PSAUME 114

«J'ai aimé parce que le Seigneur a exaucé la voix de ma prière» (v.1.)

1. Mais quel est celui, me direz-vous, dont le coeur ne s'ouvre à l'affection, lorsqu'il est exaucé ? La plupart des hommes du monde. Ils ne veulent pas entendre parler de ce qui leur est utile et avantageux, ils demandent des choses qui ne peuvent leur être que nuisibles, et leurs voeux sont à peine exaucés qu'ils sont dans la tristesse et l'abattement. Les seules choses vraiment utiles sont celles que Dieu sait devoir nous être avantageuses, quand ce serait la pauvreté, la disette, la maladie ou quelqu'autre épreuve semblable. Dès lors que Dieu en juge de la sorte, et qu'Il nous donne ces choses, leur utilité ne peut être mise en doute. Écoutez ce qu'Il répond à l'apôtre saint Paul : «Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans les infirmités.» (2Cor 12,9) Voilà en effet ce qui était vraiment utile à l'Apôtre, les persécutions, les tribulations, les souffrances. Aussi, une fois instruit de cette vérité, il s'écrie : «C'est pourquoi je me complais dans les infirmités, dans les opprobres, dans les persécutions.» Il n'appartient donc pas à tous indifféremment de se réjouir lorsque Dieu les exauce en leur accordant ce qui doit leur être utile. Il en est un grand nombre qui souhaitent des biens inutiles et qui s'y complaisent. La conduite du prophète est bien opposée, il aime parce que Dieu l'avait exaucé en lui accordant des biens d'une utilité incontestable. «Parce qu'Il a abaissé son Oreille vers moi.» Le psalmiste se sert de cette figure pour exprimer le bon Plaisir de Dieu; cette même expression cache encore une autre vérité, et il semble dire : Je n'étais pas digne d'être exaucé, mais Dieu a daigné descendre jusqu'à moi. «Et je L'invoquerai dans mes jours.» Que signifient ces paroles : «Dans mes jours»? N'allez pas croire, parce que Dieu m'a exaucé, que je cesserai désormais de Le prier et que je céderai à une négligence coupable; non, je serai fidèle à ce devoir tous les jours de ma vie. «Les douleurs de la mort m'ont environné, et les périls de l'enfer m'ont surpris. J'ai trouvé l'affliction et la douleur.» (Ibid. 3). «Et j'ai invoqué le Nom du Seigneur.» (Ibid. 4) Voyez-vous cette armure invincible ? Voyez-vous la consolation qui domine toutes les infortunes ? Voyez-vous une âme vraiment enflammée de l'Amour du Seigneur ? Tel est le sens de ces paroles : Il me suffit pour échapper aux maux qui m'environnent, d'invoquer le Nom de Dieu.

Pourquoi donc nous qui l'invoquons si souvent, ne sommes-nous point délivrés de nos épreuves ? C'est que notre prière laisse beaucoup à désirer; car pour Lui, Il est toujours prêt à nous exaucer, comme Il le déclare dans l'Évangile : «Quel est l'homme parmi vous, nous dit-Il, qui donne une pierre à son fils, lorsque celui-ci lui demande du pain ? Ou s'il lui demande un poisson, lui donnera-il un serpent ? Si donc, vous qui êtes mauvais, vous savez donner ce qui est bon à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux, donnera-t-Il ce qui est bon à ceux qui le Lui demandent.» (M 7,9-11) Admirez l'étendue de la Bonté de Dieu, auprès de laquelle la nôtre n'est plus que méchanceté. Puisque donc nous avons un si bon Maître, réfugions-nous toujours auprès de Lui, invoquons-Le comme notre seul Protecteur, et nous Le trouverons toujours disposé à nous sauver. En effet, si de pauvres naufragés qui n'ont qu'une planche pour toute ressource, appellent à leur secours ceux qu'ils voient de loin et cherchent à émouvoir leur compassion, bien qu'ils n'aient rien de commun avec eux, et qu'ils n'en soient connus que par leur infortune; à combien plus forte raison, Dieu qui est clément et miséricordieux, et à qui la bonté est naturelle, viendra-t-Il au secours des malheureux, s'ils consentent à recourir à Lui, à L'invoquer en toute sincérité, en sacrifiant toute espérance humaine ? Si donc vous venez à tomber dans quelque malheur imprévu, ne vous laissez point aller à l'abattement, mais ranimez aussitôt votre courage, et cherchez un refuge dans ce port inaccessible à la tempête, dans cette tour imprenable qui n'est autre que le Secours de Dieu. Il n'a permis votre chute que pour vous forcer de L'invoquer. Cependant la plupart des hommes se laissent aller au découragement, et perdent jusqu'à la piété dont ils faisaient profession, alors qu'ils devaient faire tout le contraire. Dieu nous aime d'un amour extrême, Il veut que nous soyons étroitement unis; voilà pourquoi Il permet que nous tombions dans l'adversité. Ne voyons-nous pas les mères se servir de masques effrayants pour forcer leurs enfants indociles de se réfugier dans leur sein ? Leur intention n'est pas de leur causer du chagrin, mais de les forcer à se tenir près d'elles. Ainsi Dieu veut que nous Lui soyons constamment unis, et Il agit comme un amant passionné, ou plutôt avec un amour supérieur à celui de l'amant le plus passionné; c'est-à-dire qu'Il permet que vous tombiez dans de si douloureuses épreuves, que vous ne cessiez de Le prier, de L'invoquer, et que vous négligiez tout autre appui pour ne songer qu'à Lui.

