PSAUME 112

«Louez le Seigneur, vous qui le servez, louez le Nom du Seigneur. (v. 1).

1. Les saintes Écritures reviennent souvent sur ces louanges, car elles ne sont point une chose indifférente, mais une espèce de sacrifice et une offrande agréable à Dieu. «Le sacrifice de louange, nous dit Dieu, est le culte qui M'honore.» (Ps 49,23). Et le psalmiste nous dit dans un autre endroit : «Je louerai le Nom de Dieu par mes cantiques, Je le glorifierai par mes louanges. Ce sacrifice sera plus agréable à Dieu que l'immolation d'un jeune taureau aux cornes naissantes et aux ongles déjà forts.» (Ps 68,31-32). Les saints livres nous recommandent fréquemment ce devoir et nous voyons ceux qui ont échappé à quelque danger témoigner à Dieu leurs actions de grâces en lui offrant ce sacrifice de louanges. Et qu'y a-t-il en cela de difficile, me direz-vous ? Quel est l'homme si humble, si petit qu'il soit, qui ne puisse remplir ce devoir et louer Dieu ? En y réfléchissant sérieusement, vous verrez à la fois que ce devoir n'est pas sans difficulté, et que nous ne pouvons que gagner à le mettre en pratique. Premièrement, les justes seuls sont admis à offrir ce sacrifice, et il faut commencer par bien régler sa vie avant de venir offrir ses louanges à Dieu. «Car la louange n'est pas bonne dans la bouche du pécheur.» (Si 15,9). En second lieu, ce n'est point seulement par nos paroles, mais par nos actions que nous devons louer Dieu, et Il demande surtout de nous cette louange qui doit tourner à sa gloire : «Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux.» (Mt 5,16) Telles sont les louanges que les chérubins offrent à Dieu. Aussi le prophète, après avoir entendu cette mélodie mystique, reconnaît humblement sa misère en s'écriant; «Malheur à moi, parce que je suis un homme dont les lèvres sont impures, et que j'habite au milieu d'un peuple dont les lèvres sont également souillées !» (Is 6,5). Voilà pourquoi le psalmiste, lorsqu'il fait un devoir de louer Dieu, commence par les puissances des cieux : «Vous qui habitez les cieux, louez le Seigneur; louez-Le, vous qui résidez dans les hauteurs du firmament.» (Ps 148,1-2). Il faut donc que nous devenions des anges avant d'offrir nos louanges à Dieu. Gardons-nous d'attacher peu d'importance à ce genre de louanges, et faisons en sorte que notre vie précède notre bouche et que toute notre conduite fasse entendre sa voix avant notre langue. Alors notre silence lui-même sera une louange agréable à Dieu, et lorsque nos lèvres s'ouvriront, leur mélodie s'harmonisera parfaitement avec notre vie.

Ce n'est pas la seule leçon que nous donne ce psaume, il veut encore nous amener tous à ne former qu'un seul choeur pour ne faire qu'un seul concert. Aussi, ne s'adresse-t-il pas à une ou deux personnes, mais au peuple tout entier. Notre Seigneur Jésus Christ, voulant unir les coeurs par les liens d'une même charité, nous ordonne d'entrer avec nos frères dans une véritable communion de prières, et il veut que 1'Église tout entière ne forme qu'une seule personne lorsqu'elle dit : «Notre Père;» et encore : «Donne-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour,» et enfin : «Pardonne-nous nos offenses comme nous les pardonnons nous-mêmes, et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal.» (Mt 6,9-13). Le Sauveur se sert continuellement du pluriel et commande à chaque chrétien, soit qu'il prie seul ou avec les autres, d'offrir sa prière en union avec ses frères. De même ici le Roi-prophète invite tous les hommes à ce concert de prières : «Louez le Nom du Seigneur.» Pourquoi ajoute-t-il ici le Nom du Seigneur ? Pour nous faire comprendre les saintes ardeurs de son âme.

