PSAUME 125
1. Le mot de captivité est simple dans son expression, mais il renferme des significations différentes. Il y a, en effet, une captivité désirable, celle dont saint Paul dit : "Réduisant tous les esprits en captivité dans l'obéissance de Jésus Christ." (Il Cor 10,5). Il y a une captivité qui est mauvaise et que le même apôtre dépeint en ces termes : "Ils entraînent après eux comme captives des femmes chargées de péchés." (Il Tim 3,6). Il y a encore une captivité spirituelle dont parle Isaïe lorsqu'il dit : "Prêcher la délivrance aux captifs," (ls 61,1), et une captivité extérieure et sensible que les ennemis vainqueurs imposent aux vaincus; mais la première est mille fois plus dure. Ceux qui font des prisonniers en vertu des droits de la guerre, ont souvent des ménagements pour eux. Ils leur font transporter de l'eau, ou du bois, ou les chargent de donner aux chevaux leur nourriture, mais ils ne portent aucune atteinte à leur âme. Celui au contraire, qui est devenu l'esclave du péché a un maître impitoyable et cruel qui exige de lui les actions les plus déshonorantes. La tyrannie du vice ne connaît ni ménagements, ni compassion. Rappelez-vous, comme après avoir réduit en esclavage le malheureux et infortuné Judas, loin de l'épargner, elle en fit un traître et un sacrilège. Ce n'est pas tout : après qu'il eut consommé son crime, elle le fit paraître devant les Juifs, pour confesser sa faute, mais sans lui permettre de recueillir le fruit de son repentir; car avant qu'il en eut le temps, c'est elle qui lui inspira de se pendre. Oui, c'est un tyran cruel qui commande à ses esclaves des actions coupables et couvre d'ignominie ceux qui lui obéissent. Je vous en conjure donc, faisons tous nos efforts pour échapper à son empire, combattons ce tyran sans jamais nous réconcilier avec lui, et une fois délivrés de ses chaînes, sachons conserver notre liberté. Si ceux qui ont vu se briser les fers d'un peuple barbare, éprouvent une si douce consolation, quelle joie bien plus grande, quels transports d'allégresse devons-nous faire éclater, nous qui avons été délivrés de la captivité du péché ! Ce n'est pas assez, il faut conserver à jamais notre bonheur, en évitant de le perdre ou de le troubler par la rechute dans les mêmes fautes.
"Nous avons été consolés;" d'autres interprètes traduisent : "Nous avons éprouvé comme l'illusion d'un songe." Le texte hébreu porte : Chaolemim. Que veulent dire ces paroles : "Nous avons été consolés ?" Nous avons été remplis de calme, de joie et de plaisir. "Alors notre bouche a été remplie de joie, et notre langue d'allégresse." (Ibid., 2). "Alors on dira parmi les nations : le Seigneur a fait pour eux de grandes choses." (Ibid., 3). "Oui, le Seigneur a fait pour nous des prodiges." (Ibid., 4). Voyez comme la joie d'être délivré de la captivité contribue à leur inspirer de meilleurs sentiments. Mais, me direz-vous, qui ne se réjouirait d'un si grand bienfait ? Rappelez-vous la conduite de leurs ancêtres lorsqu'ils furent délivrés de la servitude d'Égypte, et qu'ils se virent en liberté. Par une souveraine ingratitude, ce bienfait signalé ne fit qu'exciter leurs murmures, leurs mécontentements, leurs plaintes. Il n'en est pas ainsi de nous, dit le psalmiste, nous sommes tout entiers aux transports de la joie la plus vive. Or, apprenez d'eux le sujet de leur joie. Ce n'est pas seulement, disent-ils, parce que nous avons été délivrés de nos chaînes, mais parce que tous les hommes connaîtront le soin providentiel que Dieu prend de nous. Alors, on dira parmi les nations : Dieu a fait de grandes choses en leur faveur, le Seigneur a fait pour nous des prodiges. Cette répétition a un but, c'est de faire ressortir l'excès de leur allégresse. Ce sont les nations qui parlent dans le premier membre de phrase; dans le second, ce sont les Juifs eux-mêmes. Or, remarquez qu'ils ne disent pas : Dieu nous a sauvés, ou il nous a délivrés; mais : "Il a fait pour nous de grandes choses." Ils veulent par là faire comprendre la grandeur des prodiges extraordinaires opérés en leur faveur. Vous voyez, et je vous l'ai dit souvent, que Dieu se servait de ce peuple pour instruire tout l'univers, soit qu'il fût emmené en captivité, soit qu'il revint de la terre d'exil. Son retour fut pour le monde entier comme une prédication. Le bruit de ce retour se répandait partout et rendait sensible aux yeux de tous la Bonté de Dieu qui avait opéré en faveur des Juifs des prodiges vraiment extraordinaires. En effet, Cyrus qui les retenait captifs, leur rendit la liberté, sans qu'il en fût prié, et en cédant à l'inspiration de Dieu qui avait touché son coeur. Et, non content de les renvoyer dans leur patrie, il les combla de ses dons et de ses largesses. "Nous en sommes remplis de joie." "Seigneur, faites revenir nos captifs; comme le torrent dans les plaines du midi." (Ibid., 4). Comment le psalmiste a-t-il pu dire au commencement du psaume : "Lorsque le Seigneur a fait revenir les captifs;" et ici : "Faites revenir ?" C'est qu'il annonce ce retour comme un événement futur. Cette explication se trouve confirmée par une autre version qui porte non pas : "Lorsqu'il faisait revenir," mais : "Quand il fera revenir." Le retour ne faisait que commencer, et ne s'accomplit point tout d'un coup; car il y eut plusieurs retours, et on en compte jusqu'à trois.
2. Outre cette explication, on peut encore dire que le prophète demande à Dieu que la délivrance soit pleine et entière. Un grand nombre de Juifs, en effet, voulaient demeurer dans ces contrées barbares, il désire donc vivement de voir s'accomplir cette délivrance, et il s'écrie : "Seigneur, faites revenir nos captifs, comme le torrent dans les plaines du midi." C'est-à-dire, en nous pressant, en nous poussant, avec une espèce de violence et une grande impétuosité. C'est cette même pensée qu'expriment d'autres interprètes en traduisant, l'un : "Comme des cours d'eau," l'autre : "Comme des canaux," un troisième : "Comme une eau qui s'écoule." "Ceux qui sèment dans les larmes, moissonneront dans la joie." (Ibid., 5). Le psalmiste parle ici des Juifs, toutefois ces paroles trouvent leur application dans beaucoup d'autres circonstances. La vertu peut compter en échange de ses travaux sur de magnifiques récompenses. Mais le travail, la souffrance doivent précéder le temps du repos. Cette vérité s'applique même à toutes les circonstances de la vie présente; c'est pour cela que le prophète y fait allusion dans son discours en prenant pour exemple le temps de la semence et celui de la moisson. Le laboureur qui sème doit supporter les travaux, les fatigues, les ardeurs du soleil comme les rigueurs de la saison. Il en est de même de celui qui veut pratiquer la vertu. L'homme est de tous les êtres celui qui est le moins fait pour le repos. Voilà pourquoi Dieu a voulu que la voie qui conduit à la vertu fût étroite et difficile. Mais ce n'est pas seulement à la vertu que le travail et la peine se trouvent attachés, toutes les professions de la vie y sont soumises et à un bien plus haut degré; celui qui sème comme celui qui bâtit, le voyageur, le charpentier, l'artisan, tout homme en un mot qui veut faire quelque profit, doit se résigner à une vie de travail et de fatigues. De même que les semences ont besoin des plaies pour être fécondes, les larmes nous sont également nécessaires. La terre encore, demande à être labourée, déchirée par le soc de la charrue, ainsi le soc des tentations et des tribulations doit labourer l'âme chrétienne, pour l'empêcher de produire de mauvaises herbes, amollir sa dureté et modérer les saillies de son orgueil. La terre elle-même, si elle n'est cultivée avec le plus grand soin, ne peut produire aucun fruit. Le prophète en parlant de la sorte, veut que les Juifs se réjouissent non seulement du retour de la captivité, mais de la captivité elle-même, et qu'ils rendent également grâces à Dieu pour ces deux événements; dont l'un est figuré par le temps de la semence, l'autre par celui de la moisson.
Ceux qui sèment dans le travail et les larmes, leur dit-il, recueillent ensuite le fruit de leurs peines. Ainsi, quand vous fûtes emmenés en captivité, vous étiez semblables à ceux qui répandent la semence. Vos jours étaient des jours de peines, de tourments et de tribulations, vous étiez exposés aux rigueurs de l'hiver, aux tempêtes, à la guerre, aux pluies, aux frimas, et vous répandiez des larmes abondantes ; car les larmes sont pour les âmes affligées ce que les pluies sont pour les semences. Mais aujourd'hui, poursuit-il, vous avez reçu la récompense de tant de travaux. Lors donc que le prophète ajoute : "Ils marchaient et s'en allaient en pleurant, en jetant leur semence; mais ils reviendront avec des transports de joie, en portant leurs gerbes dans leurs bras," il ne veut point parler de la semence du blé, mais des événements de la vie, et il nous apprend à ne point nous attrister au milieu des tribulations. Le laboureur qui sème ne se laisse point aller à la tristesse, malgré les fatigues sans nombre qu'il lui faut endurer, parce qu'il a devant les yeux l'espérance d'une riche et abondante moisson. Que celui donc qui est dans l'affliction, ne se laisse point abattre quelle que soit la grandeur de ses épreuves, mais qu'il se console dans l'attente de la moisson, et dans l'espérance des nombreux avantages dont l'affliction sera pour lui la source. Soyons nous-mêmes pénétrés de ces vérités et rendons également grâces à Dieu de la tribulation, comme du calme et du repos qu'il nous donne. Les événements de la vie sont divers, mais ils tendent tous à une même fin, comme la semence et la moisson. Supportons donc les afflictions avec courage, avec reconnaissance, jouissons du repos et du bonheur en rendant gloire à Dieu. Nous mériterons ainsi d'obtenir les biens éternels par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ à qui soient la gloire et le règne dans les siècles des siècles. Amen.