de sévères reproches lorsqu'ou chante tous les jours, lorsqu'on a sur les lèvres des paroles dont ou ne cherche point à pénétrer le sens et la force ? Vous apercevez une eau pure et limpide, vous ne pouvez vous détendre d'eu approcher, d'y tremper vos mains, de vous y désaltérer. Celui qui se promène fréquemment dans une prairie ne veut point eu sortir sans avoir cueilli quelques fleurs, mais pour vous qui depuis vos plus jeunes années jusqu'à l'extrême vieillesse ne cessez de chanter ce psaume, vous n'en retenez que les paroles, vous êtes assis auprès d'un trésor caché, vous portez de côté et d'autre une bourse qui demeure fermée, et la curiosité ne vous inspire même pas le désir d'apprendre ce que signifie ce psaume; aucune recherche, aucune étude. Cependant vous ne pouvez point alléguer que ce psaume est si clair qu'il favorise la négligence, et qu'il n'y a pas lieu de rechercher un sens qui se présente de lui-même. Car, au contraire, ce psaume est très difficile, et son obscurité suffit pour réveiller non seulement celui qui se laisse gagner au sommeil, mais celui même qui est profondément endormi. Que signifient, en effet, ces paroles : "Ne laisse point aller mon coeur à des paroles de malice ?" (Ibid., 4), et ces autres : "Le juste me reprendra et me corrigera avec charité ?" (Ibid., 5). Et ce qui suit n'est-il pas, de votre aveu, plus obscur que les ténèbres elles-mêmes : "Ma prière ne cessera de s'opposer aux désirs de leur coeur. Leurs juges ont été précipités et brisés contre la pierre ?" (Ibid., 6). Cependant, malgré tant d'obscurités, un grand nombre passent légèrement sur ce psaume, comme sur un cantique ordinaire. Mais n'insistons pas davantage sur ces reproches pour ne point vous être désagréable, et abordons l'explication de ces difficultés. Prêtez ici toute votre attention. Ce n'est pas sans raison, je pense, que les Pères ont établi que ce psaume serait récité tous les jours, au soir; et la raison qui les a déterminés n'est point ce verset que nous y lisons : "Que l'élévation de mes mains soit comme le sacrifice du soir," car ces mêmes paroles se rencontrent dans d'autres psaumes: "Le soir, le matin et à midi, je raconterai et j'annoncerai," dit dans un autre psaume le Roi-prophète. (Ps 65,18). Et ailleurs : "Le jour T'appartient, et la nuit est à Toi;" (Ps 73,16), et dans un autre endroit : "Les gémissements se font entendre durant la nuit, le matin renaît l'allégresse." (Ps 29,6). On pourrait ainsi trouver beaucoup d'autres psaumes qui conviennent à la prière du soir. Ce n'est donc point pour ce motif que les Pères ont établi la récitation de ce psaume, ils l'ont ordonnée comme un remède salutaire, comme un moyen d'expiation, et ils ont voulu qu'arrivés à la fin du jour, nous effacions par le chant de ce psaume toutes les tâches que notre âme aurait pu contracter pendant le cours de la journée, soit sur la place publique, soit dans l'intérieur de nos habitations ou dans quelqu'autre lieu que ce fût; car c'est un remède des plus efficaces pour faire disparaître toutes ces souillures. 'Tel est aussi le psaume du matin, et rien ne s'oppose à ce que nous en disions quelques mots. Ce psaume a pour objet de nous enflammer d'amour pour Dieu, de réveiller notre âme, et de ne la laisser approcher de Dieu qu'après l'avoir embrasée d'un feu ardent, et inondée de joie et de charité. Voici les premières paroles de ce psaume et les enseignements qu'elles renferment: "Dieu, mon Dieu, je Te cherche dès l'aurore, mon âme a soif de Toi." (Ps 62,1). Sentez-vous l'amour ardent que respirent ces paroles ? Or, l'amour de Dieu met en fuite tous les vices, et devant le souvenir de Dieu, tous les péchés disparaissent tous les maux sont détruits, "Je me suis ainsi présenté devant Toi, dans ton sanctuaire, pour contempler ta Puissance et ta Gloire." (Ibid., 3). Que signifie l'expression "ainsi ?" Je me suis présenté avec ce désir, avec cet amour, pour contempler ta Gloire qui éclate par toute la terre. Mais il ne faut pas abandonner le psaume que nous avons entre les mains, pour lui en substituer un autre qui serait une espèce de hors-d'oeuvre. Nous renvoyons donc à l'explication que nous en avons donnée, pour nous attacher à celui qui fait l'objet de ce discours.
Quel est le début du psalmiste : "Seigneur, j'ai crié vers Toi, exauce-moi." Que dites-vous, je vous prie ? Parce que vous avez crié vous prétendez être exaucé, et vous fondez sur ce motif l'efficacité de votre prière ? Il faudra donc maintenant pour prier une voix forte et retentissante ? Quoi de plus absurde ? Car, en quoi, je vous le demande, est coupable celui dont la voix est grêle et faible, et la langue pesante et embarrassée ? Tel était Moïse, et qui plus que lui voyait ses prières exaucées de Dieu ? Est-ce que les Juifs ne poussaient pas dans leurs prières de plus grands cris que les autres, et cependant Dieu ne les écoutait pas ? La force ou la faiblesse de la voix sont des avantages ou des infirmités qui viennent de la nature. Elles ne sont donc cause ni de l'efficacité, ni de l'insuccès de nos prières, parce qu'il n'y a rien ici qui soit digne de louange ou de blâme. Que d'avantages naturels ne voyons-nous point dans des scélérats ? Quoi de plus beau, de mieux fait qu'Absalom dont les cheveux rehaussaient encore la beauté naturelle ? Au contraire, est-ce qu'Élisée n'était pas chauve au point d'être pour les enfants un objet de dérision ? Or, la beauté n'a servi de rien à Absalom, et la difformité du prophète Élisée ne lui a causé aucun dommage. Mais pourquoi parler ici d'une voix grêle ou d'une langue embarrassée ? Est-ce que Dieu n'écoutait pas Moïse sans qu'il dit un seul mot ? et Anne sans qu'elle proférât une seule parole ? Et, au contraire, Dieu disait aux Juifs : "Vous avez beau multiplier vos prières, Je ne vous exaucerai point." (Is 1,15). Pourquoi donc le psalmiste dit-il ici : "J'ai crié vers Toi, exauce-moi ?" Il veut parler du cri intérieur qui part d'une âme embrasée d'amour, d'un coeur contrit, et c'est le cri de Moïse que Dieu exauçait. Celui qui pousse des cris épuise toutes ses forces, ainsi celui qui crie du fond du coeur applique toutes les forces de son âme.
