PSAUME 138

"Pour la fin, à l'auteur de la victoire. "Seigneur Tu m'as éprouvé et Tu m'as connu." v.1

1. Que dites-vous ? Dieu vous a connu après vous avoir éprouvé, et avant cette épreuve il ne vous connaissait point ? Gardons-nous de l'entendre de la sorte de Celui "qui connaît toutes choses avant qu'elles soient faites." (Dan 13,42). Ces paroles : "Tu m'as éprouvé," signifient donc : Tu m'as parfaitement connu. Lorsque l'Apôtre nous dit que Dieu sonde les coeurs, (Rom 8,27), cette expression indique, non pas de l'ignorance en Dieu, mais une science profonde. De même ici ces paroles : "Tu m'as éprouvé;" signifient une connaissance on ne peut plus claire, ou ne peut plus parfaite. "Tu as connu le moment de mon repos et celui de mon lever." (Ibid., 2). Par le repos et le lever, il faut entendre la vie entière qu'on peut ramener à ces deux situations, qui embrassent toutes nos actions, nos oeuvres, nos entrées, nos sorties. Comme le psalmiste a dit en commençant : "Tu m'as éprouvé," un esprit irréfléchi pourrait en conclure que Dieu a besoin d'éprouver, d'expérimenter pour connaître, d'autant plus qu'il ajoute : "Tu as connu le moment de mon repos et celui de mon lever;" il prévient cette interprétation dans les paroles qui suivent : "Tu as pénétré de loin mes pensées." Cette connaissance ne vient donc point de l'épreuve. Dieu n'a pas besoin de nous éprouver, mais il connaît tout en vertu de sa Prescience divine. Il connaît les pensées cachées dans notre coeur, qu'a-t-Il besoin des oeuvres pour nous éprouver ? Que dis-je ? Non seulement Il les connaît lorsqu'elles s'agitent dans notre esprit, mais avant même qu'elles y aient pris naissance, disons mieux encore, bien longtemps auparavant; vérité que le prophète exprime en disant : "Tu as pénétré mes pensées de loin." Or, si Dieu connaît les pensées de notre esprit, pourquoi semble-t-Il exiger l'épreuve par les oeuvres ? Ce n'est point pour ajouter à sa Connaissance, mais pour faire paraître la vertu de ceux qu'il éprouve. Il connaissait parfaitement Job avant de l'éprouver, puisqu'il lui rendait ce témoignage : "C'est un homme juste, aimant la vérité et craignant Dieu." (Job 2,3). Cependant, Il le mit à l'épreuve pour augmenter la force de son âme, confondre la malice du démon, et rendre les hommes meilleurs par l'exemple d'une si grande vertu. Qu'y a-t-il d'étonnant qu'il ait traité lob de la sorte, puisqu'il tient la même conduite à l'égard des pécheurs ? Dieu savait parfaitement que les Ninivites ne méritaient pas de périr sans retour, et que la pénitence les ramènerait à de meilleurs sentiments. Cependant Il les soumit également à l'épreuve; et c'est ainsi que partout, non content de la connaissance "qui lui est naturelle, il exige l'expérience qui ,vient des événements, et qu'il nous donne ainsi les preuves les plus évidentes de sa Providence paternelle et de sa Bonté pour nous. C'est ce qui faisait dire à Jésus, son Fils unique : "Si Je ne fais les oeuvres de mon Père, ne me croyez point. Mais si Je les fais, quand vous ne voudriez pas croire en Moi, croyez du moins aux oeuvres." (Jn 10,37-38).

