PSAUME 124
1. Pourquoi le psalmiste ne dit-il pas simplement : "Comme une montagne," mais ajoute-t-il : "De Sion ?" Que se propose-t-il en rappelant le souvenir de cette montagne ? Il veut nous enseigner à ne point nous laisser ni décourager, ni abattre par les épreuves, mais à mettre toute notre espérance en Dieu, et à supporter ainsi courageusement les guerres, les combats et les troubles. De même que cette montagne, après avoir été déserte et dépouillée de ses habitants, avait recouvré son ancienne splendeur et sa prospérité première par le retour de ceux qui l'habitaient, et par 1'éclat des prodiges que Dieu continuait d'y opérer; ainsi l'homme courageux ne se laisse jamais abattre, quelque multipliés que soient les malheurs qui viennent fondre sur lui. Ne désirez donc point une vie exempte de tout danger, de toute peine, de tout malheur, mais une vie où vous soyez toujours supérieur à tous les dangers. Il y a pour un pilote une grande différence entre demeurer tranquillement dans le port, et affronter une mer agitée. Dans le premier cas, on devient lâche, mou, sans énergie. Celui au contraire, qui mainte et mainte fois a dû lutter contre les rochers cachés sous les flots, contre mille écueils, contre la violence des vents, et qui est sorti victorieux de toutes ces épreuves, a donné à son âme une force bien supérieure à celle qu'il avait déjà. Si Dieu vous a donné cette vie, ce n'est point pour que vous la passiez dans l'oisiveté, dans la mollesse, à l'abri de toute adversité, mais pour vous conduire à la gloire par l'épreuve et la souffrance. Gardons-nous donc de chercher une vie de repos, une vie parsemée de plaisirs. Ce n'est point là le désir d'une âme courageuse, d'un être raisonnable, mais bien plutôt celui d'un ver de terre, d'un animal privé de raison. Demandez donc surtout à Dieu de ne point entrer en tentation, mais si elle vient à vous assaillir, ne vous laissez aller ni à la tristesse, ni à l'agitation, ni au trouble ; mais faites tous vos efforts pour en sortir avec gloire. Voyez ce que font les vaillants soldats, lorsque la trompette donne le signal du combat, ils ne voient plus que le triomphe, la victoire, et les nobles exemples de leurs ancêtres. Nous donc aussi, lorsque la trompette spirituelle se fait entendre, déployez plus de courage qu'un lion, et fallût-il affronter le fer ou le feu, avancez sans crainte. Les éléments eux-mêmes savent respecter les âmes courageuses. Les hommes de courage inspirent de la crainte jusqu'aux bêtes féroces. Malgré la faim qui les presse, malgré leur nature qui les excite, elles oublient tout à la vue d'un homme juste et mettent un frein à leur colère. Revêtez-vous donc de cette armure, et vous ne craindrez pas les flammes, quand même vous les verriez s'élever jusque dans les cieux. Vous avez un chef noble et courageux, dont la puissance n'a point de bornes, et qui d'un seul signe peut faire disparaître tout ce qui vous attriste. Il est le maître de tout ce qui existe, du ciel, de la terre, de la mer, des animaux, du feu, il peut donc tout changer et déplacer à son gré.
Quelle est donc, dites-le moi, la cause de toutes vos craintes ?
