PSAUME 111

«Heureux est l'homme qui craint le Seigneur.» (v. 1).

 

1. Le commencement de ce psaume me paraît se rattacher étroitement à la fin du précèdent, et ne former de ces deux psaumes qu'un seul corps dont toutes les parties sont parfaitement unies entre elles. Dans le psaume précédent, nous lisons  : «La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse;» (Ps 110,10); dans celui-ci  : «Heureux est l'homme qui craint le Seigneur.» C'est la même vérité exprimée en d'autres termes, et qui de part et d'autre nous enseigne la crainte de Dieu. D'un côté, le psalmiste donne à cet homme le nom de sage; de l'autre, il le proclame heureux, et c'est là en effet le vrai bonheur, tandis que tout le reste n'est que vanité, ombre, vaine futilité, soit les richesses, soit la puissance, soit la beauté du corps ou l'éclat extérieur de la fortune. Qu'est-ce en effet, que des feuilles qui tombent, des ombres qui passent, des songes qui s'évanouissent  ? La crainte du Seigneur est donc le bonheur véritable. Mais les démons eux-mêmes ont aussi la crainte de Dieu et tremblent devant Lui; le Roi-prophète nous avertit que cette crainte ne suffit pas pour nous sauver, et il fait ici comme dans le psaume précédent. Après avoir dit : «La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse,» il avait ajouté : «Tous ceux qui la pratiquent sont remplis d'une intelligence salutaire, joignant ainsi aux vérités qui sont l'objet de la foi, des règles sages de conduite. De même ici, après avoir proclamé le bonheur de cette crainte, il la distingue de celle qui a pour principe la connaissance et qui existe chez les démons eux-mêmes, en ajoutant : « Qui a une volonté ardente d'accomplir ses Préceptes.» Il exige donc, comme on le voit, une vie et une conduite parfaitement réglées, et une âme remplie de l'amour de la sagesse. Remarquez qu'il ne dit pas : «Il observera ses Commandements,» mais : «Il aura une volonté ardente de les accomplir.» Ce qui est une disposition beaucoup plus parfaite.

Or, en quoi consiste cette disposition ? À observer les Commandements de Dieu avec un saint empressement, à les aimer passionnément, à en poursuivre l'exacte observation, à les aimer non pour la récompense promise, mais pour Celui qui les a établis, à faire ses délices de la pratique de la vertu, sans y être porté par la crainte de l'enfer, par les menaces des supplices éternels, mais par l'amour de Celui qui nous a donné ces lois. Le Roi-prophète lui-même nous en donne un exemple lorsque dans un autre psaume il nous décrit la douceur et le charme qu'il trouve dans l'observation des commandements. «Que tes paroles sont douces à mon palais !» s'écrie-t-il; le miel le plus exquis est moins agréable à ma bouche.» (Ps 118,103). C'est cette même disposition que saint Paul exigeait lorsqu'il disait en termes allégoriques : «Comme vous avez fait servir vos membres à l'impureté et à l'injustice pour l'iniquité, de même faites-les servir maintenant à la justice pour votre sanctification.» (Rm 6,19). C'est-à-dire vous avez déployé tant d'activité, tant d'ardeur dans la poursuite du vice qui ne vous promettait cependant aucune récompense, et ne vous montrait en perspective que la peine et le châtiment; faites donc pour la vertu ce que vous avez fait pour le vice. Et cependant l'Apôtre déclare qu'il est bien modéré dans ce qu'il demande, en commençant par dire : «Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair;» (Rm 6,19); et en nous apprenant par là que nous devons nous donner à la pratique de la vertu avec une ardeur et une passion égales à celles que nous avons mises dans la poursuite du vice. Voici donc le sens de ces paroles : S'ils ne font pas autant pour la vertu qu'ils ont fait pour le vice, s'ils ne manifestent pas la même ardeur, quelle excuse pourront-ils apporter ? Quel pardon obtenir ? Voilà pourquoi le Roi-prophète s'exprime de la sorte : «Qui a une volonté ardente d'accomplir ses Commandements.» Celui qui a pour Dieu la crainte qu'il doit naturellement inspirer, reçoit ses Commandements avec affection, avec amour, et cet amour pour Celui qui donne la loi en rend l'observation agréable et douce, bien qu'elle paraisse offrir quelque difficulté. Que personne ne me fasse un crime si j'emploie cette comparaison. Saint Paul m'y autorise : «Comme vous avez fait servir vos membres à l'impureté, faites-les servir maintenant à la justice.» Voici un homme dominé par un amour impur, on l'insulte, on l'outrage, on le maltraite, on le couvre d'opprobres, on le chasse de son pays natal, il est exclu de l'héritage paternel, n'a plus droit à l'affection de son père, il est en butte à des épreuves plus pénibles encore, et cette passion déréglée lui fait tout supporter avec plaisir. Eh quoi, on supporte avec délices de semblables épreuves, avec quel amour donc devons-nous embrasser les commandements de Dieu, qui nous ouvrent le chemin du salut, de la gloire, de la plus haute sagesse, et qui rendent notre âme meilleure ? Peuvent-ils encore nous offrir quelque difficulté ? Ces difficultés viennent non pas de la nature des commandements, mais de la lâcheté d'un grand nombre. Recevez-les avec amour, ils deviendront aussitôt légers et faciles. Jésus Christ Lui-même nous en assure : «Mon joug est doux et mon fardeau léger.» (Mt 11,30). Voulez-vous vous convaincre que c'est la lâcheté d'un trop grand nombre qui rend difficiles des choses naturellement aisées, tandis que la ferveur fait disparaître toutes les difficultés ? Voyez les Juifs : lorsque Dieu leur donnait la manne pour nourriture, ils en témoignaient du dégoût au point de souhaiter la mort. Saint Paul au contraire luttait avec la faim, et il était dans la joie, il tressaillait d'allégresse. Aussi, tandis que les Juifs faisaient entendre ces plaintes : «Notre âme languit à cause de cette manne; il n'y avait peut-être pas de tombeaux en Égypte, c'est pour cela que Tu nous as amenés, afin que nous mourrions au désert;» (Nb 11,6; Ex 14,11), saint Paul s'écriait : «Je me réjouis dans les souffrances que j'endure et j'accomplis dans ma chair ce qui manque à la Passion de Jésus Christ.» Quelles sont ces souffrances ? La faim, la soif, la nudité et d'autres épreuves semblables. «Il a une volonté ardente d'accomplir ses Commandements.» Comment établir en nous cette disposition ? En craignant Dieu, en L'aimant de tout notre coeur, et par une considération attentive de la nature de la vertu. Avant même qu'elle reçoive les couronnes qui lui sont réservées, elle trouve en elle-même sa récompense. Si vous fuyez la fornication, l'homicide, pensez à la douce satisfaction que vous goûterez de n'être point condamné par votre conscience, de n'avoir point à rougir devant vos parents ou vos amis, et de pouvoir jeter sur tous des regards purs et innocents. Il n'en est pas ainsi de l'adultère, il craint tous les hommes, il redoute leur approche, les ombres mêmes lui sont suspectes.