2. Tel est donc le cri que Dieu demande, un cri qui fasse impression sur le coeur, et qui ne permette pendant le chant des psaumes aucune négligence, aucune distraction. Ce n'est pas la seule chose que Dieu demande, Il veut encore qu'on Le prie. Il en est beaucoup, en effet, qui sont présents dans le temple, mais qui ne crient point vers Dieu. Leurs lèvres laissent échapper un cri, je le veux, elles font retentir le Nom de Dieu, mais leur esprit reste complètement étranger à ce que les lèvres prononcent. Se conduire de la sorte, ce n'est point crier, fit-on retentir les airs des éclats de sa voix; prier ainsi, ce n'est point véritablement prier, eût-on tout l'extérieur de la prière. Ce n'est point ainsi que se conduisait Moïse, il criait, et il était exaucé, comme Dieu le déclare en lui disant : "Pourquoi criez-vous vers Moi ?" (Ex 14,15). Ce ne firent pas seulement ses cris, son silence seul lui fit obtenir ce qu'il voulait, parce qu'il s'était montré digne que Dieu l'exauçât. Voulez-vous voir, même dans les pécheurs, la prière pleine de ferveur et de persévérance et les cris redoublés exaucés de Dieu ? considérez la femme pécheresse criant en silence, (Luc 7,38), considérez le publicain dont la prière a suffi pour le justifier. (Luc 18,13-14). Voilà le cri que pousse aussi le prophète et qui lui fait dire : "Seigneur, j'ai crié vers Toi, exauce-moi," et c'est pour cela qu'il demande à Dieu d'écouter sa prière.
"Lorsque je crierai vers Toi." Voici une autre vertu de la prière. S'il demande à Dieu de l'exaucer, ce n'est point pour récompenser sa ferveur, mais parce que la prière qu'il lui adresse est vraiment digne de ces yeux qui ne se ferment jamais. Quelle est donc cette prière ? Celle qui ne souhaite aucun mal aux ennemis, qui ne demande ni la fortune ni les richesses, ni la puissance, ni la gloire, ni aucune des choses périssables, mais uniquement les biens incorruptibles et immortels. "Cherchez, nous dit le Seigneur, le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront données par surcroît." (Mt 6,33). "Lorsque je pousserai mes cris vers Toi." Vous voyez que Dieu exige de nous dans nos prières l'attention et la ferveur. C'est surtout alors, en effet, que le démon dresse des pièges. Il sait que la prière est une arme puissante, il sait que malgré nos péchés et nos infamies nous pouvons accomplir de grandes choses si nous prions avec ferveur et d'une manière conforme aux préceptes divins. Que fait-il ? Il s'efforce de nous faire tomber dans la tiédeur, de détourner l'attention de notre esprit, et de frapper ainsi notre prière de stérilité. Nous connaissons ses ruses, dirigeons donc contre lui tous nos efforts, n'adressons jamais à Dieu de prières contre nos ennemis, et imitons la conduite des apôtres. Après qu'ils eurent souffert mille espèces de persécutions, qu'ils eurent été jetés en prison, exposés aux derniers dangers, ils ne cherchent de refuge que dans la prière et disent à Dieu : "Regarde leurs menaces," (Ac 4,29). Et qu'ajoutaient-ils ? Brise leur puissance, détruis-les ? car voilà ce que l'imprécation suggère à un grand nombre, non, mais : "Donne à tes serviteurs d'annoncer ta parole avec toute confiance, (Ibid). Comment et par quels moyens ? Est-ce en mettant à mort nos persécuteurs, en les exterminant et en les livrant à une ruine complète ? Nullement. Comment donc ? "En opérant des miracles et des prodiges par ton saint fils Jésus," (Ibid., 30). Voyez-vous quelle prière pleine de sagesse ! Après tant de traitements indignes, ils ne demandent pas vengeance contre leurs ennemis. Tels étaient les sentiments des apôtres, alors qu'ils avaient encore la vie sauve. Mais voici Étienne qui alors que la mort allait trancher ses jours, ne souhaite aucun mal à ses bourreaux. Que dis-je ? au moment même où on le lapidait, où on le mettait à mort, il s'efforce, en priant, de les soustraire à la Colère divine qui devait s'appesantir sur eux en punition de ce crime : "Ne leur impute point ce péché," (Ac 7,59). Quel pardon, quelle excuse reste-t-il donc à ceux qui demandent à Dieu vengeance contre leurs ennemis ? Comment Dieu peut-Il exaucer une prière en opposition avec ses lois ? Gardons-nous donc de telles inspirations. Ne nous contentons pas de ne pas souhaiter de mal à nos ennemis, réprimons en nous-mêmes tout sentiment de vengeance contre eux, suivant la recommandation de l'Apôtre : "Je veux que les hommes prient en tout lieu, levant des mains pures, sans colère et sans contention." (Tim 2,8). C'est-à-dire, eussiez-vous un ennemi, réprimez tout sentiment de colère contre lui avant de vous présenter devant le Seigneur; qu'aucune parole de vengeance ne sorte de votre bouche, faites plus encore, et purifiez votre âme du venin qui la souille. Si vous priez dans ces conditions, et que vous invoquiez Dieu du fond de votre coeur, vous n'aurez pas fini votre prière que vous serez exaucé. C'est le voeu que forme le psalmiste : "Écoute ma voix, lorsque je pousserai mes cris vers Toi," En effet, il y a ici une promesse formelle de Dieu : "Vous parlerez encore, que je dirai : Me voici." (Ps 58,9). "Que ma prière s'élève vers Toi comme la fumée de l'encens." Suivant une autre version : "Qu'elle soit agréable comme l'encens qui vous est offert;" suivant une autre : "Qu'elle soit préparée. Que l'élévation de mes mains soit comme le sacrifice du soir." Une autre version porte : "Le don du soir;" une autre: "L'oblation du soir." Que veut nous enseigner le prophète en nous parlant du sacrifice du soir ? Rappelons-nous qu'il y avait dans le temple deux autels, l'un d'airain, l'autre d'or. Le premier était public et destiné à recevoir les victimes de tout le peuple, l'autre était placé dans le sanctuaire en dedans du voile. Pour répandre plus de clarté sur ce que nous devons dire, nous allons essayer de reprendre les choses dès le commencement. Il y avait donc autrefois chez les Juifs un temple, long de quarante coudées, large de vingt. Il était coupé dans sa longueur, et un espace de dix coudées en dedans du voile était réservé au Saint des Saints. Ce qui était en dehors s'appelait simplement le Saint. Le Saint des Saints était tout resplendissant d'or.