Nous entendons souvent des gens d'un esprit grossier et presque sans intelligence, tenir ce langage : Dieu a choisi celui-ci, il en fait l'objet de son Amour, tandis qu'il n'a eu que de la haine pour celui-là, et voilà ce qui fait que l'un est devenu bon et l'autre mauvais. Le psalmiste se sert donc des faits pour redresser cette double erreur, et il en appelle en même temps à l'épreuve qui vient des oeuvres. Pour bien établir la Prescience divine, il déclare qu'avant tout événement, Dieu sait que tel homme sera vertueux. Puis afin qu'on ne vienne pas dire inconsidérément que c'est la Prescience divine qui a rendu cet homme vertueux, il ajoute l'épreuve qui vient de ses oeuvres, or, voici comment saint Paul exprime la même vérité : "Avant qu'ils fussent nés, et qu'ils eussent bien ou mal agi, afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection, et non à cause de leurs oeuvres, mais par la Volonté de celui qui les appelle, il lui fut dit : "L'aîné sera assujetti au plus jeune." (Rom 9,11-13). Dieu n'a pas besoin d'attendre l'issue des événements, Il sait tout d'abord celui qui sera vertueux. "Tu as remarqué le sentier par lequel je marche, et Tu as suivi la trace de toute ma vie." (Ibid., 3). "Et Tu as prévu toutes mes voies." Le psalmiste a comme résumé, suivant l'usage, toutes les actions dans ces expressions : "Être assis, être levé." C'est ainsi que souvent. nous disons : Un tel sait comment il est assis, comment il se lève, pour exprimer qu'il a une connaissance parfaite de ses actions; de même ici ce sentier, cette voie sont le symbole de la vie tout entière. C'est pour cela qu'il ajoute : "Et Tu as prévu toutes mes voies." Cette expression : "Tu as suivi la trace," n'indique pas que Dieu cherche, qu'Il sonde, mais qu'Il sait parfaitement. C'est ce qu'il explique plus clairement, par ce qui suit : "Tu as prévu." C'est-à-dire Tu as connu avant qu'elles aient lieu, toutes mes actions bonnes et mauvaises. "Et que la ruse n'est pas sur ma langue."Suivant une autre version : "la contradiction." Voilà la marque assurée d'une grande vertu, et le couronnement de toutes les bonnes oeuvres, et aussi une des recommandations les plus importantes du Sauveur. "Si vous ne vous convertissez, et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux." (Mt 18,3). L'innocence, la simplicité, la droiture, la sincérité, voilà ce qu'il demande. C'est pour cela qu'Il a choisi pour apôtres des hommes simples, et qu'Il a dit :

"Je Te rends gloire, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que Tu as caché ces choses aux sages et aux prudents, et que Tu les as révélées aux petits." (Mt 12,25). Remarquez que le prophète ne dit pas : J'ai commencé par accueillir et puis j'ai rejeté la ruse, mais je ne l'ai jamais connue, ma langue n'a jamais été atteinte de ce mal et mon coeur est toujours resté fermé à ce vice. "Voici, Seigneur, que tout T'est connu, l'avenir et le passé." Ta science n'embrasse pas seulement mes pensées, mes actions, mes voies, mais elle s'étend à toutes les choses passées et futures. "C'est Toi qui m'as formé et qui as mis ta Main sur moi." ( Ibid., 5). Le psalmiste passe de la Prescience de Dieu à sa Puissance créatrice et de cette Puissance il revient à la Prescience divine. Non seulement Dieu nous a créés lorsque nous n'étions pas, mais après notre création, nous sommes soumis à son règne.

2. Ces deux attributs divins se trouvent réunis en Jésus Christ, au témoignage de saint Paul : "Dieu qui avait parlé autrefois à nos pères en diverses occasions et de différentes manières par les prophètes, nous a parlé dans ces derniers temps par son Fils, qu'Il a fait héritier de toutes choses." (Heb 1,1-2). Il reconnaît aussi en lui la puissance créatrice, en ajoutant : "Par lequel Il a créé les siècles." Après cette magnifique définition de sa nature : "Il est la splendeur de sa Gloire, et l'image de sa Substance." (Ibid., 3), il proclame aussi sa Prescience infinie, "Et il soutient tout par sa Parole puissante." Le même apôtre, dans son épître aux Colossiens, exprime la même vérité : "C'est par Lui que tout a été créé, dans le ciel et sur la terre, les trônes, les dominations, les principautés, les puissances, tout a été créé par Lui et pour Lui, et Il est avant tout." (Col 1,16-17). Voilà pour sa Puissance créatrice; saint Paul n'est pas moins explicite sur sa Prescience : "Et toutes choses subsistent en Lui," ajoute-t-il. (Ibid). Saint Jean lui rend à son tour le même témoignage : "Toutes choses ont été faites pour Lui, et rien n'a été fait sans Lui." (Jn 1,3). C'est l'oeuvre de la puissance créatrice. Il en vient ensuite à la prescience : "Il était la vie et la vie était la lumière des hommes." (Ibid., 4). Le psalmiste nous enseigne ici la même vérité : "C'est Toi qui m'as formé." Il rend hommage à la Puissance du Créateur. Il ajoute : "Tu as mis ta Main sur moi," et il reconnaît ainsi la Prescience divine. "Tu as mis ta Main sur moi." Tu me gouverne, Tu me discipline, Tu me porte. C'est ce que saint Paul exprime en d'autres termes, lorsqu'il dit : "C'est en Lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être." (Ac 18,28). Car non seulement nous ne pouvons sans lui sortir du néant; mais la conservation de notre être dépend essentiellement de sa puissance.