2. L'avare et l'envieux sont sujets aux mêmes châtiments. Mais que le sort de celui qui sait s'affranchir de ces vices est bien différent ! «Sa race sera puissante sur la terre.» (Ibid. 2). Sous le nom de race, l'Écriture désigne souvent, non les enfants qui naissent par voie de génération, mais la filiation qui vient de la conformité de la vertu. Voilà pourquoi saint Paul expliquant ces paroles : «Je vous donnerai cette terre à vous et à votre postérité,» ajoute : «Tous ceux qui descendent d'Israël ne sont pas tous Israélites, et ceux qui sont de la race d'Abraham ne sont pas tous enfants d'Abraham; mais c'est Isaac qui sera appelé votre fils.» (Rm 9,7). Et ailleurs : «Toutes les nations seront bénies dans votre fils.» (Ga 3,8). Il ne peut être ici question des Juifs, les faits seuls le prouvent suffisamment. Comment ceux qui sont sous le poids de la Malédiction divine pourraient-ils devenir pour les autres une source de bénédiction ? Dieu veut donc parler ici de l'Église qui est devenue la postérité d'Abraham par la communauté d'une même foi. Tels sont aussi les hommes vertueux et les enfants de ceux qui ont la crainte de Dieu en partage. «Sa postérité sera puissante sur la terre.» Pourquoi dit-il : «Sur la terre ?» Pour nous apprendre que cette promesse s'accomplira avant qu'ils sortent de cette vie et qu'ils soient en possession des biens éternels. Car, comme je l'ai dit, la vertu trouve en elle-même sa récompense avant celles qui l'attendent dans l'autre vie. L'homme qui craint Dieu a donc une postérité puissante, et celui qui s'entoure de la vertu comme d'un rempart a lui-même une puissance sans égale; c'est ce que les apôtres et les prophètes enseignent à l'envi. Notre Seigneur vient Lui-même confirmer cette vérité, lorsqu'Il dit : «Tout homme qui entend mes paroles, et les accomplit, sera comparé à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre, et la pluie est tombée, les fleuves se sont débordés et les vents ont soufflé, et ils ont fondu sur cette maison, et elle n'a pas été renversée, car elle était fondée sur la pierre.» (Mt 7,24-25). Combien de fois les soulèvements des peuples, la colère des rois, les glaives, les lances, les traits, les fournaises, la dent des bêtes féroces, les précipices, les mers, les embûches, les calomnies, les complots de tout genre ont été mis en oeuvre contre les apôtres ! Rien cependant n'a pu les ébranler, ils ont été supérieurs à toutes ces épreuves, et ils se sont élevés comme sur des ailes au-dessus des flèches de leurs persécuteurs, qu'ils ont fini par attirer dans leurs rangs. C'est qu'en effet rien n'égale la puissance de la vertu, elle est plus ferme que la pierre, plus forte que le diamant; de même que le vice est ce qu'il y a de plus abject et de plus faible, malgré l'immensité de ses richesses et l'étendue de sa puissance.