3. Quelques-uns prétendent que les poutres elles-mêmes étaient recouvertes de plaques d'or. Le grand prêtre seul entrait dans le Saint des Saints une fois l'année. Là se trouvait l'arche avec les chérubins, et l'autel d'or sur lequel on brûlait de l'encens, et qui ne servait qu'à l'oblation des parfums. Ce sacrifice ne s'offrait qu'une fois l'an. Dans la partie extérieure du temple était un autel d'airain sur lequel on offrait chaque jour un agneau en holocauste. C'est ce qu'on appelait le sacrifice du soir, car il y avait aussi le sacrifice du matin, et deux fois par jour le feu devait consumer cet holocauste sur l'autel, indépendamment des autres victimes offertes par le peuple. La loi prescrivait en effet aux prêtres, à défaut de victime offerte par quelqu'autre, d'offrir en leur nom et sur ce qui leur appartenait, un agneau en holocauste le matin et le soir; le premier s'appelait le sacrifice du matin, le second, le sacrifice du soir. Cette loi avait pour objet de rappeler le devoir de l'adoration perpétuelle lorsque le jour commence et quand il finit, or, ce sacrifice et le parfum qui l'accompagnait étaient toujours agréables à Dieu; tandis que le sacrifice pour le péché tantôt était accueilli favorablement, et tantôt était rejeté suivant les dispositions bonnes ou mauvaises de ceux qui l'offraient. Au contraire, les sacrifices qui n'étaient pas offerts pour les péchés, mais qui étaient prescrits par la loi comme une des formes du culte public, ne pouvaient manquer d'être agréables à Dieu. Le psalmiste demande donc que sa prière soit reçue comme ce sacrifice que les fautes de celui qui l'offrait ne pouvaient souiller, et comme l'encens pur et saint qui montait devant Dieu. Or, cette prière nous apprend combien nos prières à nous aussi doivent être pures et d'agréable odeur. Tel est en effet le parfum que répand la justice, tandis que le péché exhale une odeur fétide, et dont parle le prophète lorsqu'il dit : "Mes iniquités se sont élevées jusqu'au-dessus de ma tète, et elles se sont appesanties sur moi comme un fardeau insupportable. Mes plaies ont été remplies de corruption et de pourriture." (Ps 37,-6). L'encens est par lui-même d'une odeur agréable, mais c'est sous l'action du feu qu'il dégage tout son parfum. Ainsi, la prière est bonne de sa nature, mais elle devient bien meilleure, et exhale une odeur bien plus suave, lorsqu'elle part d'un coeur brûlant d'amour et de ferveur, lorsque notre âme est comme un encensoir rempli d'un feu ardent. Car on ne plaçait l'encens que sur le brasier allumé et sur les charbons ardents. Faites de même pour votre âme, commencez par l'embraser d'un amour ardent, avant d'y mettre votre prière. Le prophète demande donc à Dieu que sa prière soit comme l'encens, et l'élévation de ses mains comme le sacrifice du soir, Car ces deux choses sont également agréables à Dieu, or, comment ce voeu pourra-t-il être accompli ? Si les mains comme la langue sont pures et irrépréhensibles, si les mains ne sont point souillées par l'avarice et par les rapines, et la langue par des paroles coupables. De même que l'encensoir ne doit contenir rien d'impur et ne recevoir que le feu et l'encens; ainsi la langue ne doit proférer aucune parole qui puisse la souiller, et ne servir d'organe qu'à des paroles de sainteté et de bénédiction. Les mains aussi doivent être comme un encensoir. Que votre bouche soit donc un encensoir, mais prenez garde de la remplir de souillures. C'est ce que font ceux qui profèrent des paroles licencieuses et obscènes, or, pourquoi le psalmiste n'a-t-il pas dit : Comme le sacrifice du matin, mais : "Comme le sacrifice du soir ?" À mon avis, ces deux manières de parler sont équivalentes. S'il avait dit : Comme le sacrifice du matin, quelqu'esprit curieux aurait pu demander, pourquoi n'a-t-il pas dit : Comme le sacrifice du soir. Toutefois, si l'on veut mettre de côté toute curiosité indiscrète, je dirai que le sacrifice du matin attend celui du soir; tandis que le sacrifice du soir est le complément de tous les sacrifices, la fin et le couronnement des cérémonies du culte, prescrites pour chaque jour. Que signifie maintenant l'élévation des mains pendant la prière ? Les mains servent d'instrument à une infinité de crimes, aux coups, aux meurtres, aux vols, aux oeuvres de l'avarice et de la cupidité. Il nous est donc ordonné de les tenir élevées en priant, afin que ce ministère qu'elles prêtent à la prière, soit un lien qui les enchaîne pour l'iniquité, et les affranchisse du vice. Ainsi, vous êtes sur le point de ravir le bien d'autrui, d'assouvir votre avarice, ou de frapper votre prochain, vous vous rappelez que vous élèverez ces mains vers Dieu pour vous défendre, qu'elles vous serviront à offrir à Dieu un sacrifice spirituel; cette pensée vous empêche de les profaner et de leur ôter ainsi toute puissance auprès de Dieu, en les faisant servir à des oeuvres coupables. Purifiez-les donc par l'aumône, par la miséricorde, et en secourant ceux qui sont dans le besoin, alors vous pourrez les élever avec confiance vers Dieu. Vous ne voudriez pas les faire servir à la prière, sans qu'elles fussent lavées de toute souillure extérieure, n'est-il pas beaucoup plus juste de ne pas les souiller par le péché ? Vous craignez d'omettre un léger devoir, craignez davantage de manquer à une obligation beaucoup plus rigoureuse. Car, après tout, ce n'est pas un crime de prier sans s'être lavé les mains, mais les élever vers Dieu, souillées par mille iniquités, c'est provoquer sa juste colère.
4. Appliquons ces mêmes règles à notre bouche et à notre langue, gardons-les pures de toute iniquité, et nous pourrons ainsi les faire servir à notre prière. Une personne possède un vase d'or, il ne lui vient pas certes à l'esprit de l'employer à un usage grossier, à cause de la matière précieuse dont il est composé. Or, notre bouche est mille fois plus précieuse que l'or et les perles; combien plus donc faut-il nous garder de la profaner par des paroles licencieuses et impies ou par des médisances et des injures. Ce n'est point sur un autel d'or ou d'airain que vous offrez votre encens, c'est sur un autel bien plus précieux, dans un temple spirituel; d'un côté, c'est une matière inanimée, tandis que Dieu habite dans votre âme, et que vous êtes le membre et le corps de Jésus Christ. "Mettez, Seigneur, une garde à ma bouche." Le psalmiste vient de demander à Dieu de vouloir bien écouter sa prière, et de l'avoir pour agréable; remarquez quel est le premier désir qu'il exprime, et le premier objet de ses supplications. Il ne dit pas : Donne-moi des richesses, accorde-moi les honneurs qui viennent des hommes, fais-moi triompher de mes ennemis, donne-moi des enfants. Il ne s'abaisse à aucune de ces faveurs de la terre, et ne demande à Dieu que des grâces dignes de lui. Quoi donc me direz-vous, ne peut-on demander les biens sensibles ? On le peut faire, mais avec modération, à l'exemple de Jacob qui disait : "Pourvu que le Seigneur me donne du pain pour me nourrir, et un vêtement pour me couvrir." (Gen 28,20). C'est ainsi que Jésus Christ nous ordonne de faire à Dieu cette prière : "Donne-nous aujourd'hui le pain nécessaire à la subsistance de chaque jour," mais après que nous avons demandé les biens spirituels. C'est ce que fait aussi le prophète en disant à Dieu : "Place une garde à ma bouche." Voyez-vous quelle prudence, voyez-vous quelle sagesse, et quel est le premier objet de sa prière ? Il commence par la vertu la plus importante, par ce qui peut être sans une grande vigilance, la cause de tous les maux, et devenir au contraire pour une âme attentive, le principe de tous les biens. En effet, l'intempérance de la langue produit des maux innombrables, comme la réserve dans les paroles est la source de mille biens précieux. De même qu'il est tout à fait inutile d'avoir une maison, une ville, des remparts, des portes, des ouvertures, s'il n'y a en même temps des gardiens qui sachent quand il faut ouvrir et quand il faut fermer; de même la langue et la bouche ne sont d'aucune utilité, si elles ne sont dirigées par la raison à qui Dieu a confié le soin de les ouvrir et de les fermer avec toute la vigilance, toute la circonspection possible, et qui sait les paroles qu'elle doit laisser sortir, et celles qu'elle doit retenir. Le glaive en a fait périr beaucoup moins que la langue. (Ec 28,22). Jésus Christ nous dit encore : "Ce n'est point ce qui entre par la bouche qui souille l'homme, c'est ce qui sort de la bouche." (Mt 15,11). Nous lisons dans un autre livre : "Mettez à votre bouche une porte et des verroux." Mais comme le psalmiste sait qu'il est très difficile de mettre en pratique cette recommandation, il a recours à la prière, et demande à Dieu de lui venir en aide. Un auteur inspiré semble faire allusion à cette difficulté quand il dit : "Qui mettra sur mes lèvres un sceau inviolable ?" (Ec 22,33). Nous avons ici notre part d'action, et c'est pourquoi il nous donne comme un précepte cette recommandation : "Mettez à votre bouche une porte et des verroux." Mais il nous faut aussi implorer le secours de Dieu, si nous voulons que nos efforts soient couronnés de succès.