Il y a encore une autre raison. Quelle est-elle  ? C'est de nous faire glorifier le Nom de Dieu, de montrer par notre vie qu'il est digne de louanges. La nature seule de ce Nom le rend digne de toute gloire et de toutes louanges, mais il veut que notre vie sainte et vertueuse vienne ajouter, s'il est possible, à l'éclat de cette gloire qui lui est propre. Si vous voulez vous en convaincre, voyez la suite. «Que le Nom du Seigneur soit béni, maintenant et dans tous les siècles.» (Ibid. 9). Que dites-vous ? Est-ce que ce Nom attend, pour être béni, le souhait que vous exprimez ? Vous voyez que le Roi-prophète ne veut point parler ici de la bénédiction qui est essentielle à Dieu, et qui est une conséquence de sa Nature, mais de celle qu'Il reçoit des hommes. C'est de cette dernière bénédiction que saint Paul disait dans une de ses épîtres : «Glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre esprit.» (1Cor 6,20). Dieu par Lui-même est toute Grandeur, toute Élévation, et Il est digne de toutes louanges; mais la vérité de ces divins Attributs ressort avec plus d'éclat lorsque ses serviteurs, par le spectacle d'une vie sainte, excitent tous ceux qui en sont les témoins à louer et bénir le Seigneur. Jésus-Christ Lui-même nous a commandé d'exprimer à Dieu ce souhait dans nos prières en disant : «Que ton Nom soit sanctifié.» (Mt 6,9). C'est-à-dire qu'il soit aussi glorifié par notre vie. De même qu'une vie criminelle déshonore ce saint Nom, ainsi une vie sainte le bénit, le sanctifie, et ajoute à sa gloire. Voici donc le sens de ces paroles du prophète : Fais-nous la grâce de vivre toujours saintement, afin que ton Nom reçoive aussi de nous les bénédictions qui lui sont dues. «Le Nom du Seigneur doit être loué depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher.» (Ibid. 3). Voyez-vous comme le Roi-prophète prélude à l'établissement du nouveau royaume et découvre par avance la noblesse de l'Église ? Ce royaume n'est plus borné à la Palestine, à la Judée, il embrasse le monde entier. Or, quand cette prédiction s'est-elle vérifiée, sinon depuis les progrès surprenants de notre religion ? Autrefois, loin d'être béni même dans la Palestine, ce saint Nom était blasphémé, déshonoré par les crimes des Juifs qui l'habitaient. «Vous êtes cause, leur dit Dieu, que mon Nom est blasphémé parmi les nations.» (Is 52,5) Maintenant au contraire, il est l'objet des louanges de toute la terre. C'est ce qu'un autre prophète prédisait en ces termes : «Dieu apparaîtra, Il anéantira les dieux des nations, et Il sera adoré par chaque homme dans chaque pays.» (So 2,11) Et un autre : «Les portes seront fermées parmi nous et on n'allumera plus le feu sur mon autel gratuitement; car depuis le lever du soleil jusqu'au couchant, mon Nom est glorifié parmi les nations, et on lui offre en tout lieu un encens agréable et une oblation pure.» (Mal 1,10-11) 2. Vous voyez comme il rabaisse les institutions religieuses des Juifs dont il annonce la fin, et comme au contraire il étend à toute la terre le règne de la religion chrétienne, et prédit l'objet principal de son culte. Le prophète qui parle ainsi vivait après le retour de la captivité de Babylone, et il fit alors cette prédiction pour empêcher les Juifs de l'appliquer à leur captivité et à l'abandon où ils furent réduits lorsqu'ils furent emmenés à Babylone. Depuis longtemps ces épreuves étaient passées, ils avaient repris leur ancienne forme de gouvernement, et c'est alors que l'envoyé de Dieu prédit cette désolation qui devait avoir lieu sous Vespasien et sous Tite, et qui devait être sans retour pour les Juifs. En effet, elle fut suivie de l'établissement de l'Église. C'est pour cela que le prophète dit : «Mon Nom est grand parmi les nations,» c'est-à-dire il est béni, il est loué par la vie sainte des chrétiens dans le même sens que le Roi-prophète dit ici : «Que le Nom du Seigneur soit béni.»-« Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations.» (Ibid. 4). Voyez donc ici de nouveau les nations embrasser la religion du vrai Dieu, et non pas un, deux ou trois peuples, mais tous les peuples de la terre. Peut-on une prophétie plus claire ? Mais comment Dieu est-Il élevé au-dessus de toutes las nations ? Est-ce parce que nous Le glorifions sans pouvoir ajouter en rien à son élévation ? Non, mais c'est par les vérités que nous croyons, par le culte, l'adoration et les autres hommages que nous Lui rendons, en nous formant de sa Nature des idées beaucoup plus hautes et plus relevées que celles des Juifs. C'est qu'en effet, la loi nouvelle est aussi élevée au-dessus de l'ancienne que le ciel est élevé au-dessus de la terre. Voilà pourquoi le Psalmiste dit : «Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations.» Lorsque nous disons que nous relevons Dieu par le culte que nous Lui rendons, nous savons parfaitement que c'est là un langage accommodé à notre faiblesse. Ce culte est plus parfait, il est vrai, que dans l'ancienne loi, mais il est encore bien au-dessous de la Majesté divine. Aussi l'apôtre saint Paul, voulant marquer la différence qui sépare la connaissance que nous avons maintenant, de celle qui sera le partage de l'autre vie, s'exprime en ces termes : «Quand j'étais enfant, je parlais en enfant, je jugeais en enfant, je raisonnais en enfant; mais lorsque je suis devenu homme, je me suis dégagé de tout ce qui était de l'enfance.» (1Cor 13,11) Et il ajoute : « Ce que nous avons maintenant de science et de prophétie est très imparfait. Nous ne voyons maintenant Dieu que comme dans un miroir et sous des images obscures, mais alors nous Le verrons face à face.» (1Cor 13,9-12). C'est-à-dire que la connaissance actuelle diffère autant de la connaissance future que l'enfant diffère de l'homme parvenu à la maturité de l'âge.