"Ta science est élevée d'une manière merveilleuse au-dessus de moi; elle est tellement forte que je ne pourrais jamais y atteindre." (Ibid., 6). Suivant une autre version : "Elle me surpasse." Au lieu de : "Elle s'est fortifiée," une autre version porte : "Elle s'est élevée d'une manière merveilleuse." Voici le sens de ces paroles : Je jouis, il est vrai, des soins de ta Providence, je sais que ta Prescience embrasse toutes choses, et que Tu m'as tiré du néant; cependant, je ne puis avoir de Toi une connaissance claire et parfaite. Ta science est devenue admirable, c'est-à-dire, elle me surpasse, elle est élevée au-dessus de moi, elle est trop forte pour que ma raison puisse la comprendre tant elle est merveilleuse, tant elle est grande. Mais quoi ? si toute merveilleuse et toute grande qu'elle est, elle peut être comprise ? Cela est impossible. C'est pour cela que le psalmiste ajoute : "Je ne pourrai y atteindre." or, quand il déclare n'avoir point cette connaissance, il ne veut pas dire : Je ne connais pas Dieu, mais : je n'ai pas de sa Nature une connaissance évidente et parfaite. C'est ce que saint Paul lui-même nous enseigne. Nous savons, dit-il, qu'il existe, mais nous ignorons quelle est sa Nature : "Car pour s'approcher de Dieu, il faut croire premièrement qu'il est." (Heb 11,6). Il ne dit pas : il faut connaître sa Nature, c'est un secret impénétrable à tous les hommes. Nous savons que Dieu est bon, clément, miséricordieux, mais nous ignorons l'étendue de ses divines perfections.

Le Prophète abandonne ces hautes considérations pour passer à des choses qui paraissent plus faciles, et cependant, il avoue ici encore son ignorance. Non seulement, poursuit-il, je ne puis expliquer quelle est sa Nature, ni l'étendue de sa Bonté, car chacun avoue qu'elles sont incompréhensibles; mais je ne puis même dire comment Il est partout, et cette connaissance surpasse de beaucoup notre intelligence. Aussi après avoir dit : "Ta science est élevée d'une manière merveilleuse au-dessus de moi," il ajoute: "où irai-je pour me dérober à ton Esprit, où fuirai-je devant ta Face ? Si je monte dans le ciel, Tu y es; si je descends dans les enfers, je T'y trouve encore; si je prends mon vol dès l'aurore, et que j'aille habiter aux extrémités des mers, c'est encore ta Main qui m'y conduit et ta Droite qui me soutient." (Ibid., 7-10). Cet Esprit, cette face, dont parle le Prophète, c'est Dieu Lui-même. C'est-à-dire, où irai-je pour me dérober à ta Présence ? Tu remplis tout, Tu es présent partout, non point partiellement, mais tout entier. Il parcourt tous les espaces au-dessus et au-dessous de lui, dans leur largeur, dans leur longueur, dans leur profondeur, dans leur hauteur, et il montre que Dieu remplit tout de sa Présence. Or, remarquez qu'il ne dit pas : Là où j'irai, Tu me suivras et Tu m'y retiendras; mais; Là où j'irai, Tu y es avant moi; c'est-à-dire je trouve que Tu m'y as prévenu. Voilà ce qui lui fait dire : "Ta Science est merveilleusement élevée au-dessus de moi," Mais si Tu ne la connais point parfaitement, dira-t-on, comment sais-Tu qu'elle est merveilleuse ? Parce qu'elle surpasse mes pensées; parce qu'elle est au-dessus de ma raison. Nous ne pouvons pas non plus connaître parfaitement la nature des rayons solaires, et c'est justement ce qui nous les rend admirables. Il en est de même de la Connaissance de Dieu. Nous ne sommes pas absolument étrangers à cette Connaissance, nous savons qu'il existe, qu'Il est bon, clément, doux, miséricordieux, et qu'Il est présent partout; mais quelle est sa Nature, jusqu'où s'étendent les Perfections que nous reconnaissons en Lui, voilà ce que nous ignorons. Après cette énumération des choses sur lesquelles s'exerce cette science merveilleuse de Dieu, après avoir proclamé sa Prescience infinie, sa Puissance créatrice, sa Providence, sa Nature qu'on de peut ni comprendre ni expliquer, il va parler d'une autre puissance pleine aussi d'incertitude pour la raison qui cherche à la pénétrer, car elle est également incompréhensible. Quelle est-elle ? "Ta Main elle-même m'y conduira, et ce sera ta Droite qui me soutiendra." C'est-à-dire, ta main puissante fera que les hommes tombés dans des dangers extrêmes n'en soient pas victimes et leur donnera la sécurité au milieu même des plus grands dangers.

