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PSAUME 139 |
1. Où sont-ils, ceux qui nous demandent : Pourquoi les bêtes féroces ? À quoi bon les scorpions, à quoi bon les vipères ? Voici un animal d'une méchanceté plus grande, non de sa nature, mais par le libre choit de sa volonté, c'est l'homme. Aussi le prophète, sans se préoccuper dés autres dangers, demande à Dieu de le délivrer de l'homme méchant. Mais, dites-moi, je vous prie, parce que l'homme est méchant, valait-il mieux qu'aucun homme n'existât ? Ce serait une insigne folie de le dire, car rien ne peut nuire à l'homme que le péché. Ôtez le péché, tout devient facile, plus d'obstacles, une tranquillité parfaite; tandis qu'avec le péché, tout devient écueils, tempêtes, naufrages. Qu'on ne nous condamne pas, si nous disons que l'homme vicieux est plus méchant qu'une bête féroce. L'animal féroce n'a pas reçu de la nature la douceur en partage, mais il est facile de le tromper, et d'ailleurs, chacun voit ce qu'il est. Supposez au contraire, un homme qui médite le crime, et qui s'enveloppe de mille artifices, il est bien plus difficile de s'en garantit que d'une bête féroce, parce que souvent sous la peau de brebis, se cache le loup cruel. Aussi, que d'imprudents tombent dans les pièges que ces hommes leur tendent ! Or, c'est parce qu'il est difficile de se garantir de ces animaux féroces, que le prophète a recours à la prière et qu'il implore le secours de rien pour être préservé de leurs atteintes. Le démon se sert souvent de ces hommes comme d'instruments, pour frapper ses coups. Nous sommes donc environnés de pièges de toutes parts, L'homme méchant nous tend des embûches, le démon furieux nous déclare la guerre, et une tentation violente achève de nous accabler. Voilà pourquoi notre Seigneur nous a commandé de faire cette prière : «Ne nous induis- pas en tentation, mais délivre-nous du mal.» (Mt 6,13). Que de combats variés, que d'ordres de bataille différents ! et il faut être prêt à tout, celui qui entreprend un long voyage sur mer, doit prévoir d'avance la fureur des flots soulevés, la violence, des vents déchaînés, le choc des nuages amoncelés, les rochers et les écueils cachés sous les eaux, les attaques des monstres marins, les incursions des pirates, la faim, la soif, tous les périls de la mer, les ports inhospitaliers, les disputes des matelots, le manque de subsistances, mille autres épreuves de ce genre, et se prémunir contre tous ces dangers. Ainsi, celui qui veut traverser le détroit si agité de la vie présente, doit se préparer à supporter courageusement tout à la fois, les souffrances du corps, les maladies de l'âme, les desseins perfides des hommes, les attaques de ses ennemis, les artifices de ses faux amis, la pauvreté, les épreuves, les outrages, les phalanges des esprits mauvais, la fureur du démon, s'il veut aborder dans la cité du grand roi, et faire entrer dans le port son vaisseau chargé de riches marchandises.