«Sa Gloire est au-dessus des cieux.» Après nous avoir fait connaître comment nous pouvons louer, glorifier Dieu par nos bonnes oeuvres, et nous avoir pressé de Lui offrir ce tribut de louanges et de gloire; pour nous inspirer le désir d'une vertu plus éminente, il nous indique l'endroit où ce devoir s'accomplit dans toute sa perfection. Quel est-il ? C'est le ciel, qui est vraiment le séjour de sa Gloire. En effet, ce sont surtout les anges qui glorifient Dieu, non seulement par une conséquence de leur nature, mais par l'obéissance des hommes près de qui ils exercent leur ministère en accomplissant exactement la Volonté et les Ordres de Dieu. C'est ce que le psalmiste exprime ailleurs lorsqu'il dit : «Vous qui êtes revêtus de force, exécutez ses ordres.» (Ps 102,20). Voilà pourquoi Jésus Christ, dans l'Évangile, nous ordonne de prier et de dire : «Que ta Volonté soit faite sur la terre comme dans les cieux.» (Mt 6,10) C'est-à-dire que Dieu nous rend dignes de Le sanctifier comme le sanctifient les anges, par une vie pure de tout péché, et la pratique des plus sublimes vertus. Cette même vérité se trouve exprimée dans ces paroles : «Sa Gloire est au-dessus des cieux.» Ne vous contentez donc pas de considérer le spectacle des créatures visibles ni l'ordre admirable des sphères célestes, mais élevez-vous par la pensée, des objets sensibles jusqu'aux choses intelligibles, jusqu'à la beauté des natures spirituelles, jusqu'à l'éclatante splendeur de ce royaume céleste, et vous comprendrez alors comment la Gloire de Dieu est dans les cieux. «Qui est semblable au Seigneur notre Dieu qui habite dans les lieux les plus élevés ?» (Ibid. 5) «Et qui abaisse ses regards sur ce qu'il y a de plus humble ?» (Ibid. 6) N'est-ce pas là une marque incontestable de grandeur ? Rappelez-vous quel est Celui dont parle le Prophète, et vous trouverez qu'il est ici bien au-dessous de la réalité. Il ne faut donc point, je l'ai recommandé plus haut, s'arrêter aux paroles seules, mais s'élever bien au-dessus de la pensée. Comment Dieu habite-t-Il dans les cieux, Lui qui remplit le ciel et la terre de son Immensité, qui est présent partout, et qui dit par son prophète : «Je suis le Dieu de près et non pas le Dieu de loin ?» (Jr 23,23) «Qui a mesuré le ciel de sa main et la terre dans la paume de sa main, et qui embrasse le tour de la terre ?» (Is 40,12-23). Le Roi-prophète s'adressait alors à des Juifs, et il parle de la sorte pour élever peu à peu leur intelligence, lui donner des ailes et la soulever insensiblement au-dessus de la terre. Aussi remarquez, il ne dit pas simplement : «Qui habite les lieux les plus élevés et qui regarde ce qu'il y a de plus humble ?», il commence par cette question : «Qui est semblable au Seigneur notre Dieu ?» avant d'ajouter : «Qui habite les lieux les plus élevés, et qui regarde ce qu'il y a de plus humble ?» et il fait ainsi connaître la raison de ces dernières paroles, c'est-à-dire la faiblesse des Juifs qui étaient pleins d'admiration pour les idoles et prodiguaient leurs adorations à des dieux enfermés dans des temples et dans des enceintes déterminées. Voilà pourquoi il procède par voie de comparaison, bien que Dieu soit sans comparaison au-dessus de tout ce qui existe. Mais il emploie ce langage pour s'accommoder à la faiblesse morale de ses auditeurs, comme je l'ai déjà dit et ne cesserai de le faire remarquer. Il cherchait moins à parler d'une manière digne de la Gloire de Dieu, qu'à se rendre intelligible pour les Juifs. Voilà pourquoi il ne relève leurs pensées qu'insensiblement, mais sans toutefois les laisser ramper a terre, et en leur découvrant des horizons plus élevés. Car après avoir dit : «Qui habite dans les lieux les plus hauts, et qui regarde ce qu'il y a de plus humbles ?» son langage s'élève à des considérations plus hautes et il ajoute : «Dans le ciel et sur la terre,» paroles qui démontrent l'Immensité de Dieu, qui remplit le ciel et la terre. S'Il voit du haut du ciel tout ce qui se fait sur la terre, ce n'est pas comme d'un