«Ô Seigneur, délivre mon âme.» Un autre interprète traduit : «Je T'en prie, Seigneur, délivre mon âme.» Un autre : «Ô Seigneur, sauve mon âme.» Voyez-vous la sagesse du Roi-prophète, comme il sacrifie tous les intérêts de cette vie pour ne demander qu'une seule chose, c'est que son âme n'éprouve aucun dommage, aucune atteinte qui puisse lui devenir mortelle. En effet, si notre âme va bien, nous serons nécessairement heureux dans toutes nos actions, mais si elle souffre, n'espérons rien de la prospérité qui peut nous entourer. Il nous faut donc consacrer toutes nos actions, toutes nos paroles au salut de notre âme. C'est ce que notre Seigneur veut nous faire entendre lorsqu'Il nous dit : «Soyez prudents comme des serpents.» Le serpent sacrifie le reste du corps pour sauver sa tête; vous aussi, sacrifiez tout pour le salut de votre âme. Ni la pauvreté, ni la maladie, ni la mort que l'on regarde comme le plus grand de tous les maux, ne pourront jamais vous nuire, si la vie de votre âme est sauvegardée. Au contraire, la vie serait pour vous sans aucune utilité, si votre âme venait à périr ou à se corrompre. Aussi le Roi-prophète, laissant toute autre considération, ne s'occupe que de son âme, et demande à Dieu de ne point exiger de lui un compte trop sévère, et de Le délivrer des supplices intolérables de l'éternité. «Le Seigneur est miséricordieux et juste, et notre Dieu est porté à faire grâce.» (Ibid. 5). Voyez-vous comme il nous apprend à nous tenir également éloignés du désespoir et du relâchement ? Ne désespérez point, nous dit-il, car Dieu est miséricordieux; gardez-vous de toute négligence, car Il est juste. C'est ainsi qu'il combat dans l'un le relâchement, dans l'autre, le désespoir, et qu'il assure doublement notre salut.

2. Il montre ensuite l'Inclination de Dieu à faire miséricorde, en ajoutant : «Et notre Dieu est porté à faire grâce.» (Ibid. 5). Remarquez la justesse de cette expression : «Notre Dieu,» qui a pour objet de Le distinguer des dieux dont il a parlé dans le psaume précédent. L'occupation de ces dieux est de verser le sang, de mettre à mort, de faire des guerres sourdes et implacables. Le caractère de notre Dieu est de faire miséricorde, de pardonner, de nous sauver constamment des dangers, et ces traits joints à beaucoup d'autres, prouvent que ces faux dieux ne sont que des démons qui ont conjuré notre perte, tandis que notre Dieu est un Dieu qui nous entoure de sa Sollicitude et de sa Protection, en un mot le vrai Dieu. «Le Seigneur garde les petits, j'ai été humilié et Il m'a délivré.» (Ibid. 6). Voici un des actes les plus importants de la Providence divine. Le Roi-prophète vient de dire : «Dieu est miséricordieux, Il est juste, et Il est porté à faire grâce.» Il donne immédiatement une des preuves les plus frappantes de cette souveraine miséricorde. Quelle est-elle ? La Conduite de Dieu à l'égard des petits enfants. Quant à nous, nous avons la raison qui nous apprend ce que nous devons éviter, ce que nous devons choisir, qui nous enseigne à éloigner les maux qui nous assaillent, à nous délivrer de ceux qui nous accablent; nous avons en partage la force et la ressource des expédients. Mais les enfants à qui tous ces moyens de défense font défaut seraient comme sans garde et sans appui, si la Providence de Dieu qui les environne d'une protection continuelle ne les sauvait ainsi d'une mort certaine. Sans cette Providence, les serpents, les oiseaux qui habitent sous notre toit, tant d'autres animaux qui se glissent dans nos demeures, mettraient à mort les enfants encore dans leurs langes. La sollicitude la plus tendre d'une nourrice, d'une mère, de toute autre personne que ce soit, est nécessairement impuissante, si la protection du ciel ne vient à leur secours. Il en est qui prétendent que ces paroles doivent s'entendre des enfants qui ne sont point encore sortis du sein de leur mère. «J'ai été humilié et Il m'a délivré.» Le psalmiste ne dit pas : Il m'a préservé du danger, mais : Il m'en a délivré, lorsque j'y étais tombé. Après avoir décrit la conduite générale de la Providence, il en vient à ce qu'elle a fait pour lui, et selon sa coutume, il fait servir de preuves les événements généraux comme les faits particuliers. Ne recherchez donc pas une vie à l'abri de tout danger, ce ne serait pas un bien pour vous. Une telle vie n'était pas avantageuse pour les prophètes, elle le serait beaucoup moins pour vous. Non, elle n'était pas avantageuse pour les prophètes, écoutez ce que dit le psalmiste : «Il est bon que Tu m'aies humilié, afin que j'apprenne tes Ordonnances pleines de justice.» (Ps 118,71). Il rend à Dieu une double action de grâces et d'avoir permis que le danger vînt l'assaillir, et de ne pas l'avoir abandonné au milieu de ses épreuves. Ce sont en effet deux bienfaits véritables; le premier n'est pas inférieur au second, et j'oserai même avancer quelque chose d'extraordinaire, il est plus grand. En effet, d'un côté Dieu vous a délivré de vos épreuves, mais de l'autre, il a fortifié dans votre âme l'amour de la sagesse.