Or, si telle est la puissance des justes sur la terre, jugez ce qu'elle sera dans le ciel. «La génération des justes sera bénie.» Voyez de quel éclat resplendit cette puissance, et comme elle trouve partout des prédicateurs, des panégyristes et des admirateurs, non point parmi les premiers venus, mais parmi les sages. Ce ne sont donc point les hommes dont les affections sont basses et rampantes qui pourront en avoir l'intelligence, il n'y a que les âmes droites qui soient dignes de la louer, de l'admirer, de la célébrer. Considérez quelle doit être la grandeur d'un bien qui mérite d'être loué par les anges, par les apôtres, par des hommes vraiment admirables; car si tels doivent être les panégyristes de cette félicité, réfléchissez et jugez ce qu'elle doit être en elle-même. «La gloire et les richesses sont dans sa maison.» Le Roi-prophète s'élève de nouveau des choses sensibles aux biens spirituels. L'Écriture, en effet, donne le nom de richesses aux fruits que produisent les bonnes oeuvres, comme dans ces paroles de l'Apôtre : «Faire le bien, être riche en bonnes oeuvres.» (1Tm 6,18) Ce sont là, en effet, les vraies richesses; les autres n'en portent que le nom, sans en avoir la réalité. Veut-on cependant voir ici les richesses matérielles ? Ce que dit le Roi-prophète subsiste dans tout son entier. Car qui fut plus riche sous ce rapport que les apôtres, vers lesquels les trésors affluaient de tous côtés comme d'autant de sources abondantes ? «Tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient et en apportaient le prix, et ils le déposaient aux pieds des apôtres.» (Ac 4,34). Voyez-vous quelles richesses immenses ? Ils possédaient les biens de tous, sans en avoir la sollicitude, car ils en étaient les économes plutôt que les maîtres. Ceux qui possédaient ces biens y renonçaient, ils se chargeaient eux-mêmes de les vendre et d'en recueillir le prix, et ils en abandonnaient aux apôtres la libre distribution. C'est ce qui faisait dire à saint Paul : «Nous sommes comme n'ayant rien, et nous possédons tout.» (2Cor 6,10). C'est une chose admirable, en effet, qu'au milieu d'une si grande opulence, les apôtres surent tenir leur coeur élevé bien au-dessus de ces richesses, et qu'ils n'en furent jamais les esclaves. Voilà le riche par excellence, celui qui n'a pas besoin de richesses. «La gloire et les richesses sont dans sa maison.» Le reste n'a point besoin d'explication. Ils ont eu la gloire qui vient de Dieu. Cette gloire les suivait, selon ces paroles de notre Seigneur : «Cherchez d'abord le royaume de Dieu, et tout le reste vous sera donné comme par surcroît.» (Mt 6,33). Qui jamais fut l'objet d'une plus grande vénération ? Ils étaient reçus comme des anges de Dieu, les fidèles apportaient le prix de leurs biens et le déposaient à leurs pieds; disons-le, ils recevaient plus d'honneurs et de gloire que les têtes couronnées. Quel roi, en effet, fut jamais environné d'une gloire plus éclatante que saint Paul, dont la parole excitait partout l'admiration, qui ressuscitait les morts, guérissait les malades, mettait les démons en fuite, et opérait tous ces miracles par le simple contact de ses vêtements ? Il faisait de la terre un véritable ciel, et il amenait tous les hommes à la pratique de la vertu.