lieu où Il serait enfermé; Il est présent partout et Il est près de chacune de ses créatures. Voyez-vous comment il donne peu à peu des ailes à l'intelligence de ses auditeurs  ? Puis après l'avoir soulevée au-dessus de la terre et élevée jusqu'au ciel, il lui propose de plus grandes pensées et passe à une autre preuve de la Puissance divine. «Il tire de la poussière celui qui est dans l'indigence, et il élève le pauvre de dessus le fumier.» (Ibid. 7). C'est le caractère d'une puissance vraiment grande et ineffable de relever ce qui est petit. Un autre prophète donne une preuve contraire de la Puissance de Dieu qui abaisse ce qui est grand : «C'est Lui qui brise ce qu'il y a de plus fort, et qui renverse les plus hautes citadelles.» (Am 5,9) Ici le Roi-prophète déclare que Dieu peut relever ce qui est petit; la proposition est générale. Si l'on veut entendre ces paroles dans un sens allégorique, on en trouvera l'accomplissement dans ce qui est arrivé aux nations, dans ce qui nous est arrivé à nous-mêmes lors de l'Avènement de Jésus Christ. Quelle pauvreté plus grande que celle de notre nature ? Et cependant Jésus Christ a élevé, a transporté dans les cieux les prémices de cette nature, et l'a fait asseoir sur le Trône de son Père. «Et Il élève le pauvre de son fumier pour le placer avec les princes, avec les princes de son peuple.» (Ibid. 8). Le fumier figure ici l'abjection de la condition, et le changement subit dont elle est l'objet, preuve que pour Dieu toutes choses sont aisées et faciles. Mais voici quelque chose de plus grand encore. Qu'est-ce donc ? Non seulement Dieu peut opérer d'aussi étonnants changements et faire succéder la grandeur à la bassesse, mais Il peut même déplacer les bornes de la nature et donner la fécondité à celle qui était stérile. Le prophète continue : «Qui fait habiter dans sa maison l'épouse stérile, mère joyeuse de plusieurs enfants.» (1R 1) C'est ce qui est arrivé pour Anne et pour une foule d'autres femmes. Vous le voyez, l'hymne est complète et rien n'y est oublié. Il a prédit les événements qui devaient apporter le bonheur à la terre, comment le judaïsme devait faire place aux vives lumières que jeta la loi nouvelle et l'établissement de l'Église, et il a annoncé l'oblation du sacrifice universel. Pour convaincre les esprits les plus rebelles de la vérité de ses prédictions, il en donne pour garant les événements accomplis sous leurs yeux. Voici le sens de ses paroles : Pourquoi douter de la vérité d'un aussi grand changement, pourquoi refuser de croire à la glorieuse élévation des peuples si humiliés jusqu'alors ? N'êtes-vous pas tous les jours témoins de ce spectacle ? Ne voyez-vous pas les petits sortir de leur humiliation pour s'asseoir à côté des princes ? Ne voyez-vous pas la nature guérie de son impuissance, et la fécondité donnée aux femmes jusqu'alors stériles  ? L'Église a été l'objet d'un prodige semblable. Elle était stérile, elle est devenue la mère d'une multitude innombrable d'enfants. C'est cette glorieuse fécondité de l'Église que le prophète Isaïe célèbre en ces termes : «Réjouis-toi, stérile qui n'enfantes pas; chante des cantiques de louanges, pousse des cris de joie, toi qui n'avais pas d'enfants, car l'épouse abandonnée est devenue plus féconde que celle qui a un époux.» (Is 54,1) Voilà pourquoi le Roi-prophète termine ici ce psaume après avoir confirmé la vérité de ses prédictions par les faits éclatants que la Grandeur de Dieu a opérés dans les siècles qui ont précédé. Lorsque Dieu veut quelque chose, toutes les difficultés s'aplanissent. Il peut changer les lois de la nature, tirer les hommes de la poussière pour les élever au premier rang et leur faire pratiquer les plus sublimes vertus. Instruits que nous sommes de ces vérités, ne négligeons rien pour arriver à jouir de cette gloire, pour atteindre ces hauteurs ineffables des cieux, par la Grâce de Dieu, à qui appartiennent la gloire et la puissance, au Père, au Fils, au saint Esprit, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Amen.