Le psalmiste appelle ici son ennemi, l'homme méchant, mais quand il parle du démon, il se contente de l'appeler le méchant. Pour quelle raison ? Parce qu'il est le père du mal, et c'est pour cela qu'on l'appelle le mauvais par excellence; cet adjectif qui fait l'office de nom propre, suffit pour exprimer l'excès de sa méchanceté qui ne vient point de sa nature, mais de sa volonté perverse. Voulez-vous savoir d'où vient le nom de méchanceté ? cette explication pourra vous être utile. Les Grecs appellent la méchanceté poniria«, parce qu'elle n' apporte au méchant que de la peine ponon, et du chagrin. C'est ce que le Sage veut nous apprendre lorsqu'Il nous dit : «Si vous êtes mauvais, vous seul en porterez la peine; si vous êtes bon, vous le serez pour vous et pour vos proches.» (Pro 9,12). Et dans quel sens, me direz-vous, le méchant ne l'est-il que pour lui-même ? Comptez-vous pour rien les nombreuses victimes de sa méchanceté ? Je réponds qu'il ne peut faire de mal qu'aux âmes lâches et sans énergie. Laissons, si vous le vouliez, l'homme méchant, et prenons pour exemple le méchant lui-même, le démon. Dites-moi, n'a-t-il pas épuisé toute sa méchanceté contre Job ? Quel mal lui a-t-il fait ? Il a donné un nouvel éclat à sa vertu, et s'est préparé à lui-même une chute plus humiliante. Prenons encore Caïn, est-ce qu'il n'a pas été seul victime de sa méchanceté ? Non, me direz-vous, Abel l'a été avec lui. Comment l'entendez-vous ? Est-ce parce qu'il est entré rapidement dans le port qu'aucune tempête ne vient agiter ? Mais la plus grande marque d'affection qu'il pût recevoir de Dieu était de mourir, après une vie sainte, et de payer la dette commune d'une manière aussi glorieuse. En effet, cette mort qui lui était commune avec le reste des hommes, et qu'il devait nécessairement subir un jour, fut pour lui le principe d'une magnifique récompense. Était-ce donc un malheur pour lui ? ou plutôt, n'était-ce pas ceindre son front d'une couronne éclatante ? Dites-moi encore, quel mal les frères de Joseph prirent-ils lui faire ? N'ont-ils pas été seuls victimes de leur cruauté ? Cependant, me dira-t-on, il fut vendu comme esclave. Que s'ensuit-il ? J'ajouterai moi, qu'il a été jeté dans les fers, car la question n'est pas de savoir s'il a été esclave ou dans les fers, mais s'il en est résulté pour lui quelque dommage, or, nous trouvons justement le contraire, rien ne lui fut plus avantageux que ces épreuves, elles lui inspirèrent une grande confiance en Dieu, et les événements qui semblaient devoir le perdre, devinrent pour lui dès cette vie, l'occasion d'une prospérité sans égale. Ne craignons donc point les méchants, ayons bien plutôt de la compassion pour eux. Ils pouvaient exciter une juste crainte, alors que la voie qui conduit à la sagesse n'était pas encore frayée; mais comment pourrions-nous les craindre aujourd'hui que les cieux nous sont ouverts, et que les hommes sont devenus des anges ? L'animal qui se précipite avec impétuosité sur la pointe d'une lance, paraît se venger de celui qui la lui présente, et il se fait au contraire une profonde blessure. De même celui qui regimbe contre l'aiguillon, ne fait que s'ensanglanter les pieds.
2. Voilà ce qu'est la vertu, un aiguillon, un glaive perçant, et les méchants sont pires et ont moins d'intelligence que les animaux dépourvus de raison. Lors donc qu'ils se jettent sur les gens de bien, ils se font à eux-mêmes de bien plus sanglantes blessures. Ils leur font souvent tort, je le veux, dans leur fortune ou dans leur corps, mais ils se blessent eux-mêmes dans leur âme, et c'est là le seul et véritable dommage. Si le tort qui nous est fait dans nos biens, pouvait atteindre notre vertu, saint Paul ne nous eût point recommandé de souffrir l'injustice, et de ne point nous en rendre coupable. Si c'était un mal d'être victime de l'injustice, celui qui ne nous ordonne que le bien, ne nous en aurait pas fait un précepte. Et cependant, quoi qu'il en soit ainsi, n'attaquons pas les méchants, ne cherchons pas à leur nuire, contentons-nous de fuir leur société, et de supporter courageusement leurs agressions. Voilà pourquoi notre Seigneur nous ordonne de prier, afin de ne point entrer en tentation. Ainsi, le prophète, après avoir dit à Dieu : «Délivrez-moi de l'homme méchant,» ajoute : «Sauvez-moi de l'homme injuste,» terme énergique qui exprime l'universalité des vices. L'homme injuste, suivant lui, n'est pas seulement celui qui se rend coupable d'un justice dans l'acquisition des richesses, mais celui qui pèche contre la justice à l'égard de tous les autres devoirs. Il demande donc à Dieu de le délivrer de l'homme injuste, de peur qu'il ne succombe et ne devienne semblable à lui. Or, il ne lui adresse cette prière qu'après avoir fait lui-même tout ce qui était en son pouvoir. Aussi, ce n'est qu'après avoir fui la société des méchants, comme il le déclare en terminant le psaume précédent, qu'il implore ici le secours de Dieu. Il commence par faire preuve de bonne volonté en disant : «Hommes de sang, retirez-vous de moi, parce que vos pensées ne sont que contradiction,» et c'est alors qu'il demande à Dieu de le délivrer de leur méchanceté. Rien ne contribue davantage à la sécurité, à la liberté, au charme de la vie, comme d'être préservé de tout commerce avec les hommes vicieux et de se tenir bien loin de leur société; c'est là le comble du bonheur.