3. C'est ce que le psalmiste explique dans les versets suivants : "Et j'ai dit : Peut-être que les ténèbres m'écraseront. Mais la nuit même devient toute lumineuse pour éclairer mes plaisirs. Car les ténèbres n'ont point d'obscurité pour Toi, la nuit brille comme le jour. Les ténèbres sont à ton égard comme la lumière du jour même." (Ibid., 11,12). Aux considérations qui précèdent, le psalmiste en a joint d'autres sur l'Immensité de Dieu, sur sa Puissance qui nous dirige, nous défend et nous protège; il va maintenant plus loin et nous fait voir un nouveau prodige : Dieu nous couvrant de sa Protection par un miracle supérieur à toutes les lois de la nature. Après avoir dit, en effet : "Ta Droite me soutiendra, elle me conduira," il ajoute : "Et j'ai dit : Peut-être que les ténèbres m'écraseront." Une autre version porte : "Si je dis : Peut-être les ténèbres me couvriront;" une autre : "me cacheront." Les ténèbres sont ici l'emblème de l'affliction, et tel est le sens de ces paroles : Je suis assiégé par les maux, et je me suis dit : Ils ne peuvent manquer de m'accabler. C'est ce que signifie cette expression : "Les ténèbres m'écraseront," où suivant une autre version; "Les ténèbres me couvriront, et la nuit vient éclairer mes plaisirs," ou suivant une autre version. : "La nuit est rayonnante autour de moi." Que veut dire le Prophète ? En tenant ce langage je raisonnais d'après le cours naturel des choses, mais l'adversité a tout d'un coup fait place au bonheur, ou plutôt sans aucun changement, sans que l'adversité disparût, j'ai ressenti les effets d'une bonté vraiment ineffable. Il ne dit pas : La nuit a disparu, mais"la nuit a été rayonnante." La nuit demeurant ce qu'elle était, c'est-à-dire les maux, les calamités dont la nuit est la figure, n'ont pu m'accabler; car la lumière est venue briller dans la nuit, c'est-à-dire Dieu a fait éclater sa Puissance. C'est qu'en effet, lorsque Dieu le veut, on voit naître et se reproduire les phénomènes les plus contraires à la nature des choses. N'avez-vous pas vu la fournaise ardente et en même temps la rosée qui tombait avec un doux murmure sans que la flamme en fût éteinte, sans que la rosée en fût desséchée ? N'avez-vous pas vu la grêle et la flamme s'accorder ensemble ? D'où vient, dites-moi, ce prodige ? Mais je veux savoir comment il s'est opéré; ou plutôt je veux l'ignorer, parce qu'il est impossible de le savoir. Je me contente de croire le fait et d'adorer Celui qui en est l'auteur, car beaucoup des oeuvres de Dieu sont mystérieuses et cachées. (cf Ec 16,22). Ne vous rappelez-vous pas encore qu'en plein jour les Égyptiens marchaient au hasard comme dans les ténèbres, et que les Israélites voyaient comme en plein midi tandis que tout était plongé dans l'obscurité la plus profonde, parce qu'en même temps que les ténèbres se répandaient partout, une lumière éclatante vint briller à leurs yeux ? Dieu demeure toujours le Maître de la nature des choses dont il est l'Auteur, et sans faire appel à de nouvelles substances; il peut produire des modifications sensibles dans les natures déjà existantes. "Car, par Toi, les ténèbres n'ont aucune obscurité." Suivant une autre version : "En Toi." "Et la nuit sera