3. S'ils ont opéré de si grandes choses sur la terre jugez ce que sera la gloire qui les attend dans le ciel. Que signifie cette expression : «Dans sa maison» ? C'est-à-dire, avec lui. Les richesses matérielles ne sont pas à vrai dire avec celui qui les possède; que dis-je ? leur possession est loin d'être assurée, elles sont entre les mains des délateurs, dans les mains des flatteurs, dans les mains des magistrats, dans les mains des serviteurs. Le maître de ces richesses les dissémine de tous côtés, parce qu'il n'ose les garder toutes chez lui. Et encore les environne-t-il de gardes, de sentinelles, précautions inutiles et qui ne peuvent empêcher ces richesses de s'échapper. «Et sa justice demeure dans tous les siècles.» Un autre interprète traduit : «Et sa miséricorde demeure dans tous les siècles» Le Roi-prophète veut parler ici de la vertu en général, ou de celle qui est directement opposée à l'injustice; ou bien selon la version d'un autre interprète, il entend par bonté la miséricorde, l'aumône. Telle est, en effet, la puissance de la miséricorde, elle est immortelle, impérissable, et rien ne peut jamais l'éteindre. Aucune des choses humaines ne peut échapper à sa destruction, les fruits de l'aumône seuls ne se flétriront jamais, et ils résistent à l'action des événements les plus contraires. Le corps lui-même tombe en dissolution, mais l'aumône est à l'épreuve de la mort, elle précède l'âme, et va lui préparer ces demeures dont Jésus Christ a dit : «Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père.» (Jn 14,9). Ce qui lui assure une supériorité marquée sur toutes les choses humaines, c'est ce caractère de stabilité et de perpétuité qui n'est le privilège d'aucun des biens de la vie présente. Alléguerez-vous la beauté ? Une maladie suffit pour la flétrir et la vieillesse la détruit sans retour. La puissance ? À quelles vicissitudes n'est-elle pas sujette ? Les richesses, on quelqu'autre de ces biens qui ont plus de prix et d'éclat dans la vie présente ? Mais ces richesses, mais ces biens nous abandonnent de notre vivant, ou nous laissent à notre mort dépouillés de tout et privés de toute ressource. Il n'en est point ainsi des fruits de la justice, ils échappent à l'action du temps aussi bien qu'aux atteintes meurtrières de la mort, et au contraire, ils sont assurés à jamais, en entrant dans ce port que les flots ne peuvent agiter.

«Du sein des ténèbres la lumière s'est levée sur les coeurs droits.» (Ibid. 4). Le Roi-prophète décrit ici le bonheur de l'homme qui craint Dieu, et il énumère les fruits de cette crainte dans la vie présente. Ses biens sont immortels, il sera comblé de gloire, élevé au-dessus de tous les autres hommes; il verra les imitateurs de ses vertus, devenus ses enfants, triompher de toutes les attaques, et au milieu des plus grandes calamités, il jouira d'une sécurité parfaite. Tel est le sens de ces paroles : «Du sein des ténèbres la lumière s'est levée sur les coeurs droits.» C'est-à-dire qu'au milieu même de la plus profonde obscurité, Dieu fera briller sa lumière aux yeux des hommes ainsi disposés et qui marchent dans la voie droite. Que signifient ces paroles : «Dans les ténèbres ?» C'est-à-dire qu'au milieu de l'affliction, des angoisses, de la tentation et des dangers (car c'est ce que signifie le mot ténèbres), Dieu les comblera d'une joie ineffable. C'est ce que saint Paul exprimait en ces termes : «Je désire que vous n'ignoriez pas l'affliction qui nous est survenue en Asie, parce qu'elle a été au-dessus de nos forces, jusqu'à nous donner le dégoût de la vie.» Voilà les ténèbres. « Or, si nous avons reçu en nous-mêmes cette réponse de mort, c'est afin que nous ne mettions point notre confiance en nous-mêmes, mais en Dieu qui ressuscite les morts et qui nous a délivrés de si grands dangers de mort.» (2Co 1,8-10). Voyez-vous la lumière se lever ? Considérez la même vérité dans les trois enfants. Ils s'attendaient à être consumés, et une douce rosée descendit sur eux. (Dn 3,24.) Daniel et les autres prophètes ont éprouvé cette même protection. (Dn 6,22). Voulez-vous entendre ces paroles dans un sens figuré ? Vous verrez qu'elles ont eu leur accomplissement à l'égard du monde entier. Des ténèbres épaisses couvraient la terre et la mer, et l'erreur était répandue partout lorsque le Soleil de justice se leva du milieu des ténèbres. Comme les hommes, détournant leurs yeux du ciel, cherchaient Dieu sur la terre, c'est de la terre même qu'Il a voulu sortir pour apparaître à leurs yeux, et Il S'est abaissé jusqu'à eux, afin de les élever jusqu'à la hauteur infinie de la Divinité. «Le Seigneur est clément, miséricordieux et juste.» Le prophète a déclaré que la Justice de Dieu était éternelle, et c'est un des motifs de consolation qu'il donne. Cependant, un grand nombre d'hommes au coeur droit et miséricordieux sont quelquefois atteints par l'infortune, il leur apporte donc un autre motif de consolation. «Le Seigneur est clément, miséricordieux et juste;» paroles d'où l'on peut tirer une double conclusion. Si Dieu est miséricordieux et pardonne si souvent aux pécheurs, pourra-t-Il, à plus forte raison, laisser la vertu sans récompense après cette vie ? Si elle ne reçoit pas cette récompense dès cette vie, Dieu la lui donnera infailliblement dans l'autre. Le Roi-prophète ajoute : «Il est juste.» S'il est juste, comme il l'est en réalité, il rendra à chacun suivant ses oeuvres, quand même il ne l'aurait pas fait dans cette vie, preuve incontestable de la résurrection future. Combien d'hommes vertueux voyons-nous en proie à mille souffrances, tandis que les méchants mènent la vie la plus calme et la plus tranquille ? Or, comment chacun recevra-t-il suivant ses oeuvres, s'il n'y a point de résurrection, une autre vie, des récompenses éternelles ? Mais comme cette idée de la justice avait pu répandre l'effroi dans l'âme des auditeurs, en leur rappelant le compte qu'ils devraient rendre de leurs péchés, il s'empresse d'appliquer le remède en ajoutant : «Heureux l'homme qui a compassion et qui prête, il réglera tous ses discours dans le jugement.» (Ibid. 5).