Le psalmiste nous fait ensuite le tableau de leur méchanceté. «Ils ont médité le mal dans leur cÏur, ils me livraient tout le jour des combats.» (Ibid., 3). Voyez-vous comme ils ressemblent à des bêtes féroces, dont il est difficile de se garder, parce qu'ils machinent leurs complots dans leur cÏur et cachent dans le secret de leur âme leurs mauvais desseins. «Ils ont médité le mal dans leur cÏur;» c'est-à-dire qu'ils ne l'ont pas produit au grand jour, ils ont agité en eux-mêmes ces mauvais desseins qu'ils avaient conçus, et ce qu'il y a de plus terrible, c'est qu'ils n'ont pas été emportés par un mouvement irréfléchi; ces desseins iniques sont l'Ïuvre d'une profonde préméditation. C'est ce que signifie cette expression : «Ils ont médité;» c'est-à-dire, ils y ont déployé toutes les ressources, toute l'activité de leur esprit. «Ils me livraient tous les jours des combats.» Le psalmiste embrasse toute la vie dans ces paroles. La guerre dont il veut ici parler n'est pas celle qui se fait avec des troupes rangées en bataille, et les armes à la main, mais cette guerre que les hommes se font sur la place publique et dans l'intérieur de leurs demeures, sans cuirasse pour les protéger, sans bouclier pour les défendre; ils n'ont pour toutes armes que leur méchanceté, et ils lancent leurs paroles plus acérées que les traits les mieux aiguisés. Or, ce qui démontre l'excès de leur perversité, ce n'est point qu'ils aient recours à la ruse, à la dissimulation, ni qu'ils ne respirent que lutte et combats, mais que toute leur vie se passe sans trêve aucune dans cette guerre homicide. S'ils aimaient tant à combattre, ils avaient d'ailleurs un noble et légitime sujet de guerre; ils pouvaient déclarer la guerre au péché, en finir aux mains avec l'esprit du mal, combattre contre les maladies de l'âme, aiguiser leurs glaives contre les démons. Mais la pensée d'une guerre semblable ne leur vient même pas à l'esprit, leur unique objet c'est de se lancer mutuellement des traits. «Ils ont aiguisé leurs langues comme celle du serpent, le venin des aspics est toujours sous leurs lèvres.» (Ibid., 4). Voyez comme le vice est ignoble; il change les hommes en autant d'animaux venimeux, en aspics, en serpents, et il ravale jusqu'aux instincts les plus féroces cette langue créée pour être l'organe de la raison. Il renouvelle l'accusation qu'il a déjà portée contre eux. Quelle est cette accusation ? Le venin des aspics est constamment, c'est-à-dire toujours sous leurs lèvres. Il avait dit précédemment : «Ils me livraient tout le jour des combats,» il développe ici la même pensée : «Ils ont aiguisé leur langue comme celle du serpent, le venin de l'aspic est toujours sous leurs lèvres.» Tel est le sens du mot Diapsalma, en hébreu, Cel, et qui signifie «toujours,» La méchanceté qui ne dure qu'un instant, est déjà un lourd fardeau, mais ici elle ne donne ni trêve, ni relâche, elle n'est jamais assouvie; quel pardon peuvent-ils espérer, quelle excuse présenter ? «Garde-moi, Seigneur, des mains du pécheur et préserve-moi des hommes iniques qui songent à ébranler mes pas. Les superbes m'ont dressé des pièges, ils ont tendu des cordes pour me faire tomber, ils ont placé leurs filets le long du chemin.» (Ibid., 5-6). Il n'y a point d'injustice plus grande que celle des hommes qui se livrent au vice; avant de nuire aux autres, ils se font toujours de profondes blessures. Ils sont des auteurs de scandale, ils sont cause que des insensés outragent la Gloire de Dieu, et ils ne songent pas à s'acquitter envers Lui de ce qu'ils lui doivent. C'est de la Bonté de Dieu qu'ils ont reçu leur corps et leur âme, et loin d'être reconnaissants et de Lui rendre grâces pour tant de gloire et de bienfaits, ils ne le paient que d'un injuste retour. Se peut-il une iniquité plus grande, une plus noire ingratitude ? Et ce qui aggrave encore leur crime et lui donne des proportions inouïes, c'est qu'ils s'efforcent de faire du mal aux autres. «Ils ont songé, dit le psalmiste, à ébranler mes pas.» S'ils n'ont pu réaliser leurs pensées, c'est à la souveraine Bonté de Dieu qu'il faut l'attribuer; c'est Lui qui a déjoué leurs injustes desseins.