aussi claire que le jour." Une autre version porte : "La nuit paraîtra comme le jour, sa lumière sera comme ses ténèbres." Suivant une autre version : "Ses ténèbres sont semblables à sa lumière." Remarquez la justesse de cette expression : "Par Toi," c'est-à-dire en Toi, ce qui signifie : Si Tu le veux, les ténèbres cesseront d'être des ténèbres et produiront les mêmes effets que la lumière. Lorsque Dieu le veut, les éléments manifestent des propriétés contraires à leur nature avec autant de facilité que celles qui leur ont été communiquées dès leur création. Si donc telle est ta Volonté, il en sera ainsi de la nuit, elle fera briller la lumière qui lui est communiquée aussi facilement qu'elle répand les ténèbres. C'est ce que le Prophète veut exprimer en ajoutant : "Sa lumière sera comme ses ténèbres." Ces paroles, au littéral, doivent s'entendre des éléments, mais dans le sens figuré, elles s'appliquent aux choses humaines. Nous y voyons que Dieu peut répandre dans les âmes affligées autant de calme et de consolation que sait en donner la prospérité, parce que l'affliction a le privilège d'attirer ses regards. C'est là un fait admirable, extraordinaire, dont l'histoire de Joseph nous offre un exemple. Jamais, s'il fut resté dans la maison paternelle, il n'eût eu en partage autant de bonheur, autant d'honneurs qu'après avoir été vendu et élevé dans la maison d'un barbare. Ceux qui avaient tramé sa perte lui tressèrent son diadème, lui préparèrent la pourpre dont il fut revêtu, et l'état humiliant auquel ils le condamnèrent devint le principe de sa gloire et de sa puissance. Vous avez vu comment nous avons interprété ces paroles : "La nuit sera éclairée comme le jour;" il nous faut expliquer aussi celles qui suivent : "Sa lumière sera comme ses ténèbres." Ces deux phénomènes seront semblables, non seulement en apparence, mais en réalité sous la main de Dieu qui sait modifier la nature des choses.

"Tu as mes reins en ton Pouvoir, Tu l'as pris sous ta Protection dès le sein de ma mère." (Ibid.,13). Quel est le rapport de ces paroles avec celles qui précèdent ? Il est on ne petit plus étroit. Le Prophète vient de célébrer l'étendue de la Puissance de Dieu, il va montrer que Dieu ne fait usage de cette puissance que pour le bien et l'utilité des hommes. Des esprits insensés pouvaient dire : Que me fait à moi la Puissance de Dieu, sa Grandeur, sa Prescience, montrez-moi le profit que nous pouvons en retirer ? Le psalmiste les prévient et ajoute : "Tu as pris possession de mes reins," et la partie est ici pour le tout. Or quel motif plus puissant de louer la Providence divine, que d'être la Possession de Dieu lui-même ? Car celui qui possède veille sur ce qui lui appartient et en prend soin. C'est ce que le prophète exprime dans ces paroles : "Tu m'as reçu du sein de ma mère." C'est-à-dire Tu n'as cessé en toute circonstance de me protéger, de veiller sur moi, de me préserver de tout danger dès mes plus jeunes années, dès mon berceau, et Tu m'as enseigné par les faits eux-mêmes ce que j'ai dit à la louange de ta Providence, "Je Te louerai parce que ta Grandeur a éclaté d'une manière étonnante; tes ouvrages sont admirables, et mon âme en est toute pénétrée." (Ibid., 14). Que veut-il dire ? C'est Toi qui m'as formé, mais je ne puis dire comment; ta Providence veille sur moi, mais je ne puis en embrasser toute l'étendue dans mes pensées. Tu es présent partout, mais je ne puis comprendre ce mystère. Tu connais le passé, l'avenir, tous les secrets du coeur de l'homme, mais cette merveille est au-dessus de ma raison. Tu change la nature des choses, et tout en lui conservant son identité, Tu lui donne des propriétés contraires qui semblent être les propriétés naturelles qu'elle tient de son origine.