4. Voyez que de récompenses il promet à l'homme miséricordieux ! Le fruit de ses bonnes oeuvres est éternel, il sera délivré de toutes ses épreuves, il deviendra semblable à Dieu qui est Lui-même miséricordieux; enfin il obtiendra la rémission de ses péchés. Car tel est le sens de ces paroles : «Il réglera tous ses discours dans le jugement;» c'est-à-dire il trouvera un avocat, un défenseur assuré; et il n'a point à craindre de condamnation après que ses aumônes auront si éloquemment plaidé sa cause. Un autre interprète traduit : «Qui règle toutes ses actions avec jugement,» c'est-à-dire, il jouira d'une prospérité sans égale, et la prudence qui le guide ne lui permettra aucune action contraire à la raison. L'homme dur, inaccessible à la compassion et à la miséricorde, est incapable de bien régler sa conduite. Quoi de plus triste, en effet, qu'un homme qui voit son âme en danger, et qui ne craint pas de la sacrifier à ses richesses ? Voilà pourquoi notre Seigneur Jésus Christ a fait l'éloge de cet économe qui, appelé par son maître et se voyant en danger, déchira les obligations des débiteurs et en diminua le montant. (Lc 16,8). N'est-ce pas en effet le comble de l'absurdité que des hommes sacrifient tous leurs biens pour échapper aux dangers qui les menacent dans la vie présente, et qu'ils refusent de faire le même sacrifice, alors que leur âme est menacée d'un supplice éternel ? Voilà pourquoi le Roi-prophète appelle l'homme miséricordieux un économe prudent qui sait à peu de frais se procurer d'immenses richesses, le ciel pour de l'argent, un royaume pour un vêtement, les biens éternels pour un morceau de pain et un verre d'eau froide. Peut-on imaginer une administration plus sage que celle qui sacrifie des biens fragiles, passagers et corruptibles pour entrer en possession des biens impérissables de l'éternité, et qui par cette espérance, donne à l'âme dès cette vie une tranquillité assurée ? Voilà pourquoi le psalmiste dit : «Il réglera ses discours dans le jugement,» ou suivant une autre interprétation : «Il règle toutes ses actions avec le jugement.» D quel jugement veut-il parler ? Évidemment du jugement dernier. Ou bien ces paroles signifient que cet homme soumet toute sa conduite à une règle fixe et immuable, qu'on n'y remarque aucune confusion, mais l'ordre le plus parfait, et que toutes ses actions se succèdent en suivant la voie droite qu'il s'est tracée. Il n'éprouve aucune agitation, aucun trouble, parce que la miséricorde aplanit pour lui toutes les difficultés. C'est ce qu'exprime plus clairement la version du second interprète : «Il réglera ses actions avec jugement.» Celui qui règle ainsi ses actions est véritablement miséricordieux, tandis que celui qui s'affranchit de cette règle est frappé de stérilité.

«Parce qu'il ne sera jamais ébranlé.» (Ibid. 6). Encore une fois, que peut-on comparer à cette sage administration qui ouvre à l'homme une voie qui le délivre de tous les dangers imprévus, le fait entrer dans un port où il est à l'abri des tempêtes de la vie, le soustrait à toutes les épreuves qui sont le partage de l'humanité, ou lui donne la force de ne pas y succomber ? N'est-ce pas une chose admirable, en effet, que de n'être ni ébranlé, ni renversé par la violence des tribulations ? Mais quoi ? N'a-t-on pas vu bien