3. Voyez comme le crime est profondément prémédité, les pièges savamment dressés. Ils les ont cachés, ils les ont tendus, et le long du chemin, afin que la longueur même du piège, le soin avec lequel il était caché et sa proximité y fissent tomber inévitablement celui qu'ils voulaient perdre. Ils ont été de véritables artisans de crimes, en dressant leurs pièges de tous côtés, dans l'unique dessein de perdre un homme. Or, voulez-vous voir comment le démon tend ses filets. Considérez ce qui est arrivé à Job.
Peut-on imaginer des pièges plus larges, plus longs et plus proches que ceux que le démon lui a tendus jusque dans la personne, de ses parents, de ses amis, de son épouse, que dis-je ? jusque dans son propre corps ? J'ai dit au Seigneur : «Tu es mon Dieu; exauce, Seigneur, la voix de mon humble supplication.» (Ibid., 7). «Seigneur, Seigneur, qui es toute la force dont dépend mon salut.» Suivant une autre version : «La puissance de mon salut.» Le psalmiste nous a décrit, la guerre qui lui est faite, les pièges qui lui sont tendus, les maux insupportables qui l'accablent, il se réfugie dans le sein de son invincible protecteur, et implore le secours céleste qui peut l'affranchir de ses épreuves. C'est la marque d'une âme généreuse et sage, de ne point, au milieu des maux qui l'environnent, recourir à la protection des hommes, ni prendre conseil des pensées de la terre, mais de jeter les yeux vers le ciel, sans découragement, sans agitation, sans trouble, et d'invoquer le Dieu qui remplit tout de sa Présence. Or, considérez la convenance des termes qui composent sa prière, Il ne dit pas à Dieu : Ma conduite a été irréprochable dans telle ou telle circonstance, ou j'ai pratiqué telle ou telle vertu, mais : «Tu es mon Dieu.» La seule raison qu'il apporte à l'appui de sa prière, c'est qu'il se réfugie dans le Sein de son Seigneur, de son Créateur, de son Roi. «Écoute, Seigneur, la voix de mon humble supplication, Seigneur, Seigneur, qui es toute la force de mon salut.» Il appelle Dieu la force ou la puissance de son salut, pour montrer que la Puissance divine se manifeste aussi par les châtiments et les supplices. Mais quant à moi, dit-il, je n'ai ressenti que la Puissance du saint. Il est en ton Pouvoir de châtier et de faire mourir, mais ta Puissance n'a jamais servi qu'à me sauver. Voyez quel amour respire dans ces paroles, et comme en répétant, Seigneur, Seigneur, et en ajoutant : «De mon salut,» il montre l'étendue de son affection. «Tu as mis ma tête à couvert au jour du combat.» (Ibid., 8). Quelle âme profondément reconnaissante ! Il rappelle à son souvenir les bienfaits qu'il a reçus de Dieu, lorsqu'il l'a mis à couvert du danger. Ce n'est pas bien longtemps à l'avance, dit-il, c'est au jour même où le malheur me menaçait, lorsque mes ennemis allaient en venir aux mains, et que je courais les plus grands dangers, que Tu m'as mis en sûreté. C'est qu'en effet Dieu n'a besoin ni de préparatifs, ni d'exhortation, Lui qui connait le présent, l'avenir, le passé, et qui est toujours là prêt à venir à notre secours. La victoire qu'Il remporte est complète, la sécurité qu'Il donne est absolue, aussi le psalmiste ne dit pas simplement : «Tu m'as sauvé,» mais : «Tu as mis ma tête à l'ombre;» c'est-à-dire Tu m'as mis à l'abri du plus léger péril, de la moindre chaleur. Grâce à Toi, j'ai goûté une sécurité, une joie, une tranquillité sans égale; loin de souffrir d'une chaleur importune, je me suis reposé sous ton Ombre avec délices, affranchi de tout danger, et libre de toute crainte. Cette expression : «Tu m'avez mis à l'ombre» signifie encore l'extrême facilité avec laquelle Dieu vient à notre secours. En empruntant cette image, il semble dire à Dieu : Il Te suffit d'être présent, et tout danger disparaît. «Seigneur, ne me livrez pas au pécheur, pour combler le désir qu'il a de me perdre.» (Ibid., 9). Une autre version porte : «N'accomplis pas, Seigneur, les désirs de l'homme injuste;» c'est-à-dire, n'exauce pas son désir contre moi, ou, si l'on veut, ne permets pas qu'il puisse accomplir le désir qu'il a de me perdre. Or, remarquez qu'il ne dit pas : Les choses qu'il désire, mais «le désir qu'il a contre moi;» c'est-à-dire, ne lui accorde pas la plus légère partie de ce qu'il désire. Tels sont en effet les méchants, c'est avec un désir ardent qu'ils ourdissent des trames perfides contre leurs frères, semblables au démon, dont il est dit : «Il tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant quelqu'un à dévorer.» (I P 5, 8). C'est avec ce violent désir qu'il attaque le saint homme Job, et qu'il se préparait à attaquer Pierre lui-même, ce qui faisait dire au Sauveur : «Combien de fois Satan a désiré vous passer au crible comme le froment ?» (Luc 20,31). Voyez la vivacité de son désir, Il est aussi des hommes que la haine et l'envie rendent ses imitateurs, et qui mettent leur plaisir dans le mal, L'Écriture les proclame malheureux : «Malheur à vous, qui vous réjouissez dans le mal, et qui triomphez de la ruine des méchants;» et c'est à juste titre, car c'est la marque d'un esprit pervers et corrompu. En effet, si nous devons nous attrister, gémir et pleurer sur le sort de ceux qui périssent, quel pardon peuvent espérer, quelle excuse apporter ceux qui, loin de s'en affliger, s'en réjouissent ? N'avez-vous pas vu que Jésus Christ Lui-même, sur le point de punir Jérusalem, pleure sa ruine prochaine ? N'avez-vous pas vu Paul s'affliger, gémir et pleurer sur la perte de ses frères ? Mais il en est dont la perversité est si grande qu'ils regardent le malheur des autres comme une consolation de leurs propres douleurs. «Leurs pensées sont contre moi, ne m'abandonne pas, de peur qu'ils ne s'élèvent toujours.» C'est ici le sens du mot Diapsalma. Une autre version porte : «Ne vous éloignez pas, de peur qu'ils ne s'élèvent.» C'est le propre d'une âme profondément corrompue,de se préparer au crime avec réflexion, avec lenteur et préméditation. Ce n'est pas assez pour vous des emportements de la passion pour nous perdre, il faut y joindre de longues délibérations, un long examen pour assurer le succès de vos coupables desseins.
4. Encore une fois, quelle sera votre excuse, vous qui faites du vice toute votre étude, qui délibérez sur les crimes que vous projetez, et qui choisissez des complices ? Cependant admirez l'humilité du psalmiste. Il ne dit pas : Ne m'abandonne pas, parce que j'en suis digne; ne m'abandonne pas en considération de ma vie passée dans la pratique de la vertu. Quel motif donc nous apporte-t-il ? «De peur qu'ils ne s'élèvent,» c'est-à-dire de peur qu'ils ne deviennent plus insolents, et que mon abandon ne leur inspire une plus grande arrogance. «Toute la malignité de leurs détours, et tout le mal que leurs lèvres s'efforcent de me faire, les accablera eux-mêmes.» (Ibid., 10). Un autre interprète traduit : «Que la haine amère de ceux qui m'entourent, et que le travail de leurs lèvres les accablent.» L'expression circuit, détours, kùklwma, veut dire ici leurs réunions, leurs conciliabules, leurs ateliers de crimes, leurs abominables desseins. Voici donc le sens des paroles du psalmiste. Leurs projets criminels, toute la malignité de leur esprit pervers et corrompu, les écraseront et les perdront sans retour. «Le travail de leurs lèvres.» Le travail, c'est leur méchanceté. En effet la méchanceté est un véritable travail, elle devient un principe de ruine pour son auteur; elle écrase celui qui s'en rend coupable. C'est ce qui est arrivé aux ennemis de David. Ils espéraient le voir assiégé à la fois de mille dangers; sa gloire n'eu devint que plus éclatante. J'en conviens, me direz-vous, mais ce n'est pas ce que je demande. Montrez-moi comment ces hommes pervers ont été victimes de leurs coupables desseins, et dans quelle circonstance.