4. Après ce tableau si complet de la science et de la Providence divine, le prophète inspiré de Dieu s'écrie à haute voix : "Je Te louerai, parce que ta Grandeur a éclaté d'une manière étonnante," c'est-à-dire Tu as paru admirable et Tu es véritablement digne d'admiration. "Tes ouvrages sont admirables, et mon âme en est toute pénétrée." Et que puis-je dire de ta Nature divine ? tes oeuvres seules me ravissent d'admiration. Il laisse de côté toute autre considération, et se contente de proclamer la connaissance qu'il a de ces merveilles : "Et mon âme en est toute pénétrée." La connaissance qu'elle en a n'est pas ordinaire, elle est vive; elle est profonde. Mais si le prophète connaît les oeuvres de Dieu, comment a-t-il pu dire précédemment : "Ta Science est élevée d'une manière merveilleuse au-dessus de moi, elle me surpasse et je ne pourrai y atteindre ? Rien de plus facile à expliquer; d'un côté il parle de Dieu Lui-même, de l'autre de ses oeuvres. Si l'on veut même appliquer à la Nature divine ces dernières paroles, voici le sens qu'on pourrait leur donner : Le prophète sait que Dieu est admirable, qu'Il est grand, qu'Il est élevé, mais qu'elle est sa Nature (je ne crains pas de me répéter), quelle est l'étendue de sa Grandeur, comment tous ces attributs qu'il vient d'énumérer subsistent en Dieu, c'est ce qu'il ignore. Or, cet aveu de son ignorance prouve qu'il connait ces merveilles, bien que ce langage puisse paraître un paradoxe. C'est ainsi que nous ignorons quelle est la grandeur de là mer, et cependant nous pouvons dire que nous connaissons la mer, parce que nous en ignorons l'étendue et la profondeur. Celui qui prétendrait la connaître donnerait une preuve certaine de son ignorance. "Aucun de mes os ne T'est caché à Toi qui les as faits dans le secret, ni ma substance que Tu as formée comme dans les entrailles de la terre." (Ibid., 15). Le psalmiste en revient à la Science de Dieu, et montre de nouveau que rien n'échappe à cette science infinie. Ces paroles signifient donc ou que Dieu connait tous les secrets de la nature, ou qu'Il connaît en particulier la formation et la création de l'homme. Alors même que je n'étais qu'à l'état de formation, je n'échappais pas à ta Connaissance, Tu pénétras toutes les parties de mon être, alors que la nature formait successivement son oeuvre, bien que son travail s'accomplit dans le secret, et comme dans les entrailles de la terre. Tout est à nu et à découvert à tes Regards. Un autre interprète traduit : "Mes os qui ont servi à la formation secrète de mon corps, ne Te sont point cachés." Un autre : "La force que Tu m'as communiquée en me formant dans "le secret, ne T'est pas inconnue; j'ai été formé par des moyens variés comme dans les profondeurs de la terre." Un autre enfin : "Tu as connu ma puissance ou mes os, lorsque j'ai été formé dans le secret, j'ai été façonné dans les profondeurs de la terre." Ces différentes interprétations reviennent toutes à cette même pensée : Lorsque j'étais formé, Tu as connu distinctement toutes les parties de mon être; chacun de mes membres et son accroissement particulier ont été présents à tes Regards. Jésus Christ exprime cette même vérité, lorsqu'Il dit : "Tous les cheveux de votre tété sont comptés." (Luc 12,7). Nous voyous ici réunis dans une même proposition la science et la providence de Dieu.