N'est-ce pas uniquement votre nonchalance et votre lâcheté ? La mort n'est-elle point le plus grand de tous les maux ? Et cependant elle est aussi une dette qu'il faut payer à la nature. Pourquoi donc ne pas travailler à nous rendre cette dette profitable ? Puisqu'il vous faut bon gré mal gré marcher dans cette voie, pourquoi ne pas le faire avec profit ? Aux dures épreuves de la vie présente, succéderont des biens éternels qui porteront avec eux une joie bien supérieure à toutes vos douleurs. Les peines de cette vie vous paraissent accablantes, considérez donc ceux qui sans aucune perspective de récompense sont consumés par une corruption lente, et ont à souffrir de privations continuelles, de maladies incurables et prolongées, qui leur font souvent désirer la mort. On en a même vu qui ont fini volontairement leur vie par le glaive ou par la corde. Pour vous au contraire, le ciel vous est proposé comme récompense avec les biens qu'il renferme, et vous ne craignez pas, et vous ne craignez pas à la vue de votre paresse, de votre lâcheté, vous surtout qui avez un protecteur si puissant ? N'entendez-vous pas ce que dit le prophète : "Ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur, sont comme la montagne de Sion ?" Cette montagne est le symbole d'une espérance ferme, invincible, inébranlable. Vous avez beau multiplier les machines, vous ne parviendrez jamais ni à renverser, ni à ébranler une montagne; ainsi celui qui attaque l'homme dont l'espérance est en Dieu, verra tous ses efforts inutiles, car l'espérance en Dieu est un appui bien plus assuré que ne peut l'être une montagne. "Celui qui habite autour de Jérusalem ne sera jamais ébranlé." Un autre interprète traduit : "Celui qui habite autour de Jérusalem est immuable à jamais." Quoi donc, est-ce que les trois enfants et Daniel lui-même, n'ont pas été ébranlés ? En aucune façon : ils ont été exilés de leur patrie, il est vrai, réduits en esclavage, mais jamais ils n'en firent ébranlés, et dans un si grand bouleversement de toutes choses, et au milieu de ces flots violemment agités, ils demeurèrent aussi calmes que s'ils étaient sur un rocher ou dans un port à l'abri de la tempête, sans éprouver rien de fâcheux. Être ébranlé n'est pas comme vous pourriez le penser, être soumis à la vicissitude des événements; non, c'est donner la mort à son âme et perdre la vertu. Or, jamais ce malheur n'arrive à ceux qui sont sages et vigilants, loin de là, les dangers les fortifient dans l'amour de la sagesse et les environne d'un nouvel éclat. Si vous voulez prendre dans le sens anagogique ces paroles : "Celui qui habite dans Jérusalem ne sera point ébranlé," représentez-vous le bonheur de la cité des cieux. Ceux qui y sont entrés, sont à l'abri de toutes les épreuves, et rien ne peut désormais les ébranler, ni les passions, ni les plaisirs, ni les occasions de péché, ni la douleur, ni les souffrances, ni les dangers, tout cela n'existe plus que dans le passé. "Jérusalem est environné de montagnes, et le Seigneur est tout autour de son peuple, maintenant et pour toujours." (Ibid., 2). Le psalmiste fait ressortir ici la force que la ville de Jérusalem tire de sa situation, mais il ne veut point qu'elle y place sa confiance, et il l'élève jusqu'au secours invincible de Dieu.
2. Il est vrai, dit le psalmiste, les montagnes lui servent de remparts, mais elle n'en a pas moins besoin d'un appui tout divin pour la rendre imprenable, comme l'indique plus clairement une autre version : "Le Seigneur environne son peuple." C'est-à-dire, ne vous confiez point dans la hauteur des montagnes, ce qui rend cette ville imprenable, le voici : "Dieu ne permettra pas que le sceptre des impies s'appesantisse sur l'héritage des justes." (Ibid., 3). Il leur fait connaître la véritable cause qui portera Dieu à venir à leur secours et qui doit être le légitime objet de leur confiance; quelle est-elle ? Dieu ne permettra pas que les biens des justes passent entre les mains des pécheurs. Le but du psalmiste est de leur inspirer une vive confiance dans le secours de Dieu, et la persévérance dans la vertu, s'ils veulent jouir à jamais de sa Protection et conserver les biens qu'Il leur a rendus. Il leur apprend ainsi que la tranquille possession de ces biens, dépend uniquement d'eux. Le sceptre des pécheurs c'est la domination de leurs ennemis. Voici donc le sens de ces paroles : Dieu ne permettra pas qu'ils retiennent l'héritage des justes. Il l'a permis pour un temps, afin de les corriger, de les châtier, de les instruire. "De peur que les justes n'étendent leurs mains vers l'iniquité." Une autre version porte : "C'est pour cette raison que les justes n'étendront point les mains vers l'iniquité." Quelle est cette raison ? Celle qui vient d'être indiquée, parce que Dieu se déclarera leur défenseur, leur vengeur, et qu'Il chassera et repoussera leurs ennemis de leurs possessions. En d'autres termes, les justes châtiés par les épreuves, et rendus meilleurs par les biens qui leur seront rendus, persévéreront dans la vertu, et cette double leçon les empêchera de porter leurs mains vers l'iniquité. Tout ce qui leur est arrivé avait donc pour fin le plus grand bien de leur âme, l'adversité devait les corriger de leurs vices, et les biens qui leur furent donnés, leur inspirer une nouvelle ardeur pour Dieu.
"Faites du bien, Seigneur, à ceux qui sont bons, et qui ont le coeur droit." (Ibid., 4). Suivant une autre version : "Accordez tes bienfaits." "Mais pour ceux qui se détournent dans des voies obliques, le Seigneur les joindra à ceux qui commettent l'iniquité." (Ibid.,15). Vous voyez qu'en toute circonstance, il dépend de nous dans le principe, d'obtenir les faveurs de Dieu ou d'encourir ses châtiments. Cependant, malgré la part que Dieu nous laisse prendre, sa Bonté n'en brille pas avec moins d'éclat, et sa libéralité à notre égard est bien supérieure à tout ce que nous pouvons faire. S'agit-il de nous punir de nos fautes, Il le fait avec la plus grande modération, tandis qu'Il nous récompense de nos bonnes actions bien au-dessus de ce qu'elles méritent. Les coeurs droits dont parle le psalmiste sont les coeurs ennemis de la dissimulation et de l'artifice, les âmes sans fard et sans détour. Telle
est aussi la vertu, simple et droite, tandis que le vice aime à suivre des voies détournées, toujours diverses et sans issue. Un exemple éclaircira cette vérité. Voyez celui qui cherche à mentir et à ourdir des manoeuvres artificieuses, que d'expédients, que de tentatives variées, que de discours trompeurs, quelle abondance de paroles ! Au contraire, celui qui dit la vérité n'éprouve ni peine ni difficulté, il n'y a chez lui ni dissimulation, ni feinte, ni rien de semblable, car la vérité brille de son éclat naturel. Les corps qui n'ont point la beauté en partage, ont recours à mille ruses, à mille artifices pour déguiser leur laideur naturelle; ceux au contraire à qui la nature a donné cette beauté, brillent d'eux mêmes sans avoir besoin d'un éclat emprunté. Ainsi en est-il de la vérité et du mensonge, de la vertu et du vice. Il résulte de là que le vice avant même d'être puni, porte avec lui son châtiment, et qu'avant le prix que Dieu lui destine; la vertu reçoit ici-bas sa récompense.
Oui, comme la vertu trouve en elle même le prix de ses efforts avant la couronne des cieux, le vice trouve en lui un châtiment qui devance le supplice éternel. Et quel supplice plus cruel que le péché ? Aussi, saint Paul parlant de ceux qui se livrent à des actes infâmes, déshonorent en eux-mêmes la fleur de l'âge, et outragent les lois de la nature, déclare que c'est là leur plus grand supplice, avant même le châtiment qui les attend. "Les hommes s'abandonnant avec les hommes à des turpitudes, et recevant en eux-mêmes la récompense due à leur égarement." (Rom 1,27). Cette récompense de leur péché, ce sont leurs infamies et leurs désordres. "Que la paix soit sur Israël." Le psalmiste termine par une prière, telle est la conduite ordinaire des saints; à l'exhortation, aux conseils ils joignent la prière pour faire descendre sur ceux qu'ils ont instruits le puissant secours du ciel. Or, la paix qu'il leur souhaite n'est point la paix extérieure, mais une paix d'un ordre plus élevé. Le psalmiste indique quelle en est l'origine; et il demande à Dieu que l'âme ne se divise pas contre elle-même en favorisant la guerre intérieure que lui font les passions. Cherchons nous-mêmes cette paix, afin de pouvoir obtenir les biens qui nous sont promis, par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit la gloire et le règne dans les siècles des siècles. Amen.