des hommes miséricordieux qui chancelaient sous le poids de l'adversité ? Non jamais. On les a vus devenir pauvres, réduits à la dernière indigence, précipités dans toute sorte d'infortunes; mais ces épreuves ne les ont point abattus, parce qu'ils avaient toujours devant les yeux, le souvenir de leurs actions, qu'ils attiraient sur eux la Bonté et la Protection de Dieu ? et que le témoignage d'une bonne conscience était pour eux une ancre ferme et assurée. Le Roi-prophète ne dit donc pas : «Ils ne seront point en butte aux mauvais desseins de leurs ennemis,» mais : «Ils n'en seront point ébranlés.» C'est ainsi que Jésus Christ parlant de l'homme qui a bâti sa maison sur la pierre, ne dit pas qu'il ne sera point assailli par la tempête, mais qu'il en supportera l'effort sans qu'elle puisse le renverser. (Mt 7,27). En effet, ce qui est digne d'admiration, ce n'est point de faire preuve de calme et de sécurité en l'absence de toute tentation, mais de rester constamment inébranlable au milieu des assauts redoublés que nous livrent nos ennemis. Il est du reste impossible qu'une âme riche en oeuvres de miséricorde soit jamais submergée par les tempêtes de l'infortune. «La mémoire du juste sera éternelle.» (Ibid. 7). Voyez, ce n'est pas seulement pendant sa vie, mais après sa mort que le juste continue d'en instruire un grand nombre et de leur donner d'utiles leçons. Que pourrait-il donc éprouver de fâcheux pendant sa vie, puisque même après sa mort il enseigne aux autres la confiance et la sécurité ? Le Roi-prophète le choisit comme exemple pour convaincre les plus incrédules qu'une récompense éternelle, fruit de ses bonnes oeuvres, l'attend dans les cieux. Son corps est enseveli dans la terre, à laquelle il est confié comme un dépôt, mais sa mémoire vit dans tous les coeurs.

Telle est la puissance de la vertu, le temps ne peut rien sur elle, et une longue succession de jours ne saurait la flétrir. Dieu le permet ainsi dans l'intérêt des méchants. Les justes n'ont point besoin des louanges des hommes, mais ces louanges qui leur sont données sont nécessaires aux méchants à qui elles inspirent l'amour de la vertu, et qu'elles détournent quelquefois du vice. Où sont donc ceux qui élèvent des tombeaux magnifiques et se construisent de somptueuses demeures ? Qu'ils apprennent le moyen d'immortaliser leur mémoire. Ce n'est point par ces constructions de pierre, ni par ces enceintes de murs, ni par ces tours, mais par le spectacle d'une vie toute de bonnes oeuvres. Le Roi-prophète parle de la sorte dans l'intérêt de ces incrédules de profession qui ne pensent jamais à l'éternité, et il cherche à les arracher à la séduction des biens présents et sensibles, pour les élever jusqu'aux biens de l'éternité, et comme je l'ai dit bien des fois, il montre qu'avant la récompense des cieux, la vertu trouve déjà en elle sa récompense. «Il ne redoutera point les bruits calomnieux.» Suivant une autre version : «Il ne craindra pas les nouvelles fâcheuses.» De même qu'il n'a point dit précédemment : Il ne sera point en butte aux attaques de ses ennemis, mais il n'en sera point ébranlé; de même ici il ne dit pas que les bruits fâcheux n'arriveront point à son oreille, mais qu'il les entendra sans en être effrayé.

5. Et comment sera-t-il inaccessible à la crainte ? Il verra les horreurs d'une guerre imminente, des villes entières renversées par des tremblements de terre, les voleurs et les brigands se livrer à un pillage général, des barbares envahir sa patrie, la maladie, la colère d'un juge mettre ses jours en péril, mille autres calamités enfin, et la crainte n'effleurera point son âme. Car il a déposé bien à l'avance toutes ses richesses dans un asile inviolable, et loin de craindre à l'approche de la mort, il s'empresse de partir pour ces régions où il doit retrouver toute sa fortune. «Là où est le trésor de l'homme, dit notre Seigneur, là est aussi son coeur.» (Mt 6,21). Voyez les négociants qui ont envoyé devant eux dans leurs pays d'énormes cargaisons de marchandises, ils n'ont point de repos qu'ils ne soient de retour pour jouir du spectacle de leur fortune. À plus forte raison, le juste qui depuis longtemps a mis en dépôt dans le ciel toutes ses richesses doit-il désirer de rompre les liens qui l'attachent à la terre pour s'envoler librement vers les biens éternels. Rien donc n'est capable de l'effrayer : «Il a le coeur toujours préparé à espérer au Seigneur.» Un autre interprète traduit : «Son coeur est ferme.» C'est la même pensée et l'explication du mot a préparé.» Voici donc le sens de ces paroles : Rien ne sera capable de l'ébranler ou d'attacher son coeur aux choses de la terre, il tend vers Dieu de tout son être et il attend l'accomplissement de son espérance, il s'appuie constamment sur cette espérance comme sur un ferme soutien sans se laisser ni amollir, ni distraire par les jouissances de la vie présente. Car c'est là l'effet naturel des préoccupations de la terre, elles divisent notre âme et détournent nos pensées des biens éternels. Il faut donc répéter de nouveau cette maxime de l'Évangile : «Là où est le trésor de l'homme, là est aussi son coeur.» (Mt 6,21).