"Tes Yeux m'ont vu lorsque j'étais encore informe." On peut entendre ces paroles des actions, c'est-à-aire, tes Yeux ont vu ce qui n'existait pas encore. "Et tous sont écrits dans ton livre. Les jours sont déterminés avant que nul n'y soit arrivé." (Ibid., 16). Ce verset est obscur, et il faut en chercher le sens dans le contexte et à l'aide d'un autre interprète. Voici donc ce que veut dire le psalmiste comme conséquence des paroles qui précèdent. Quelles sont-elles ? "Tes Yeux m'ont vu lorsque j'étais informe;" c'est-à-dire lorsque je n'avais aucune figure déterminée, lorsque j'étais en voie d'être formé et façonné, et ils m'ont vu aussi distinctement que celui dont la forme est achevée, dont la figure est parfaite, à qui rien ne manque, et qui n'a point besoin d'attendre du temps un nouveau degré de perfection. Voulez-vous une preuve que tel est le véritable sens, écoutez un autre interprète: "Tes Yeux m'ont vu lorsque j'étais informe, avec tous ceux qui sont écrits dans ton livre et qui doivent être formés sans qu'aucun jour leur manque. Tu m'as, dit le psalmiste, avec ceux qui reçoivent leur forme parfaite dans leurs jours, dans ces jours auxquels aucun jour ne manque. Ce n'est pas à dire, sans doute, qu'il y ait un livre dans les cieux, ou que certains noms s'y trouvent inscrits. Ce livre est le symbole de la science parfaite de Dieu, comme dans ces autres paroles : "Le Seigneur a écouté, et Il a écrit dans un livre," (Mal 3,16) et dans cet autres encore : "Les livres furent ouverts." (Dan 7,10). "J'ai honoré tes amis d'une façon toute particulière, ô mon Dieu." (Ibid,. 17). Suivant une autre version : "Vos amis oui été honorables à mes yeux." C'est le signe d'une vertu éminente de combler d'honneur les amis de Dieu. Ta Providence a veillé sur moi, dit le psalmiste, je n'existais pas, Tu m'as tiré du néant, Tu me conserve la vie; et moi pour Te témoigner ma reconnaissance j'honore tes amis. "Leur empire s'est affermi extraordinairement," c'est-à-dire, ils sont devenus puissants. Une autre version porte : "Combien leurs têtes se sont multipliées." Cette interprétation est plus claire et plus en rapport avec ce qui suit : "Je les compterai, et ils seront plus nombreux que le sable." Quant à moi, je leur témoigne de l'honneur, mais pour Toi, Tu les multiplie, Tu les rends plus nombreux que les grains de sable; Tu fais plus encore, Tu les rends forts et puissants. C'est ce que signifie cette expression : "Ils se sont affermis." Il relève ici un double élément de prospérité, leur nombre et leur force toujours croissante. "Je me suis levé et je suis encore avec Toi." (Ibid., 18). Suivant une autre version : "Je sortirai de mon sommeil, et je serai pour toujours avec Toi."