Les frères de Joseph nous en donnent un exemple. Ils avaient voulu lui ravir la liberté et la vie, ils se sont vus exposés eux-mêmes a un plus grands dangers. Car autant qu'il était en leur pouvoir, ils le précipitèrent dans la servitude et dans la mort. Et Absalom lui-même, qui avait usurpé la royauté et conspiré contre son père, ne fut-il pas victime de sa rébellion ?
«Des charbons ardents tomberont sur eux, Tu les précipite dans le feu» c'est-à-dire, le crime suffit pour perdre ceux qui le commettent, mais ils auront à supporter de plus les effets de la Colère divine. Ces charbons ardents, ce feu, c'est le châtiment qui descend du ciel. Souvent, en effet, on l'a vu accompagné d'un feu vengeur, comme dans la punition de Coré, de Dathan et d'Abiron, et de ceux qui se tenaient près de la fournaise de Babylone. «Ils ne pourront subsister dans les malheurs.» Une autre version ajoute : «Ils remueront dans des fosses et ne pourront se relever.» Une autre : «Promptement, et ils ne se relèveront pas.» Suivant l'une de ces versions, le psalmiste veut dire : «Tus les perde, sans espérance de retour.» suivant l'autre : «Leur ruine sera prompte,» c'est ce que signifie l'expression espeusménwv, promptement. «L'homme à la langue perfide ne prospérera pas sur la terre.» (Ibid., 12). Après ce tableau de la colère de Dieu, le psalmiste nous montre de nouveau que le vice est un principe suffisant de ruine pour ceux qui s'en rendent coupables. Or, une des formes les plus dangereuses de la méchanceté, c'est l'insolence et l'intempérance de la langue. Cet homme intempérant de langage, c'est l'homme arrogant, qui ne sait contenir sa langue, et qui, semblable au chien, poursuit tout ceux qu'il rencontre de ses aboiements et de ces outrages. Or quel sera le fruit d'une telle conduite ? «Cette homme ne prospérera point sur la terre.» Suivant une autre version : «Il ne s'affirmira point;» c'est-à-dire il sera renversé, détruit, condamné à une ruine certaine. Voilà le fruit que recueille le médisant; c'est l'ennemi général, il est odieux et à charge à tout le monde, et personne ne peut le supporter. De même que l'homme doux, patient, et qui sait se taire, est solidement établi, dans une sécurité parfaite, aimé de tout le monde; ainsi celui qui ne sait contenir sa langue, mène une vie toujours incertaine, il se fait d'innombrables ennemis, et, avant tout, il remplit son âme d'agitation et ne lui laisse pas un moment de repos. Lors même que personne ne le tourmente, son âme est le théâtre de guerres et de troubles sans fin. «L'homme injuste se trouvera accablé de maux qui seront la cause de sa mort.» C'est ce que dit un autre sage : «Les iniquités donnent la chasse au méchant.» Voici une nouvelle preuve que le vice seul suffit pour perdre celui qui le porte dans son âme. Mais pourquoi cette expression figurée de chasse ? Pour vous apprendre qu'il s'agit d'un mal inévitable, et ne point favoriser une confiance téméraire, parce que votre iniquité n'est point punie aussitôt qu'elle a été commise. Vous savez les résultats de la chasse, elle n'atteint pas toujours et aussitôt ce qu'elle poursuit; mais bien que les animaux ne soient pas encore atteints et tombés dans les filets qui leur sont tendus, ils n'en sont pas pour cela plus en sûreté. Que l'âme donc qui commet le mal, ne se laisse point aller à une trop grande confiance, elle n'est pas encore prise, mais elle ne tardera pas à l'être. Voulez-vous être à l'abri de tout danger ? Cessez de faire le mal, et vous jouirez d'une tranquillité parfaite. Pourquoi le psalmiste dit-il : «Qui seront la cause de sa mort ?» Parce qu'il en est beaucoup qui sont pris pour être sauvés, comme ceux qui étaient pris par les apôtres et par les saints. Il n'en est pas ainsi des méchants, lorsque le vice les poursuit, c'est pour leur malheur et pour leur mort. Mais pourquoi le châtiment ne frappe-t-il pas aussitôt le coupable ? Par un effet de la Bonté divine. Si Dieu voulait punir les coupables aussitôt qu'ils ont péché, la plus grande partie du genre humain aurait disparu depuis longtemps.
«Je sais que le Seigneur fera justice à celui qui est affligé, et qu'il vengera les pauvres. Et ainsi les justes loueront ton Nom, et ceux qui ont le cÏur droit habiteront avec ton Visage.» (Ibid., 13-14). Une autre version porte : «Auprès de votre visage.» Au lieu de : «Ils habiteront,» un autre interprète traduit : «Ils demeureront;» un autre : «Ils seront assis;» et au lieu de : j'ai connu, il traduit : «Je sais.» Le psalmiste vient de dire que les pécheurs seront poursuivis et qu'ils périront, mais sans préciser l'imminence prochaine du châtiment. Or, afin que ses paroles ne soient point pour les esprits grossiers, une occasion de négligence et de relâchement, il établit la certitude du châtiaient à venir. Ceux qui soutirent de l'injustice ne resteront point sans vengeur. Les pauvres dont il parle ici, ne sont point précisément les indigents, mais ceux qui sont profondément humiliés et qui ont le cÏur brisé. Or, en parlant de la sorte, il console à la fois ceux qui sont victimes de l'injustice, et cherche à réprimer ceux qui s'en rendent coupables, et il prévient ainsi dans les uns le découragement, dans les autres la négligence où le délai du châtiment pouvait les faire tomber. Dieu suspend le châtiment pour amener les pécheurs au repentir, s'ils persévèrent dans leur péché, ils méritent un supplice plus rigoureux, et cela est de toute justice. Pourquoi ? Parce que malgré tous les efforts de la Bonté divine, ils n'en sont pas devenus meilleurs. Considérez donc la grandeur de la Bonté de Dieu qui laisse ses serviteurs aux prises avec la souffrance, sans venger leur cause, parce qu'il veut vous ramener au repentir et à la vertu. «Ainsi les justes loueront ton Nom.» Qu'est-ce à dire ? Quels que soient les événements, ils vous rendront grâces, soient que les humbles soient éprouvés par l'injustice, soient que les méchants soient exaltés, ils ne vous demanderont pas la raison de cette conduite. Car le caractère distinctif des justes est de rendre grâces à Dieu en toute circonstance : «Et ceux qui ont le cÏur droit habiteront en ta Présence.» Grâce au secours qu'ils ont reçu de Toi, grâce à ton Souvenir toujours présent à leur esprit, et à l'union étroite qui existe entre eux et Toi, ils n'en seront jamais séparés. Quoi qu'il arrive, rien ne les contristera, et ils ne se plaindront jamais des événements, marque assurée d'une âme ferme et inébranlable qui ne veut point demander à Dieu compte de ce qu'Il fait. C'est ce qui faisait dire à saint Paul : «Mais qui es-tu, ô homme, pour contester avec Dieu ?» Un vase d'argile dit-il à celui qui l'a formé : «pourquoi m'as-tu fait ainsi ?» Soyons donc nous-mêmes constamment fidèles au devoir de la reconnaissance; ne cessons jamais, en toute circonstance, de témoigner à Dieu notre reconnaissance, parce qu'Il est digne de toute gloire, de toute action de grâces et de toute adoration, maintenant et toujours et dans la durée infinie des siècles des siècles. Amen.