«Son coeur est puissamment affermi, il ne sera point ébranlé.» (Ibid. 8) Voilà un homme qui a bâti sur la pierre. Que pourrait craindre, en effet, celui qui, dépouillé de tout, n'est embarrassé de rien, et ne donne prise à personne sur lui ? Que pourrait craindre celui qui est assuré de la Bonté et de la Protection de Dieu ? La sécurité dont il jouit a donc une double cause : la protection du ciel et l'heureuse disposition de son âme. Aussi rien n'est capable de l'ébranler, ni les revers de fortune, ni les outrages, ni les calomnies. Il est invulnérable à tous ces coups, parce qu'il habite une région inaccessible au crime et aux complots des méchants; car vous le savez, tous ces complots ont pour cause ou pour objet l'argent, et c'est là que viennent se concentrer tous les efforts des hommes. «Jusqu'à ce qu'il ait vu la ruine de ses ennemis.» Quels sont ces ennemis ? Les esprits mauvais et le démon lui-même.

«Il a répandu ses biens avec libéralité sur les pauvres, sa justice demeure dans tous les siècles.» (Ibid. 9). Le Roi-prophète a jusqu'ici rappelé le devoir de l'aumône et parlé du prêt charitable et de la miséricorde. Or, il y a plusieurs degrés dans l'aumône; l'un donne moins, l'autre avec plus de libéralité. Voyons donc quel est cet homme miséricordieux dont il parle. Est-ce celui qui donne de son superflu, ou celui qui distribue tous ses biens sans réserve ? Il est évident que c'est celui qui épuise toutes ses ressources, qui répand ses biens avec une pieuse profusion, et dont saint Paul parle en ces termes : «Celui qui sème dans les bénédictions, moissonnera aussi dans les bénédictions.» (2Cor 9,6). Considérez la justesse des expressions du prophète. Il ne dit pas : Il a donné, il a distribué, mais :«Il a répandu,» pour exprimer la libéralité de celui qui donne, libéralité qu'il compare à l'action de semer. C'est ce que font en effet ceux qui sèment. Ils répandent la semence qu'ils tenaient en réserve, et ils sacrifient un bien certain à l'espérance d'un bien à venir. En cela, ils font beaucoup mieux que d'amasser, et mieux vaut répandre de la sorte que d'accumuler sans cesse. Vous semez votre argent, mais vous recueillez la justice, vous répandez des richesses périssables pour acquérir des biens immortels. C'est ce que font aussi les laboureurs. Cependant, pour eux, l'espérance de l'avenir est incertaine, car c'est la terre qui reçoit leur semence. Vous, au contraire, vous semez dans la Main de Dieu, et il est impossible que votre semence soit perdue. Lors donc que considérant la beauté de l'or vous hésitez à vous en déposséder, rappelez-vous la conduite de ceux qui sèment, de ceux qui prêtent ou qui trafiquent de leur argent. Ils commencent tous par de grands frais et de grandes dépenses, et sur des espérances souvent bien incertaines; car les flots de la mer, le sein de la terre, les créances des débiteurs, n'ont rien de bien rassurant. Combien de fois voyons-nous celui qui prête perdre sans retour son capital ? Mais celui qui sème dans le ciel n'a rien à craindre de semblable, il est assuré de recueillir et son capital et ses intérêts, si toutefois on peut appeler intérêts une récompense qui leur est bien supérieure. En effet, le capital c'est l'argent, les intérêts, c'est le royaume des cieux. Voyez-vous la nature particulière de ce prêt qui produit des intérêts supérieurs au capital ? Voilà pour la vie future, et en attendant, dès cette vie vous jouirez d'une liberté sans égale, vous serez à l'abri de tous les complots. Vous éteindrez la convoitise des hommes fourbes et artificieux, tous les jours de votre vie s'écouleront dans la paix, car votre esprit, au lieu d'être accablé par les soucis des richesses de la terre, s'élèvera sur les ailes de l'espérance, jusqu'à la jouissance des biens éternels. «Sa force s'élèvera dans la gloire.» Il revient sans cesse sur ce qui est l'objet des plus vifs désirs des hommes, l'éclat et la gloire dont ils seront environnés dans l'autre vie, et qui dès cette vie même leur seront libéralement accordés. Car il n'est point sur la terre de gloire plus éclatante que celle de l'homme miséricordieux.