5. La marque évidente d'une grande vertu est de savoir conserver à Dieu sa fidélité dans la prospérité. Il en est beaucoup, dit le prophète, qui vous ont oublié lorsque le bonheur leur a souri. Je n'ai pas imité leur exemple, mais alors même que je me suis levé, c'est-à-dire après avoir été délivré de mes épreuves, je serai toujours avec Toi. "Si Tu fais périr, ô Dieu, les pécheurs. " Il ne veut pas dire : Si Tu les tue, je serai avec Toi; sa promesse est sans condition; il demande à Dieu non de détruire la nature des hommes, mais de faire succéder en eux la justice au péché. En effet, il ne dit pas : Si Tu détruis les hommes, mais : "Si Tu détruis les pécheurs." On lit dans une autre version, au lieu des pécheurs, "les transgresseurs," c'est-à-dire, les ennemis qui adorent les idoles. "Hommes de sang, éloignez-vous de moi." (Ibid., 19). Ces hommes de sang sont les homicides qui se plaisent dans le meurtre. Or, un des moyens les plus efficaces pour avancer dans la vertu, est de fuir tout commerce avec de tels hommes. Le psalmiste en donne la cause : "Parce que la contestation règne dans leurs pensées." Une autre version porte : "Leurs pensées s'élèvent contre Toi;" une autre : "Ils T'ont irrité par de coupables desseins." vous voyez qu'il ne cherche pas ses intérêts,et l'outrage fait à Dieu est le seul motif qui le porte à s'éloigner de ces hommes, et à rompre toute société avec eux. C'est le commerce avec les méchants qui a été la cause de la ruine des Juifs. Aussi, Dieu leur avait donné la loi comme un mur qui les en séparait, elle leur défendait toute union avec eux; et lorsqu'ils furent sortis de l'Égypte, Dieu les retint quarante ans dans le désert, isolés des autres peuples. Voilà pourquoi on donnait à la loi le nom de barrière ou de haie, parce qu'elle les entourait de toutes parts et qu'elle leur rendait impossible toute relation avec les méchants, précaution motivée sur leur caractère facile à séduire, et leur mutabilité naturelle. "C'est en vain qu'ils deviendront maîtres de vos villes." Une autre version porte : "C'est en vain que vos rivaux se sont élevés;" une autre : "Vos ennemis." Il se retire d'eux, il les fuit parce qu'ils se sont élevés contre la Gloire de Dieu, qu'ils ont transgressé la loi, et se sont rendus coupables de blasphème.

"Seigneur, n'ai-je pas haï ceux qui Te haïssaient, n'ai-je pas séché de douleur à la vue de tes ennemis ? Je les haïssais d'une haine parfaite, et ils sont devenus mes ennemis." (Ibid., 21-22). C'est ainsi que Dieu avait promis d'être l'ennemi des ennemis de son peuple, et de se déclarer contre ceux qui leur seraient contraires. On ne peut donner une preuve plus forte de son amitié. Le psalmiste dans ces deux circonstances paie Dieu d'un juste retour. Car il ne dit pas seulement : Je haïssais, mais : "Je séchais." Ô Dieu, éprouvez-moi et sonde mon coeur, interroge-moi, et connais mes sentiers. Vois si je marche dans la voie de l'iniquité, et conduis-moi dans les sentiers éternels." (Ibid., 23-24). Il disait en commençant : "Tu m'as éprouvé, et Tu m'as connu. Tu as connu le moment de mon repos et de mon lever. Tu as découvert de loin mes pensées, Tu as suivi la trace du sentier par lequel je marche, et toute la suite de ma vie. Tu as prévu toutes mes voies, tout T'es connu, l'avenir et le passé." Pourquoi donc fait-il de nouveau à Dieu cette demande : "Éprouve-moi," comme s'il ne l'avait pas encore été ? Le psalmiste, vous le voyez, emploie ici un langage tout humain, mais il ne faut pas nous arrêter à la pauvreté au sens littéral, appliquons-nous à y trouver un sens digne de Dieu, et élevons-nous à une intelligence plus haute de ces paroles. Il demande à Dieu de l'éprouver, de l'examiner, ce n'est point pour qu'il connaisse sou coeur, lui qui connaît toutes choses avant même qu'elles existent, mais c'est pour nous donner cette connaissance à nous qui ne pouvons l'acquérir que par l'expérience. Tel est le sens de ces paroles : "Éprouve-moi, vois si je marche dans la voie de l'iniquité, et conduis-moi dans la voie éternelle." Quelle est cette voie éternelle ? La voie spirituelle qui conduit au ciel, et qui n'a point de fin. Toutes les autres choses sont de courte durée, renfermées quelles sont dans l'espace si étroit de la vie présente. Le psalmiste laissé donc tous ces biens passagers, pour s'attacher à Toi qui est immortel, éternel, infini. Or, comment parvenir à cette Voie ? Il faut pour cela joindre au secours de Dieu ses efforts personnels, s'appliquer à la pratique de la vertu, de la sagesse, et chercher à se rendra supérieur à tous les événements de cette vie. Rien de ce qui a rapport à la vie éternelle n'est passager ou périssable. Le privilège de la vertu est d'avoir des fruits toujours pleins de vie, et qui ne se flétrissent jamais, des biens immortels et infinis en douceur autant qu'en durée.

Puissions-nous tous les obtenir par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Amen.