«Rentre dans ton repos, ô mon âme, parce que le Seigneur t'a comblé de biens.» (Ibid. 7). «Car Il a délivré mon âme de la mort, mes yeux des larmes, mes pieds de toute chute.» (Ibid. 8) «Je serai agréable au Seigneur dans la terre des vivants.» (Ibid. 9) Dans le sens historique, nous voyons ici une délivrance éclatante suivie du repos et de la liberté. Mais si l'on veut entendre ces paroles dans un sens anagogique, on peut appeler notre départ d'ici-bas une véritable délivrance, un véritable repos; c'est pour nous en effet, l'affranchissement de tous les maux imprévus, nous cessons d'être soumis à une cruelle incertitude, notre bonheur est assuré dès que nous avons quitté la vie le coeur plein de légitimes espérances. C'est par le péché, il est vrai, que la mort est entrée dans le monde, mais Dieu l'a fait servir à notre bien; et non content d'avoir permis la mort, il a voulu que notre vie fût laborieuse et pénible, pour nous convaincre qu'il n'aurait pas permis la mort, si dans sa Sagesse Il ne l'avait jugée avantageuse pour nous. Aussi après avoir dit au premier homme : «Le jour que tu mangeras de ce fruit, tu mourras;» (Gn 3,17); Il ne S'est pas contenté de ce châtiment, car c'était un véritable châtiment que ces paroles : «Tu es terre et tu retourneras en terre.» (Gn 3,19) mais Il ajoute : «Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. Elle ne produira pour toi que des ronces et des épines et tu ne mangeras de ses fruits qu'avec un grand travail.» (Gn 3,17-18). Et Il dit à sa femme : «Je multiplierai tes calamités et tes gémissements, tu enfanteras dans la douleur.» (Gn 3,16). La mort seule n'eût pas suffi pour rendre les hommes plus sages. Combien en voyons-nous au contraire que les épreuves rendent meilleurs ? La mort éteint en nous tout sentiment, mais les souffrances nous rendent plus vertueux de notre vivant. Si la mort nous paraît une chose si terrible, n'en accusons que notre faiblesse. Oui, cette crainte vient de notre faiblesse, je n'en veux pour preuve que saint Paul qui désire la mort, qui s'en réjouit par avance, lorsqu'il dit : «Il est sans comparaison bien meilleur pour moi d'être dégagé des liens du corps et d'être avec Jésus Christ.» (Ph 1,23). Et encore : « J'en ai de la joie et je m'en réjouis avec vous tous. Et vous devriez aussi vous-même en avoir de la joie, et vous en réjouir avec moi.» (Ph 2,17-18). Entendez-le s'affliger au contraire de ce que ses désirs sont ajournés : «Non seulement les créatures mais nous-mêmes, nous gémissons au-dedans de nous dans l'attente de l'adoption des enfants de Dieu, qui sera la délivrance de nos corps.» (Rm 8,23). Et dans un autre endroit : «Pendant que nous sommes dans ce corps comme dans une tente, nous gémissons sous sa pesanteur.» (2Cor 5,4).