6. Prenez, si vous le voulez, un homme qui prodigue follement ses richesses dans les cirques et les théâtres, mettez près de lui un homme miséricordieux, et vous verrez quel fruit chacun d'eux recueille de ses dépenses. L'homme charitable est l'objet constant de toutes les louanges, de l'admiration générale; on le proclame le père, le refuge de tous les malheureux. Pour l'autre, au contraire, après qu'on lui a prodigué un seul jour des applaudissements aussi ridicules que déplacés, on l'accuse d'être un homme sans entrailles, sans humanité, qui recherche la vaine gloire, se rend pour cela un instrument de libertinage, et se met au service de la corruption. Si dans les réunions, l'entretien tombe sur ce sujet, on ne parle des dépenses de ce dernier que pour les condamner; mais s'agit-il de l'autre, au contraire, il n'est pas d'hommes si impudents, si pervers, si cruels, si inhumains, qui lui refusent leurs éloges et leur admiration. Tel est le privilège de la vertu qu'elle force l'admiration de ceux mêmes qui n'ont pas le courage de la pratiquer, tandis que le vice est un objet d'horreur, de blâme et de condamnation pour ceux-là même qu'il tient asservis sous ses lois. Les hommes de folles dépenses n'obtiennent pas même les éloges des femmes de mauvaise vie, des conducteurs de chars, des danseurs qu'ils enrichissent, et qui sont les premiers à les diffamer, tandis que pour l'homme miséricordieux ce ne sont pas seulement les pauvres qu'il assiste, mais ceux mêmes qui sont en dehors de ses libéralités, qui l'admirent et qui l'aiment.

« Le pécheur le verra et en sera irrité, il grincera des dents et séchera de dépit.» (Ibid. 10). La vertu est un spectacle fâcheux et importun pour le vice. De même que le feu embrase les épines, ainsi la bonté irrite les hommes cruels et inhumains, car elle est un reproche et une condamnation de leur méchanceté. Mais voyez comme le pécheur, tout rongé qu'il est par l'envie, n'ose formuler d'accusation contre l'homme juste, ni soutenir le regard pur et limpide de la vertu. La douleur qui le mine intérieurement se manifeste par des grincements de dents, mais il n'ose prononcer aucune parole et il renferme au dedans de lui le chagrin qui le déchire. Tels sont les tristes fruits du vice; quand même il franchirait les degrés du trône et se tiendrait auprès de ceux dont la tête est ceinte du diadème, il est toujours ce qu'il y a de plus vil, de plus craintif, de plus lâche. Il est toujours dans le trouble et dans l'agitation, comme une mer ballottée par l'orage, fût-il d'ailleurs élevé au faîte de la puissance. Il en est tout autrement de la vertu. Fût-elle réduite à la dernière indigence, plongée dans les cachots elle brille d'un plus vif éclat que les rois eux-mêmes, elle jouit d'une sécurité parfaite, elle est dans un fort inaccessible aux agitations de la tempête. Non seulement elle est à l'abri des attaques des méchants, mais son silence seul suffit pour en tirer vengeance et leur faire expier cruellement la peine de leurs crimes. Que peut-on imaginer de plus malheureux qu'un homme qui vit dans l'iniquité, qui est esclave de ses richesses, pour qui le spectacle de la vertu est un tourment et les louanges qu'on lui donne un véritable supplice; qui se torture lui-même par les déchirements de sa conscience et les douleurs intérieures de son âme, et qui devient son propre bourreau ? Avez-vous considéré d'un côté la supériorité et la puissance de la vertu, de l'autre la faiblesse et la misère du vice ? Là encore ne se borne pas son infortune, elle s'étend beaucoup plus loin, comme le psalmiste le déclare dans les paroles qui suivent : «Le désir des pécheurs périra.» Qu'est-ce à dire : «Le désir des pécheurs périra ?» Il n'aura aucune fixité. Les biens que désire le pécheur sont fragiles et passagers, son désir partage le sort de ces biens périssables, il s'éteint, il périt, parce qu'il n'a point de racine. Si tel est ici-bas la déplorable condition des pécheurs, que sera-ce dans l'autre vie  ? Évitons un si triste sort, et pour cela fuyons le chemin du vice pour prendre celui de la vertu, marchons constamment dans cette voie qui nous offrira le calme, la sécurité, la joie, la gloire, qui nous ouvrira le ciel, nous obtiendra l'Amitié de Dieu, nous inspirera l'amour de la sagesse, et nous comblera de tant de biens que la parole même est impuissante à les exprimer. Puissions-nous les obtenir par la Grâce et la Miséricorde, etc.