Plaçons donc une garde constante à notre bouche, que notre raison lui serve de clef, non pour la tenir toujours fermée, mais pour ne l'ouvrir qu'en temps convenable. Quelquefois le silence est plus utile que la parole, quelquefois aussi la parole est préférable au silence; c'est ce qui faisait dire à ce roi si sage : "Il y a un temps de se taire, et un temps de parler." (Ec 3,7). Si la bouche devait être constamment ouverte, il n'eut pas été besoin d'y mettre des portes; et si elle devait demeurer toujours fermée, quel besoin d'y mettre une garde ? À quoi bon garder ce qui demeure fermé ? Si donc il y a tout ensemble des portes et une garde, c'est afin que nous fassions chaque chose en temps opportun. La sainte Écriture nous dit encore ailleurs : "Fais un joug et une balance pour ta langue." (Ec 28,29). Voyez quelle vigilance elle demande, afin que non seulement nous ne disions que des paroles convenables, mais pour que nous les pesions avec un soin scrupuleux et une attention extraordinaire. Nous apportons ce soin rigoureux pour peser l'or qui est une matière périssable; combien est-il plus nécessaire pour régler nos paroles, de manière qu'il n'y ait en elles ni excès, ni défaut ! C'est pourquoi le même auteur nous dit : "Ne retenez point votre parole au jour du salut." (Ecc 4,28). Voilà le temps où elle doit sortir; mais dans un autre endroit il nous indique le temps du silence : "Si vous avez à parler, répondez, sinon que votre main soit sur votre bouche." (Ec 5,14). Et plus loin : "Celui qui se répand en paroles, se fera haïr." (Ibid., 20,8). Et encore : "Celui qui cache son insuffisance, vaut mieux que celui qui cache sa sagesse." (Ibid., 33). "Avez-vous entendu une parole contre votre prochain ? faites-la mourir en vous-même; soyez tranquille, elle ne vous fera point crever. L'insensé se presse d'enfanter une parole qu'il a entendue, comme une femme qui est en travail." (Ibid., 19,10-11). Il nous apprend ensuite comment nous devons parler : "Jeune homme, s'il est nécessaire, parle deux fois au plus; si on t'interroge, réponds en très peu de mots." (Ibid., 32,10-11). Il faut en effet, la plus grande attention de l'esprit, pour diriger avec sûreté la puissance de la langue. C'est ce qui fait dire au même auteur : "Il y a une répréhension qui n'est pas opportune, et tel se tait que l'on regarde comme prudent." (Ibid., 19,28). Il ne suffit pas de garder le silence et de ne parler qu'à propos, il faut encore parler sous l'inspiration de la grâce. "Que toutes vos paroles, dit saint Paul, soient accompagnées de grâce, et assaisonnées du sel de la sagesse, en sorte que vous sachiez répondre à chacun comme il convient." (Col 4,6). Pensez que la langue est l'organe avec lequel nous parlons à Dieu et nous célébrons ses louanges. C'est par cet organe que nous recevons la victime redoutable, les fidèles comprennent ce que je dis. Il faut donc qu'il soit pur de toute accusation, de toute parole injurieuse ou obscène, de toute calomnie. Si une pensée mauvaise veut nous faire violence, étouffons-la au dedans de notre âme, ne lui permettons pas de se produire au dehors par des paroles licencieuses; si l'envie ou l'impatience vous inspire des paroles de colère, desséchez cette racine, tenez la porte fermée, et mettez-y une garde fidèle. Ne laissez pas naître dans votre coeur des desseins coupables, mais s'ils viennent à se produire, étouffez-les aussitôt et détruisez-les jusque dans leur premier germe.
5. C'est ainsi que Job sut mettre une garde à sa bouche, et qu'il n'en laissa sortir aucune parole inconsidérée. Il garda presque toujours le silence, et quand il crut nécessaire de répondre à sa femme, ses paroles furent pleines de sagesse. En effet, nous ne devons nous déterminer à parler que lorsque les paroles sont plus utiles que le silence. Voilà pourquoi Jésus-Christ nous déclare que"les hommes rendront compte de toute parole inutile qu'ils auront dite," (Mt 12,36), et que saint Paul nous fait cette recommandation : "Qu'aucune parole mauvaise ne sorte de votre bouche." (Ep 4,29). Or, quel moyen de veiller soigneusement sur cette porte, et d'y mettre une garde sûre ? Écoutez un autre auteur inspiré : "Que tous vos entretiens soient dans les préceptes du Très Haut." (Ecc 9,23). Si vous prenez l'habitude de ne dire aucune parole inutile, si votre esprit comme votre bouche s'entoure continuellement des récits de la sainte Écriture comme d'un rempart, vous aurez une garde plus solide que l'acier le plus dur. De la bouche, partent bien des chemins qui conduisent à la mort; par exemple, quand elle profère des obscénités ou des bouffonneries, lorsqu'elle s'ouvre aux inspirations de la vaine gloire ou de la jactance. C'est ce que fit le pharisien, pour n'avoir pas mis une porte à sa bouche, il répandit au dehors en peu de paroles, tout ce qui était au dedans de lui-même; semblable à une maison qui n'a point de portes, il ne put conserver le trésor qui était caché dans son âme, et il fut tout d'un coup réduit à la dernière pauvreté.
En voici encore un autre que son langage superbe précipita dans l'abîme; c'est celui qui disait : "J'établirai mon trône au- dessus des astres du ciel." (Is 14,13). Quant aux Juifs, tantôt pour s'être réjouis des malheurs de leur prochain, ils ont mérité de s'entendre appliquer ces paroles : "Parce que vous avez dit : C'est bien, Israël est devenu comme les autres nations;" tantôt, ils ont été couverts d'opprobres pour avoir manifesté leur découragement et leur indignation en disant : "Tout homme qui fait le mal est bon aux yeux du Seigneur, voilà ceux qui Lui plaisent." Maintenant donc, nous estimons heureuses les nations étrangères qui s'élèvent en commettant le crime. Est-ce que toutes ces choses ne sont pas écrites dans le livre ? D'autres ont été victimes de leurs murmures. "Ne murmurons point, dit saint Paul, comme murmurèrent quelques-uns d'entre eux, qui furent frappés de mort par l'exterminateur." (1 Cor 10,10). Et quand donc eurent lieu ces murmures ? Lorsqu'ils disaient à Moïse : "Vous nous avez amenés dans le désert pour nous y faire mourir, comme s'il n'y avait pas de tombeaux en Egypte." (Ex 14,11). D'autres ont été punis pour s'être livrés à des plaisirs coupables : "Ils s'assirent pour manger et pour boire, et ils se levèrent pour danser." (Ex 32,6). D'autres, à cause de leurs paroles outrageantes : "Tout homme qui dit à son frère : Tu es un fou, sera condamné par le jugement." (Mt 5,22). D'autres enfin, en bien plus grand nombre, sont morts par suite d'autres péchés fruits de l'intempérance de leur langue.
"Voulez-vous maintenant des exemples de ceux pour qui le silence hors de propos a été mortel ? Je vais vous en donner : "Si vous n'avertissez pas le peuple, il mourra dans son péché, mais Je vous demanderai son sang." (Ez 3,20). Un autre sera puni pour avoir parlé sans discernement et révélé au premier venu, ce qui lui était confié contre la défense du Sauveur : "Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux." (Mt 7,6). Un autre pour ses folles joies : "Malheur à vous qui riez, dit notre Seigneur, parce que vous pleurerez." (Lc 6,25). Comprenez-vous comment la langue peut être une cause de mort, comment au contraire elle peut devenir un principe de vie ? Vous avez vu comment elle a perdu le pharisien, comment elle a sauvé le publicain ? Vous avez su le châtiment de ce barbare plein d'orgueil ? Entendez maintenant le Tangage humble et modéré du juste : "Je ne suis que terre et cendre."
(Gen 18,27). Vous avez vu la condamnation et le châtiment de celui qui se réjouit du mal de ses frères ? Considérez la récompense de l'homme qui a compati à leurs souffrances : "Mettez un signe sur le front de ceux qui pleurent et qui gémissent." (Ez 9,4). Voilà pourquoi saint Paul nous recommande "de nous réjouir avec ceux qui sont dans la joie, et de pleurer avec ceux qui pleurent." (Rom 12,15). Vous ne pouvez rien autre chose, nous dit-il, ce sera une grande consolation pour celui qui souffre, de voir que vous compatissez à ses douleurs. Vous avez vu la folle joie condamnée aux pleurs, considérez la consolation qui vient après les larmes : "Bienheureux ceux qui pleurent, dit le Sauveur, parce qu'ils seront consolés." (Mt 5,5). Vous avez vu les murmurateurs punis ? Voyez comment les coeurs reconnaissants ont été sauvés : "Tu es béni, Seigneur, et ton Nom est digne de louanges, parce que Tu es juste dans toutes les choses que Tu nous as faites." (Dan 3,26-27). Et un peu plus loin : "Et Tu as montré la vérité de tes Jugements par tout ce que Tu as envoyé sur nous." (Ibid., 28). Les uns disaient : "Tout homme qui fait le mal est agréable au Seigneur," (Mal 2,17), les autres au contraire : "Ton oeil est pur et ne peut souffrir le mal." (Hab 1,13). Ceux-ci proclamaient bienheureuses les nations étrangères au culte de Dieu, qui s'élèvent après avoir commis toute sorte de crimes; ceux-là le peuple à qui Dieu vient en aide : "Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu;" (Ps 143,15); et encore : "Ne soyez point jaloux de la prospérité des méchants, et ne portez point envie à ceux qui commettent l'iniquité." (Ps 36,1). Avez-vous vu les saints qui prodiguent aux autres les encouragements, et qui demeurent eux-mêmes inébranlables au milieu des tentations ? Entendez le langage de Jacob : "Pourvu que Dieu me donne du pain pour me nourrir, et un vêtement pour me couvrir;" (Gen 28,20); et celui d'Abraham : "Je ne recevrai rien de ce qui est à vous, depuis le fil des vêtements, jusqu'à la courroie de la chaussure." (Gen 14,23). Lorsque son épouse était menacée de déshonneur, et qu'il souffrait lui-même de la famine, il ne prononça aucune parole déplacée, et encore lorsque son fils lui dit : "Mon père, voici le bois et le feu, où est la brebis ?" Voyez avec quelle douceur et quelle sagesse il lui répond : "Mon fils, Dieu se choisira Lui-Même sa victime." (Gen. 22,7-8). Il ne cède ni à la nature, ni à la pitié en entendant les paroles que son fils lui adressait seul à seul, quand tout se réunissait pour réveiller la vivacité de son amour. Et l'on ne peut dire que c'est le respect humain qui retenait ses larmes; c'est dans un lieu écarté, loin de tout témoin qu'il fait paraître cette sagesse ferme et inébranlable.
6. Vous avez vu le châtiment de ceux qui s'abandonnent à une folle joie ? Rappelez maintenant à votre souvenir les Ninivites qui ont trouvé le salut dans les larmes et dans les jeûnes. (Jon. 3). Vous avez vu enfin la punition de ceux qui avaient outragé Dieu par leurs paroles ? Considérez la récompense de ceux qui L'ont béni. "Béni soit celui qui Te bénira, maudit soit celui qui Te maudira." (Num 24,9). "Bénissez ceux qui vous persécutent, priez pour ceux qui vous outragent, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux." (Mt 5,44-45). Vous voyez qu'il ne faut pas avoir sans discernement, la bouche ni toujours fermée, ni toujours ouverte, mais qu'il faut savoir distinguer les temps où il faut parler ou se taire. Voilà pourquoi le psalmiste fait à Dieu cette prière : "Seigneur, mets une garde à ma bouche, et une porte à mes lèvres pour les fermer exactement." Or, quelle est cette garde si ce n'est la pensée de ce juge redoutable qui a dans les mains le feu destiné à punir les intempérances de la langue ? Choisissez ce portier, ce gardien qui fera retentir les menaces dans votre conscience, et jamais cette porte ne sera ouverte à contre-temps; elle ne s'ouvrira que pour votre utilité et pour vous assurer des biens innombrables. C'est la recommandation que nous fait le Sage : "Souvenez-vous toujours de vos fins dernières, et vous ne pécherez jamais." Vous le voyez, c'est la même pensée. Pour moi, je l'ai rendue plus terrible, en rappelant non-seulement ce qui doit arriver à la mort, mais ce qui doit la suivre; c'est-à-dire le feu que le juge tient dans ses mains. Soyez fidèle à cette pratique, et aucune pensée mauvaise ne germera dans votre âme. À cette recommandation, joignez l'avertissement du Sauveur qu'au jour du jugement vous rendrez compte de toute parole inutile. (Mt 12,36). Rappelez-vous que c'est par une parole que la mort est entrée dans le monde. Si la première femme n'avait pas eu avec le démon l'entretien que vous savez, si elle n'avait pas ajouté foi à ses paroles, il ne lui aurait fait aucun mal, elle n'eût pas présenté le fruit de l'arbre à son mari, et celui-ci n'en eût point mangé. En parlant de la sorte, je fais retomber cette faute non sur la bouche ou sur la langue, mais sur l'usage coupable qu'ils en firent et qui est dû au défaut de vigilance de leur esprit.
La bouche devient encore une voie de perdition, lorsqu'elle se prête à des baisers ou lascifs et impurs, ou trompeurs et perfides. Il faut donc y placer également une garde. Tel fut le baiser de Judas, baiser plein de perfidie; mais saint Paul recommande aux fidèles de se donner mutuellement un baiser bien différent : "Saluez-vous les uns les autres par un saint baiser." (II Cor 13,12). Tel n'était point non plus le baiser que David donnait à Jonathas, baiser saint et chaste et qui partait d'une affection sincère. (1 Roi 20,41). C'est encore ce saint baiser que les fidèles donnaient à saint Paul en se jetant à son cou et en l'embrassant avec amour. Voilà donc pourquoi le psalmiste dit à Dieu : "Mets, Seigneur, une garde à ma bouche, et une porte;" et il ne se contente pas de dire : "Une porte," il ajoute : "Une porte qui la ferme exactement," de manière qu'elle l'entoure tout entière, et lui donne une sécurité parfaite.
La langue peut encore conduire à la mort d'une autre manière, lorsqu'elle ose dire : Pourquoi cela ? dans quel but cet événement est-il arrivé ? Saint Paul reprend ces discoureurs indiscrets, lorsqu'il leur dit : "Mais qui êtes-vous, ô homme, pour contester avec Dieu ?" (Rom 23,20). Or ce n'est pas seulement la bouche qu'il faut garder, il faut commencer par notre âme. C'est ce qui faisait dire au Sage : "Qui placera la réprimande dans ma pensée pour que mon ignorance ne soit pas épargnée ?" (Ecc 23,2). Voilà pourquoi notre Seigneur Jésus Christ réprime jusqu'aux mauvaises pensées, par ces paroles : "Quiconque regarde une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère dans son coeur." (Mt 5,28). Vous voyez qu'il ne laisse pas à ces pensées le temps de se développer, et qu'il réprime les premiers jets de la convoitise et de la colère. "Celui qui se mettra en colère contre son frère méritera d'être condamné au feu de l'enfer." (Mt 5,22). Une autre source de grande sécurité est encore de parler peu, ce qui a fait dire à l'auteur du livre des Proverbes : "La multitude des paroles ne sera point exempte de péché, mais celui qui est modéré dans ses paroles, est très prudent." (Pro 10,19). "Ne souffrez point que mon coeur se laisse aller à des paroles de malice, pour chercher des excuses à mes péchés." (Ibid., 4). Une autre version porte : "Ne permettez pas que mon coeur s'égare dans des discours mauvais, pour concevoir des pensées criminelles." Pourquoi intervertir ici l'ordre naturel, et parler de la bouche avant de parler du coeur ? Le psalmiste l'a fait avec dessein. Lorsque des prisonniers veulent s'enfuir, leurs geôliers cherchent avant tout à s'assurer des portes de la prison; c'est là leur premier soin, et une fois cette précaution prise, ils viennent facilement à bout du reste. Le psalmiste suit ici la même marche, et voici le conseil qu'il donne : Que les portes soient fermées, et vous aurez facilement raison des mauvaises pensées. C'est pourquoi il s'oppose tout d'abord à ce qu'elles pénètrent dans l'âme, et il en arrache jusqu'à la racine, en disant à Dieu : "Ne détournez pas mon coeur vers des paroles de malice." Ce n'est pas sans doute que Dieu porte notre coeur au mal, loin de nous cette pensée. Voici le sens de ces paroles : Ne souffrez pas que mon coeur se détourne et s'égare dans des pensées coupables, car c'est dans le coeur que se trouve la source de la vertu comme du vice. Mais quelles sont ces paroles de malice ? Elles sont nombreuses et de plusieurs sortes : Les paroles insidieuses et perfides, celles qui jettent l'outrage à Dieu, qui inspirent l'éloignement de la vertu et l'amour du vice; celles qui en répandant des doctrines mauvaises, en se rendant l'écho de moeurs coupables se font entendre avec plaisir, et beaucoup d'autres semblables, qui sont des paroles de malice et qui viennent d'un coeur profondément corrompu. Or, de même qu'il y a des pensées et des paroles mauvaises, il y a aussi des paroles de vie. Voilà pourquoi les disciples disaient à Jésus-christ : "À qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle." (Jn 4,69). Les paroles de vie sont celles qui donnent la vie, on les appelle aussi les paroles du salut, parce qu'elles nous font opérer notre salut. De là ce conseil du Sage : "Ne retenez pas la parole au jour du salut." (Ec 4,28). Les paroles de malice sont aussi celles qui rendent mauvais ceux qui les profèrent.
7. Un air pestilentiel engendre les maladies, les paroles mauvaises produisent le même effet. Les ravages que l'air fait dans le corps, ces paroles les portent dans l'âme qui les reçoit. Le prophète demande donc à Dieu de l'en préserver et il ajoute : Ne permettez pas que mon coeur reçoive jamais ces paroles, et qu'il y trouve de l'attrait. Remarquez-vous comme il établit l'existence du libre arbitre, et montre que le vice ne vient point de la nature, mais de la négligé.ente qui lui ouvre les portes de notre âme ? "Pour chercher des excuses à mes péchés." Une des voies qui conduisent le plus directement à la mort, c'est l'état d'une âme pécheresse, qui, s'affranchissant de toute crainte, cherche des excuses pour couvrir sa lâcheté. Je dirai la même chose d'un homme coupable d'adultère en qui un ami perfide veut étouffer le repentir, en lui disant : Est-ce que c'est votre faute ? n'en accusez que la convoitise. Le péché est un grand mal assurément, mais un mal beaucoup plus affreux, c'est de nier le péché après qu'il a été commis. Voilà une des armes les plus puissantes du démon. Nos premiers parents en firent la triste expérience. Adam, au lieu d'avouer son péché, comme c'était son devoir, le rejette sur Eve; Eve en accuse à son tour le démon. Ils n'avaient qu'une chose à faire, c'était de dire à Dieu : Nous avons péché; nous avons désobéi à ta Loi; mais au contraire, loin de confesser leur faute, ils cherchent à l'excuser. Le démon sait que la confession du péché est le moyen le plus puissant pour l'effacer, que fait-il ? Il suggère à l'âme de se conduire avec impudence. Pour vous, mon très-cher frère, lorsque vous avez commis une faute, dites : J'ai péché, c'est là votre légitime défense. C'est ainsi que vous vous rendrez Dieu propice, c'est ainsi que vous éloignerez la rechute dans les mêmes fautes. Mais, si vous n'avez d'autre soin que de chercher des excuses imaginaires et de bannir de votre coeur tout sentiment de crainte, vous donnez à votre âme une facilité bien plus grande pour retomber dans les mêmes liens, et vous irritez la colère de Dieu.
Il n'est point de pécheur qui ne trouve dans son impudence une excuse à ses péchés. L'homicide rejette son crime sur la colère, le voleur sur la pauvreté, l'adultère sur la passion, un autre sur sa puissance. Ce sont là de vaines et frivoles excuses, des justifications que la raison ne peut avouer. Là n'est point la véritable cause du péché, n'en accusez que la volonté seule des pécheurs. Je le prouve par un exemple analogue. Voici un homme dont la vie se passe dans la pauvreté, il a aussi des passions, la nature lui fait sentir ses exigences, et cependant son âme reste pure de tout péché, quel moyen de défense pourront-ils donc alléguer ? Aussi écoutez ces belles paroles du Sage : "Qui fera ressentir la réprimande à mes pensées afin qu'elle n'épargne point mon ignorance ?" (Ecc 23,2). Considérez David, il ne cherche aucune excuse au péché qu'il a commis; il s'avoue coupable : "J'ai péché contre le Seigneur." (2 Roi 12-13). Il aurait pu dire : Pourquoi cette femme s'est-elle exposée aux regards dans cet état de nudité, pourquoi se baignait-elle sous mes yeux ? Il savait que c'était là des excuses absurdes; aussi leur préfère-t-il une justification plus sûre en disant : "J'ai péché." Ce n'est point ainsi qu'avait agi Saül. Samuel lui reproche d'avoir consulté une pythonisse, et il répond : "Je suis dans l'angoisse; car les étrangers combattent contre moi." (I Roi 28,15). Aussi fut-il puni rigoureusement. Son devoir était de dire : J'ai péché, j'ai transgressé la loi de Dieu, mais loin de tenir ce langage, il s'en va recourir à des excuses frivoles et insensées. "Comme les hommes qui commettent l'iniquité." Le psalmiste ajoute cette circonstance parce que c'est le propre des hommes d'iniquité, de se justifier avec impudence. Voilà pourquoi David recommande constamment, comme un acte essentiel de vertu, d'éviter tout commerce avec eux, et qu'il commence le livre des psaumes par ces paroles : "Heureux l'homme qui ne s'est point laissé aller au conseil des impies, qui ne s'est point arrêté dans la voie des pécheurs et ne s'est point assis dans la chaire de contagion." (Ps 1,1). Aussi, toutes les fois qu'il se rend coupable, vous le verrez faire l'aveu sincère de ses fautes. Lorsqu'il eut fait le dénombrement de son peuple, il s'écrie : "C'est moi qui ai péché, c'est moi le pasteur qui suis coupable." (II Roi 24,7). Il ne dit pas : Quel mal ai-je commis en faisant ce dénombrement ? Il se condamne lui-même, et il obtient ainsi le pardon de sa faute. Rien, en effet, ne nous rend plus digne de la miséricorde de Dieu que l'aveu sincère de nos fautes. Mais il faut pour cela fuir ces réunions qui n'ont d'autre objet que de détruire la crainte du péché, et de jeter les âmes dans un relâchement funeste. Voilà pourquoi saint Paul et Jérémie insistent tant sur ce point, et nous font un devoir rigoureux d'éviter tout commerce avec les méchants et avec ceux dont la vie est molle et dissolue. Job lui-même met la fuite des méchants au nombre des vertus : " Si j'ai marché, dit-il, avec ceux qui tournent tout en dérision." (Job 31,5). Le psalmiste va plus loin et déclare qu'il ne s'est pas même assis au milieu d'eux : "Je ne me suis point assis dans l'assemblée des railleurs." Aussi saint Paul ne veut pas qu'un chrétien s'asseoie à la table des méchants, ni qu'il ait le moindre rapport avec eux : "Que si quelqu'un n'obéit point à ce que nous ordonnons par notre lettre, écrit-il, notez-le, et n'ayez point de commerce avec lui." (2 Thes 3,14). "Je ne communiquerai point avec les plus distingués d'entre eux." Suivant une autre version : "Je ne mangerai pas de leurs mets les plus exquis;" suivant une autre : "Je ne prendrai aucune part à ce qui fait leurs délices." Le psalmiste donne ici le même conseil que l'Apôtre, c'est qu'il faut fuir leurs plaisirs et leurs festins où se commettent des péchés plus graves, et où règne une plus grande licence.
8. Une des marques certaines d'une vertu solide, un des moyens les plus puissants pour réprimer nos fautes, c'est de fuir ces festins, ces réunions, sans aucun égard pour de semblables amitiés, de peur en devenant esclave de la sensualité, d'affaiblir la force de notre âme, et de paralyser en nous la vigueur de la sagesse. C'est ainsi que nous en voyons un grand nombre qui, par de timides ménagements pour l'amitié, se sont engloutis dans les flots de l'ivresse, sont tombés dans les liens de la fornication, et ont allumé en eux le feu de la volupté en fréquentant ces banquets et ces théâtres où abonde l'iniquité. "Le Juste me reprendra et me corrigera avec charité; mais l'huile du pécheur n'engraissera point ma tête." (Ibid., 5). Un autre interprète traduit : "Que le Juste ait pitié de moi et qu'Il me reprenne dans sa Miséricorde." Voici le sens des paroles du prophète : Je ne veux avoir aucun rapport avec ceux qui me tiennent un langage flatteur pour me perdre, je m'attache de préférence à ceux qui plus sévères m'adressent des remontrances utiles, me découvrent mes péchés et me reprennent de mes fautes. En effet une des plus grandes marques de miséricorde et de charité c'est de panser les blessures de l'âme. "L'huile du pécheur n'engraissera point ma tête." Voyez-vous comme cette âme est affermie dans la vertu ? Elle accepte volontiers les réprimandes sévères des justes, et elle repousse les paroles flatteuses des méchants. Pourquoi ? Parce que la fausse compassion des uns a été souvent mortelle, tandis que les vifs reproches des autres ont été pour l'âme un principe de vie. D'un côté, la miséricorde se trouve jointe aux réprimandes; de l'autre, la mort suit de près la fausse compassion. C'est ce qui fait dire au Sage : "Les blessures des amis sont plus salutaires que les baisers flatteurs des ennemis." (Pro 27,6). Or, l'Apôtre fait une recommandation analogue à son disciple, lorsqu'il lui dit : "Reprenez, menacez, exhortez." (II Tim 4,2). Telle est, en effet, la réprimande des saints. N'est-ce pas ce que font aussi les médecins ? Ils ne se contentent pas de couper les chairs, ils pansent les blessures. Aussi Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour rendre la réprimande plus acceptable, ne veut point qu'elle soit d'abord publique : "Allez, dit-il, et reprenez-le entre vous et lui seul." (Mt 18,15). C'est ce que pratiquait aussi saint Paul qui mêlait toujours la tendre compassion au reproche, et disait tantôt : " Ô Galates insensés !" (Gal 3,1); tantôt : "Mes petits enfants, pour lesquels je souffre de nouveau les douleurs de l'enfantement." (Gal 4,19). Celui qui remplit le devoir de la correction doit prendre tous les moyens possibles pour faire recevoir volontiers sa réprimande. Il lui faut un grand discernement pour bien appliquer ce remède, et une plus grande prudence qu'à celui qui pratique une incision sur le corps. Comment cela ? C'est que d'un côté, ce qui est soumis au fer du médecin est différent de la partie qui en souffre, tandis qu'ici, c'est la même substance qui supporte l'incision et qui en ressent de la douleur. "L'huile du pécheur n'engraissera point ma tête." Qu'est-ce à dire ? Le pécheur, dit le psalmiste, ne se propose pas l'utilité de celui à qui il s'adresse, mais la sienne propre, il veut paraître agréable et plein d'affection. Le juste au contraire, sacrifie ses intérêts aux intérêts de celui qu'il reprend. Voilà ce qui établit entre les deux une différence immense. Or, si nous devons punir les méchants, lors même qu'ils nous témoignent de la compassion, quand nous sera-t-il permis d'entrer en rapport avec eux ? Dans aucune circonstance. Ainsi, lors même que le pécheur vous offrirait de vous enrichir, vous promettrait des plaisirs et des honneurs, repoussez-le, fuyez-le. Mais pour le juste, fussiez-vous l'objet de ses railleries et de ses amers reproches, attachez-vous à lui, vous avez en lui un véritable ami.
"J'opposerai même ma prière à toutes les choses qui flattent leur cupidité." Une autre version porte : "Ma prière sera contre leurs vices;" une autre : "Ma prière sera opposée à leurs iniquités." Nous voyons ici ce que le psalmiste demande à Dieu et le concours qu'il prête à la grâce de Dieu; il nous apprend ainsi à ne point nous endormir au sein d'une trop grande confiance, et à coopérer de notre côté à la grâce de Dieu. Or, quelle est ici la part du prophète ? Ce ne sont ni des brebis, ni des boeufs, ni de l'argent, mais des moeurs parfaitement réglées, et une attention extrême à fuir l'exemple des méchants. Non seulement, dit-il, je ne veux ni de leurs pernicieuses flatteries, ni de leurs réprimandes, mais je me déclarerai ouvertement contre leurs convoitises; et loin d'accepter leur fausse compassion, j'opposerai ma prière à leurs coupables désirs. Tel est le sens de ces paroles : J'opposerai ma prière aux choses qui leur plaisent. "Leurs juges ont été engloutis, attachés à la pierre." (Ibid., 6). Une autre version porte : "Ils seront comme brisés en mille pièces contre la pierre." Nous voyons ici combien il est facile de triompher du péché et dans quels abîmes précipite le vice. Leurs chefs, dit le psalmiste, qui livraient tout au pillage, n'ont pu éviter la mort. Il ne dit pas simplement : ils ont péri, mais "ils ont été engloutis," c'est-à-dire, leur ruine a été si complète qu'il ne reste d'eux la moindre trace, ce que le prophète dit ailleurs de l'impie : "J'ai passé, et il n'était plus; je l'ai cherché, et je n'ai pas trouvé sa place." (Ps 36, 36). Que signifie cette expression "attachés ?" elle a le même sens qu'auprès. Le psalmiste veut donc dire : De même qu'une pierre qu'on précipite dans la mer ne reparaît plus à sa surface, ainsi la prospérité des méchants s'est abîmée sans retour dans une ruine complète. Ou bien encore il veut dire que leur force, leur puissance, leur pouvoir, crouleront pour ne plus se relever. C'est ce que signifie cette version : "Ils seront brisés en mille pièces contre la pierre." Ils entendront mes paroles, parce qu'elles sont pleines de douceur. Une autre version porte : "Parce qu'elles sont accompagnées d'une garde puissante;" une autre : "Parce qu'elles sont agréables," c'est-à-dire, ils sauront par expérience quel est le charme de mes enseignements et de mes conseils. Comment cela ? Parce que c'est le fruit naturel de la réprimande des justes, et que leurs leçons sont pleines de douceur et de charme.
9. Telle est en effet la vertu : pour quelques moments de peine, elle nous procure une joie éternelle. "Comme une terre dure et serrée se renverse sur une autre terre, nos os ont été épars auprès de la tombe." (Ibid., 7). Un autre interprète traduit : "Comme le laboureur lorsqu'il fend la terre, nos os ont été dissipés sur le bord de la tombe;" un autre : "De même que le fer brise et fend la terre, nos os sont épars près du tombeau;" un autre enfin : "De même que celui qui cultive et creuse la terre, nos os ont été épars près de la tombe." Après avoir retracé le charme ineffable de ses paroles, il rappelle le souvenir des épreuves passées. Nous avons souffert des maux extrêmes, dit-il, comme une terre déchirée, labourée, creusée en tous sens, nous avons été dispersés, voués à une ruine certaine, nous avons touché aux portes du tombeau; cependant, malgré ces rudes épreuves, nous préférons la réprimande et les leçons des justes à la fausse compassion des pécheurs. Quoi qu'il arrive en effet, nous restons attachés à l'espérance que nous avons en Toi, et rien absolument ne pourra nous empêcher de tenir nos yeux fixés sur Toi. Voilà pourquoi il ajoute : "Parce que mes yeux se sont élevés vers Toi, Seigneur, ne m'ôte pas la vie." (Ibid., 8). C'est-à-dire, quand toutes les calamités réunies, les guerres, les combats, la mort, les puissances de l'enfer viendraient fondre sur nous, nous ne nous séparerons point de cette ancre sacrée, nous conserverons la ferme espérance que Tu viendras à notre secours, et que sans armes et sans combats, nous serons par Toi délivrés de nos ennemis. "J'ai espéré en Toi, ne m'ôte pas la vie." Une autre version porte : "Ne fais pas que ma vie soit vide;" c'est-à-dire, ne permets pas que je sorte de cette vie sans avoir fait aucune bonne oeuvre. "Garde-moi du piège qu'ils m'ont dressé et des embûches de ceux qui commettent l'iniquité." (Ibid., 9). Ce ne sont pas ici des embûches ordinaires, mais des perfidies secrètes et cachées qu'il est très difficile de découvrir et de connaître sans le secours du ciel. Le psalmiste termine ce psaume comme il l'a commencé, par la prière. Il retrace à la fois la part d'action qui lui est propre : son espérance en Dieu, ses regards constamment fixés sur Lui, la fuite des assemblées des méchants, sa haine pour leurs plaisirs coupables; et celle qui appartient à Dieu, le secours et la protection qui l'ont fait triompher des plus grands obstacles. La vertu en effet pour être parfaite, demande le concours de la grâce de Dieu et de nos propres efforts. "Les pécheurs tomberont dans ses filets. Pour moi, je suis seul, jusqu'à ce que je passe." (Ibid., 10). Dans quel filet tomberont-ils ? Dans celui de Dieu; c'est-à-dire, ils seront chargés de chaînes et réduits en captivité. En effet, c'est le propre des justes de corriger leurs défauts et de réveiller en eux l'amour de la sagesse, comme c'est le propre des pécheurs dont les plaies sont incurables, d'aller jusqu'au châtiment, jusqu'au supplice. "Je suis seul, jusqu'à ce que je passe." Suivant une autre version : "Je suis en même temps, jusqu'à ce que je passe;" suivant une autre : "En moi-même." C'est-à-dire, je serai comme ramassé, concentré en moi-même et non répandu au dehors; ou bien suivant les Septante, je serai délivré des méchants, pur de tout commerce avec eux, et habitant seul avec moi-même, ce qui est la marque d'une haute vertu. Et ce n'est pas pendant un, deux ou trois jours qu'il est fidèle à cette règle, mais pendant toute sa vie. Rien ne nous défend, rien ne nous protège comme un rempart, rien ne développe autant la vertu comme de fuir la société des méchants, de se recueillir en soi-même tant que dure la vie, et de vivre loin de tout commerce avec les corrupteurs. Il ne suffit pas de vivre dans la solitude pour être seul, il faut avoir un coeur pénétré de l'amour de la sagesse. Par la même raison, ceux qui habitent au milieu du bruit et de l'agitation des villes, pourront jouir de cette solitude, s'ils fuient les assemblées corrompues et recherchent la société des hommes vertueux. Dans cette voie, on marche avec sécurité. Que celui donc qui se sent la force de redresser les autres, se mêle à ceux qui sont disposés à recevoir le remède, pour les rendre meilleurs. Que celui au contraire qui est faible, fuie le commerce des méchants, s'il ne veut que ce commerce lui soit funeste. C'est ainsi que sa vie s'écoulera dans le calme et la paix, et qu'il méritera les biens éternels. Puissions-nous tous les obtenir par la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartiennent la gloire et l'empire, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Amen.