3. Voyez-vous quelle source de biens renferme l'amour de la sagesse ? Ce que les autres hommes regardent comme un juste sujet de larmes, est pour l'Apôtre l'objet des plus ardents désirs, et il ne trouve que de justes raisons de gémir là où les hommes du monde placent leur joie et leurs délices. N'est-ce pas en effet un juste sujet de larmes que d'habiter un pays étranger, et d'être exilé bien loin de sa patrie ? N'est-ce pas au contraire une cause bien légitime de joie que d'arriver promptement dans ce port tranquille, et d'entrer dans cette cité céleste d'où sont bannis la douleur, l'affliction, les gémissements ? Et que m'importe à moi qui suis pécheur ? me direz-vous. Mais ne voyez-vous pas que ce n'est pas la mort qui produit la douleur, mais la mauvaise conscience ? Cessez donc de pécher, et la mort deviendra l'objet de vos désirs. «Tu as délivré mes yeux des larmes;» langage plein de vérité, car il n'y a plus dans les cieux ni douleur, ni tristesse, ni larmes. «Et mes pieds de toute chute.» Cette grâce est supérieure à la première. Comment cela ? Parce que non seulement nous sommes affranchis de toute douleur, mais de tous les dangers et de toutes les embûches. Celui qui sort de cette vie accompagné de ses bonnes oeuvres, est appuyé sur la pierre ferme, il est entré dans le port, il n'a plus à craindre pour l'avenir, ni obstacles. ni agitation, ni trouble; en mourant dans cet état, il entre en possession d'une tranquillité assurée pour l'éternité.

« Je serai agréable au Seigneur dans la terre des vivants.» Un autre interprète traduit : «Devant le Seigneur.» Un autre : «Je marcherai en sa Présence;» c'est ce que saint Paul annonce lui-même lorsqu'il dit : «Nous serons enlevés sur les nuées pour aller dans les airs au-devant de Jésus Christ, et ainsi nous serons éternellement avec le Seigneur.» (1Th 4,16). Remarquez la justesse de ces expressions : «Dans la terre des vivants.» C'est là en effet qu'est la véritable vie, qui n'est plus sujette à la mort et qui nous offre des biens purs et sans mélange. «Car, dit encore le même apôtre, lorsqu'Il aura anéanti tout empire, toute domination et toute puissance, la mort sera le dernier ennemi détruit.» (1Cor 15,24-26). Et lorsque toutes ces choses seront détruites, il n'y aura plus ni chagrin, ni souci, ni peines; on ne verra partout que justes sujets de joie, de paix, d'amour, de confiance, d'allégresse; des biens véritables, d'un éclat pur, d'une durée permanente. Dans l'autre vie, il n'y a plus ni chute à craindre, ni colère, ni chagrin, ni amour de l'argent, ni désirs charnels, ni pauvreté, ni richesse, ni opprobre, ni rien de semblable. Que cette vie soit donc l'objet de nos désirs, et le but final de toutes nos actions. C'est pour cela qu'il nous est ordonné de dire dans notre prière : «Que ton Règne arrive.» (Mt 6,10). Dieu veut que nous ayons toujours les yeux fixés sur ce jour de l'éternité. Celui dont le coeur est enflammé de cet amour et qui se nourrit de l'espérance des biens éternels, n'est jamais submergé par les orages de la vie présente, ni abattu par les douloureuses épreuves de ce monde. Voyez ceux qui se rendent dans la capitale de leur pays, ils ne se laissent arrêter par aucune des choses qu'ils rencontrent sur leur route, ni par les prairies, ni par les jardins, ni par les vallées, ni par les solitudes, ils sont indifférents à tout, et n'ont dans l'esprit qu'une seule chose, la patrie qui les attend. C'est ainsi que le chrétien qui tous les jours se représente les splendeurs de cette cité, et qui en nourrit le désir dans son coeur, ne verra plus rien de pénible dans les épreuves les plus pénibles, et il estimera sans éclat et sans gloire ce qu'il y a pour le monde de plus glorieux et de plus éclatant. Que dis-je, qu'il estimera ? Il n'arrêtera même pas ses regards sur les choses de la terre, car il a d'autres yeux, de ces yeux que saint Paul nous recommande d'avoir : «Nous ne considérons point, dit-il, les choses visibles, mais les invisibles; car les choses visibles sont passagères, mais les invisibles sont éternelles.» (2Cor 4,48). Voyez-vous comme il nous montre la route en d'autres termes ? Attachons-nous donc à ces biens éternels, afin d'arriver à les posséder, et à jouir de cette vie immortelle. Que Dieu nous l'accorde par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ à qui soit la gloire et la puissance, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles.